Art. 347. La cession de créance est d'une très-grande importance pratique. Il ne s'agit ici, du reste, comme on le voit, à la lecture de l'article, que de la manière de donner à la cession une sorte de publicité, ou, au moins, de la porter à la connaissance des intéressés.
Supposons un instant que la cession de créance ne fût soumise à aucune publicité; voici comment les choses se passeraient: le cessionaire opposerait son droit; 1° au débiteur lui-même, qui ne pourrait plus valablement payer au créancier cédant; 2° aux créanciers du cédant, lesquels ne pourraient plus faire de saisie-arrêt sur cette créance qui n'appartient plus à leur débiteur 3° aux cessionnaires postérieurs, qui ne pourraient plus valablement acquérir une créance déjà aliénée. Ces personnes auxquelles le droit du premier cessionnaire serait opposable se trouveraient évidemment ayant-cause du cédant et tenues de respecter ses actes antérieurs; le cessionnaire lui-même serait ayant-cause pour les actes antérieurs au sien (par exemple, pour un payement partiel ou une transaction qui diminuerait la créance); mais il serait tiers pour les actes postérieurs.
Cependant, cette situation serait très-défavorable à la confiance générale: elle exposerait les contractants à des surprises et à des déceptions qu'il ne dépendrait pas d'eux d'éviter. La loi, ne pouvant considérer ici la délivrance ou remise des titres comme une publicité suffisante, en a organisé une autre; mais, lorsqu'elle soumet la cession à une certaine publicité, elle ne fait autre chose que de subordonner le maintien de ces positions respectives à une condition facile à remplir par le cessionnaire et qui, justement, suffit à prévenir le danger signalé que courraient les ayant-cause.
Il faut maintenant expliquer comment les formalités prescrites tiennent lieu de publicité.
D'abord, il y en a deux: 1° la signification ou notification de la cession au cédé, laquelle peut être faite, soit par le cédant, soit par le cessionnaire, conjointement avec le cédant ou autorisé par lui, au moins quand la cession est sous seing privé; 2° l'acceptation du cédé, soit dans l'acte même de cession, auquel il consent à intervenir, soit dans un acte séparé; cette acceptation doit être faite par acte écrit, authentique ou sous seing privé.
L'avertissement ainsi donné au cédé suffira pour tous les intéressés: d'abord, il suffira pour le cédé lui-même, qui ne doit plus payer au cédant, ni faire avec lui aucune transaction ou convention libératoire qui nuirait au cessionnaire; il suffira aussi pour les créanciers du cédant qui voudraient faire saisie-arrêt sur la créance, et pour les personnes qui seraient disposées à acquérir la créance; car, avant de saisir ou de traiter, ces personnes ne manqueront pas de s'assurer, près du prétendu débiteur, s'il l'est réellement encore et quel est le montant de la dette; suivant la réponse qui leur sera faite (et dont ils feront bien de tirer une preuve écrite, en prévision d'une fraude ou d'une erreur), ils traiteront ou ne traiteront pas.
Le 2e alinéa indique une différence notable entre les deux formalités: la signification, étant un acte auquel le cédé ne participe pas, ne peut lui nuire (art. 345); en conséquence, elle lui laisse le droit d'opposer au cessionnaire tous les moyens de défense qu'il aurait pu avoir contre le cédant, tels que la nullité absolue de l'obligation pour défaut de consentement, de cause ou d'objet, l'annulabilité pour vice de consentement ou incapacité, ou toute cause extinctive de la dette, pour le tout ou pour partie; au contraire, l'acceptation, étant son œuvre, lui enlève ces moyens de défense, par une sorte de renonciation à ses droits ou de confirmation de la dette. Le seul cas douteux serait celui de la nullité absolue, laquelle ne peut être couverte par une ratification; mais l'obligation commencerait avec le nouveau consentement, si d'ailleurs elle avait une cause et un objet valables.
Le 3e alinéa suppose que le cessionnaire a tardé à faire la signification ou à obtenir l'acceptation et il en indique les conséquences: si le débiteur cédé paye ou se libère autrement vis-à-vis du cédant, si des créanciers de celui-ci font une saisie-arrêt entre les mains du cédé, si un autre cessionnaire signifie une nouvelle cession, ce sont ces personnes qui sont préférées, ce sont elles qui se trouvent tiers par rapport à la cession qu'elles ont ignorée et c'est le premier cessionnaire qui se trouve ayant-cause du cédant par rapport aux actes qu'il est tenu de respecter.
La loi ne se borne pas à déduire les conséquences du défaut de signification ou d'acceptation en temps utile: elle tranche une question fort grave et elle le fait dans un sens éminemment équitable. On décide généralement, en pays étranger, que si la signification de la cession n'a pas eu lieu, elle est présumée inconnue des intéressés et on voit là une présomption légale absolue, c'est-à-dire n'admettant aucune preuve contraire; on n'admet pas la recherche de la bonne ou mauvaise foi des tiers, c'est-à-dire de la connaissance qu'ils pourraient avoir eue autrement de la cession antérieure. Cette solution est évidemment contraire à la justice naturelle et elle ne se trouve pas suffisamment justifiée par la prétendue nécessité d'éviter des procès difficiles.
Le Code concilie ici la justice avec l'utilité générale, en admettant la preuve de la mauvaise foi, comme démenti à la présomption légale, mais en la limitant à l'aveu même de celui qui se prévaudrait du défaut de signification. Assurément, un débiteur qui avouerait qu'il connaissait la cession déjà faite, au moment où il a traité avec le cédant, ne serait pas digne de la protection de la loi, pas plus qu'un second cessionnaire qui avouerait avoir connu une cession antérieure non encore signifiée.
Lorsque l'on arrivera aux Preuves, on établira que l'aveu est une preuve toujours admissible, même contre les présomptions légales les plus fortes, chaque fois, du moins, que l'intérêt privé est seul en jeu, et cela, parce que, dans ces preuves, l'adversaire s'est fait juge dans sa propre cause, et, s'il se condamne lui-même, la certitude est absolue.
Ce que la loi ne permet pas, au moins en principe, ce serait de prouver la mauvaise foi par témoins ou par des présomptions de fait, et encore la prohibition cesse, lorsqu'il y a fraude concertée, collusion, entre le cédant et le nouveau cessionnaire, parce qu'alors il y a un délit civil caractérisé.
La même question et la même solution vont se représenter au sujet de la publicité à donner aux aliénations d'immeubles et, à cause de l'intérêt plus considérable de la matière, on s'y arrêtera davantage.
La loi ayant, dans l'article précédent, assimilé les créances aux porteurs aux choses corporelles, le présent article reste limité aux créances nominatives; mais quelques-unes encore sont régies par d'autres règles, ce sont les créances ou titres cessibles par voie d'endossement et connus généralement sous le nom d'effets de commerce. C'est au Code de commerce qu'il en est traité et l'on y verra que l'endossement, révélant, sur l'acte même, la cession de la créance, constitue pour les intéréssés une publicité suffisante.