Art. 314. — 1. Les droits personnel." forment, avec les droits réels, l'ensemble des Biens qui composent le patrimoine des Personnes (voy. art. 1er).
Déjà, sous les articles 2 et 3, on a indiqué la nature différente de ces deux droits: on a dit que les premiers mettent une personne en rapport direct avec une chose, (jus in re, "droit sur la chose "), permettent d'en tirer tout ou partie de l'utilité et des avantages qu'elle peut fournir et autorisent à revendiquer la possession de cette chose contre toute personne qui la détient injustement; tandis que le droit personnel n'établit pas de rapport direct avec la chose due, mais seulement avec la personne qui la doit; de là le nom même de droit personnel (j u s in p e r s o n a m, " droit contre une personne ").
Cette distinction qui se présente, au premier abord, comme purement dogmatique et théorique, a déjà reçu d'intéressantes applications pratiques, en ce qui concerne les droits réels, dans les divers Chapitres qui forment la Première Partie de ce Livre; on la trouvera appliquée ici également pour les droits personnels.
2. On rappelle aussi ce qui a déjà été dit (T. 1er, n° 7) au sujet de l'unité des droits personnels: quoiqu'on emploie habituellement la forme du pluriel, ce n'est pas à dire qu'il y ait, des droits personnels de plusieurs sortes, comme il y a plusieurs droits réels profondément différents; tout au plus, trouvera-t-on des droits personnels sanctionnés avec plus ou moins d'énergie par la loi; mais au fond, leur nature est identique. Si l'on parle ainsi au pluriel, c'est parce que quelqu'un peut avoir plusieurs droits personnels contre la même personne: il suffit que deux droits soient nés à des époques différentes, ou qu'ils n'aient pas la même cause ou n'aient pas le même objet, peur être considérés comme des droits personnels distincts; à plus forte raison, s'ils n'avaient pas le même sujet passif, le même débiteur.
3. Le 1er alinéa donne au droit personnel un nom équivalent, le nom de créance, qui exprime que celui qui a le droit personnel (le créancier) croit, a confiance en celui contre qui le droit existe (le débiteur). Quelquefois, cependant, cette coniiance est très limitée et le créancier exige des garanties particulières, telles qu'une caution, un gage, une hypothèque; mais les noms juridiques sont tirés des cas ordinaires et non des cas exceptionnels; de même, on ne peut dire, à proprement parler, que le créancier a cru au débiteur, quand la dette est née de la faute de celui-ci; c'est seulement au cas de convention ou contrat que l'expression de créance ou croyance est justifiée; mais comme les conventions sont, de beaucoup, les causes les plus nombreuses des droits personnels, c'est encore " à ce qui arrive le plus souvent " (de eo quod plerÚmque fit) que répond l'expression légale Ca).
4. Le 1er alinéa nous dit encore que la créance a pour corrélatif nécessaire une obligation. On dit, en général, qu'à tout droit d'une personne correspond un devoir d'une autre; mais ce devoir n'est pas toujours une obligation proprement dite. Ainsi, au droit réel d'une personne répond le devoir de toute autre de respecter ce droit; mais il serait ridicule de dire que le monde entier est obligé envers chaque propriétaire et autant de fois que celui-ci est propriétaire d'objets différents: comme il n'y a pas lieu d'intenter une action en justice pour faire déclarer ce devoir général tant qu'il n'y est pas manqué, il convient de dire qu'il y a là, pour les tiers, plutôt "absence de droit " qu'obligation; l'obligation proprement dite ne commence que pour l'usurpateur ou le possesseur de mauvaise foi qui est tenu, civilement et par voie d'action en justice, de rendre la chose à celui à qui elle appartient; c'est qu'alors un droit personnel est né, au profit du propriétaire, de l'acte injuste dont il a été victime (voy. art. 316).
Il n'y a donc que le devoir correspondant au droit personnel auquel convienne le nom " d'obligation; " il est plus étroit, plus rigoureux, en même temps qu'il est limité à une seule personne, et le mot obligation (du latin: ligare, " lier ") exprime bien l'idée d'un assujettissement individuel.
La corrélation de l'obligation à la créance est si naturelle, si intime, que l'usage juridique et même législatif est de traiter des droits personnels sous le titre des Obligations. On suivra ici le même usage: les divisions principales de cette IIe Partie se rapporteront aux obligations; c'est en déterminant leurs causes, leurs effets et leur extinction que le Projet présentera la théorie des droits personnels ou de créance.
5. Enfin, la loi, au lieu de définir ici le droit personnel, ce qui a déjà été fait dans l'article 3, définit son corollaire, l'obligation. L'expression lien de droit est consacrée depuis le droit romain (vinculum juris); certains jurisconsultes ont préféré celle de " nécessité juridique d'action ou d'inaction; " mais l'idée est moins claire et moins simple, et mieux vaut conserver la définition traditionnelle.
La définition nous dit encore que ce lien peut provenir du droit positif ou du droit naturel. On verra, sous l'article suivant, que la force coercitive de ces deux autorités n'est pas la même.
6. Vient ensuite l' effet de l'obligation qui se confond avec son objet; c'est une contrainte plus ou moins énergique ”à donner, à faire, ou à ne pas faire." Ce sont encore là des expressions consacrées.
Donner (dar e), c'est transférer la propriété ou un autre droit réel. Il ne faut pas confondre l'obligation de donner avec la dation effectuée: tant qu'il n'y a qu'obligation, il n'y a qu'un droit personnel; quand la dation est effectuée, l'obligation a cessé par l'exécution, le droit réel lui a succédé. On verra plus loin quand et comment la dation se trouve effectuée.
Faire (f a c e r e), c'est accomplir un acte utile ou profitable à autrui, autre qu'une dation, comme un travail manuel ou intellectuel, un service personnel, une entremise, un voyage, une prestation ou livraison de chose pour un usage déterminé.
Ne pas faire, c'est s'abstenir d'un acte, licite d'ailleurs, que le débiteur pourrait, en principe, accomplir, soit sur ses biens, soit sur les biens d'autrui, mais qu'il s'engage à ne pas accomplir, pour le plus grand avantage du créancier. Tel serait le cas où celui qui aurait loué sa maison ou cédé son fonds de commerce, s'interdirait, dans l'intérêt de son locataire ou de son cessionnaire, d'exercer une industrie ou un commerce qui pourrait faire concurrence à ce dernier. La garantie que doit le bailleur ou le vendeur, d'après la loi, impose déjà cette obligation dans une certaine mesure et sans convention spéciale (voy. art. 140); mais on peut l'étendre par convention; le preneur lui-même ou le cessionnaire pourrait aussi se soumettre à l'obligation de ne pas faire certains actes que le droit commun lui permettrait.
On peut supposer encore le cas où un propriétaire se serait interdit, dans l'intérêt de son voisin, quelquesuns des droits attachés à la propriété, sans, pour cela, qu'il y ait servitude foncière; comme de ne pas chasser chez lui, de ne pas couper des arbres qui préservent le fonds voisin des vents du nord (b). Enfin, on ] etifi s'interdire d'exercer sur les biens d'autrui certains actes qui d'ailleurs eussent été permis, soit en vertu du droit 'commÜn, soit par une convention spéciale; tel serait le cas où un prêteur d'argent s'engagerait à ne pas saisir certains biens de son débiteur: par exemple, son traitement de fonctionnaire, même pour la portion saifeïssable; celui où un propriétaire s'engagerait, pour un certain temps, à ne pas couper les branches des arbres du fonds voisin qui avancent au-dessus de la ligne séparative, ou à ne pas user d'un droit de servitude qui lui appartient (comp. T. Ier, n° 24, 3°): cette renonciation temporaire à son droit ne pouvant être considérée comme une extinction de la servitude légale ou du fait de l'homme, il faut lui reconnaître le caractère d'obligation de ne pas faire, d'engagement personnel, lequel ne serait pas opposable au cessionnaire du fonds dominant, et ne profiterait au cessionnaire du fonds servant que s'il avait été informé de cette créance temporaire et en avait été investi expressément ou tacitement.
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(a) Les Romains ont, les premiers, donné ce sens général à leur mot creditum, bien qu'il eût la même étymologie limitative, credere, " croire, avoir confiance," et que son emploi originaire fût le prêt, contrat fondé surtout sur la confiance.
[N.B. —On rappelle ici: 1° que les notes par lettres simples appartiennent à l'ancienne édition; 2° que les notes par lettres redoublées sont nouvelles, au moins en général; 3° que les notes par chiffres et en caractère plus gros sont nouvelles et, de plus, se rapportent aux changements demandés par la Commission ou introduits dans le Texte officiel promulgué. ]
(b) On peut rapprocher ces exemples d'obligations négatives de ceux d'obligations positives donnés sous l'article 2b6, 2° al. (T. lor, il0 436).