Art. 364 et 366. Un payement peut être indû de plusieurs façons, lesquelles peuvent se trouver réunies ou séparées :
I. La dette peut ne pas exister du tout, soit parce qu'elle n'a pas été légalement créée, soit parce qu'elle est déjà éteinte ; dans ce cas, Il n'y a ni créancier, ni débiteur, ni chose due ; le payement est aussi nul que la dette prétendue, et il devient lui-même le principe, la. cause, d'une véritable dette née de la réception de l'indû ou de l'enrichissement de celui qui l'a reçu. L'article 364 s'applique à ce cas, en même temps qu'au cas suivant.
II. La dette existe, celui qui a payé est bien le débiteur, mais celui qui a reçu n'est pas le créancier ; c'est encore le cas de l'article 364 ; le payement est aussi nul que le précédent, car, si le débiteur avait une cause de payer, celui qui a reçu n'en avait pas de recevoir ; ce payement, d'ailleurs, n'a nullement libéré le débiteur envers son véritable créancier et, en même temps qu'il s'est dépouillé d'une somme ou valeur sans cause légitime, celui qui a reçu s'est indûment enrichi.
Dans ces deux premiers cas de payement indû, le texte a soin de dire qu'il n'y a pas à distinguer s'il y a eu erreur, ou non, de l'une ou de l'autre partie: il y a toujours lieu à répétition.
C'est à tort qu'on prétendrait que celui qui paye, sachant qu'il ne doit pas, entend, sans doute, faire une donation : d'abord, il pourrait arriver que l'intention de donner n'existât pas chez celui qui paye ; par exemple, dans un temps de trouble, voulant mettre son argent en sûreté et ne trouvant pas facilement un dépositaire, il fait remettre des valeurs, à titre de payement, à une personne honnête et assez puissante pour que les valeurs ne courrent aucun risque dans ses mains ; celle-ci qui, sans doute, n'aurait pas accepté un dépôt, reçoit le prétendu payement, sauf à vérifier plus tard ; il serait injuste de refuser la répétition dans ce cas, sous prétexte qu'il y a eu surprise. Il y a encore une autre objection à l'admission d'une donation : les donations sont soumises à des formes protectrices du donateur et il serait dangereux de lui permettre de s'en affranchir aussi facilement : les donations manuelles, les donations déguisées, peuvent n'être pas absolument interdites ; mais elles ne doivent pas être présumées.
La bonne foi de celui qui a reçu ce qui ne lui était pas dû ne le préserve pas non plus de la répétition ; mais elle atténue son obligation, comme on le verra ultérieurement, au sujet de la mauvaise foi, dans une disposition qui comprendra toutes les réceptions sans cause et les répétitions qui s'y rapportent (voy. art. 268).
III. Le payement a été fait au véritable créancier, mais par un autre que le débiteur et sans qu'il y ait mandat de celui-ci, ni sans que celui qui a payé ait entendu le faire en son nom ou pour son compte, ce qui serait une gestion d'affaires. Ce cas est réglé par l'article 365.
Ici, la position de celui qui reçoit est bien plus digne d'intérêt, car il est vraiment créancier. Deux faveurs lui sont accordées: il est à l'abri de la répétition dans deux cas.
1er cas. Si celui qui a payé savait qu'il ne devait pas : en d'autres termes, la loi ne lui accorde la répétition que s'il a payé “par erreur;” en effet, il est juste que lorsqu'il a payé à celui qu'il savait créancier, alors qu'il savait n'être pas lui-même le débiteur, lorsqu'il a donné au créancier la satisfaction de recevoir ce qui lui est vraiment dû, il ne puisse plus, sous le prétexte qu'il a eu une autre intention restée secrète, lui causer une déception pénible et souvent préjudiciable ; le créancier a d'ailleurs pu croire facilement à un mandat du débiteur, à une gestion d'affaires ou à un intérêt personnel que le tiers avait à payer cette dette, quoiqu'elle ne fût pas la sienne. Mais il ne faudrait pas ici, moins encore que dans le cas précédent, se fonder sur l'idée d'une donation que celui qui a payé aurait voulu faire à celui qui a reçu, puisque ce dernier, recevant son dû, ne profite en rien.
2e cas. Si celui qui a reçu a supprimé son titre et se trouve ainsi dans l'impossibilité de poursuivre le véritable débiteur : la loi exige la bonne foi du créancier au moment où il a détruit son titre ; par conséquent, il faut qu'il ait cru avoir reçu du débiteur ou au moins de quelqu'un qui payait en son nom et pour son compte ; autrement, et dans le doute, il aurait dû conserver son titre. En fait, le titre aura été le plus souvent remis au tiers qui a payé, comme il l'aurait été au débiteur lui-même.
Remarquons, au surplus, que lorsque le créancier a, de bonne foi, supprimé son titre, il n'y a plus à exiger, pour le refus de répétition, que le tiers ait payé sciemment; autrement, s'il fallait encore que le payement ait eu lieu sciemment, ce second cas ne serait plus une faveur pour le créancier : c'est justement quand celui qui a payé l'a fait par erreur que la suppression du titre met le créancier à l'abri du recours.
Il faut assimiler à la suppression du titre le cas où le créancier l'aurait laissé périmer par la prescription, toujours sur la foi du payement, et aussi le cas où il aurait donné quittance à une caution ou négligé de prendre ou de renouveler une inscription d'hypothèque ; la loi n'a évidemment prévu que le cas le plus simple et le plus fréquent.
L'action en répétition, dans les divers cas déjà indiqués, présente des questions de preuve assez délicates.
Le demandeur devra prouver : 1° qu'il a effectivement payé ou fait une prestation à titre de payement, 2° que celui qui a reçu n'était pas créancier ou que celui qui a payé n'était pas débiteur, 3° dans ce dernier cas, que le payement a été fait par erreur.
Le défendeur, dans le cas où il était vraiment créancier et où il s'oppose à la répétition de l'indû, devra prouver : 1° la destruction ou la péremption de son titre, 2° sa bonne foi.
La première preuve du demandeur se fera comme la preuve ordinaire d'un payement régulier, par écrit ou par témoins, suivant le droit commun.
La preuve que la dette n'existait pas sera plus difficile, parce que c'est la preuve d'un fait négatif ; aussi pourra-t-on admettre que si le défendeur à la répétition avait d'abord nié le fait de la-réception du payement, il serait, après cette preuve faite contre lui, présumé avoir reçu l'indû ; ce serait alors à lui de prouver que la dette existait.
La preuve de l'erreur de celui qui a payé, quand elle est requise, ne sera pas toujours facile ; mais c'est le cas de toutes les erreurs; on admettra d'ailleurs la preuve d'une erreur de droit autant que celle d'une erreur de fait (voy. art. 311).
La preuve de la destruction du titre se fera par tous les moyens, et elle sera difficile également, car ce n'est pas un acte qui se fasse, en général, devant témoins ; les tribunaux décideraient d'après les présomptions de fait. Celle de la prescription du titre sera plus facile à faire, puisqu'elle revient à une preuve du laps de temps écoulé et à l'exception opposée par le débiteur sur les poursuites faites contre lui.
Enfin, la preuve de la bonne foi du créancier sera la plus facile : on pourra appliquer ici le principe général, d'après lequel “la bonne foi est toujours présumée ;” mais la preuve contraire, celle de mauvaise foi, se fera par tous les moyens possibles.
La loi termine les dispositions de l'article 365 en réservant, dans les deux cas, le recours de celui qui a payé contre le véritable débiteur : il a pour ce recours deux voies dont l'une est déjà connue, la gestion d'affaires ; l'autre, la subrogation, sera expliquée ultérieurement : on verra que le payement “fait avec subrogation” permet au tiers qui a payé la dette d'autrui d'exercer les droits, actions, privilèges et hypothèques qui appartenaient au créancier désintéressé avec les deniers d'autrui (v. art. 463).
IV. Le payement a été fait par le véritable débiteur au véritable créancier ; c'est le cas prévu par l'article 366.
Il faut bien, ici encore, qu'il y ait eu quelque irrégularité ; autrement, il y aurait en extinction pure et simple de l'obligation et il ne serait pas question d'en chercher une nouvelle. Ce n'est pas le cas d'une obligation conditionnelle payée avant l'accomplissement de la condition, car, dans ce cas, il n'y aurait encore ni créancier, ni débiteur, ni chose due ; mais on supposera, avec le texte du premier alinéa, le payement d'une chose d'une autre nature que celle qui est due ou d'une chose qui n'appartenait pas au débiteur, et toujours un payement fait par erreur.
Le droit de répétition accordé dans ce deuxième cas pourrait sembler contraire à une maxime qu'on citera encore, d'après laquelle celui qui doit la garantie d'éviction ne peut pas opérer lui-même cette éviction ; mais l'objection doit tomber devant cette considération que le débiteur, n'étant pas libéré par le payement de la chose d'autrui, se trouverait resté dans le lien de son obligation primitive, en même temps que sa responsabilité serait engagée envers le vrai propriétaire de la choses donnée en payement Du reste, ce n'est guère qu'au cas d'immeuble que cette répétition de la chose même pourrait être exercée ; car, s'il s'agissait de meuble, le créancier pourrait invoquer la prescription instantanée ou la maxime : “en fait de meubles, la possession vaut titre,” et le payement se trouverait ainsi validé.
Le seul tempérament que la loi apporte à la répétition, dans ce cas, c'est que le créancier puisse retenir la chose indûment reçue, jusqu'au payement de celle qui lui est due (voy. art. 455).
La loi refuse la répétition, au contraire, dans des cas où l'irrégularité est peu grave :
1° Un payement a été fait avant le terme : dans ce cas, la dette existe ; sans doute, le créancier ne pouvait exiger le payement avant l'échéance ; mais si le débiteur l'a offert, même par erreur, il serait trop dur de forcer le créancier à restituer des sommes ou valeurs qu'il a peut-être déjà employées et qui, un peu plus tard, seraient exigibles par lui ; seulement, il tiendra compte au débiteur des fruits ou intérêts intérimaires dont il profite.
2° Un payement a été fait dans un lieu autre que celui où le débiteur devait payer ; même solution et par le même motif : l'indemnité pourra consister dans le remboursement de frais de transport que le débiteur a épargnés au créancier, et peut-être même dans une différence de plus-value de la chose payée.
3° Le payement a été fait d'une chose de qualité, valeur ou bonté autre que celle qui était due : il suffira, dans ce cas, de tenir compte de la différence de valeur, en ayant soin, comme dit le texte, de ne pas faire rendre à celui qui a reçu plus qu'il n'a profité, ni plus que le débiteur n'a perdu. Quoique le texte mette sur la même ligne les qualités substantielles et non substantielles, il faut observer que si l'erreur sur la substance allait jusqu'à une erreur sur la nature de la chose due, la répétition serait permise en vertu du 1er alinéa.
Dans ces divers cas, on voit que si l'erreur n'est pas une cause de répétition, elle donne lieu à redressement de compte et, si l'erreur a eu lieu cbez le créancier, il ne sera pas moins secouru que le débiteur.
S'il n'y a eu erreur d'aucun côté, les parties seront considérées comme ayant volontairement modifié leurs rapports de droit respectifs.