Art. 478.' 462. Le cas prévu par cet article est assez délicat. H est emprunté au Code civil français (art. 1240) reproduit textuellement par le Code italien '(art. 1242). La difficulté est de savoir ce qu'il faut entendre par le " possesseur d'une créance: " assurément, ce n'est pas le véritable créancier; ce n'est pas non plus le détenteur du titre servant de preuve à la créance, sauf dans le cas de titre au porteur (v. ciaprès).
Déjà, lorsqu'on a traité de la possession, on a vu qu'elle s'appliquait non seulement aux choses corporelles, mais aussi aux choses incorporelles, aux droits, et, notamment, aux créances (voy. art. 193). Le possesseur d'une créance est celui qui, sans être le véritable créancier, se comporte comme tel et parait avoir cette qualité aux yeux des tiers; par exemple, en touchant les intérêts annuels, en faisant des poursuites, en accordant des délais.
Quand il s'agit d'une chose corporelle, il suffit, pour en avoir la possession civile, de la détenir physiquement, de l'avoir à sa disposition, " avec l'intention de l'avoir à soi " (art. 193); cette intention est d'ailleurs présumée (art. 198); il n'est pas nécessaire de détenir la chose en vertu d'un titre ou acte juridique destiné à la transférer. En matière de créance, la détention du titre instrumentaire Cc) ne saurait avoir le même effet; d'abord, il arrive très fréquemment qu'on est détenteur d'un titre, par suite d'un mandat ou d'un dépôt: cette détention ne pourrait donc être présumée, au même, degré, fondée sur un droit propre au détenteur; ensuite elle ne se révèle pas par des faits extérieurs qui lui donnent une publicité suffisante pour fortifier la présomption de droit (comp. art. 196); enfin et surtout, le titre même, portant le nom du véritable créancier, contredit la prétention du simple détenteur. Pour que la détention du titre fasse présumer le droit de créance, il faut ou qu'il s'agisse d'un titre au porteur, cas où le droit est attaché au titre même et non à une personne dénommée (voy. art. 366), ou, s'il s'agit d'un titre no-, ivinatif7 que le possesseur ait fait, en son propre nom (les actes plus ou. moins répétés de la nature c1e ceux qui appartiennent aux créanciers, fussent-ils de simples actes conservatoires.
Dans ces conditions, le payement fait de bonne foi par le débiteur est valable, c'est-à-dire le libère envers le véritable créancier qui n'est pas lui-même exempt de négligence; c'est ce dernier qui aura recours contre le possesseur, pour la restitution des valeurs payéesi avec le risque de son insolvabilité.
463. Le Projet, à cause de la difficulté de cette matière, a cru devoir donner des exemples de possesseurs de créance auxquels le payement pourra ainsi être fait valablement. Il en donne trois qui sont peutêtre les seuls que la jurisprudence et la doctrine franç8ises aient admis; mais la loi n'est pas limitative.
Le premier cas est celui de Il l'héritier apparent," expression consacrée pour indiquer celui qui passe, aux yeux des tiers, pour l'héritier légitime d'un défunt; la loi lui assimile tout autre successeur universel, tel qu'un donataire ou un légataire, quoique le cas doive se présenter plus rarement au Japon. Il peut arriver que cet héritier soit primé par un parent plus proche dont l'existence était ignorée, que la donation ou le testament soit nul ou révoqué; mais l'erreur commune commande de protéger le débiteur qui a payé de bonne foi (d).
Le deuxième cas est celui d'une cession de créance nominative, faite en bonne et due forme et notifiée au débiteur-cédé par le cessionnaire (voy. art. 3G7), mais qui n'a pas opéré un véritable transport, par le défaut de droit et de qualité chez le cédant. Dans ce cas, le cessionnaire a peut-être été imprudent, en ne se faisant pas justifier exactement les droits du cédant; peutêtre a-t-il été victime d'un faux qu'une plus grande vigilance aurait pu lui faire découvrir; mais ce n'est pas le cessionnaire que la loi protège, c'est le cédé qui, recevant notification de la cession, n'a pas eu à en vérifier la validité (e).
S'il s'agit d'un "' effet de commerce," nominatif toujours (lettre de change, billet à ordre, chèque), mais cessible par simple endossement (/), la solution sera identique, lors même que l'endossement aurait été signé par un faussaire, pourvu que le faux ne soit pas évident: le payement fait au cessionnaire apparent libérera le débiteur, s'il n'a pas d'ailleurs été fait avant l'échéance (voy. c. comm. fr., art. 144 et 145).
Le troisième cas est celui d'un titre au porteur cessible par la simple tradition; pour que la cession soit valable, il faut, il est vrai, que la tradition du titre soit faite par le véritable créancier; mais la facilité de fraude ou d'erreur est encore ici plus considérable que dans les titres nominatifs, et le payement fait au porteur du titre doit libérer le débiteur, comme dans les cas précédents.
464. On remarquera que la loi n'exige pas, pour la validité du payement, qu'il ait été reçu de bonne foi par le possesseur de la créance; mais elle exige la bonne foi chez le débiteur, c'est-à di,'c qu'il croye payer au véritable créancier.
La loi devait-elle encore subordonner la validité du payement à la condition qu'il ne fût pas fait avant l'échéance ? Cette condition qui. ne se trouve pas dans les Codes français et italien, pour les créances civiles, est exigée pour certaines créances commerciales (c. com., fr., art. 144 et 446). En faveur de l'extension de cette disposition au cas qui nous occupe, on pourrait dire que si le débiteur n'a pas attendu l'échéance pour payer, il a diminué les chances qui restaient au véritable créancier de se faire connaître en temps utile, d'évincer le possesseur et de se faire payer lui-même (g). Mais il faut reconnaître que la loi n'atteindrait pas son but si elle n'admettait pas la validité du payement fait avant l'échéance: du moment que le débiteur est de bonne foi, la loi ne peut exiger qu'il attende, l'échéance, ce serait admettre qu'il a eu des soupçons sur le droit du possesseur; d'ailleurs, de deux choses l'une: ou le terme a été établi dans l'intérêt du débiteur (ce qui est le cas ordinaire) et il peut toujours y renoncer (art. 424), la dette devient alors échue par sa volonté et il n'a pas payé avant l'échéance du terme; ou bien le terme est établi dans l'intérêt du créancier et celuici (ou du moins, le créancier apparent, le possesseur de la créance), en demandant le payement, ou même en le recevant, a renoncé au bénéfice du terme et la dette se trouve encore n'avoir pas été payée avant l'échéance.
Il n'y a donc pas lieu de demander plus que la bonne foi du débiteur au moment du payement. S'il en est autrement pour les dettes commerciales, spécialement pour les lettres de change et billets à ordre, c'est que ces titres, négociables par endossement et souvent rédigés en double ou triple original, font presque l'office de monnaie; dès lors, le débiteur s'il est prudent, doit toujours songer qu'il peut y avoir eu perte d'un des doubles déjà endossé et que le porteur légitime peut se présenter au dernier jour.
----------
(c) Le mot litre ayant, comme on le l'oit ici, deux sens, en français " fondement d'un droit et preuve d'un droit," on ajoute souvent au deuxième emploi, pour éviter l'équivoque, la qualification el' instrll men tai1'e, (lu latin: instrument uni, "instrument, preuve." Voy. ftllssi, note H, ci-après, pour un autre sens (ln mot titre.
(d) On peut appliquer ici un axiome célèbre: " !'ei')'eur commune fait le droit: " error communis facit jus.
(e) L'article 367 précité met sur la même ligne que la signification au cédé l'acceptation faite par celui-ci de la cession. Peut-être, dans ce cas, est-il lui-même en faute de n'avoir pas reconnu et signalé l'illégalité de la cession; mais il ne serait vraiment en faute que s'il assistait à la cession même; or, il peut accepter une cession faite en dehors de sa présence.
(f) L'endossement est, comme le mot l'indique, la cession mentionnée au dos du titre: il porte le nom du cessionnaire, la cause de la cession, la date et la signature du cédant dit cC endosseur."
(g) La lre édition du Projet donnait cette solution et par le motif cidessus présenté. Mais un plus mûr examen l'a fait:tba])don)iG!', dès la seconde édition, par les raisons données ci-après elles sont de nature à dissiper tons les doutes.