Art. 192. Dans le cas du 1er alinéa de cet article, il y a continuation de la possession, et jonction dans le second.
L'héritier ou tout autre successeur universel est le continuateur légal de son auteur: il succède à ses droits et avantages comme à ses charges et obligations; s'il y a des exceptions à cette règle, elles ne concernent pas la possession, au moins pour les choses et les droits composant le patrimoine. Il y a donc, légalement parlant, identité et continuation de possession entre l'auteur et son héritier.
En conséquence, si la possession de l'auteur était précaire, elle restera telle chez l'héritier, tant qu'il n'en aura pas changé la cause et la nature, conformément à l'article 185, et comme aurait pu d'ailleurs le faire son auteur lui-même.
Si la possession de l'auteur était civile, mais sans titre, elle restera sans titre pour l'héritier: le fait de succéder à titre d'héritier n'est une juste cause d'acquérir que pour les choses et les droits qui déjà appartenaient réellement à l'auteur.
Les vices de violence et de clandestinité ne continueraient pas nécessairement chez l'héritier, mais ce n'est pas parce qu'il y a changement de personne: c'est par la même raison que pour la précarité, à savoir, parce que chez l'auteur même, ces vices pouvaient cesser. Si donc l'héritier n'a pas eu à prolonger la violence pour continuer de posséder, de même s'il a donné une publicité suffisante à sa possession, il en a purgé le vice, comme son auteur aurait pu le faire conformément à l'article 183.
Si la possession de l'auteur avait pour fondement un juste titre, elle pouvait être accompagnée de bonne foi ou de mauvaise foi: elle aura pour l'héritier la même qualité bonne ou mauvaise. Cependant, en fait, l'héritier pourrait avoir reconnu que son auteur n'avait pas vraiment le droit qu'il possédait de bonne foi. Réciproquement, il pourrait croire à la réalité du droit de son auteur, alors que celui-ci n'y croyait pas lui-même; mais ces différences d'opinions et de croyances entre l'héritier et l'auteur n'auraient pas d'autre effet que si elles s'étaient rencontrées chez l'auteur lui-même. Or, si l'auteur était primitivement de bonne foi et découvrait plus tard les vices de son titre, sa mauvaise foi, survenue après coup, ne lui enlèverait pas le droit à une prescription abrégée, parce que, pour cette prescription, on n'exige la bonne foi qu'au moment où est intervenu le titre; mais il perdrait le bénéfice des fruits perçus depuis la survenance de la mauvaise foi, parce que la bonne foi est exigée au moment de chaque acquisition des fruits.
Pour ce qui est du cas inverse, c'est-à-dire de la bonne foi succédant à la mauvaise foi, il serait difficile à concevoir, en fait, chez l'auteur même, mais très facile chez l'héritier qui, souvent, croira que son auteur avait la plénitude du droit, quand il n'en avait que la possession. Cette bonne foi ne lui donnera pas le bénéfice de la prescription abrégée, mais celui des fruits perçus avant la prescription ordinaire ou avant la revendication exercée par le véritable titulaire.
Voyons, maintenant, comment les choses se passent pour le cessionnaire à titre particulier.
Comme il ne continue pas la personne de son cédant (laquelle, existant encore sauf le cas de testament, n'a pas à être continuée), il n'en continue pas non plus la possession: il commence une nouvelle possession, en son propre nom. On pourrait s'étonner qu'une possession nouvelle naisse en la personne de l'acheteur ou du donataire d'un bien particulier, tandis que le droit de propriété même, s'il appartient au cédant, se transmet et se continue identiquement en la personne de son cessionnaire. La raison de cette différence est celle-ci: la possession consiste dans deux éléments, l'un matériel, la détention corporelle de la chose ou les actes extérieurs d'exercice du droit; l'autre intellectuel, l'intention d'agir en maître; or, celui qui aliène une chose qu'il possédait, cesse, tout à la fois, de la détenir et d'avoir l'intention de l'avoir à soi; on peut donc dire que sa possession prend fin: l'acheteur ou le donataire qui commence à détenir avec l'intention d'avoir la chose à soi se crée une nouvelle possession, laquelle aura ses qualités ou ses vices propres.
D'abord, elle pourra être civile, quoique celle du cédant fût peut-être précaire. Ainsi, un dépositaire ou un locataire vend et livre la chose à lui déposée ou louée, la possession précaire du cédant cesse, elle ne se transmet pas au cessionnaire: celui-ci commence une nouvelle possession; elle est civile, car il a l'intention d'avoir la chose à lui; elle est à juste titre, car l'achat est un juste titre ou une juste cause de posséder; en outre, elle peut être de bonne foi, si le cessionnaire a ignoré le défaut de droit chez son cédant.
On ne s'arrêtera pas au cas inverse, à celui où le possesseur primitif, ayant juste cause, donnerait la chose en dépôt ou en louage à un autre; dans ce cas, le dépositaire ou le locataire n'aurait assurément qu'une possession précaire, mais la possession civile restrait au déposant ou au bailleur; il n'y aurait ni cessation ni translation de la possession.
Supposons maintenant que le cédant, au lieu d'une possession précaire, avait une possession civile, mais qui était sans titre; le cessionnaire, certainement, commencera une nouvelle possession qui sera à juste titre.
La possession du cédant était elle-même à juste titre, mais elle était de mauvaise foi; celle du cessionnaire sera de bonne foi, s'il ignorait le défaut de droit chez son cédant.
En sens inverse, la possession était de bonne foi chez le cédant; elle pourra être de mauvaise foi chez le cessionnaire.
On conçoit donc que la position du cessionnaire ou successeur à titre particulier soit, lorsqu'on s'attache à sa propre possession, tantôt moins bonne, tantôt meilleure que celle du successeur à titre universel.
Mais on a admis, depuis les Romains, qu'il pût se prévaloir de la possession de son auteur, quand il y a intérêt. On a considéré que la possession civile n'est pas seulement un fait, mais un droit, par les avantages qui y sont attachés et par les actions qui la garantissent; or, ce droit, faisant partie du patrimoine d'un particulier, est dans le commerce: il est cessible comme les autres droits, en général. Celui donc qui achète une chose ou un droit dont le cédant n'avait que la possession a, au moins, acquis cette possession, et il est naturel qu'il s'en prévale, qu'il en tire avantage, dans la mesure de son intérêt, en joignant l'ancienne possession de son auteur à la sienne propre.
Ainsi, le cédant avait juste cause et bonne foi et le cessionnaire a une possession de cette même nature doublement fovorable: il pourra joindre les deux possessions, ce qui le mènera à la prescription abrégée, laquelle est un bénéfice de la bonne foi.
Ainsi encore, le cédant possédait sans titre, ou avec juste titre, mais de mauvaise foi, et la possession avait déjà duré plus de 20 ans, en sorte qu'il aurait fallu moins de 10 ans pour que la prescription acquisitive s'accomplît; dans ce cas, le cessionnaire, de bonne ou de mauvaise foi, joindra à sa possession celle de son cédant, car il l'a acquise comme étant la seule chose que le cédant pût lui transférer. Cela ne cause aucun préjudice au légitime propriétaire, puisque, si le reste du temps s'était écoulé même sans cession et avant qu'il eût revendiqué, son droit eût été également perdu.
Enfin, on peut encore admettre la jonction de possession d'un cédant de bonne foi à un cessionnaire de mauvaise foi: ainsi, le cédant avait déjà possédé 14 ans, et un an de plus l'aurait conduit à la prescription abrégée; il cède à un acheteur de mauvaise foi: celui-ci ne prescrira pas assurément au bout d'une année, puisqu'il ne continue pas la même possession; mais il lui suffira de 16 ans de possession de mauvaise foi qui, joints aux 14 ans de possession de bonne foi de son auteur, feront les 30 ans exigés.
Cette dernière solution ne doit pas être contestée, car elle est tout-à-fait conforme aux principes et elle ne nuit pas au véritable propriétaire, par la même raison que la précédente.