Art. 367. — 175. Le Code français et le Code italien n'ont traité de la cession ou transport des créances nominatives qu'au titre de la Vente, ce qui est un défaut de méthode, puisque les créances sont susceptibles aussi d'être données et que certaines particularités de'la cession des créances, justement celles qui sont l'objet du présent article, sont communes aux cessions à titre gratuit et à celles qui se font à titre onéreux; la vente d'ailleurs n'est pas le seul acte qui puisse opérer une cession de créance à titre onéreux: outre l'échange, on peut citer la dation en payement, la mise en société, la transaction, et il faut y assimiler, au point de vue qui va nous occuper, la dation en gage ou en garantie, laquelle, bien que n'opérant pas cession proprement dite, donne au créancier gagiste un droit de préférence qui demande les mêmes mesures de précaution que la cession.
Ce qui peut sans inconvénient être réservé au Chapitre de la Vente, c'est la garantie d'éviction et celle de la solvabilité du débiteur cédé, qui n'ont pas lieu dans les cessions gratuites (v. art. 705).
176. La cession de créance est d'une très grande importance pratique et les dispositions du Code français sur cette matière (voy, art. 1295 et 1689 à 1695) ne laissent pas que ne donner lieu à beaucoup de difficultés. On a essayé de les prévenir ici. Il ne s'agit, du reste, comme on le voit, à la lecture de l'article, que de la manière de donner à la cession une sorte de publicité, ou, au moins, de la porter à la connaissance des intéressés.
Le Code français (art. 1690) et le Code italien (art. 1539) disent que le cessionnaire n'est saisi, investi, du droit cédé, '« à l'égard des tiers," que par la signification ou l'acceptation. L'expression tiers est ici tout-à-fait impropre; elle est absolument le contraire de celle qu'il fallait employer: c'est surtout à l'égard des futurs o'!)ant-cause du cédant que le cessionnaire doit prendre certaines précautions de publicité; c'est pour leur imposer cette qualité et garder pour lui éelle de tiers qu'il doit les avertir, ou leur fournir le moyen d'information qui les préservera du danger de devenir ayant-cause d'un cédant qui n'a plus de droits à leur céder.
Supposons un instant que la cession de créance ne fût soumise à aucune publicité; voici comment les choses se passeraient: le cessionnaire opposerait son droit: 1° au débiteur lui-même, qui ne pourrait plus valablement payer au créancier cédant; 2° aux créanciers du cédant, lesquels ne pourraient plus faire de saisie-arrêt ou opposition sur cette créance qui n'appartient plus à leur débiteur; 3° aux cesssionnaires postérieurs, qui ne pourraient plus valablement acquérir une créance déjà aliénée. Ces personnes auxquelles le droit du premier cessionnaire serait opposable se trouveraient évidemment ayant-cause du cédant et tenues de respecter ses actes antérieurs; le cessionnaire lui-même serait ayant-cause pour les actes antérieurs au sien (par exemple, pour un payement partiel ou une transaction qui diminuerait la créance), mais il serait tiers pour les actes postérieurs.
Cependant, cette situation serait très défavorable à la confiance générale: elle exposerait les contractants à des surprises et à des déceptions qu'il ne dépendrait pas d'eux d'éviter. La loi, ne pouvant considérer ici la délivrance ou remise des titres comme une publicité suffisante, en a organisé une autre; mais, lorsqu'elle soumet la cession à une certaine publicité, elle ne fait autre chose que de subordonner le maintien de ces positions respectives à une condition facile à remplir par le cessionnaire et qui, justement, suffit à prévenir le danger signalé que courraient les ayant-cause.
177. Il faut maintenant expliquer comment les formalités prescrites tiennent lieu de publicité.
D'abord, il y en a deux: 1° la signification ou notification de la cession au cédé, laquelle peut être faite, soit par le cédant, soit par le cessionnaire, conjointement avec le cédant ou autorisé par lui, au moins quand la cession est sous seing privé (b); 2° l'acceptation du cédé, soit dans l'acte même de cession, auquel il consent à intervenir, soit dans un acte séparé; cette acceptation doit être authentique ou, au moins, si elle est sous seing privé, avoir date certaine, justement, parce que les difficultés à prévenir ne peuvent être que des questions de priorité sur l'époque respective des actes. Quant à la signification, elle aura aussi date certaine, devant être faite par un officier public. (Voir sur la date certaine, les articles 1349 et 1350) (2).
L'avertissement ainsi donné au cédé suffira pour tous les intéressés: d'abord, il suffira pour le cédé lui-même, qui ne doit plus payer au cédant, ni faire avec lui aucune transaction ou convention libératoire qui nuirait au cessionnaire; il suffira aussi pour les créanciers du cédant qui voudraient faire saisie-arrêt sur la créance, et pour les personnes qui seraient disposées à acquérir la créance; car, avant de saisir ou de traiter, ces personnes ne manqueront pas de s'assurer, près du prétendu débiteur, s'il l'est réellement encore et quel est le montant de la dette; suivant la réponse" qui leur sera faite (et dont ils feront bien de tirer une preuve écrite, en prévision d'une fraude ou d'une erreur), ils traiteront ou ne traiteront pas.
178. Le 3e alinéa indique une différence notable entre les deux formalités: la signification, étant un acte auquel le cédé ne participe pas, ne peut lui nuire (art. 365); en conséquence, elle lui laisse le droit d'opposer au cessionnaire tous les moyens de défense qu'il aurait pu avoir contre le cédant, tels que la nullité absolue de l'obligation pour défaut de consentement, de cause ou d'objet, l'annulabilité pour vice de consentement ou incapacité, ou toute cause extinctive de la dette, pour le tout ou pour partie; au contraire, l'acceptation, étant son œuvre, lui enlève ces moyens de défense, par une sorte de renonciation à ses droits ou de confirmation de la dette. Le Code français n'a indiqué cette différence entre les deux formalités que sur un point, celui de la compensation (voy. art. 1295); il faut nécessairement généraliser cette disposition. Le seul cas douteux serait celui de la nullité absolue, laquelle ne peut être couverte par une ratification; mais alors l'obligation commencerait avec le nouveau consentement, si d'ailleurs elle avait une cause et un objet valables.
179. Le 4e alinéa suppose que le cessionnaire a tardé à faire la signification ou à obtenir l'acceptation et il en indique les conséquences: si le débiteur cédé paye ou se libère autrement vis-à-vis du cédant, si des créanciers de celui-ci font une saisie-arrêt entre les mains du cédé, si un autre cessionnaire signifie une nouvelle cession, ce sont ces personnes qui sont préférées, ce sont elles qui se trouvent tiers par rapport à la cession qu'elles ont ignorée et c'est le cessionnaire qui se trouve ayant-cause du cédant par rapport aux actes qu'il est tenu de respecter.
180. La loi ne se borne pas à déduire les conséquences du défaut de signification ou d'acceptation en temps utile: elle tranche (5e al.) une question fort grave et elle le fait dans un sens éminemment équitable, mais que bien peu de personnes osent soutenir en droit français. On décide généralement que si la signification de la cession n'a pas eu lieu, celle-ci est présumée inconnue des intéressés et on voit là une présomption légale absolue, c'est-à-dire n'admettant aucune preuve contraire: on n'admet pas la recherche de la bonne ou mauvaise foi des tiers, c'est-à-dire de la connaissance qu'ils pourraient avoir eue autrement de la cession antérieure. Cette solution est évidemment contraire à la justice et elle ne se trouve pas suffisamment justifiée par la prétendue nécessité d'éviter des procès difficiles.
Le Projet concilie la justice avec l'utilité générale, en admettant la preuve de la mauvaise foi, comme démenti à la présomption légale, mais en la limitant à l'aveu même de celui qui se prévaudrait du défaut de signification; cet aveu doit d'ailleurs être fait en justice ou par écrit. Assurément, un débiteur qui avouerait qu'il connaissait la cession déjà faite, au moment où il a traité ou transigé avec le cédant, ne serait pas digne de la protection de la loi, pas plus qu'un second cessionnaire qui avouerait avoir connu une cession antérieure non encore signifiée.
Lorsque le Projet traitera des Preuves (Livre Va), on établira que l'aveu est une preuve toujours admissible, même contre les présomptions légales les plus fortes, chaque fois, du moins, que l'intérêt privé est seul en jeu, et cela, parce que, dans cette preuve, l'adversaire, se faisant juge dans sa propre cause, se condamne luimême (v. art. 1363).
Ce que le Projet ne permet pas, au moins en principe, ce serait de prouver la mauvaise foi par témoins ou par des présomptions de fait, et encore la prohibition cesse lorsqu'il y a fraude concertée, collusion entre le cédant et le nouveau cessionnaire, parce qu'alors il y a un délit civil caractérisé.
La même question et la même solution vont se représenter au sujet de la publicité à donner aux aliénations d'immeubles et, à cause de l'intérêt plus considérable de la matière, on s'y arrêtera davantage, en citant des textes à l'appui (v. nos 209 et s.).
181. La loi ayant, dans l'article précédent, assimilé les créances au porteur aux choses corporelles, le présent article reste limité aux créances ”nominatives;" mais quelques-unes encore sont régies par d'autres règles, ce sont les créances ou titres cessibles par voie d'endossement et connus généralement sous le nom d'effets de commerce. C'est au Code de Commerce qu'il en sera traité et l'on y verra que l'endossement, révélant, sur l'acte même, la cession de la créance, constitue pour les intéressés une publicité suffisante.
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(2). Le Texte officiel a supprimé la condition de date certaine, dans ce cas et dans les autres. Nous reviendrons sur cette regrettable suppression, sous l'article 1349.
(b) La loi française (art. 1691) ne fait pas de différence entre la signification faite par le cédant et celle faite par le cessionnaire; mais il y a un grave inconvénient à ne pas exiger la participation du cédant à la signification d'une cession sous seing privé: il pourrait y avoir faux par un prétendu cessionnaire, puis signification d'une cession imaginaire, d'où résulterait le dépouillement du vrai créancier, si l'on admet la validité du payement fait de bonne foi par le débiteur (voy. art. 479, ci-après; comp. c. civ. fr., art. 1240), ou un préjudice pour le débiteur, s'il devait payer une seconde fois au véritable créancier.
Le 2e alinéa du présent article est ajouté ici pour prévenir ce faux.