Art. 395 et 396. L'article 396 pose le principe d'après lequel la garantie est due et il en indique l'objet.
Lorsque quelqu'un a conféré un droit de propriété ou un démembrement de propriété, ou un simple droit de créance (par exemple, en cédant une créance dont il est titulaire), il ne lui suffit pas d'avoir fait la tradition ou remise de la possession et la délivrance des titres, il doit encore assurer, favoriser, par tous les moyens légaux qui lui appartiennent, l'exercice et la jouissance du droit cédé (a). C'est là l'application normale de la garantie qui va nous occuper.
Il peut arriver aussi que le prétendu cédant n'ait, en réalité, rien cédé, ou ait cédé moins de droits qu'il n'en avait promis, parce qu'il n'avait pas ces droits ou ne les avait qu'incomplets. De là des trubles et des revendications de la part des tiers. Le texte prévoit les deux cas.
Mais le cédant n'est pas obligé de faire cesser des troubles de fait ou des actes d'usurpation qui seraient l'effet de la ruse ou de la violence : il faut que ces troubles soient fondés sur une prétention à un droit et que le droit allégué soit lui-même fondé sur une cause antérieure à la cession ou imputable au cédant. En effet, les troubles de fait ne relèvent que de la police locale et les troubles de droit fondes sur une cause postérieure à la cession et qui ne peut être imputée au cédant, sont, alors sans doute, imputables au cessionnaire lui-même.
Le 2e alinéa de l'article 395 assigne à la garantie deux objets ou deux applications qui sc succéderont souvent, le second suppléant à l'insuffisance du premier. D'abord, le garant devra défendre le cessionnaire contre les prétentions élevées par les tiers; cette défense consistera à l'assister en justice, lorsqu'il y sera demandeur, défendeur ou intervenant (b), et cette assistance consistera dans la production de titres, pièces ou témoignages, de nature à fortifier les prétentions du cessionnaire et à affaiblir celles du tiers, démontrant l'existence des droit cédés.
Mais, il pourrait arriver que le cédant ne vînt pas défendre le cessionnaire ou que sa défense fût sans résultat utile ; alors, il doit indemniser le cessionnaire du dommage qu'a éprouvé celui-ci : généralement, s'il y a éviction entière, l'indemnité comprendra la valeur de la chose ou du droit cédé, en la déterminant au jour de l'éviction, et le remboursement des frais de l'acte de cession et de ceux du procès, et encore la réparation du préjudice personnel que la privation de cette chose peut causer au cessionnaire, par le dérangement apporté à ses affaires, par la nécessité de pourvoir au remplacement de la chose, etc.
Lorsque la garantie se résoudra en dommages-intérêts, on leur appliquera les règles établies dans la Section précédente.
L'article 396 limite, dans une certaine mesure, ce qu'il y a d'un peu trop général dans l'article 395. L'intérêt de la distinction entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit a déjà été signalé sous l'article 298 ; il se représente ici dans une nouvelle application : la garantie est dite naturelle dans les contrats onéreux, parce qu'elle y a lieu, par l'effet du droit et de la loi, sans que les parties aient besoin de la stipuler, et elle n'y est pas essentielle, car les parties peuvent l'exclure par une convention expresse.; au contraire, dans les contrats gratuits, elle n'est qu'accidentelle, car les parties doivent en convenir pour qu'elle soit due.
Cette différence est facile à justifier : dans le contrat onéreux, le cédant cherche un profit, il doit donc fournir, au moins par équivalent, tout ce qu'il a promis ; tandis que, dans le contrat gratuit, le cédant se dépouille sans profit ; s'il n'a pas, en réalité, les droits qu'il a prétendu conférer, il serait injuste de lui demander d'en fournir l'équivalent sur d'autres biens, car il pourrait ainsi arriver que sa générosité tournât à sa ruine.
Ce n'est pas sans un mur examen et après discussion approfondie que l'on a admis dans le Code cette différence considérable.
Il ne pouvait suffire que ce fût, depuis le droit romain, une tradition constante dans les législations qui s'en sont inspirées.
On comprenait bien qu'il peut être très dur pour le donataire d'être privé de recours lorsque la chose donnée n'appartenait pas au donateur et a été revendiquée par le vrai propriétaire : si la chose donnée était encore aux mains du donataire, il pouvait avoir modifié son existence, s'être établi dans l'immeuble, avec un certain luxe, ou y avoir fondé un commerce ou une industrie avec ses capitaux ; s'il avait vendu l'immeuble, il pouvait en avoir perdu le prix, en tout ou en partie, et cependant être obligé de le rendre à son acheteur, avec les indemnités ordinaires.
Dans ces divers cas, la privation de recours en garantie contre le donateur pouvait lui causer de sérieux embarras qu'il n'aurait pas éprouvés sans la malencontreuse donation et auxquels il restrait exposé tant que le délai de la prescription ne le mettrait pas à l'abri de la revendication du vrai propriétaire.
Ces objections n'ont cependant pas prévalu.
D'abord, la garantie d'éviction en matière de donations eût été aussi contraire aux traditions japonaises qu'à celle des autres législations ; car, même en matière de vente, la garantie d'éviction, telle qu'elle est établie par le présent Code, sera une rigueur en grande partie nouvelle.
Ensuite, il a paru que le donateur (que l'on suppose toujours de bonne foi et ayant cru à ses droits) méritait les plus grands ménagements ; et on le reconnaissait si bien, même dans l'opinion qui lui était le moins favorable, que personne ne prétendait le soumettre à la même garantie qu'un vendeur : par exemple, si le donataire possédait encore l'immeuble au moment de l'éviction, on n'aurait pas entendu lui allouer autre chose qu'une indemnité pour ses dépenses d'établissement: assurément, on n'aurait pas voulu lui permettre d'exiger du donateur une valeur égale à l'immeuble revendiqué.
Il reste donc toujours vrai que “le donataire, luttant pour retenir un gain, est moins digne d'intérêt que le donateur luttant pour éviter une perte.”
Enfin, dans le cas où le donataire a vendu l'immeuble et est lui-même actionné en garantie, il peut s'imputer à faute de n'avoir pas fait la vente “sans garantie” : la prudence le lui commandait. Sans doute, il aurait vendu pour un prix moindre, mais ce prix constituait toujours pour lui un bénéfice pur et simple résultant de la donation.
En sens inverse, il avait pu stipuler la garantie du donateur, soit au moment où il recevait la donation, soit au moment où il voulait fonder un établissement dans l'immeuble donné, soit surtout au moment où il se disposait à vendre l'immeuble : le refus possible, probable même, du donateur, lui aurait été un avertissement d'être prudent dans l'usage ou dans la disposition de la chose donnée. Un danger contre lequel on peut toujours se protéger par une stipulation ne vient plus de la loi, mais de l'imprévoyance de l'homme.
Les seuls cas où le donateur serait garant de l'éviction de droit et sans stipulation, sont colui où il aurait, par dol et dans l'intention de nuire, donné une chose qu'il savait ne pas lui appartenir, et celui où l'éviction, du donataire serait l'effet d'une autre cession faite par le donateur, soit avant, soit après la donation. Il en serait de même, et à plus forte raison, dans un acte à titre onéreux. Cette garantie est tellement fondée en équité et en raison qu'elle ne pourrait être exclue par convention expresse et, dès lors, elle devient essentielle.
Il est nécessaire d'expliquer, par des exemples, comment l'éviction peut ainsi procéder d'un fait personnel an cédant, soit antérieur, soit postérieur à la cession.
Lorsque le cédant a fait l'acte gratuit ou onéreux (et, dans ce dernier cas, avec stipulation expresse de non garantie), il avait déjà cédé le même droit et le cessionnaire s'était conformé aux règles de publicité nécessaires à la conservation de son droit ; ce dernier évincera le second cessionnaire et celui-ci aura le recours en garantie contre son cédant, nonobstant la gratuité de l'acte, ou malgré la stipulation de non garantie, si l'acte est onéreux.
Il peut même arriver que l'acte qui produit l'éviction soit postérieur à la cession ; ainsi, le donataire ou l'acheteur d'un immeuble a négligé de faire immédiatement l'inscription; quelque temps après, le donateur ou le vendeur a cédé à une autre personne qui a inscrit son acte la première : c'est elle qui est préférable et qui obtiendra l'immeuble ; mais le premier cessionnaire évincé aura droit à la garantie, c'est-à-dire à l'indemnité totale. Il en serait de même, si, au lieu d'immeuble, on supposait un meuble d'abord donné ou vendu sans tradition, puis cédé à un tiers auquel la tradition est faite. Même solution encore, s'il s'agissait d'une cession de créance que le cessionnaire aurait tardé à notifier au débiteur cédé et qu'ensuite une nouvelle cession ait été faite et notifiée avant la première. On trouve là l'application dans les articles 346, 347 et 348, sur lesquels il a été donné d'amples développements.
Le 3e alinéa de l'article 396 consacre le principe que les héritiers, qui n'ont pas plus de droits que leur auteur, ont les mêmes obligations. Ainsi, si les héritiers, ignorant que leur auteur a, de son vivant on par testament cédé un de ses biens, faisaient eux-mêmes une cession du même bien, soit gratuitement, soit à titre onéreux et sans garantie, ils ne seraient pas affranchis de la garantie, nonobstant leur bonne foi, parce que l'éviction proviendrait “de leur fait personnel.”