Art. 415 et 416. - -335. L'article 415 pose le principe d'après lequel la garantie est due et il en indique l'objet.
Lorsque quelqu'un a conféré un droit de propriété ou un démembrement de propriété, ou un simple droit de créance (par exemple, en cédant une créance dont il est titulaire), il ne lui suffit pas d'avoir fait la tradition ou remise de la possession et la délivrance des titres, il doit encore assurer, favoriser, par tous les moyens légaux qui lui appartiennent, l'exercice et la jouissance du droit cédé (b). C'est là l'application normale de la garantie qui va nous occuper.
Il peut arriver aussi que le prétendu cédant n'ait, en réalité, rien cédé, ou ait cédé moins de droits qu'il n'en avait promis, parce qu'il n'avait pas ces droits ou ne les avait qu'incomplets. De là, des troubles et des revendications de la part des tiers. Le texte prévoit les deux cas.
M ais le cédant n'est pas obligé de faire cesser des troubles de fait ou des actes d'usurpation qui seraient l'effet de la ruse ou de la violence: il faut que ces troubles soient fondés sur une prétention à un droit et que le droit allégué soit lui-même fondé sur une cause antérieure à la cession ou imputable au cédant. En effet, les troubles de fait ne relèvent que de la police locale et les troubles de. droit fondés sur une cause postérieure à la cession et qui ne peut être imputée au cédant sont, alors sans doute, imputables au cessionnaire lui-même.
336. Le 2e alinéa de l'article 415 assigne à la garantie deux objets ou deux applications qui se succéderont souvent, le second suppléant à l'insuffisance du premier. D'abord, le garant devra défendre le cessionnaire contre les prétentions élevées par les tiers; cette défense consistera à l'assister en justice, lorsqu'il y sera demandeur, défendeur ou intervenant (c), et cette assistance consistera dans la production de titres, pièces ou témoignages, de nature à fortifier les prétentions du cessionnaire et à affaiblir celles du tiers, en démontrant l'existence des droits cédés.
Mais, il pourrait arriver que le cédant ne vînt pas défendre le cessionnaire ou que sa défense fût sans résultat utile; alors, il devra indemniser le cessionnaire du dommage qu'a éprouvé celui-ci: généralement, s'il y a éviction entière, l'indemnité comprendra la valeur de la chose ou du droit cédé, déterminée au jour de l'éviction, et le remboursement des frais de l'acte (le' cession et de ceux du procès, et encore la réparation du préjudice personnel que la privation de cette chose peut causer au cessionnaire, par le dérangement apporté à ses affaires, par la nécessité de pourvoir au remplacement de la chose, etc.
Lorsque la garantie se résoudra en dommages-intérêts, on appliquera à ceux-ci les règles établies dans la Section précédente.
337. L'article 416 limite, dans une certaine mesure, ce qu'il y a d'un peu trop général dans l'article 415. L'intérêt de la distinction entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit a déjà été signalé sous l'article 319; il se représente ici dans une nouvelle application: la garantie est dite naturelle dans les contrats onéreux, parce qu'elle y a lieu, par l'effet du droit et de la loi, sans que les parties aient besoin de la stipuler, et elle n'y est pas e.swentielle, car les parties peuvent l'exclure par une convention expresse; au contraire, dans les contrats gratuits, elle n'est qu'accidentelle, car les parties doivent en convenir pour qu'elle soit due.
Cette différence est facile à justifier: dans le contrat onéreux, le cédant cherche un profit, il doit donc fournir, au moins par équivalent, tout ce qu'il a promis; tandis que, dans le contrat gratuit, le cédant se dépouille sans profit; s'il n'avait pas, en réalité, les droits qu'il a prétendu conférer, il serait injuste de lui demander d'en fournir l'équivalent sur d'autres biens, car il pourrait ainsi arriver que sa générosité tournât à sa ruine.
Les seuls cas où le donateur serait garant de l'éviction de droit et sans stipulation, sont celui où il aurait, par dol et dans l'intention de nuire, donné une chose qu'il savait ne pas lui appartenir, et celui où l'éviction du donataire serait l'effet d'une autre cession du même bien faite par le donateur, à titre onéreux ou même gratuit, soit avant, soit après la donation. Il en serait de même, et à plus forte raison, dans l'éviction survenant à la suite d'un acte à titre onéreux. Cette garantie est tellement fondée en équité et en raison qu'elle ne pourrait être exclue par convention expresse et, dès lors, elle devient essentielle (cc).
Il est nécessaire d'expliquer, par des exemples, comment l'éviction peut ainsi procéder d'un fait personnel au cédant, soit antérieur, soit postérieur à la cession.
Lorsque le cédant a fait l'acte gratuit ou onéreux (et, dans ce dernier cas, avec stipulation expresse de non garantie), il avait déjà cédé le même droit et le cessionnaire s'était conformé aux règles de publicité nécessaires à la conservation de son droit; ce dernier évincera le second cessionnaire et celui-ci aura le recours en garantie contre son cédant, nonobstant la gratuité de l'acte, ou malgré la stipulation de non garantie, si l'acte' est onéreux.
Il peut même arriver que l'acte qui produit l'éviction soit postérieur à la cession: ainsi, le donataire ou l'acheteur d'un immeuble a négligé de faire immédiatement la transcription; quelque temps après, le donateur ou le vendeur a cédé à une autre personne qui a transcrit son acte la première: c'est elle qui est préférable et qui obtiendra l'immeuble; mais le premier cessionnaire évincé aura droit à la garantie, c'est-à-dire à l'indemnité totale. Il en serait de même, si, au lieu d'immeuble, on supposait un meuble d'abord donné ou vendu sans tradition, puis cédé à un tiers auquel la tradition est faite. Même solution encore, s'il s'agissait d'une cession de créance que le cessionnaire aurait tardé à notifier au débiteur cédé et qu'ensuite une nouvelle cession ait été faite et notifiée avant la première. On trouve là l'application des articles 366, 367 et 368, sur lesquels il a été donné d'amples développements.
337 bis. Le 2e alinéa de l'article 416 défend formellement au cédant d'évincer ou de troubler lui-même son cessionnaire: c'est la consécration législative d'un principe doctrinal déjà mentionné (n° 216) et qui sera souvent appliqué, à savoir, que celui qui doit la garantie est réponst>é par une exception, s'il veut opérer lui-même Véviction. Ce principe s'applique au cas même où la garantie aurait été exclue par convention: c'est la garantie la plus essentielle de toutes que celle qui ne peut être opérée par le cédant lui-même.
Mais on ne voit peut-être pas bien, au premier abord, comment la question pourrait même se présenter. Il faut supposer que quelqu'un aurait cédé la chose d'autrui et serait ensuite devenu propriétaire de cette chose, soit en traitant avec le vrai propriétaire, soit en lui succédant. On peut supposer aussi que le vrai propriétaire est devenu héritier des biens du cédant et a, comme tel, succédé aussi à ses obligations; dans ces divers cas, le propriétaire ne pourrait pas revendiquer sa chose, même en offrant toutes indemnités, en argent ou autrement: il serait repoussé par l'exception de garantie et par le principe sus-énoncé.
338. Le 3e alinéa de l'article 416 consacre le principe que les héritiers, qui n'ont pas plus de droits que leur auteur, ont les mêmes obligations. Ainsi, si les héritiers, ignorant que leur auteur a, de son vivant ou par testament, cédé un de ses biens, faisaient eux-mêmes une cession du même bien, soit gratuitement, soit à titre onéreux et sans garantie, ils ne seraient pas affranchis de la garantie, nonobstant leur bonne foi, parce que l'éviction proviendrait " de leur fait personnel."
----------
(b) La différence entre la jouissance et l'exercice d'un droit sera présentée avec quelques développements au commencement du Livre 1er o\sera sa place naturelle; il suffit de noter ici que la "jouissance" d'un droit consiste dans l'obtention des avantages qui y sont attachés, et que " l'exercice " d'un droit consiste dans l'accomplissement des actes juridiques qui permettent de réaliser ces avantages. Ainsi, habiter une maison, recueillir les fruits d'un fonds, c'est jouir du droit de propriété; louer, vendre, modilier la chose, c'est exercer le droit de propriété.
(c) Le cessionnaire sera demandeur, quand, pour obtenir la possession de la chose acquise, il devra la revendiquer contre un tiers qui la détient; il sera défendeur, quand, possédant la chose, il sera actionné eii revendication par un tiers qui s'en prétend propriétaire; enfin, il sera intervenant, quand, après avoir lui-même cédé la chose acquise, il aura été appelé en garantie par son cessionnaire menacé d'éviction, ou quand il sera spontanément venu défendre celui-ci; dans ce cas, le garant appelle, à son tour, en sous-garantie, le cédant originaire (voy. c. pr. civ. fr., art. 175 et s.).
(cc) Ces expressions de garantie essentielle, naturelle ou accidentelle sont consacrées eu droit français et seront utilement introduites an J apon.