Art. 408 et 409. Ou voit, de suite, par la définition de la condition, qu'elle diffère profondément du terme : tandis que le terme n'empêche pas l'obligation de naître, de se former, et en retarde seulement l'exécution, la condition tient en suspens l'existence même de l'obligation, et ce n'est pas seulement un retard qu'elle apporte a la formation ou à la résolution de l'obligation, c'est l'incertitude, l'éventualité, qui peut se terminer favorablement ou défavorablement pour le créancier ou pour le débiteur ; chacun a des chances et court des risques : le contrat devient aléatoire par le fait même qu'il est affecté d'une condition.
On voit par le présent article que la condition est de deux sortes : suspensive ou résolutoire ; dans le premier cas, l'obligation affectée de la condition n'est pas formée par la seule convention, c'est la condition qui, en s'accomplissant, fera naître l'obligation ; dans le second cas, l'obligation est née immédiatement, par le seul effet du contrat ; mais les parties sont convenues que, si tel événement arrivait, l'obligation serait résolue, c'est-àdire éteinte rétroactivement, comme si elle n'avait jamais existé.
On dit quelquefois que la condition est “toujours suspensive” et que, dans le premier cas, elle suspend la naissance de l'obligation, tandis que, dans le second cas, elle en suspend la résolution ; cette formule est exacte et même elle a une origine romaine ; mais on conservera ici les expressions usitées et l'on appellera condition suspensive celle qui expose le droit du créancier à ne pas naître, et résolutoire, celle qui, le droit une fois né, l'expose à être détruit. La difficulté du langage va encore s'augmenter, si, au lieu d'une obligation conditionnelle, nous supposons qu'il s'agit d'un droit réel affecté d'une condition.
Le texte de l'article 408, en effet, après avoir supposé d'abord que c'est une obligation ou une créance qui est affectée de la condition, déclare que la même modalité pourrait affecter un droit réel : la propriété ou un de ses démembrements, ou une sûreté réelle fournie pour la garantie d'une créance.
Dans ce cas, la condition produira un effet double, très-digne d'attention : elle sera, tout à la fois, suspensive pour l'une des parties et résolutoire pour l'autre.
Supposons une aliénation d'immeuble subordonnée au départ du vendeur pour un pays éloigné ; dans ce cas, la condition sera qualifiée de “suspensive," parce que le droit de l'acheteur n'est pas encore né ; mais si la condition s'accomplit, en même temps qu'elle “fera naître” le droit de l'acheteur, “elle résoudra” celui du vendeur.
En sens inverse, si l'aliénation a été faite immédiatement, mais qu'il ait été convenu qu'au cas où le vendeur reviendrait se fixer dans le pays qu'il quitte, la vente serait résolue, on peut dire qu'en même temps que le droit de l'acheteur est “résoluble,” celui du vendeur est “suspendu:” l'événement prévu s'accomplis sant enlèvera le droit de propriété à l'acheteur, non-seulement pour l'avenir, mais pour le passé, et le reportera rétroactivement sur la tête du vendeur, comme s'il n'avait jamais cessé de lui appartenir.
Comme conséquence de ce double effet de la condition, les droits conférés sur la chose par celui qui n'avait qu'un droit résoluble s'évanouissent comme et avec le sien, et les droits conférés par celui dont le droit était en suspens se confirment comme le sien propre.
La raison de ce double effet de chaque condition, lorsqu'il s'agit de l'aliénation d'un droit réel, tient à la nature même de ce droit qui, une fois créé, doit nécessairement porter sur une tête, et ne peut en quitter une sans passer sur une autre, ni retourner au premier titulaire sans quitter le second. On ne rencontre pas ce double effet, lorsqu'il s'agit d'une obligation contrac ée avec une condition : elle ne préexistait pas à la convention, laquelle la fait naître et ne la transfère pas ; si elle est subordonnée à une condition suspensive et que celle-ci s'accomplisse, le droit naît pour le créancier, mais on ne peut pas dire qu'il quitte le débiteur ; si elle est subordonnée à une condition résolutoire, l'événement enlèvera le droit au créancier, mais il ne le reportera pas sur la tête du débiteur.
On doit donc reconnaître que si les droits personnels peuvent être affectés de l'une ou l'autre condition, c'est toujours séparément, disjointement ; tandis que les droits réels ne peuvent être affectés de l'une sans l'être en même temps et conjointement de l'autre.
Il y a toutefois un cas où le droit personnel sera affecté simultanément des deux conditions ; mais l'exception, loin d'être gênante, confirme la règle : un créancier cède, sous condition suspensive, la créance qu'il a contre un tiers ; si la condition s'accomplit, le droit cédé quitte le cédant pour passer sur la tête du cessionnaire ; si la cession a été faite sous condition réso lutoire, la résolution, en dépouillant le cessionnaire, reporte le droit sur le cédant. Si, dans ce cas, la condition produit deux effets simultanés, comme dans la cession d'un droit réel, c'est parce que droit personnel cédé préexistait à la convention.
Il est donc vrai et évident que toute condition mise à la translation d'un droit réel, ou d'un droit personnel préexistant, produit, tout à la fois, d'un côté, une suspension, et, de l'autre, une résolution. Il faut pourtant que les noms ne produisent pas d'équivoque. Le moyen de l'éviter, c'est de s'attacher à l'effet direct de la condition sur le droit conféré et non à son effet indirect sur le droit retenu par l'aliénateur. Ainsi, une vente sera dite “sous condition suspensive,” quand le droit conféré à l'acheteur sera suspendu : on négligera la résolution qui ne doit se produire qu'indirecte-ment sur le droit retenu par le vendeur ; au contraire, la vente sera dite “sous condition résolutoire” quand le droit, présentement conféré à l'acheteur, sera sujet à résolution : on négligera l'effet indirectement suspensif de cette condition sur le droit retenu, par le vendeur.
Mais, si l'effet indirect de chaque condition est à négliger quand il s'agit de la dénomination à donner à celle-ci, il est très-important, au contraire, à considérer pour le fond toute cette théorie : on le verra bientôt, notamment, quand il s'agira de savoir laquelle des deux parties supporte les risques de perte fortuite, dans l'une et l'autre condition (v. art. 419).
L'article 408 assigne deux caractères à l'événement qu'on appelle condition : il doit être “futur et incertain.” Il ne faudrait pas mettre sur la même ligne un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties. Cependant, au premier aspect, la situation parait identique ; si, par exemple, les parties ont subordonné les effets de leur convention à l'issue favorable d'une expédition militaire ou maritime qui doit être actuellement accomplie, mais dont aucune d'elles n'a pu encore avoir de nouvelles, il semble que les choses se passeront comme si l'événement était futur : lorsque l'issue de l'expédition se trouvera avoir été favorable, la convention aura eu tous ses effets dès l'origine; lorsque l'issue aura été défavorable, la convention sera réputée non avenue. Mais, au fond, il reste une grande différence entre cette situation et celle d'une véritable condition : dans le cas d'un événement actuellement arrivé, l'obligation existe ou n'existe pas, dès le moment de la convention, quoique les parties l'ignorent ; si elle existe, rien n'empêchera ensuite qu'elle ait tous ses effets; si elle n'existe pas, rien, dans l'avenir, ne pourra lui donner effet ; il n'y a, pour les parties, ni chances, ni risques ; si l'événement était accompli suivant les prévisions des parties, ce n'est pas lui qui aurait fait naître l'obligation, ce serait la convention ; si l'événement était accompli en sens contraire, ou défailli, l'obligation ne serait pas née et ne pourrait jamais naître sans une nouvelle convention.
Voilà pour la différence théorique de la question ; en voici maintenant l'intérêt pratique : si l'obligation a été subordonnée à une véritable condition et que la chose due vienne à périr par cas fortuit avant l'événement, l'obligation ne se forme pas, faute d'objet, comme on l'a déjà dit plus haut et comme on en donnera bientôt la justification, en sorte que la perte retombe sur le débiteur qui n'a plus sa chose et n'aura pas les avantages que la convention pouvait lui destiner; tandis que, si l'obligation dépend d'un événement actuellement arrivé mais encore inconnu des parties, la chose due périt pour le créancier dont le droit est né quoiqu'il l'ignore: l'événement inconnu n'a été qu'un “terme incertain,” ce terme s'est trouve échu quand l'événement a été connu; or, le terme ne retardant pas la naissance du droit, mais seulement son exigibilité, met la chose aux risques de celui à qui elle est due.
Le présent article complète le caractère de la condition, soit suspensive, soit résolutoire, en donnant un effet rétroactif à son accomplissement, soit pour la formation, soit pour la résolution de l'obligation ou du droit réel conféré. Cette rétroactivité a dû être indiquée de suite, pour faire saisir la nature de la condition ; l'article suivant en va indiquer les conséquences.