Art. 152. On sait que le caractère distinctif de la rente, soit viagère, soit perpétuelle, est l'inexigibilité du capital (v. art. 173 et 191 du Livre de V Acquisition des Biens). On pourrait donc croire que la créance qui constitue “le droit de rente” ne peut s'éteindre par prescription, et c'est surtout dans le système qui l'explique par l'idée de présomption, que cette opinion pourrait se produire, La prescription en est cependant possible et facile à justifier.
Et d'abord, pour la rente perpétuelle, on ne pourra pas, parce qu'il s'est écoulé 30 ans depuis la constitution de la rente, supposer, présumer, que le créancier a réclamé et obtenu le payement du capital, puisque, précisément, ce droit ne lui appartient pas. Mais il faut se souvenir que si le capital n'est pas exigible par le créancier, il est remboursable par le débiteur (v. art. 192 1er al. ibid.)
Or, il n'y a rien d'exagéré à présumer que le débiteur a usé de ce droit essentiellement protecteur, dit droit de rachat, que la loi lui donne et qui a été justifié en son lieu : on est encore là dans le droit commun de la prescription.
Mais voici où l'on s'en écarte : il peut être permis au créancier de stipuler que le débiteur n'usera pas du droit de rachat pendant un certain temps qui ne peut excéder dix ans (v. art. 192, 2e al.). Or, on se trouve alors devant la double impossibilité d'une action cn payement et d un remboursement volontaire. Les principes généraux conduiraient à ne faire courir la prescription qu'à partir de l'expiration du terme qui retarde le remboursement volontaire.
Assurément, il n'y aurait aucune objection grave à adopter cette solution, législativement. Mais on doit reculer devant la perspective d'une si longue prescription qui pourrait être de 40 ans, et quand on considère avec quelle facilité le créancier peut interrompre la prescription, spécialement dans le cas qui nous occupe, on peut, sans scrupules, faire courir la prescription à partir “ de la date du titre. ”
D'ailleurs, la présomption de payement peut encore se justifier par le laps de trente ans, même en y faisant figurer 10 ans pendant lesquels le débiteur ne pouvait imposer le remboursement ; en effet, il a pu intervenir entre le créancier et le débiteur une renonciation à ce terme.
Mais c'est surtout, disons-nous, la grande facilité qu'a le créancier d'interrompre la prescription qui explique cette dérogation au droit commun de l'effet du terme Il a, en effet, une reconnaissance de son droit de rente dans chaque payement d'arrérages, s'il a soin d'exprimer dans la quittance une relation suffisante à son titre. Mais il devra avoir soin de se faire donner une contre-quittance ou toute autre pièce constatant qu'il a reçu le payement des arrérages : autrement, comme c'est le débiteur qui conserve ses quittances, et comme il pourrait nier avoir payé, la preuve de l'interruption périodique de la prescription manquerait au créancier.
Le second moyen d'interruption de la prescription accordé au créancier, et spécial à cette matière, est de pouvoir dans les deux ans qui précèdent l'accomplissement de la trentième année, exiger, “un titre récognitif de son droit,” comme dit notre article, et cela aux frais du débiteur, s'il s'y laisse contraindre ; si, au contraire, le débiteur acquiesce à la demande, les frais, alors minimes, sont supportés en commun.
Le créancier ne court donc aucun danger réel de cette prescription, bien qu'elle commence avant l'arrivée du terme.
On ne trouve pas une disposition semblable, permettant d'exiger un titre récognitif, au sujet d'un prêt à intérêt, parce que, si le débiteur se refuse à le donner volontairement, le créancier a le droit de la contraindre au remboursement qu'un suppose exgible depuis près de trente ans.
Notre article est applicable aussi à la rente viagère. Ici, il y avait plus de raison de douter, car le capital de la rente viagère est purement “ fictif ou idéal ” et ne peut être, ni exigé par le créancier, ni remboursé par le débiteur ; dès lors, il semble difficile de comprendre qu'après trente ans de la date du titre, la rente soit présumée éteinte par un remboursement.
Mais comme les parties ont toujours eu le droit de faire de nouveaux arrangements, une novation, une transaction, une remise conventionnelle, la loi ne sort pas des vraisemblances en présumant que si trente ans se sont écoulés depuis la naissance de la rente viagère, sans qu'il y ait eu interruption par des payements d'arrérages ou autrement, il y a eu une extinction légitime résultant d'un accord entre les parties.