DEUXIÈME PARTIE.
DES DROITS PERSONNELS ET DES OBLIGATIONS.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
Art. 293. Les droits personnels forment, avec les droits réels, l'ensemble des Biens qui composent le patrimoine des Personnes.
Déjà, sous les articles 2 et 3, on a indiqué la nature différente de ces deux droits: on a dit que les premiers mettent une personne en rapport direct avec une chose, (droits sur une chose), permettent d'en tirer tout ou partie de l'utilité et des avantages qu'elle peut fournir et autorisent à revendiquer la possession de cette chose contre toute personne qui la détient injustement; tandis que le droit personnel n'établit pas de rapport direct avec la chose due, mais seulement avec la personne qui la doit; de là, le nom même de droit personnel ou “droit contre une personne”
Cette distinction qui se présente, au premier abord, comme purement théorique, a déjà reçu d'intéressantes applications pratiques, en ce qui concerne les droits réels, dans les divers Chapitres qui forment la Première Partie de ce Livre; on la trouvera appliquée ici également, pour les droits personnels.
On rappelle aussi ce qui a déjà été dit au sujet de l'unité des droits personnels: quoiqu'on emploie habituellement la forme du pluriel, ce n'est pas à dire qu'il y ait des droits personnels de plusieurs sortes, comme il y a plusieurs droits réels profondément différents; tout au plus, trouvera-t-on des droits personnels sanctionnés avec plus ou moins d'énergie par la loi; mais au fond, leur nature est identique. Si l'on parle ainsi au pluriel, c'est parce que quelqu'un peut avoir plusieurs droits personnels contre la même personne: il suffit que deux droits soient nés à des époques différentes, ou qu'ils n'aient pas la même cause ou n'aient pas le même objet, pour être considérés comme des droits personnels distincts.
Le 1er alinéa donne au droit personnel un nom équivalent, le nom de créance, et il nous dit que la créance a pour corrélatif nécessaire une obligation.
La corrélation de l'obligation à la créance est si naturelle, si intime, que l'usage juridique et même législatif est de traiter des droits personnels sous le titre des Obligations. On suivra ici le même usage: les divisions principales de cette IIe Partie se rapporteront aux Obligations; c'est en déterminant leurs causes, leurs effets, leur extinction ou leur fin que le Code présentera la théorie des droits personnels ou de créance.
Enfin, la loi, au lieu de définir ici le droit personnel, ce qui a déjà été fait dans l'article 3, définit son corollaire, l'obligation. L'expression lien de droit est consacrée depuis le droit romain.
La définition nous dit encore que ce lien peut provenir du droit positif ou du droit naturel. On verra, sous l'article suivant, que la force coercitive de ces deux autorités n'est pas la même.
Vient ensuite l'effet de l'obligation qui se confond avec son objet: c'est une contrainte plus ou moins énergique “à donner, à faire, ou à ne pas faire.” Ce sont encore là des expressions consacrées.
Donner, c'est transférer la propriété ou un autre droit réel. Il ne faut pas confondre l'obligation de donner avec la dation effectuée: tant qu'il n'y a qu'obligation, il n'y a qu'un droit personnel; quand la dation est effectuée, l'obligation a cessé par l'exécution, le droit réel lui a succédé. On verra plus loin quand et comment la dation se trouve effectuée.
Faire, c'est accomplir un acte utile ou profitable à autrui, autre qu'une dation, comme un travail manuel ou intellectuel, comme un service personnel, une entremise, un voyage, une prestation ou livraison de chose pour un usage déterminé.
Ne pas faire, c'est s'abstenir d'un acte, licite d'ailleurs, que le débiteur pourrait, en principe, accomplir, soit sur ces biens, soit sur les biens d'autrui, mais qu'il s'engage à ne pas accomplir, pour le plus grand avantage du créancier. Tel serait le cas où celui qui aurait loué sa maison ou cédé son fonds de commerce, s'interdirait, dans l'intérêt de son locataire ou de son cessionnaire, d'exercer une industrie ou un commerce qui pourrait faire concurrence à ce dernier. La garantie que doit le bailleur ou le vendeur, d'après la loi, impose déjà cette obligation dans une certaine mesure et sans convention spéciale; mais on peut l'étendre ou la restreindre par convention; le preneur lui-même ou le cessionnaire pourrait aussi se soumettre à l'obligation de ne pas faire certains actes que le droit commun lui permettrait.
On peut supposer encore le cas où un propriétaire se serait interdit, dans l'intérêt de son voisin, quelques-uns des droits attachés à la propriété, sans, pour cela, qu'il y ait servitude foncière, comme de ne pas chasser chez lui, de ne pas couper des arbres qui préservent le fonds voisin des vents du nord. Enfin, on peut s'interdire d'exercer sur les biens d'autrui certains actes qui d'ailleurs eussent été permis, soit en vertu du droit commun, soit par une convention spéciale; tel serait le cas où un prêteur d'argent s'engagerait à ne pas saisir certains biens de son débiteur; par exemple, son traitement de fonctionnaire; celui où un propriétaire s'engagerait pour un certain temps, à ne pas couper les branches des arbres du fonds voisin qui avancent au-dessus de la ligne séparative, ou à ne pas user d'un droit de servitude qui lui appartient: cette renonciation temporaire à son droit ne pouvant être considérée comme une extinction de la servitude légale ou du fait de l'homme, il faut lui reconnaître le caractère d'obligation de ne pas faire, d'engagement personnel, lequel ne serait pas opposable au cessionnaire du fonds dominant, et ne profiterait au cessionnaire du fonds servant que s'il avait été informé de cette créance temporaire et en avait été investi expressément ou tacitement.