§ II. DES CONDITIONS D'EXISTENCE ET DE VALIDITÉ DES CONVENTIONS.
Art. 304 et 305. Le rapprochement de ces deux premiers articles permet de saisir d'un seul coup d'œil les conditions d'existence et de validité des conventions et de distinguer immédiatement les conventions radicalement nulles de celles qui ne sont que viciées ou annulables.
Il y a plusieurs grandes différences entre une convention nulle et une convention annulable.
Lorsque la convention est nulle ou non existante, la nullité, étant radicale, a lieu de plein droit: elle n'a pas besoin d'être obtenue en justice; elle y serait seulement déclarée, comme préexistante, en cas de contestation; chacune des parties peut s'en prévaloir contre l'autre, soit pour se soustraire à l'exécution, soit pour la faire réparer, si elle a déjà été accomplie; ce qui fait dire que la nullité est absolue; enfin, ni le temps, ni la volonté des parties ne peuvent valider la convention nulle: elle devrait être refaite.
Au contraire, si la convention n'est qu'annulable, l'annulation doit être demandée et obtenue en justice; elle ne peut être demandée que par celle des parties dont le consentement a été vicié ou qui était en état d'incapacité; d'où son nom de nullité relative; enfin, le vice de la convention simplement annulable peut être réparé, couvert, par une ratification ou confirmation expresse, ou même tacite, par exemple, par l'exécution volontaire.
Il est superflu d'insister sur une dernière différence que le texte de l'article 305 fait suffisamment ressortir: les conditions d'existence des conventions sont nécessaires à leur validité et la réciproque n'est pas vraie, c'est-à-dire que les conditions de leur validité ne sont pas nécessaires à leur existence.
Bien que la loi doive reprendre successivement chacune des conditions d'existence et de validité des conventions, elles ont un tel lien les unes avec les autres qu'il est nécessaire de donner ici une esquisse rapide de chacune d'elles, en suivant l'ordre indiqué par les deux articles 304 et 305.
I. CONDITIONS D'EXISTENCE DES CONVENTIONS.
A. Consentement. Le consentement est l'accord des volontés; c'est un même sentiment des parties; il est tellement essentiel à l'existence de la convention que la définition de celle-ci est presque la même que celle du consentement. Le plus souvent, la convention a pour point de départ la proposition d'une des parties, une offre ou une demande, et quand l'autre partie adhère, acquiesce à la proposition, on dit qu'elle consent. Si les deux autres conditions sont remplies, la convention est formée.
Les articles suivants indiqueront comment l'accord des volontés peut être constaté.
B. Objet. Le second élément essentiel à l'existence de la convention, c'est un objet. La définition même que nous donne l'article 296, dit que cet objet ne peut être que la création ou la transmission, la modification ou l'extinction d'un droit, soit réel, soit personnel. Mais le droit à créer, comme objet de la convention, doit lui-même avoir un objet, ainsi qu'il a un sujet actif et un sujet passif; il en résulte que, le plus souvent, par abréviation, on dit de l'objet du droit qu'il est l'objet de la convention. C'est cet objet du droit qui doit d'après notre article 304, être certain ou déterminé et tel que les parties en aient la disposition.
Si, par exemple, il s'agit d'une obligation à créer (objet de la convention) et qu'il s'agisse de faire ou de donner quelque chose (objet de l'obligation ou de la créance), il faut que le fait à accomplir soit assez déterminé pour que le créancier ne puisse pas exiger plus que le débiteur n'a entendu promettre, et pour que celui-ci ne puisse pas réduire son obligation au-dessous de ce que le créancier a entendu obtenir. De même, s'il s'agit d'une chose à donner et que ce soit une chose individuelle, il faut qu'elle soit assez clairement désignée pour qu'elle ne puisse être confondue avec d'autres de plus ou moins grande valeur, et s'il s'agit d'une quantité, il faut qu'elle soit nettement déterminée en poids, nombre ou mesure.
Outre les choses individuellement désignées, dites corps certains, et les choses de quantité (v. art. 16), il y a les choses qui seraient désignées seulement par leur genre ou par leur espèce. Il ne suffirait pas de désigner par le genre la chose à donner, comme un animal, un arbre, une pierre: autrement, le créancier serait à la discrétion du débiteur ou celui-ci à la discrétion du créancier: tandis que le créancier pourrait exiger une chose d'une très-grande valeur, dans le genre indiqué, le débiteur ne manquerait pas d'en offrir une d'une valeur dérisoire. Il suffirait à peine de désigner la chose par son espèce, comme un cheval, un sapin, un pied cube de pierre ou de marbre; peut-être pourrait-on, quelquefois, d'après les circonstances et le but que se proposait le créancier, connaître avec plus de précision l'objet compris dans la convention; mais, le plus souvent, la convention serait sans effet, parce que l'objet ne serait pas assez certain, ou assez déterminé.
L'objet doit aussi être de ceux dont les parties “aient la disposition.” Cette expression répond à celle de “chose dans le commerce” usitée en Europe où on l'a tirée du droit romain. On l'a remplacée par une expression qui serait, au besoin, la définition des “choses dans le commerce.” Il y a d'ailleurs ici une plus grande exactitude que dans l'expression usitée: lorsqu'on parle de choses qui sont ou ne sont pas dans le commerce, on parle d'une manière absolue, abstraction faite des personnes; ainsi, on dit qu'une chose “n'est pas dans le commerce,” quand personne n'en peut disposer avec profit (v. art. 26); tels sont les objets dont la fabrication, la vente ou la possession sont prohibées, tels sont encore les actes illicites ou défendus, soit par les lois, soit par les bonnes mœurs. D'un autre côté, il y a des choses qui ne sont pas dans le commerce pour certaines personnes et qui y sont pour d'autres; l'obstacle à la convention, à l'égard de ces choses, n'est plus absolu, mais seulement relatif. Ainsi, les biens des particuliers sont, en général, dans le commerce, en ce sens que le propriétaire en peut disposer; mais ils sont hors du commerce pour tout autre que lui; c'est ce qui expliquera, le plus naturellement, en son lieu, que “la vente de la chose d'autrui est nulle:” une chose n'est pas dans le commerce pour un vendeur non propriétaire; on pourrait seulement promettre de se procurer la chose d'autrui et de la céder ensuite: on aurait alors promis son propre fait, on aurait contracté une obligation de faire.
L'expression ici adoptée tient compte du caractère relatif de la prohibition de disposer.
Il va sans dire, sans qu'il soit besoin de rien ajouter au texte, que la convention serait radicalement nulle, si la chose qu'il s'agirait de donner avait déjà péri au moment de la convention: car une chose périe “n'est ni dans le commerce ni à notre disposition.”
C. Cause. La cause de la convention est la raison déterminante qui a décidé les parties à y consentir; c'est le but qu'elles ont voulu atteindre: on ne fait pas une convention par caprice, mais par raison; on y cherche, en général, une satisfaction morale, pécuniaire ou de convenance, La satisfaction est purement morale dans la donation ou dans la réparation volontaire d'un tort; elle est pécuniaire dans tous les contrats à titre onéreux ou intéressés; elle est de simple convenance, quand on prend certains engagements qui n'ont pas le caractère de bienfaisance et qui ne procurent aucun profit, mais qu'on doit à sa position sociale ou à ses rapports avec certaines personnes; par exemple, quand on souscrit pour quelque dépense locale, pour l'érection d'un monument, pour une société scientifique ou littéraire. Il y a aussi des conventions ou engagements, et c'est peut-être le plus grand nombre, dont le mobile est la recherche d'un plaisir, d'une satisfaction de la vanité ou du luxe.
Voilà ce qu'on entend par la cause dans les conventions, et c'est cette cause qui doit être vraie et licite.
Il y a des conventions où il n'y a pas à rechercher si elles ont une cause, ni si elle est licite, parce qu'elle y est inhérente; tels sont toutes les conventions nommées qui, étant organisées par la loi, ont nécessairement une cause et une cause licite. Ainsi, dans la vente, la cause de la convention, chez le vendeur, n'est autre que le désir d'acquérir une somme d'argent, le prix ou la créance du prix, en compensation de l'aliénation; chez l'acheteur, la cause est le désir d'acquérir la propriété, en compensation du prix à fournir. Dans la société, la cause est, pour chaque partie, le désir de réaliser des profits qui devront être plus considérables, si elle met en commun ses biens et son travail que si elle les utilise séparément. Dans la donation, la cause est, chez le donateur, le désir d'être utile à autrui, plus encore que celui d'en obtenir de la reconnaissance; chez le donataire, la cause est le désir naturel d'acquérir gratuitement.
Au contraire, dans les conventions innommées, qui ne sont pas proposées et réglées par la loi, la cause doit être cherchée, car elle pourrait manquer, être erronée ou simulée, c'est-à-dire fausse, ou même être illicite. Ainsi, dans la novation, une partie n'a pu contracter une dette nouvelle que dans le but d'en éteindre une précédente; voilà la cause qu'on doit trouver. Mais si cette première dette n'avait jamais existé ou n'existait plus, la nouvelle dette serait sans cause; si les parties croyaient à une cause, il y aurait cause erronée; si elles savaient que la cause n'existait pas, il y aurait cause simulée et, dans ces deux cas, fausse cause.
La cause illicite est plus facile à concevoir et pourra se présenter plus souvent; on peut d'ailleurs la rencontrer dans les conventions nommées aussi bien que dans les conventions innommées. En voici les deux cas principaux: 1° l'une des parties s'est engagée à accomplir un acte illicite: cet acte ne peut, pour cette partie, être l'objet d'une obligation ni d'une convention, puisqu'elle “n'en a pas la disposition,” puisque cet acte “n'est pas dans le commerce;” en même temps, comme cet acte est, pour l'autre partie, le résultat cherché, le but poursuivi, il se trouve être, pour elle, une cause illicite de la convention; 2° toutes les fois que les parties ont subordonné tout ou partie des effets de la convention à une condition prohibée, la cause de la convention est illicite; car toute condition est une cause de la convention, une cause tantôt principale et tantôt accessoire, mais qui, dans les deux cas, doit, comme illicite, rendre la convention nulle; il n'y a aucune différence réelle entre promettre une somme d'argent à quelqu'un s'IL commet un délit, et la lui promettre PARCE QU'IL aura commis un délit.
Il ne faut pas confondre avec la cause les motifs de la convention. On en établira les profondes différences sous l'article 309.
D. Solennités. Il ne sera parlé des solennités requises pour l'existence de certaines conventions qu'à l'occasion de chacune d'elles en particulier. Elles ne sont mentionnées ici que pour mémoire, car elles n'appartiennent pas à la théorie des Conventions en général.
II. CONDITIONS DE VALIDIT DES CONVENTIONS.
A. Absence de vices dans le consentement. L'article 305 indique seulement deux vices du consentement: l'erreur et la violence; en cela, il s'écarte notablement de plusieurs Codes étrangers, lesquels comptent aussi le dol comme un vice du consentement. On démontrera, sous l'article 312, que le dol, suivant le degré d'erreur qu'il cause, ou se confond avec ce vice même, ou n'est plus qu'un fait simplement dommageable qui donne lieu à réparation: cette réparation, il est vrai, pourra être obtenue par l'annulation du contrat, mais avec un autre caractère et avec moins d'effets que lorsqu'il y a eu une erreur viciant le consentement à proprement parler.
B. Capacité des parties. Certaines personnes sont, par suite de conditions particulières où elles se trouvent, légalement présumées et déclarées incapables de faire certains actes concernant leur personne même et leurs biens. Elles sont déterminées au Livre des Personnes.
C. Lésion. On n'entrera, à présent, dans aucuns détails, au sujet de la lésion considérée comme cause tout exceptionnelle d'annulabilité des conventions. La lésion suppose que, dans un contrat à titre onéreux où chaque partie cherchait un avantage égal à celui qu'elle fournissait, l'une d'elles a trouvé un avantage beaucoup moindre. L'intérêt général qui demande que les, conventions soient maintenues autant que possible ne permet pas que cette cause d'annulation soit facilement admise. Aussi, dans les lois étrangères ne rencontre-t-on que deux contrats annulables pour lésion proprement dite entre personnes majeures: le partage de biens indivis et la vente d'immeuble où le vendeur est lésé.
Le Code japonais n'admet pas la rescision de la vente pour lésion et il ne admet que dans le partage; mais la lésion sera une cause de rescision, en faveur des mineurs contre toutes sortes de conventions, et ici, quelle que soit l'importance de la lésion, même la plus minime. Cette combinaison de la lésion avec l'incapacité peut donner lieu à d'assez sérieuses difficultés que le Code s'est efforcé de prévenir (voy. 548).
On terminera ce qui concerne ces diverses conditions d'existence et de validité des conventions par une observation importante.
Déjà, en plusieurs occasions, on a rencontré et appliqué le principe fondamental de la liberté des conventions; le § suivant va bientôt le proclamer, le justifier et en fixer les limites. Ce principe ne reçoit ici qu'une application très-restreinte: les parties pourraient ajouter aux conditions d'existence de la convention, en la subordonnant à un événement plus ou moins casuel, et à celles de validité en la subordonnant à l'absence de lésion, dans un cas où la loi n'admet pas la rescision pour lésion, ou en exigeant pour cette rescision une lésion moindre que celle que la loi exigerait; mais elles ne pourraient rien retrancher des conditions légales, soit d'existence, soit de validité de la convention: pour les premières, elles dépendent de la nature des choses, laquelle est ici la pure raison; pour les secondes, elles sont une protection pour les faibles, et le but de la loi qui est un but de justice ne serait pas atteint, si la partie intéressée pouvait se soustraire à cette protection, notamment au droit de faire rescinder son contrat pour incapacité ou vice de consentement.