旧民法・法例(明治23年)

Code civil de l'Empire du Japon. Accompagne d'un exposé des motifs

参考原資料

LIVRE DES PREUVES.
PREMIÈRE PARTIE.
DES PREUVES
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
En droit et en législation, le mot Preuve s'emploie dans plusieurs sens, mais très voisins l'un de l'autre et liés entre eux. C'est d'abord la certitude acquise des faits dont il s'agit; c'est encore l'opération même qui donne ou tend à donner au juge cette certitude ; c'est enfin l'ensemble des moyens ou des procédés admis ou prescrits par la loi pour faire la démonstration de la vérité des faits allégués et en donner au juge la certitude ; c'est surtout en ce sens que le mot Preuve est pris dans ce Livre ; mais souvent, tant dans le texte que dans nos explications, on le trouvera employé dans l'un on l'autre des deux premiersens.
L'importance des preuves est considérable, car lorsque la loi attache des conséquences plus ou moins considérables à des circonstances de fait, elle suppose ces faits, ces circonstances, hors de contestation ; mais, le plus souvent, c'est leur existence même qui est contestée : si la loi a été prévoyante dans ses dispositions, et si elle est rédigée avec clarté, on plaidera rarement sur les conséquences légales des faits ; mais on plaidera souvent sur la réalité, sur l'existence de ces faits, lorsqu'ils sont allégués par une partie contre l'autre : on plaidera sur leurs caractères, sur l'intention qui les a modifiés, sur ce qui les a précédés, accompagnés ou suivis ; de tout cela, l'une des parties s'efforcera de donner la conviction aux juges, l'autre cherchera à leur donner la conviction contraire ou, tout au moins, à leur en laisser un doute sérieux, et peut-être les parties seront-elles de bonne foi l'une et l'autre.
Législativement, la matière des preuves touche, forcément au fond du droit et à la procédure ; aussi, dans les codes étrangers la voit-on figurer, tout à la fois, dans le Code civil et dans le Code de procédure civile.
Le présent Code procède de même. Il y a des principes fondamentaux en cette matière qui doivent figurer dans le Code civil, parce qu'ils sont de pur droit, au fond ; tels sont : le principe d'après lequel le fardeau de la preuve incombe à telle ou telle partie, suivant le cas, la détermination des divers modes de preuves permises ou nécessaires, selon l'objet du litige, le degré de force probante de chacune, soit respectivement, quand elles sont opposées les unes aux autres dans une instance, soit isolément, lorsqu'il s'agit de savoir si elles autorisent ou imposent la conviction chez le juge. Voilà des théories générales qui, disons-nous, forment le fond du droit civil en matière de preuve et ne font aucunement partie de la procédure.
Au contraire, on doit renvoyer et le Code renvoie, en effet, à la procédure civile la mise en œuvre, le fonctionnement de chaque preuve devant le tribunal.
Prenons un exemple dans la preuve testimoniale qui restera la plus fréquente peut-être, malgré les limites qu'y apporte le Code. C'est au Code civil qu'il appartient de poser les limites dans lesquelles cette preuve est recevable, limites fondées sur plusieurs motifs qu'on expliquera en leur lieu ; mais quand il s'agit de fournir cette preuve devant le tribunal, il faut savoir : en quelle forme on citera les témoins, quels seront les délais pour les citer de part et d'autre, avec quelles précautions ils seront entendus, quels témoins ne pourront pas être cités valablement ou pourront être récusés comme suspects, quelle sei'a la peine de ceux qui ne comparaîtraient pas ; tout cela appartient naturellement au Code de Procédure civile et, en effet, le Code civil l'y renvoie.
D'autres preuves ont déjà une connexité moins nécessaire et seulement accidentelle avec la procédure, ce sont les preuves écrites.
Supposons qu'une partie produise un acte authentique à l'appui de sa demande ou de sa défense ; si l'acte n'est pas argué de faux (et cet incident sera-rare), le tribunal n'aura qu'à en examiner la teneur, à s'assurer, par son examen personnel et en entendant les parties ou leur représentant, si l'acte a vraiment l'objet et la portée que lui attribue la partie qui l'invoque ; il n'y a là aucune procédure spéciale ; ce n'est guère que s'il y a plainte en faux que le Code de Procédure intervient :
Supposons encore la production d'un acte sous seing privé : s'il est reconnu par la partie à laquelle on l'oppose, il a contre elle la même force qu'un acte authentique ; là encore il n'y a qu'à apprécier la portée de l'acte. Pour qu'il y ait lieu à une procédure spéciale, il faudrait que la partie défenderesse niât l'écriture, la signature ou le sceau : alors il y aurait lieu à la procédure dite de ” vérification d'écritures.”
Ce n'est pas tout encore. Il y a des preuves et des plus importantes par leur force probante qui ne comportent et ne peuvent comporter aucune procédure, ce sont les présomptions légales : étant donnés certains faits non contestés, la loi en induit l'existence d'autres faits non prouvés en eux-mêmes ; telle est la présomption de vérité attachée à la chose jugée : un jugement irrévocable est produit par une partie, devant un tribunal, à l'appui d'une demande ou d'une exception ; l'adversaire prétend remettre en discussion les faits déjà jugés ; le tribunal ne doit pas l'écouter : à ses yeux, ce qui est reconnu par le jugement est présumé la vérité. Il est vrai que, pour avoir cette force probante invincible, le jugement doit avoir certains liens avec la nouvelle instance : il doit présenter ce qu'on nomme “ trois identités,” identités de parties, d'objet et de cause; mais l'examen et la discussion de cette triple condition n'exige aucune procédure spéciale et il n'en peut être fait mention dans un Code de Procédure civile.
Il est donc bien évident qu'il est impossible au législateur de ne traiter des preuves que dans le Code de Procédure exclusivement, puisque certaines preuves n'y figureraient aucunement et que les principes fondamentaux des autres y perdraient de leur importance, étant mêlés à des questions secondaires de formes et de délais. Mieux vaudrait encore, si l'on ne voulait traiter des preuves que dans un seul Code, le faire dans le Code civil, parce qu'il n'est jamais choquant de mettre l'accessoire à la suite du principal. D'ailleurs, on a déjà vu d'autres cas où le Code civil traitant de l'exercice de certains droits, indique en même temps en quelles formes et dans quels délais ces droits seront exercés : par exemple, Je droit de suite hypothécaire contre le tiers détenteur et le droit pour celui-ci de purger l'immeuble des privilèges et hypothèques. Mais un pareil procédé ne pouvait être employé au sujet des preuves, sans surcharger considérablement le Code civil de détails d'une nature inusitée.
Art. 1er. Ce premier article pose le principe fondamental déjà annoncé comme devant figurer avant tous autres en cette matière : il nous dit “ à qui incombe la charge, le fardeau de la preuve;” c'est un fardeau, en effet, que d'avoir à prouver un fait, car si l'on n'y parvient pas, on succombe dans sa prétention : l'article suivant nous le dira.
En principe, la preuve incombe au demandeur ; cela est vrai, si l'on prend la contestation à son début : il est certain que celui qui ouvre un débat, en élevant une prétention, doit prouver ce qu'il avance à l'appui ou comme fondement de sa demande.
Mais lorsqu'il aura fait cette preuve, c'est-à-dire fait îles justifications ou démonstrations de nature à donner au juge une conviction favorable à sa prétention, il pourra arriver et il arrivera très souvent que le défendeur alléguera, à son tour, des faits qui, s'ils sont vrais, détruiront l'effet des premiers.
Faut-il encore obliger le demandeur à faire la preuve contraire à ces allégations du défendeur ? Ce ne serait ni raisonnable ni juste : le défendeur qui allègue des faits pour sa défense est, juridiquement, à l'égard de ces faits, dans la même position que le demandeur pour les bases de sa demande ; aussi le premier principe doit-il Être toujours accompagné d'un autre qui le tempère ou le complète : le défendeur, en opposant une exception, devient demandeur à cet égard.
On voit déjà que notre article, dans ses deux alinéas, est la reproduction de ces deux principes inséparables, et nous en donnerons bientôt la justification.
On a quelquefois prétendu que les deux principes cessent de s'appliquer quand il s'agit de faits négatifs et on a soutenu qu'alors la preuve ne peut être imposée à celui qui nie un fait, parce que la preuve d'une dégation serait impossible par la nature des choses.
Si l'on prenait pour exemple le cas où le demandeur dit qu'il a prêté une somme d'argent et où le défendeur nie le fait, purement et simplement, ce nouvel axiome serait exact; mais, en même temps, nous nous trouverions placés dans le cas d'application du premier principe: ce ne serait pas parce que le demandeur affirme et que le défendeur nie, que la preuve incomberait au premier, ce serait parce que c'est au demandeur à prouver son droit ou la cause de son droit.
Mais supposons que le demandeur réclame des dommages-intérêts, sous prétexte que le défendeur n'a pas exécuté un contrat (lequel est d'ailleurs prouvé ou non contesté), il est certain que le demandeur sera dispensé de prouver cette négation ; de même s'il invoque un prêt (prouvé également) et s'il allègue que l'emprunteur n'a pas payé, il n'a pas à le prouver : dans les deux cas, c'est bien au défendeur à démentir la négation, en prouvant le fait positif de l'exécution ou celui du payement; mais ce n'est pas parce que la preuve de la négation serait impossible au demandeur; en admettant qu'elle le fût, ou à peu près, au cas de non payement, elle ne le serait pas au cas d'inexécution d'une obligation de faire, surtout quand il s'agirait d'actes extérieurs à accomplir, comme des travaux à exécuter sur un immeuble du demandeur ou des réparations à faire par un bailleur à un immeuble loué; lorsque les travaux n'auraient pas été faits, il serait bien facile de le vérifier par une visite de lieux ou un rapport d'expert. Le motif pour lequel ce serait au défendeur à prouver, dans notre exemple, qu'il a payé ou exécuté est tiré du second principe : ce sont là des allégations destructives de celle du demandeur, ce sont des exceptions ou défenses à l'action, à l'égard desquelles “ le défendeur devient demandeur.”
Il en serait de même si, le demandeur ayant prouvé un contrat passé en sa faveur, le défendeur niait avoir été libre de refuser ou avoir été capable de consentir ; l'allégation du défaut de liberté ou de l'incapacité est une exception ou une défense dont la preuve incombe au défendeur. D'ailleurs, il est évident que, dans cette exception, il y a tout aussi bien l'allégation d'un fait positif que celle d'un fait négatif : celle qui dit n'avoir pas été libre ou capable dit aussi avoir été violenté ou incapable ; or, comme il est bien rare qu'une forme négative ne puisse pas être renversée en forme affirmative, le système qui prétendrait faire dépendre de la forme employée le fardeau de la preuve serait aussi peu raisonnable qu'injuste.
Il restera cependant des cas, fort rares à la vérité, où un fait négatif sera le principe direct d'un droit à exercer, d'une demande à faire en justice, où ce fait ne pourra être ramené à un fait positif contraire : on ne peut guère citer pratiquement que la répétition d'un payement indu : le demandeur devra d'abord prouver le fait positif du payement par lui effectué; mais comment pourra-t-il prouver que le payement n'était pas dû, n'avait pas de cause ? Ce serait, en effet, impossible en cette forme générale : le demandeur ne pourrait pas parcourir, dans sa plaidoirie devant le tribunal, toutes les causes possibles d'obligations (surtout s'il y avait eu payement d'une somme d'argent), et prouver qu'aucune de ces causes ne s'est rencontrée entre lui et le défendeur avant ce payement.
La singularité du cas est telle que le Code l'a réglée spécialement : il nous suffit de renvoyer à l'article 326 du Livre des Biens.
Revenons à notre premier article qui, avons-nous dit, consacre les deux premiers principes et rejette le troisième.
Pour les premiers, il prend une forme un peu différente : il ne mentionne pas le demandeur et le défendeur, comme tels, et c'est avec raison, puisque, d'après le second des principes précités, les rôles sont quelquefois intervertis : il n'importe pas, en effet, de savoir quelle partie a ouvert le procès, mais quelle est la nature des prétentions et des allégations de chacune, et pour déterminer la nature d'une allégation, on ne tient pas compte du caractère “ positif ou négatif ” du fait allégué (la loi écarte formellement cette distinction), on regarde seulement si l'allégation tend à assurer “ un avantage ” à la partie qui la fait ; dans ce cas, c'est celle-ci qui a la charge de la preuve : c'est à elle de démontrer au juge la vérité du fait allégué.
Il reste à faire reconnaître que cette règle est aussi juste que raisonnable.
Quand une contestation s'élève entre deux parties, elle survient dans une situation présente dont l'existence, déjà plus ou moins ancienne, a en sa faveur, la présomption de vérité et de justice, tant par le silence antérieur des parties que parce que la violation du droit d'autrui ne se présume pas ; dès lors, la partie qui prétend faire changer cette situation a contre elle une présomption défavorable : elle doit donc la faire tomber par une preuve directe du bien fondé de sa prétention.
Cette solution s'applique d'abord et tout naturellement au demandeur.
En examinant le fond des choses, on voit qu'elle ne s'applique pas moins au défendeur proposant une exception ou défense. En effet, supposons que le demandeur a établi son allégation par des preuves qui sont de nature à donner au juge la conviction en sa faveur : voilà une situation nouvelle qui va remplacer l'ancienne, et avec d'autant plus de force qu'elle aura la consécration judiciaire ; si le défendeur prétend la combattre et en faire prévaloir une autre, soit, comme le suppose le texte, en contredisant les faits établis contre lui, soit en alléguant des faits nouveaux détruisant les effets des premiers, il est dans la même position que celle où était tout à l'heure le demandeur : il doit, à son tour, prouver ses allégations.
Art. 2. Le présent article est la sanction du précédent : la partie qui ne justifie pas ses allégations succombe, soit dans sa demande, soit dans son exception.
Le texte veut que la justification soit fait “ conformément à la loi,” parce que tous les moyens de preuve ne sont pas indistinctement admis.
Le texte réserve aussi les cas où, malgré la production de preuves régulières, la conviction du juge ne s'est pas formée en faveur de la partie qui les a produites, mais seulement “ dant les cas où le juge est libre d'apprécier la valeur de ces preuves,” c'est-à-dire où la conviction ne lui est pas légalement imposée. On verra, en effet, que certaines preuves ont une force invincible ou ne peuvent être renversées que par d'autres preuves déterminées, comme, par exemple, l'aveu de la partie, l'acte authentique, ou certaines présomptions légales.
Art. 3. Cette disposition est introduite pour parer au danger de la perte des preuves, avant le moment où elles devraient être produites en justice: les témoins peuvent mourir, changer de résidence, perdre le souvenir de fait, qui n'ont pas d'intérêt pour eux ; les actes écrits peuvent être détruits par un incendie.
Notre article permet à chaque partie intéressée de demander à faire d'avance, principalement et hors de toute autre procédure, la preuve de faits dont la constatation lui importe ; cette disposition s'applique aussi bien à la preuve testimoniale qu'à la preuve écrite ou par aveu. La loi n'y met que la condition d'une double justification : celle de “ l'intérêt ” ultérieur de la partie et celle du “ danger de la perte des moyens de preuve.”
Il va de soi que la partie adverse sera applée à cette procédure, comme si la preuve devait être fournie dans les conditions ordinaires.
Art. 4. La réunion des preuves dans un Livre spécial suffirait seule à faire comprendre que les moyens en sont les mêmes pour les droits réels et pour les droits personnels. Aucune différence n'existe et ne peut raisonnablement exister à ce sujet, entre les divers droits. Tout au plus, y a-t-il quelques particularités pour la preuve de l'état des personnes, et encore les différences ne portent-elles que sur l'emploi de la preuve testimoniale, plus ou moins étendu ou restreint, suivant les cas, ou sur la nécessité de la production d'actes authentiques spéciaux, comme les actes de l'état civil. Xotre article a deux dispositions à cet égard : l'une pour déclarer que les modes de preuves ci-après sont communs aux droits reels et aux droits personnels ; l'autre qui les étend aux questions d'état des personnes, sauf les particularités qu'on trouvera, à ce sujet, au Livre des Personnes.
Il va sans dire que les dispositions spéciales déjà portées aux trois Livres précédents, au sujet des preuves doivent être observées ; elles sont assez nombreuses : la plupart consistent dans des présomptions légales qu'il fallait indiquer sur chaque matière qui les comporte ; d'autres sont, il est vrai, l'application du droit commun, sur le point de savoir à quelle partie incombe la preuve, mais dans des cas qui auraient pu présenter quelque difficulté ; les plus importantes sont, outre celle, déjà citée, de l'article 326 (du Liv. des Biens), sur la preuve du défaut de cause, celles qui, pour certains faits, exigent certains modes de preuve, à l'exclusion des autres ; tels sont : les articles 317 et 350 du même Livre, qui n'admettent que l'aveu de la partie pour prouver qu'elle avait connaissance d'une cession de créance non notifiée au débiteur ou d'une aliénation d'immeuble non inscrite, et l'article 481 du même Livre, preuve par écrit de la subrogation conventionnelle, et plusieurs autres qui exigent un acte écrit, authentique ou sous seing privé, sans distinguer le montant de la valeur engagée.
Art. 5. Les preuves dont il va être question sont groupées en trois classes formant autant de Chapitres.
La première classe comprend les faits dont le juge prend une “ connaissance personnelle ” et directe qui lui permet de se former par lui-même sa conviction.
La seconde classe comprend des faits plus variés qui ont le caractère commun de “ témoignage de l'homme;” la loi appelle ces preuves " directes," par opposition aux dernières qui sont dites “ preuves indirectes."
La dernière classe comprend les présomptions, lesquelles sont de deux sortes : les unes de d r o i t ou légales, c'est-à-dire imposant au juge la conviction, soit absolument, soit à la condition quelles ne soient pas renversées par d'autres preuves, les autres de fait, tirées des circonstances et laissées, par la loi encore, à l'appréciation du juge. Ces dernières pourraient, à la rigueur, rentrer dans la première classe ; mais leur nom consacré de “présomptions” rend préférable de les placer avec celles de droit.
Le nom de “ preuves indirectes ” donné aux présomptions, sera justifié en son lieu.
CHAPITRE PREMIER.
DE L'EXPERIENCE PERSONNELLE DU JUGE.
Art. 6. Ce chapitre est consacré aux cas où le juge acquiert directement et par l'examen des faits la connaissance des éléments de la cause.
Mais il ne faudrait pas admettre que le juge pût puiser un élément légal de conviction dans la connaissance individuelle qu'il aurait d'un fait de la cause, comme particulier et en dehors de sa fonction de juge : par exemple, s'il avait été personnellement témoin du fait. Dans un pareil cas, si la partie attachait une grande importance au témoignage du juge, elle devrait tâcher d'obtenir qu'il se récusât comme juge, de manière à pouvoir être assigné comme témoin ; elle pourrait même pour inviter ostensiblement le juge à sa récuser, l'assigner comme témoin ; mais, si le juge ne croyait pas devoir se récuser, l'assignation serait sans effet, et le juge devrait avoir soin de ne pas se laisser influencer par d'autres preuves que celles résultant de la procédure.
La loi place sons cette rubrique de “ l'expérience personnelle du juge" trois modes de preuves qui sont repris en autant de Sections.
SECTION PREMIÈRE.
DE L'AUDITION DES PARTIES, DE L EXAMEN DES OBJETS ET DES DOCUMENTS DE LA CAUSE ET DE L'INTERPRÉTATION DE LA LOI.
Art. 7. En général, les parties figurent en personne dans les procès civils, mais elles peuvent s'y faire représenter par des mandataires.
Il sera question au Chapitre suivant de l'aveu que peut faire une partie devant le tribunal, c'est-à-dire du témoignage qu'une partie porte contreelle-même ; ici, on ne suppose pas qu'il y ait aveu : il y a seulement des “ dires et explications des parties ou de leurs représentants.”
Assurément, on ne peut pas dire que, par l'effet de ces explications, la conviction s'impose au juge, comme lorsqu'il y a aveu (v. art. 36 ; il peut d'ailleurs y avoir, de la part des deux parties, des dires plus ou moins contraires les uns aux autres ; mais il est possible aussi que les explications fournies par l'une d'elles, incomplètement détruites par l'autre, permettent au tribunal de se prononcer en faveur de la première. Ce sera rare pour les grosses affaires, mais non pour celles de peu d'importance, et plus fréquent pour des demandes incidentes que pour des demandes principales, enfin plus fréquent pour des exceptions que pour des demandes.
Ainsi, supposons qu'un homme qui, par profession, loue des chevaux et voitures, réclame une somme pour une telle location et que le défendeur allègue qu'il y a eu prêt à usage ; le demandeur explique qu'il n'a aucune relation d'amitié avec le défendeur qui puisse motiver un prêt gratuit ; ce dernier ne détruit pas cette explication et n'est pas non plus dans une situation assez précaire pour qu'il y ait lieu de croire à un sacrifice fait en sa faveur ; le tribunal pourra allouer au demandeur le prix ordinaire de la location des objets en question, suivant la durée de l'usage. Ici, c'est le peu d'intérêt du litige qui permet cette solution simple et rapide en faveur du demandeur.
Voici un cas où c'est une demande incidente à laquelle il est fait droit, sur les dires et explications des parties. Au cours d'une action immobilière possessoire ou même en revendication, le demandeur allègue et démontre au tribunal que la chose court risque d'être détériorée par l'effet de la négligence ou même du mauvais vouloir du défendeur contre lequel d'ailleurs il faudra fournir des preuves, pour le fond du litige : le tribunal pourra nommer un séquestre ou gardien judiciaire, en attendant qu'il puisse statuer au fond.
Enfin, le demandeur réclame la restitution immédiate d'un objet mobilier comme déposé ; le défendeur allègue que l'objet lui a été prêté à usage et que l'usage n'est pas terminé, et il démontre qu'il n'y avait aucune raison plausible pour que le demandeur, qui a de l'espace, une maison sûre où sont restés des objets plus précieux, lui ait déposé cet objet, tandis que lui-même défendeur est dans de mauvaises conditions pour recevoir un tel dépôt et, en même temps, est loin d'avoir à lui tous les objets nécessaires; le tribunal pourra accueillir cette exception et accorder un délai raisonnable pour la restitution.
Comme exemple d'une “ demande prématurée” nous supposerons l'action en payement d'une somme ou valeur avant l'échéance : si au cours ou même au début du procès, il apparaît au tribunal que, même en admettant prouvé le fond de la prétention, il y aurait, en tout cas, un délai à observer, le tribunal ne statuera pas au fond, il surseoira, et ce ne sera pas un déni de justice. On ne devra pas dire que pendant que le tribunal est saisi, il vaudrait mieux qu'il statuât : le défendeur a intérêt a faire ajourner le jugement, car il pourra payer à l'échéance et éviter ainsi d'être condamné aux frais.
La loi permet de même au tribunal de faire droit à de telles demandes ou exceptions par l'examen des objets litigieux.
Ainsi, un ouvrier réclame, comme prix de la réparation d'un objet mobilier, une somme que le défendeur soutient excessive : si 1 appréciation du travail ne demande pas de connaissances techniques ou artistiques, le tribunal, après s'être fait repésenter l'objet et l'avoir examiné, pourra admettre ou réduire la demande, sans recourir à une nomination d'experts.
Le tribunal pourrait encore statuer par le simple examen de l'objet litigieux, si, sur la réclamation d'une chose prêtée à usage, le demandeur prétendait qu'elle a été détériorée par un usage immodéré ou maladroit, tandis que le défendeur prétend que la détérioration est un effet de l'usage normal, ou provient de la vétusté de l'objet.
La loi permet encore aux tribunaux de statuer par l'examen des documents de la cause, en excluant le cas où ces documents auraient le caractère de “ preuves écrites autrement, on se retrouverait en présence de la preuve par acte authentique ou sous-seing privé. Ces documents peuvent être des comptes, des plans, des lettres portant des autorisations, prohibitions ou réserves, lesquelles auront spécialement de l'importance dans les questions de faute et de bonne ou mauvaise foi.
Art. 8. Les diverses évaluations à faire, dans les cas prévus par cet article et autres analogues, pourront souvent être faites par le tribunal lui-même, sans expertise, après avoir entendu les parties et pris connaissance des éléments desdites évaluations.
Cet article diffère du précédent en ce qu'il ne s'agit plus ici d'admettre ou de rejeter une demande au fond (elle est supposée admise), mais de déterminer le montant de la condamnation. Du reste, les moyens de conviction permis au juge sont les mêmes que les précédents.
Art. 9. Dans le présent article, il ne peut être question de preuves à fournir par le demandeur ou le défendeur ; les faits de la cause sont reconnus de part et d'autre, il ne s'agit que d'y appliquer la loi. Les parties pourraient, à cet égard, s'en rapporter entièrement aux lumières du tribunal ; mais elles peuvent prétendre chacune que la loi leur est favorable, ce qui revient à dire ou que chacune invoque en sa faveur une disposition différente de la loi, ou que l'une et l'autre attribue à la loi applicable au cas en litige une portée et un sens différents : c'est au tribunal à statuer sur le point cle droit, suivant sa conviction. Le texte nous dit qu'il ne tiendra pas compte seulement des termes de la loi mais de son esprit, lequel lui est révélé par le but de la loi, par son origine, par son ensemble. Le texte ajoute encore qui si la loi est muette ou insuffisante, le juge y suppléera en décidant le litige par l'application des principes généraux, de l'équité et de la raison naturelle.
En effet, la pire des situations serait celle où les parties ne pourraient obtenir une décision judiciaire.
Aujourd'hui, chez nous, alors que les nouvelles lois civiles et commerciales ne sont pas encore en vigueur, les juges se trouvent constamment en présence de cette difficulté résultant du silence ou de l'insuffisance des anciennes lois et coutumes, au sujet des questions nouvelles qu'il leur faut résoudre et il n'est pas possible de leur contester le pouvoir de décider les litiges d'après l'équité et la raison naturelle ; c'est en même temps leur devoir. Sans doute, les nouveaux Codes les laisseront rarement dans le même embarras; mais personne ne peut prétendre ni espérer qu'il ne se représentera pas, et à la même difficulté il faut reconnaîtrte le même secours : la seule différence c'est qu'avant de recourir à l'équité et à la raison pure, les juges devront d'abord s'aider des principes généraux du droit positif, désormais bien plus considérables qu'auparavant.
SECTION II.
DES VISITES DE LIEUX.
Art. 10. S'il ne s'agissait pas d'immeubles ou d'objets mobiliers difficiles à déplacer, les cas prévus par cet article rentreraient dans l'examen des objets litigieux tel qu'il est prévu à l'article 7. Mais ici, il faut évidemment que ce soit le tribunal ou l'un de ses juges qui se transporte sur les lieux où se trouve la chose objet ou occasion du litige.
Bien qu'en général les mesures de procédure civile ne puissent être ordonnées d'office, mais seulement sur la demande de l'une des parties, il en est autrement de la plupart des preuves, parce que le tribunal, une fois saisi de la demande, doit pouvoir recourir aux moyens qui lui paraissent de nature à former sa conviction. Ainsi, il peut d'office décider qu'il se transportera sur les lieux “ où se trouvent les objets litigieux ou les éléments de décision du litige,” et si le tribunal siége à plusieurs juges, il délègue à cet effet un de ses membres.
SECTION III.
DES EXPERTISES.
Art. 11. La preuve par experts paraît, au premier abord, avoir de l'analogie avec la preuve testimoniale : il semble que les experts soient des personnes auxquelles la justice demande, à raison de leurs aptitudes spéciales, de témoigner sur des faits ou des causes dont la réalité ou l'inexistence leur seront révélées par un examen attentif.
Mais, il y aurait une méprise dans cette assimilation : plusieurs différences fondamentales séparent ces deux modes de preuve.
1° Dans le témoignage, le témoin doit avoir assisté aux faits dont il dépose : il a entendu des paroles portant aliénation, engagement ou libération, ou ayant rapport à des faits de cette nature, ou bien il a vu signer, remettre ou détruire des écrits dont la teneur lui était plus ou moins connue; l'expert, au contraire, n'a pas assisté aux faits, lorsqu'ils se sont produits : il vient, après coup, en examiner les traces, les résultats apparents, les causes probables ;
2° Le témoin n'a pas à exprimer son opinion sur ce qu'il a vu ou entendu, mais seulement à dire ce qu'il a vu ou entendu, ou ce qu'il a cru voir ou en entendre ; tout au plus, serait-il admis à faire connaître son impression, son sentiment intérieur résultant des faits qui ont frappé ses sens: par exemple, l'intention avec laquelle certaines choses lui ont paru faites ou dites ; mais c'est encore témoigner de ce qu'il a vu ou entendu ; l'expert, au contraire, apprécie, au point de vue scientifique ou technique, les vestiges des faits accomplis; il n'aura pas à s'occuper de paroles prononcées ; mais il interviendra dans les vérifications d'écritures ou de sceaux, dans l'appréciation des dommages aux biens, du prix de travaux, etc.;
3° Le témoignage n'est admis en général, que dans des matières de peu d'importance, et ce n'est que par exception qu'il est reçu dans de plus considérables ; l'expertise ne comporte pas de pareilles limitets ;
4° Les témoins sont rarement appelés par les parties pour être présents à leurs actes ; ils connaissent les faits par hasard : autrement, les parties préféreraient rédiger un acte sous seing privé (nous ne parlons pas des témoins instrumentaires des actes authentiques, cas auquel la preuve résulte de l'acte authentique lui-même, c'est-à-dire du témoignage de l'officier public et non de celui des témoins instrumentaires); les experts, au contraire, sont, toujours choisis et désignés nominativement, soit par les parties, soit par le tribunal :
5° Les témoins ne sont pas rétribués pour leur témoignage qui est un devoir civil : ils ont seulement droit à une indemnité de déplacement; les experts sont rétribués pour le service rendu, parce qu'ils ne le doivent pas, dans le principe, et parce qu'ils accomplissent un mandat judiciaire.
Du moment que l'expertise ne peut être considérée comme un témoignage, il est naturel de la rattacher à l'expérience personnelle du juge qu'elle éclaire comme le feraient les explications des parties (le texte exprime cette idée); aussi chaque partie est-elle admise à présenter un expert à la nomination du tribunal, à moins qu'il n'en soit nommé qu'un seul ou que la loi n'exige qu'ils soient tous nommés par lui. Le texte nous dit encore que le tribunal peut ordonner une expertise d'office, aussi bien que sur la demande de l'une ou de l'autre partie.
C'est au Code de Procédure civile que les détails de cette preuve sont réglés.
La loi nous dira généralement, sur chaque preuve, quelle est sa force pour donner au juge la conviction. Ici l'expertise ressemble aux témoignages privés qui, lors même qu'ils seraient unanimes, ne peuvent lier le juge.
Il est clair que, quelque influence que puisse naturellement avoir l'opinion des experts sur la conviction du juge, elle ne peut la lui imposer, autrement ce seraient eux qui deviendraient les véritables juges du litige : ils seraient comme des arbitres.
CHAPITRE II.
DES PREUVES DIRECTES.
Art. 12. Généralement, soit dans le langage ordinaire, soit dans celui du droit, on donne au mot “ témoignage ” le sens d'une déclaration faite par une personne au sujet de faits où elle n'est pas intéressée ; dans ce sens, l'acte authentique est un témoignage émané d'un officier public; plus naturellement encore, les déclarations faites par des particuliers, en justice, dans la cause de tierces personnes, sont des témoignages. Mais lorsque l'on groupe les diverses sortes de preuves, d'après des caractères communs, de façon à en simplifier la nomenclature, on fait rentrer encore dans le témoignage l'aveu verbal. C'est ce que fait notre article.
L'aveu, en effet, est un témoignage que l'on porte contre soi-même.
L'aveu est écrit, ou verbal : il est écrit dans l'acte sous seing privé ; il est verbal quand il est exprimé par paroles, en justice ou hors de la justice ;
On a donc quatre preuves réunies sous le nom et avec le caractère de “ témoignage de l'homme.”
La loi donne aussi au témoignage le nom de preuve directe”; ces mots ont pour but de faire opposition aux présomptions qui sont appelées ‘‘ preuves indirectes. ” C'est en expliquant l'article 74, par lequel s'ouvre la matière des présomptions, que nous justifierons l'emploi de ces deux qualifications.
SECTION PREMIÈRE.
DES ÉCRITURES PRIVEES.
Art. 13. Cet article n'a d'autre but que d'introduire une division en deux sortes d'écritures, les unes portant la signature ou le sceau d'un particulier, les autres émanant de lui (on suppose cela non contesté ou prouvé), mais sans son sceau, ni sa signature. On conçoit que la force probante des premières soit plus forte que celle des autres.
Elles ont cela de commun que, ni dans l'une ni dans l'autre, il n'y a intervention d'un officier public.
§ Ier. DES ACTES SOUS SEING PRIVÉ.
Art. 14. Le Code ne restreint pas la valeur du sceau, même quand l'acte n'est pas rédigé ni signé par la partie elle-même : on ne méconnaît pas cependant qu'il peut y avoir abus et usage frauduleux du sceau d'autrui ; mais on n'a pas cru devoir déroger à unep ratique immémoriale : on place formellement ici le sceau sur la même ligne que la signature écrite et on le mentionnera constamment àcôté d'elle ; aussi pourra-t-on parler de l'acte sous seing privé, autant et plus que de l'acte sous signature privée, et cette expression s'appliquera aussi bien à l'une des formes qu'à l'autre, et encore mieux à leur réunion : laquelle est le plus désirable.
Notre premier article, en même temps qu'il proclame cette égalité de valeur du sceau et de la signature, détermine aussi le caractère juridique, comme preuve, de l'écriture sous seing privé : ” lorsqu'elle porte la déclaration ou reconnaissance d'un fait défavorable au signataire, elle constitue, de la part de celui-ci, un aveu ou témoignage extrajudiciaire ” contre lui-même.
On verra, à l'article 36, que l'aveu judiciaire a une force invincible ; on en pourrait dire autant de l'aveu écrit et signé, si la signature elle-même n'était pas souvent sujette à contestation, à la différence de l'aveu verbal fait en justice, qui est immédiatement recueilli et constaté par le tribunal ; mais quand la signature et le sceau sont eux-mêmes avoués et reconnus en justice, les deux aveux ayant alors la même nature, ont aussi la même force. (art. 25).
Le texte reconnaît aux lettres missives “ la même force probante qu'aux actes dressés en forme,” sous les mêmes conditions d'être signées et de porter des déclarations défavorables au signataire. Si le texte s'en explique, c'est que certains jurisconsultes ont une tendance à reconnaître moins de force aux lettres missives qu'aux actes en forme. Mais cette doctrine est fausse : ce n'est pas la forme qu'il faut considérer mais le f o n d, et les particuliers ne feront pas plus légèrement des reconnaissances à eux défavorables en une forme qu'en l'autre ; il arrive souvent que, par politesse, un créancier se borne à demander une simple lettre comme accusé de réception d'un prêt, ou un débiteur comme reçu d'un payement, et, assurément, l'auteur de la lettre ne serait pas recevable à dire qu'il n'a rien reçu et qu'il a fait une pareille déclaration par inadvertance.
Art. 15. Cet article est une application importante du principe posé à l'article 3 : à cette occasion, on a justifié la permission générale de faire constater l'existence d'une preuve avant l'exigibilité du droit.
Quand à l'utilité d'une demande en reconnaissance d'écriture avant l'échéance, elle est moins considérable que celle de demander une audition de témoins, parce que les écrits sont moins fragiles que, le témoignage des tiers ; elle est cependant sencore érieuse : le signa taire aussi peut mourir et son héritier aura plus de facilité pour contester l'écriture de son auteur que celui-ci n'en aurait en pour contester la sienne (v. art. 17). Il y a encore intérêt pour demander la reconnaissance avant l'échéance, lorsque le bénéficiaire de l'acte a lieu de craindre une contestation de l'écriture : mieux vaut alors être fixé le plus tôt possible sur la valeur de son titre ; il pourra aussi le céder avec plus de facilité et sans s'exposer à des recours.
Il va sans dire que si la reconnaissance d'écriture peut être demandée avant que le litige soit engagé au fond, elle peut l'être au moment même où. le litige commence et elle en sera alors le préliminaire naturel et nécessaire : le texte, en disant “ même avant tout litige,” implique que la même demande peut, à plus forte raison, être faite avec celle du fond.
La loi ne reproduit pas ici la condition portée à l'article 3, à savoir la justification d'un intérêt à cette preuve et du danger de perte : il faut la considérer comme sous-entendue, parce que l'article 3 est général et pour toutes les preuves ; mais il faut reconnaître que ladite justification sera facile quant au danger de perte ; quant à l'intérêt, il suffira que le demandeur prouve que le titre lui confère soit un droit réel ou personnel soit une libération ou décharge d'obligation, et il est clair que s'il n'était ainsi intéressé, il ne songerait pas à demander la reconnaissance de l'écriture ou du sceau.
Lorsque le prétendu signataire d'un acte est requis de le reconnaître, la loi ne lui permet pas de répondre d'une façon vague, comme de dire, par exemple, qu'il n'est pas sûr que l'acte soit de lui ou ne soit pas de lui : il doit “ le reconnaître ou le dénier formellement ” ; en effet, outre qu'il est mieux que personne en état de savoir si l'écriture ou le sceau placés sous ses yeux sont les siens, il doit aussi, par la mémoire, savoir s'il a signé un acte de la nature dont il s'agit.
Le texte veut que le défendeur à la demande en reconnaissance se prononce tout à la fois, sur trois choses : l'écriture qui est le corps de l'acte, la signature qui est le nom écrit, et le sceau ou cachet qui est l'empreinte apposée à coté du nom. Les deux derniers points sont les plus importants, car l'écriture du corps de l'acte peut être valablement d'une main étrangère ; toutefois, comme dans ce cas, il y a une condition particulière à remplir (v. art. 23), il est bon qu'il soit requis de s'expliquer sur le corps de l'acte.
La loi admet que la reconnaissance ou la dénégation peut porter, tout à la fois, sur les trois objets dont il s'agit (écriture, signature, sceau), ou sur l'un ou l'autre séparément : cela est nécessaire pour savoir sur quels points devra porter la procédure de vérification.
La sanction de cette obligation, pour le défendeur, de reconnaître ou nier formellement sa participation à l'acte par l'un des trois moyens désignés, est que, faute de la nier formellement, il pourra être considéré comme l'ayant reconnue ; s'il n'a nié que pour deux modes de participation ou pour un seul, la reconnaissance pourra être tenue pour faite à l'égard de l'autre ou des deux autres.
Mais il ne faudrait pas qu'une si rigoureuse sanction atteignît le défendeur à son insu et contre ses prévisions ; c'est pourquoi la loi veut que le tribunal l'avertisse de cette sanction, afin qu'avant de l'encourir il puisse l'éviter par une dénégation formelle, sauf à s'exposer aux frais de la procédure de vérification, s'il vient à y succomber.
Du reste, on voit, par le texte, que ce n'est pas d'une façon absolue et nécessairement que l'acte sera tenu pour reconnu : la décision est laissée à l'appréciation du tribunal ; car il pourrait arriver que le défendeur eût de sérieuses raisons de douter autant de la réalité que de la fausseté de la signature ou du sceau qui lui sont opposés, de sorte qu'il se trouverait à la fois empêché et de les reconnaître par intérêt légitime et de les dénier par délicatesse et surtout par dignité, craignant d'être soupçonné de mauvaise foi, si la vérification lui donnait tort. Dans ce cas, le tribunal ordonnera la vérification.
Art. 16. Une des raisons qui doivent faire attacher moins de force probante au sceau apposé sur un acte qu'à la signature écrite au bas dudit acte, c'est que, lors même que le sceau est bien celui de la personne contre laquelle on l'invoque, il est possible que l'apposition n'ait pas été faite par elle, et, en fait, do pareilles allégations sont souvent produites devant les tribunaux : quelque soin que les particuliers mettent à la garde de leur cachet, ils ne peuvent toujours échapper à la perte, au vol, ou à des surprises permettant d'en faire un usage frauduleux.
Il a donc fallu admettre que le défendeur pût, tout en reconnaissant l'identité de son sceau, nier que l'apposition en ait été faite par lui-même ou avec son autorisation et la loi veut que cette réserve soit faite avant que le tribunal ait donné acte au demandeur de la reconnaissance du sceau.
La loi tranche, à cette occasion, une question de preuve incidente qui aurait pu faire grande difficulté : on semble se trouver en présence d'une négation indéfinie, de celle dans la preuve est tellement difficile que sou vent on la dit impossible.
Sans doute, il pourra être très difficile au défendeur de prouver cette négation ; mais d'abord il faut reconnaître que la présomption de fait est que le sceau est resté aux mains de son propriétaire et que lui seul en a fait l'apposition ou au moins l'a autorisée: la perte, le vol, la fraude ne se présument pas, c'est à celui qui les invoque à les prouver ; il serait inutile au demandeur d'avoir un acte revêtu du sceau, s'il lui fallait encore prouver directement que ce sceau a été légalement apposé ; ce serait par témoins, évidemment, qu'il aurait à faire cette preuve : dès lors, autant vaudrait admettre plus simplement la preuve par témoins du fait relaté dans l'acte.
Il ne faut pas dire d'ailleurs que le défendeur aurait ici à prouver une négation indéfinie : s'il n'a pas apposé lui-même son sceau ni autorisé son apposition, c'est qu'un autre s'en est emparé indûment pendant un certain temps ; il y a là un fait positif qui n'est pas impossible à prouver, et la loi, tenant compte do la difficulté, en autorise tous les moyens possibles de preuve, ce qui comprend même les présomptions de fait, laissées à la prudence du tribunal (v. art. 88).
Une semblable disposition est établie pour le cas où le défendeur, tout en reconnaissant que la signature ou le sceau ont été apposés par lui, pourrait alléguer qu'il n'a agi que sous l'influence de la violence, de l'erreur ou du dol : il devrait aussi faire ses réserves au moment de la reconnaissance, au moins si la violence avait cessé, ou si l'erreur ou le dol étaient déjà découverts par lui.
Ici, la loi ne croit pas devoir exprimer que la preuve du vice de consentement serait à la charge du défendeur : il y a déjà un article qui dit que “ l'erreur, le dol, la violence ne se présument pas et doivent être prouvés par celui qui les invoque” (v. Liv. des Biens, art. 318).
La loi ne dit pas que celui qui voudrait se prévaloir de son incapacité, pour infirmer sa signature ou l'apposition de son sceau, devrait également réserver cette exception au moment de la reconnaissance.
C'est avec raison qu'elle ne fait pas cette assimilation : l'incapacité, à la différence des surprises prévues au 1er alinéa et des vices de consentement prévus au 2e, n'est pas un fait accidentel, dont la trace est fugitive et qu'on puisse invoquer témérairement pour sortir d'embarras : l'incapacité est un état légal, plus ou moins prolongé, d'une durée constatée, comme la minorité, l'interdiction, le mariage de la femme ; on ne les allègue pas témérairement, puisque le simple rapprochement des dates suffirait à démontrer le mal fondé de l'exception.
Il sera donc permis à celui qui a reconnu son écriture ou son sceau, sans réserver l'exception d'incapacité, de la produire encore pendant l'instance sur le fond.
Art. 17. En général, les successeurs ou ayant-cause n'ont pas plus de droits que celui qu'ils représentent : cela est naturel ; ici, s'ils n'ont pas plus de droits, ils ont une obligation moins rigoureuse sous deux rapports :
1° Ils ne sont pas placés entre ces deux nécessités de reconnaître la signature ou le sceau, ou de les dénier formellement : ils peuvent simplement “ déclarer, soit leur ignorance de la signature ou du sceau de leur auteur, soit leur incertitude sur la réalité de leur emploi ” dans le cas présent.
En effet, les successeurs ou ayant-cause peuvent avoir peu connu leur auteur, n'avoir pas eu occasion de voir souvent sa signature ou son sceau, et il pourrait être aussi difficile et dangereux pour eux de les reconnaître que de les dénier.
2e Ils ne sont pas tenus, même quand ils reconnaissent la signature ou le sceau comme étant celui de leur auteur, de faire immédiatement des protestations ou réserves au sujet de l'illégalité de l'apposition par un tiers ou des vices dont le consentement de leur auteur aurait été entaché : ce sont là des faits qu'ils peuvent ignorer longtemps, que peut-être même ils ne découvriront jamais, il faut donc les admettre à les prouver jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'au jugement du fond.
Art. 18. Il s'agit encore ici de la persistance du droit de contester la signature ou le sceau, après une reconnaissance faite sans réserves, et ce droit appartient ‘‘ au défendeur,” quel qu'il soit, c'est-à-dire non-seulement au prétendu signataire, mais à son héritier ou ayant-cause. Les deux cas prévus, en effet, réclament une protection spéciale contre l'erreur, parce qu'elle est supposée provenir d'une fraude, ayant même le caractère d'un délit : l'abus de blanc seing ou la contrefaçon de la signature ou du sceau.
L'abus de blanc seing suppose que le défendeur ou son auteur avait remis à un tiers sa signature ou son sceau, ou tous deux réunis, sur une feuille blanche, destinée à recevoir quelque disposition déterminée et que, soit le mandataire infidèle, soit un autre qui lui aurait soustrait le blanc seing, l'a rempli à son profit, contrairement à sa destination Evidemment, dans ce cas, le défendeur n'a pu nier la signature ou le sceau, puisqu'ils sont les siens; il n'a même pas pu toujours faire immédiatement des réverves à ce sujet, soit parce qu'il n'a pas reconnu d'abord le blanc seing qu'il avait donné, soit parce qu'il lui a paru grave de porter ainsi contre son mandataire une accusation d'infidélité.
Dans le cas où la signature ou le sceau auraient été contrefaits, le défendeur peut avoir été trompé d'abord; il a donc fait une reconnaissance sans réserves ou, s'il a eu des soupçons, il peut avoir eu aussi des scrupules à les exprimer, se proposant d'éclaircir ses doutes avant le jugement du fond.
La double exception est donc motivée.
Une différence est faite toutefois, par le second alinéa, au sujet du blanc seing : elle est en faveur des “ tiers qui ont traité de bonne foi à raison du titre, le sachant reconnu.” Ces tiers seraient des cessionnaires de la créance ou des subrogés ; il faut leur assimiler les créanciers qui pratiqueraient une saisie après ledite reconnaissance.
L'exception est fondée sur ce que le signataire (véritable, dans ce cas) n'est pas exempt de faute, tant en confiant sa signature et son sceau, sur une feuille blanche, à un mandataire capable d'infidélité ou de négligence dans la garde, qu'en ne reconnaissant pas immédiatement que le corps de l'acte ne répond pas au mandat qu'il avait donné pour remplir le blanc seing.
Comme on ne peut faire aucun de ces reproches à celui dont la signature ou le sceau ont été contrefaits, l'exception ne s'étend pas à ce cas et les tiers de bonne foi seraient privés du droit sur lequel ils ont compté: le prétendu signataire est aussi intéressant qu'eux.
Art. 19. C'est un usage assez fréquent que de faire contre-signer ou contre-sceller les actes privés par des tiers qui certifient ainsi la sincérité de l'écriture ou du sceau et la régularité de son apposition ; quand il y a des codébiteurs ou des cautions, leur sceau a bien pour but de les engager eux-mêmes, mais il a aussi pour effet de garantir la sincérité du sceau principal. En pareils cas, rien n'est plus naturel ni plus utile que d'appeler ces personnes à la vérification d'écriture ou de sceau, si cela est possible, et l'on peut croire que, dans ces mêmes cas, il y aura rarement allégation d'une apposition illégale ou frauduleuse du sceau.
Art. 20. La demande en vérification d'écriture présente deux plases qui touchent chacune à la procédure et dont le règlement appartient nécessairement au Code de Procédure civile auquel notre article renvoie.
A la première se rattachent les formes de la citation, les délais pour comparaître et les cas dans lesquels le défaut de comparution pourra être considéré comme une reconnaissance tacite de l'écriture, sauf opposition.
La seconde suppose que la vérification même est devenue nécessaire par la dénégation du défendeur ou par le simple défaut de reconnaissance, lorsqu'il n'est que l'ayant-cause du prétendu signataire ; alors il y a une procédure assez compliquée : il faut nommer des experts, convenir de pièces de comparaison, appeler des témoins dans certains cas, sommer le défendeur d'être présent à ces divers actes, etc.
Art. 21 et 22. La loi arrive à une théorie très importante qui donne un grand intérêt à la distinction des contrats en bilatéraux ou synallagmatiques et unilatéraux. On l'a déjà signalée sous l'article 297 du Livre des Siens ; mais c'est ici seulement qu'elle est consacrée par le texte, puisqu'elle a trait à la preuve des contrats. La justification et les développements déjà donnés à ce sujet permettent de n'en plus faire ici qu'un résumé.
Toutefois, on a introduit en cette matière une importante disposition qui manque aux Codes étrangers et faute de laquelle une grande controverse semblerait devoir s'étendre au Japon, si la loi ne songeait à la prévenir.
Quand les parties dressent un acte écrit sous seing privé pour constater un contrat synallagmatique, c'est, évidemment, parce que la preuve testimoniale, ou est interdite à cause de l'importance de l'intérêt engagé, ou leur paraît dangereuse, fugitive, incertaine. Dès lors la loi veut que chacune d'elles ait le moyen de fournir la preuve écrite de son droit ; s'il n'était dressé qu'un original, la partie qu le détiendrait serait maîtresse de la situation : elle pourrait ou produire l'acte ou ne pas le produire, suivant son intérêt ; l'autre serait ainsi à sa discrétion. On dressera donc deux originaux, et même autant qu'il y a de parties principales ayant des intérêts opposés.
Si on suppose plusieurs co-vendeurs ou plusieurs co-acheteurs, il ne sera pas fait plusieurs originaux poulies vendeurs ou pour les acheteurs, mais un seul pour tous ceux qui ont la même qualité : leurs intérêts sont distincts pourtant, puisqu'ils ne sont pas identiques; mais ils ne sont pas opposés, puisqu'ils ne sont pas contraires les uns aux autres : ils s'aideront d'un titre commun.
Quelques nouveaux Codes étrangers n'ont pas conservé la nécessite des doubles ; cette tendance nous paraît regrettable et le motif qu'on en donne est loin de nous convaincre.
On dit que c'est aux parties à pourvoir elles-mêmes à leur sécurité.
S'il s'agissait de donner à l'une d'elles un avantage sur l'autre, nous admettrions bien que la loi n'y intervînt pas; mais il s'agit, au contraire, de leur donner des avantages égaux, de prévenir un dommage pour la partie la moins expérimentée, et cela, dans la matière des contrats bilatéraux qui, par leur nature même, donnent aux parties des droits considérés, sinon comme semblables au moins comme égaux, et où l'égalité est lé quité même. Le rôle de la loi, en matière civile, n'est-il pas précisément d'assurer aux parties la plus parfaite équité dans l'exercice de leurs droits ? Pourquoi la loi civile règle-t-elle en détails tous les contrats les plus usuels, au lieu d'en laisser le soin aux parties? N'est-ce pas pour suppléer à l'inexpérience de l'une ou de l'autre ou même de toutes deux ? Car rien n'est rare comme de voir des particuliers rédiger un contract clairement et avec les prévisions nécessaires, lorsqu'ilsne sont ni légistes, ni gens d'affaires ou de négoce.
On est encore loin, en tous pays, du temps où les notions du droit seront assez vulgarisées pour que chacuns puisse pourvoir lui-même au règlementde tous ses intérêt civils, comme on pourvoit à la conservation et à l'entretien de sa santé et de ses intérêts sociaux.
Si la loi se désintéresse de la protection des intérêts civils avant que chacun puisse y pourvoir lui-même par l'effet de l'éducation ordinaire, les particuliers seront assujettis à recourir constamment à l'office intéressé des agents d'affaires, et comme elles n'auront pas toujours cette coûteuse précaution, il arrivera souvent que l'une sera victime du dol ou de l'habileté de l'autre.
Spécialement, dans le cas qui nous occupe, si la loi ne prescrit pas la rédaction d'un double original, il pourr a arriver que celle des parties qui seule possédera un titre, regrettant son engagement, préférera ne pas faire valoir le droit corrélatif qui lui appartient, et l'autre ne pourra faire valoir le sien en offrant d'exécuter son obligation.
Et s'il était certain pourtant qu'un acte a été rédigé et qu'il est resté aux mains de celui qui n'en veut pas user, pourrait-on le contraindre à le produire ? Ce serait une disposition bien autrement grave que d'exiger législativement la rédaction d'un double original : ce serait renverser un priniepe de raison et une tradition consacrée en matière de preuve, à savoir que “ nul ne peut être forcé de produire une preuve contre lui-même ”.
La nécessité des doubles originaux présente un caractère impératif qui ne permet pas de dérogation par convention contraire. En effet, comme il s'agit d'une protection contre le dol, les surprises ou l'inexpérience dont une des parties pourrait être victime, il ne doit pas leur être permis de se priver du secours de la loi : autrcment, ce serait précisément dans le cas où ce secours serait le plus nécessaire à l'une des parties que l'autre obtiendrait qu'elle y renonçât.
La seule dérogation que la loi admette ici c'est que les parties puissent convenir de déposer l'original unique aux mains d'un tiers désigné audit acte, lequel le communiquera à chacune d'elles à toute réquisition et ne pourra s'en déssaisir sans le consentement de toutes. Alors le but de la loi se trouve encore atteint : à savoir, l'égalité pour chaque partie dans les moyens de se prévaloir de la preuve du contrat.
Et qu'on ne s'inquiète pas de la complication qui résultera de ce dépôt et de ses conditions : cette complication même fera généralement préférer la rédaction d'un double pour chaque partie et y fera revenir, après coup, si l'on avait cru d'abord pouvoir s'en dispenser.
Dans le cas ou les parties seraient d'accord pour retirer le dépôt, elles devraient immédiatement faire choix d'un autre dépositaire : sans cela la loi serait encore éludée.
Si l'on dresse deux ou plusieurs originaux, il faut nécessairement mentionner sur chacun le nombre qui en a été fait : autrement, il y aurait toujours à craindre que la partie qui voudrait échapper au contrat ne produisît pas le sien et ne prétendît n'en avoir pas eu.
La loi devait prévoir le cas où ses deux prescriptions, la rédaction en double et la mention qu'elle a été faite, n'auraient pas été observées et où les parties n'y auraient pas suppléé par le dépôt d'un titre unique aux mains d'un tiers.
Dans plusieurs pays étrangers, on discute beaucoup, si l'acte unique, produit en justice par la seule partie qui le possède, vaut en sa faveur, au moins comme commencement de preuve par écrit et permet ainsi la preuve testimoniale de la convention. La solution négative a paru aux Rédacteurs de ce Gode la seule logique, la seule conforme au but et à l'esprit de la loi.
En effet, autrement, il y aurait nécessairement une partie qui serait à la discrétion de l'autre : celle qui n'aurait pas en sa possession l'original unique ne pourrait même pas faire cette preuve testimoniale dont la base lui manque et c'est l'autre qui, à son gré, le produirait ou le dissimulerait, suivant son intérêt. On se retrouverait en face du danger qu'on a voulu éviter.
En outre, il est bizarre d'appeler “ commencement de preuve par écrit " un acte qui, s'il vaut quelque chose, est une preuve complète, un acte qui dit plus et mieux que ne pourraient jamais dire les témoins les plus exacts, un acte qui, non-seulement “ rend vraisemblable le fait allégué,” comme l'exige l'article 69 ci-après, mais qui en donne la certitude complète, et dont le seul tort est d'être seul à la donner, d'être unique, au lieu d'être fait double.
Le Code se garde donc bien de dire que l'original unique servira de commencement de preuve par écrit. Il n'exprime pas le contraire non plus, parce que la loi n'a pas à parler de ce genre de preuve quand elle ne l'admet pas.
D'ailleurs le texte écarte tous les doutes d'une autre manière et il donne au double écrit son véritable caractère. Il dit formellement que la loi présume que chaque partie a subordonne son consentement définitif à la rédaction d'un écrit en double original, c'est-à-dire d'une preuve préconstituée qui la préserve du danger de subir un contrat si on le lui oppose, sans pouvoir l'invoquer si on ne le lui oppose pas : la rédaction de l'écrit alors n'est plus seulement pour la preuve, mais pour l'accomplissement de la condition suspensive. Déjà l'article 25 du Livre de l'Acquisition des Biens a déclaré que la vente peut être subordonnée par les parties à la rédaction d'un acte, soit authentique, soit sons seing privé en double original.
Cette présomption légale n'est du reste pas absolue ; elle admet une preuve contraire autorisée formellement par le texte : l'exécution totale ou partielle du contrat par la partie qui aurait pu “ se prévaloir de l'inaccomplissement de la condition." On peut dire que la partie qui a exécuté a renoncé à se prévaloir d'une fin de non-recevoir établie dans son seul intérêt et par présomption de son intention.
La loi ne dit pas que l'exécution doive être volontaire, parce que ce serait exclure cet effet an cas d'exécution légalement forcée, ce qui ne peut être, car l'exécution forcée suppose un jugement auquel la partie aurait pu contredire, en se prévalant du défaut de double, et elle ne l'a pas fait. Mais, bien entendu, une exécution qui cesserait d'être volontaire, parce qu'elle aurait été obtenue par dol ou extorquée par menace, n'autrait pas pour effet de réparer l'omission du double.
Art. 23. Il s'agit ici de la preuve d'un contrat unilatéral, mais la disposition n'a pas la généralité qu'a la précédente pour les contrats synallagmatiques: elle ne concerne que “ les promesses de payer une somme d'argent ou autres choses de quantité.” Ce sont les plus nombreuses, il est vrai, mais ce ne sont pas le seules : les promesses de corps certains, de faits ou d'abstentions, ne sont pas soumises à cette disposition ; de plus, comme il n'y est question que de promesses, c'est-à-dire d'obligations contractées, on ne l'appliquera pas aux quittances ou libérations, pour lesquelles il est naturel de laisser plus de facilités.
La loi prescrit dans ce cas l'une de deux formalités qui ont pour but de prévenir une erreur ou une fraude sur la somme ou la quantité promise : ou bien le débiteur écrira l'acte en entier de sa main avec sa signature, ou bien, l'ayant fait ou laissé écrire par un autre, qui sera généralement le créancier, il y ajoutera de sa main, sa signature et son sceau et, en outre, il apposera son sceau sur les chiffres de la somme ou quantité, de façon à prouver que son attention s'y est arrêtée.
Avec ces précautions, l'augmentation frauduleuse de la dette ou l'abus de blanc-seing sera plus difficile.
Au cas de plusieurs codébiteurs, la loi se contente de l'apposition du sceau d'un seul, même quand ils ne sont pas solidaires.
Art. 24. La célérité des affaires commerciales y a toujours fait admettre une plus grande simplicité que pour les affaires civiles, aussi la loi dispense-t-elle ce genre d'affaires de la nécessité du double original ou du sceau spécial exigé par l'article précédent. Au surplus, on observera sur ces points l'usage commercial et le Code de Commerce.
Art. 25. La loi arrive au degré de force probante de l'acte sous seing privé.
On le suppose régulier en la forme, à l'égard des prescriptions édictées aux articles 21 et 23 et "reconnu ou tenu en justice pour reconnu par celui auquel on l'oppose cette double condition de forme est nécessaire et la reconnaissance faite en justice ne couvrirait pas les vices de rédaction ci-dessus prévus : la reconnaissance n'est pas un commencement d'exécution et les fins de non-recevoir résultant de l'inobservation des précédents articles ne sont pas de celles qui se perdent faute de réserves faites à ce sujet au moment de la reconnaissance (v. art. 16).
Pour déterminer la force probante de l'acte sous seing privé, la loi distingue, d'une part, le dispositif de l'acte et les énonciations qui y ont un rapport direct ou le complètent, et, d'autre part, les énonciations qui n'ont qu'un rapport indirect au dispositif : pour les deux premières la preuve est complète, “ l'acte fait pleine foi pour les autres, il ne serait que de ‘‘commencement de preuve par écrit.”
L'idée sur laquelle repose cette distinction est que l'attention de la partie qui a signé l'acte n'a pu manquer d'être attirée sur le dispositif, puisque c'est là l'objet principal de l'acte, et aussi sur les mentions simplement énonciatives qui complètent le dispositif ; au contraire, cette partie a pu faire peu d'attention à des énonciations à peu près étrangères à l'acte, en tout cas inutiles à sa portée ; même elle a pu, tout en les remarquant, ne pas vouloir les contester présentement, de peur de faire manquer la convention qui lui importait davantage.
En effet, l'acte sous seing privé est un aveu écrit, comme on l'a remarqué en commençant ; or, un pareil aveu ne peut avoir de valeur que s'il est fait en connaissance de cause, avec volonté, et non par erreur ou surprise.
Il est nécessaire, à ce sujet, de bien comprendre ce que la loi entend par le dispositif de l'acte et par les deux sortes d'énonciations qui peuvent s'y trouver.
Le “ dispositif ” c'est l'objet principal de l'acte, ce qui doit créer entre les parties un nouveau rapport de droit : ce sera une aliénation, ou une obligation; ou une libération, et il ne faut pas en séparer l'objet, car on n'aliène pas, on ne s'oblige pas d'une façon indéterminée : on aliène quelque chose, un meuble ou un immeuble déterminé ; de même, on s'oblige à donner ou à faire ou à ne pas faire, et ce n'est pas assez : on doit donner, faire ou ne pas faire quelque chose de précis, de déterminé ; de même on ne libère pas son débiteur, sans dire de quelle obligation on le libère, et lors même qu'on voudrait le libérer de toutes ses obligations, il faudrait encore l'exprimer.
Tout cela sera le dispositif de l'acte.
Lorsqu'une partie a signé un acte mentionnant un ou plusieurs de ces faits qui sont l'œuvre de sa volonté actuelle ou antérieure, elle en reconnaît, elle en avoue l'existence, en tout ce qui lui est défavorable, et, à moins de prouver qu'il y a eu dol ou surprise, au moment de la réduction et de la signature de l'acte, elle ne pourrait pas dire qu'elle n'a ni su, ni voulu reconnaître ces faits : “ l'acte fait pleine foi contre elle ” de leur réalité et de la connaissance qu'elle en a eue en signant.
Il est moins facile de faire la séparation entre “ les énonciations qui complètent le dispositif ” et le dispositif lui-même ; il n'y a d'ailleurs à cela aucun intérêt pratique, puisque la foi due à l'acte est la même pour ces énonciations ; au contraire, il faut avec soin séparer ces énonciations de celles qui n'ont qu'un rapport indirect avec l'acte et qui auraient pu en être retranchées sans inconvénient, sans en diminuer la portée.
Si la loi a distingué les premières énonciations du dispositif même, c'est pour ne pas laisser en dehors de ses prévisions, celles qui justement pourraient ne pas paraître rentrer tout-à-fait dans le dispositif et qui cependant le compléteraient ou l'éclairciraient.
Ainsi les énonciations relatives au terme ou à la condition rentrent dans le dispositif ; il en est de même de celles relatives à la solidarité entre les débiteurs ou les créanciers, puisque ce sont là des modalités des obligations, et c'est disposer dans un sens qui aggrave l'obligation, que de se soumettre à la solidarité active ou passive ; au contraire, on dispose dans un sens qui l'atténue, en ne s'engageant qu'à terme ou sous condition.
La mention de la cause, dans une reconnaissance de dette, n'est pas une partie du dispositif, mais une énonciation qui le complète.
Supposons que dans un acte de vente où l'acheteur se reconnaît débiteur d'un prix déterminé (dispositif) on ait mentionné une créance antérieure de celui-ci envers le vendeur et qu'on ait dit que, par l'effet de la compensation entre cette créance et la dette du prix, celle-ci se trouve réduite à un chiffre déterminé, ou éteinte jusqu'à concurrence de ce qui est dû à l'acheteur : on peut dire qu'il n'y a pas là une disposition, puisque le même effet se produirait de plein droit, bien que les parties n'en eussent rien dit, si d'ailleurs les conditions de la compensation légale se rencontraient (v. Liv. des Biens, art. 520), il n'y aura donc là que ce genre d'énonciation dont on dit qu'elle “ a un rapport direct avec le dispositif et le complète.”
Remarquons, à cette occasion, que c'est ici contre le vendeur que l'acte fait foi de cette énonciation puisqu'elle établit incidemment qu'il avait une dette envers l'acheteur et que cette dette entre en déduction du prix.
Supposons, au contraire, que les conditions de la compensation légale ne se rencontraient pas entre ces deux dettes et que cependant les parties aient voulu qu'elle eût lieu, ce qui est le cas de la compensation facultative (v. art. 531 du même Livre) : alors cette convention est une partie intégrante du dispositif et elle fait foi contre les deux parties, car elle est à la fois contre tous deux: contre le débiteur qui a ainsi reconnu sa dette antérieure, et contre le créancier qui a consenti à ce que son droit fût éteint par compensation.
Supposons encore une vente d'immeuble : si l'acte porte que la vente comprend le mobilier qui garnit la maison ou un terrain contigu, il y a là une disposition ; mais la désignation de la contenance de la chose vendue n'est qu'une énonciation; seulement, elle a un rapport direct avec le dispositif et elle le complète : elle fait foi contre le vendeur qui se trouvera garant de la contenance, d'une façon plus ou moins rigoureuse, d'après les distinctions portées aux articles 48 et suivants du Livre de l'Acquisition des Biens.
En sens inverse, le vendeur a déclaré des vices non apparents de la chose : ce n'est pas une disposition, mais c'est une énonciatione qui y a un rapport direct et qui équivaut à une stipulation qui l'affranchirait de l'action rédhibitoire (v. art. 97 du même Livre).
On pourrait multiplier les exemples; mais ceux-là paraissent suffisants.
Il y a, au contraire, peu d'exemples pratiques d'énonciations qui, n'ayant qu'en rapport indirect avec la disposition, produiront encore un effet probant, quoique moindre, contre la partie qui les a laissé insérer.
On peut cependant supposer que, dans une vente de meuble ou d'immeuble, on a indiqué l'origine de la propriété aux mains du vendeur, et s'il a été dit que la chose vendue provenait d'une dation en payement faite au vendeur par un tiers, l'énonciation serait opposable au vendeur si, plus tard, il prétendait exercer son ancienne créance contre l'acheteur devenu héritier de ce tiers.
On comprend que ce sera là une hypothèse bien rare ; mais il était impossible de ne donner aucune force probante à ces énonciations incidentes et le Code n'a rien d'exagéré en leur donnant la force d'un commencement de preuve par écrit.
La loi complète l'assimilation de l'acte sous seing privé à l'aveu verbal, en déclarant que celui qui l'invoque ne peut le diviser, en s'emparant de ce qui lui est favorable et en rejetant ce qui lui est contraire. C'est sous l'article 38 que cette théorie sera appliquée et justifiée.
Art. 26. On a vu à l'article 18 que la reconnaissance de l'acte sous seing privé, même sans réserves, n'empêche pas le défendeur d'attaquer ensuite cet acte comme faux ou pour abus de blanc seing.
Il fallait déterminer à quel moment la force probante de l'acte serait suspendue, car on ne pourrait admettre que la seule allégation par le défendeur d'une de ces deux infractions frappât immédiatement l'acte de suspicion.
La solution varie suivant une distinction.
Si une instruction a été ouverte, ce n'est que lorsque l'instruction s'est terminée par le renvoi de l'inculpé devant le tribunal de répression que la force probante de l'acte est suspendue : il doit alors être sursis an jugement civil jusqu'à la décision définitive du tribunal de répression ou, plus exactement, comme dit le texte, jusqu'à ce qu'elle soit ” devenue irrévocable.” Il va de soi que si, par l'effet de cette décision, l'acte est reconnu être faux ou constituer un abus de blanc seing, il ne pourra conserver aucune force probante contre le défendeur audit acte, et cela, lors même que l'inculpé ne serait pas condamné, soit parce que les conditions légales de l'imputabilité ou de la responsabilité ne se rencontreraient pas en lui, soit parce qu'il aurait bénéficié de la prescription de l'action pénale ou de quelque autre exception.
Et il y a à remarquer ici, par avance, ” l'influence de la chose jugée au criminel sur le civil ” influence sur laquelle on reviendra en son lieu (v. art. 85).
S'il n'y a pas eu d'instruction ouverte (et la loi nous dit que ce peut être par suite du décès de la personne soupçonnée ou par une autre cause, comme sa folie ou la prescription), alors c'est le tribunal civil qui appréciera seul la sincérité de l'acte : pour sela, il peut continuer la procédure plus ou moins longtemps; mais il doit surseoir au jugement du fond, jusqu'à ce qu'il ait statué sur la fin de non-recevoir tirée de la prétendue infraction : autrement, il encourrait la cassation pour le seul fait de n'avoir pas préalablement vidé l'incident. An surplus, il ne lui est pas défendu de statuer sur le tout par un seul et même jugementIl faut bien remarquer que, bien que l'infraction, ne soit plus punissable, elle sera pour tant examinée d'après les dispositions du Code pénal, et si les caractères du délit sont reconnus, l'acte sera déclaré nul.
La loi ajoute au 3e alinéa que, même lorsqu'une instruction est ouverte, le tribunal civil n'est pas tenu d'attendre qu'elle soit terminée pour surseoir au jugement du fond ; il pourrait arriver, en effet, que cette instruction se prolongeât et, bien que la présomption de faux ou d'abus de blanc seing ne fût pas encore établie comme elle le serait après un renvoi an tribunal de répression, il y a peut-être assez de soupçon de l'infraction pour qu'il paraisse prudent au tribunal de ne nas statuer sur le fond avant la décision d'instruction.
La loi ne distingue pas, au sujet de ce sursis facultatif, si c'est devant le même tribunal ou devant un autre que l'instruction est commencée.
§ II.—DES ÉCRITURES NON SIGNÉES.
Art. 27. La loi arrive à des écritures qui ne portent ni signature, ni sceau, mais dont l'origine n'est pas contestés : si elles ont moins de force probante que les écriture signées ou scellées c'est qu'elles n'ont pas pour but essentiel de créer la preuve des faits qui y sont relatés, elles sont plutôt des renseignements, des aide-mémoire ; quelques-unes cependant sont érigées par la loi au rang de preuves, à raison de certaines circonstances particulières.
En première ligne sont les registres des marchands.
Le motif qui leur fait donner plus de force qu'aux registres des personnes non marchandes c'est que les marchands sont obligés par la loi de tenir certains livres et, dès lors, il y a présomption qu'ils ont pris soin de n'y porte que des faits exacts.
Mais encore une distinction est faite par la loi.
Comme nul ne peut se créer un titre à soi-même, tandis qu'une personne peut toujours faire un aveu contre elle-même, la loi nous dit que “ les registres des marchands font foi contre eux,” non seulement au profit d'autres marchands, mais au profit de toutes personnes, même non marchandes. Ainsi le registre d'un marchand porte qu'il a acheté d'un autre marchand : cela peut suffire pour qu'il soit considéré comme débiteur du prix ; le registre porte qu'il a reçu un payement d'un non marchand : sela suffit pour qu'il soit considéré comme n'ayant plus à se faire payer.
D'un autre côté, cet effet défavorable des registres étant fondé sur l'idée d'un aveu, on doit le tempérer par le principe de l'indivisibilité de l'aveu déjà rencontré à l'article 25 et sur lequel on s'expliquera au sujet de l'aveu judiciaire (v. art. 38). Disons seulement, à titre d'exemple, que si le registe d'un marchand porte qu'il a reçu une somme d'argent pour intérêts,” le débiteur ne pourrait, sans autre preuve, prétendre qu'il l'a payée comme capital ; si le registre porte que la somme a été payée “ comme à-compte ou à valoir,” le débiteur ne pourrait prétendre qu'il l'a payée “ pour solde si le registe impute le payement sur une certaine dette, le débiteur ne pourrait prétendre que c'est une autre dette qu'il a payée. Dans tous ccs cas, si le débiteur veut soutenir sa prétention, il faut d'abord qu'il établisse le fait même du payement, par une preuve autre que le registre du marchand, ou qu'il fournisse directement la preuve contraire à celles des allégations du registre qui lui sont défavorables.
Les registres des marchands peuvent être admis par le Code de Commerce à faire preuve en leur faveur contre d'autres marchands (la question est réservée par notre article). En effet, lorsque les deux parties sont marchandes, il y a pour elles une pareille obligation de tenir des livres et, par conséquent aussi, des avantages respectifs égaux.
Art. 28. il s'agit, dans cet article et les deux suivants, d'écritures toujours non signées, ni scellées, de personnes non marchandes.
Le principe dominant est qu'elles “ ne font jamais foi en faveur de celui qui les tient c'est, avec plus de rigueur encore que pour les marchands, la règle qu'on ne peut se créer un titre à soi-même.
Ces écritures (registres, notes, papiers domestiques) ne font pas non plus preuve contre leur auteur, au moins en principe ; mais il y a deux exceptions lorsqu'il s'agit des écritures d'un créancier, et une lorsqu'il s'agit des écritures d'un débiteur. Comme ces deux sortes d'exceptions sont un peu développées dans leur énoncé, la loi consacre un article à chacune.
Art. 29. Il s'agit des écritures du créancier : elles peuvent lui nuire dans deux casIer Cas. Le créancier a écrit sur son registre, ou sur une note détachée, qu'il a reçu un payement de son débiteur : il est naturel de croire qu'il a effectivement reçu ce payement : de même, s'il s'agit d'une autre mention tendant à libérer le débiteur comme une compensation.
Mais la loi devait excepter le cas où ce qui pourrait paraître une note à conserver serait, au contraire, une quittance destinée à être présentée et laissée au débiteur et sur laquelle le créancier comptait apposer sa signature, au moment même du payement : ce serait au tribunal à apprécier cette circonstance. A plus forte raison, n'y aurait-il pas lieu de croire le payement reçu, si l'on trouvait dans les papiers du créancier une quittance déjà signée de lui : si c'eût été une simple note à conserver, elle n'aurait pas été signée.
IIe Cas. Le créancier a écrit une note libératoire, soit “ sur le titre du débiteur,” qui est évidemment un des doubles originaux dressés en vertu de l'article 21 (lequel constate une dette à sa charge, en même temps qu'une créance en sa faveur), soit “ sur une quittance antérieure”, à laquelle est ajoutée la mention d'un nouveau payement. Mais, dans les deux cas, ces notes ne prouvent la libération du débiteur que si lesdites pièces sont entre les mains du débiteur : autrement, il y aurait lieu de présumer, comme au cas précédent, que ces notes ont été préparées pour être remises au débiteur contre un payement, lequel n'a pas eu lieu.
Art. 30. Pour que la preuve d'une obligation résulte contre une personne non marchande d'une écriture qu'elle n'a pas signée, il faut que, outre l'énonciation de sa dette, elle ait mentionné que ladite écriture (note ou article de registre) “ a pour but de servir de titre au créancier.” Cette condition se justifie par la considération suivante : si la mention complémentaire dont il s'agit n'a pas eu lieu, il parait bien certain que la dette a été contractée, mais il est possible qu'elle ait été éteinte, par un payement ou autrement, et que le débiteur ait négligé de le noter ou de détruire la première note, puisque le créancier n'avait pas de titre contre lui ; si, au contraire, la mention a eu lieu, comme elle vaut titre pour le créancier, alors le débiteur, en la laissant subsister, reconnaît qu'il n'est pas libéré.
Art. 31. Lorsque la loi parle d'écritures privées, non signées, elle les suppose intactes : si elles sont barrées ou cancellées biffées, elles n'ont plus de valeur. Comment pourraient-elles en conserver, puisqu'il suffirait de surcharger la cancellation pour rendre l'écriture illisible ? Mais la loi réserve le cas où il serait prouvé que la cancellation a été faite par le débiteur en fraude du créancier on, par le créancier lui-même, par erreur et à son préjudice.
Cette disposition ne concerne que les deux articles précédents ; elle n'est pas applicable aux registres des marchands, parce qu'il est contraire à la bonne tenue des registres d'y barrer, canceller ou biffer des articles : lorsqu'une erreur est commise sur un registre, on la corrige par une écriture contraire, à la dette de la découverte, avec renvois respectifs d'une écriture à l'autre.
La disposition ne s'applique pas davantage aux titres sous seing privé objets du § précédent, parce que les mots rayés ne sont, en principe, considérés comme nuis que s'ils ont été rayés au moment même de la rédaction, avec mention signée ou paraphée du nombre de mots rayés comme nuis.
La loi n'a pas répété ici que les écritures des non marchands ne peuvent être divisées par celui qui les invoque, en ce qu'elles ont de favorable et de défavorable à sa prétention : puisque ces écritures sont aussi des aveux, sous les conditions déterminées par la loi, ce sont des aveux indivisibles.
Art. 32. On a déjà eu occasion de citer un principe des preuves qui est que “ nul n'est tenu de produire en justice des preuves contre lui-même la loi le consacre ici, pour lui-même et pour le tempérament qu'il comporte.
D'abord, le principe ne concerne pas les marchands, lesquels peuvent être requis de produire les registres dont la tenue est obligatoire pour eux. Le Code de Commerce a une disposition en ce sens.
Ensuite, lorsqu'une partie, même non marchande, a volontairement produit en justice des registres ou papiers, a l'appui de sa demande ou de sa défense, elle ne peut plus les retirer avant qu'il n'en ait été extrait ce qui est relatif à la contestation ; cet extrait sera fait en présence de la partie ou, au moins, après qu'elle aura été appelée à être présente.
Cette disposition et son tempérament ne sont pas moins applicables aux titres ou écritures signées qu'aux écritures non signées ; s'ils sont placés dans la loi au sujet de ces dernières, c'est à cause de l'exception relative aux marchands qui ne concerne que leurs registres, car ils ne sont pas tenus de produire leurs titres s'ils ne les invoquent pas.
SECTION II.
DES AVEUX VERBAUX.
Art. 33. Après les aveux écrits, la loi passe aux aveux verbaux.
Leur caractère est, comme celui des aveux écrits, la reconnaissance d'un fait juridiquement défavorable à la partie qui le déclare.
L'aveu peut avoir lieu dans une instance ou hors d'une instance: il est donc judiciaire ou extrajudiciaire.
§ 1er.—DE L'AVEU JUDICIARE.
Art. 34. Le tribunal, une fois saisi, ordonne la comparution des parties pour les interroger sur les faits de la cause, s'il y voit un moyen de découvrir la vérité et de former sa conviction.
Lors même que les parties se font représenter par un avocat, les tribunaux ont souvent besoin d'entendre les parties, surtout dans les questions de bonne foi et d'intention, où les explications personnelles des parties, leur attitude, leur langage, peuvent éclairer la justice mieux que les explications et les plaidoiries des avocats.
Il pourra donc y avoir des aveux spontanés, ou du propre mouvement de la partie, et des aveux provoqués par un interrogatoire, soit d'office, soit sur la demande d'une des parties.
Le Code de Procédure civile trace à cet égard quelques règles des formes.
Art. 35. Puisque l'aveu doit faire preuve complète contre la partie qui le fait (art. suiv.), il est naturel que la loi exige chez elle “ la capacité de disposer du droit qui en dépend,” de même que cette capacité serait nécessaire s'il s'agissait pour une partie de faire une reconnaissance écrite.
Si la loi n'a pas exprimé la même condition de capacité pour les reconnaissances écrites, c'est qu'elles accompagnent presque toujours l'acte juridique, même qu'elles constatent et pour cet acte la capacité requise est la même que pour les conventions.
Quand le texte parle “ du droit qui dépend de l'aveu,” il faut l'entendre aussi bien du droit qui serait reconnu au profit de l'adversaire que de celui qu'abandonnerait la partie qui avoue.
Il faut aussi que l'aveu porte sur des faits dont la loi ne défend pas la preuve, soit en général, soit par ce moyen.
Outre les droits des personnes qui ne se constatent pas par des aveux privés, au moins en général, nous supposerons qu'une partie qui a invoqué la prescription, quand les conditions en étaient remplies, avouerait ensuite n'avoir pas payé sa dette ou acquis valablement la chose par elle possédée ; ou bien qu'une partie en faveur de laquelle un jugement acquis la force de chose jugée, même sans qu'elle s'en fût prévalue, avouerait que c'est à tort qu'elle a triomphé.
Dans ces deux cas et autres analogues, il y a une présomption d'ordre public qui ne peut être détruite par l'aveu d'un particulier, même de celui en faveur duquel la présomption est établie.
Ces solutions ne sont pas en opposition avec l'article 570 du Livre des Biens qui admet que celui qui a invoqué avec succès la prescription ou obtenu un jugement favorable passe en force de chose jugée peut cependant se reconnaître tenu d'une obligation naturelle : dans cet article 570, la loi suppose plus qu'un aveu du mal fondé de la prescription ou du jugement, elle suppose “ une reconnaissance formelle d'une obligation naturelle,” ce qui est la preuve d'une volonté de réparer
1 erreur dont on a profité et même cette reconnaissance donne à l'obligation le caractère civil. Elles ne sont pas non plus en opposition avec les articles 96 et 161, qui admettent que le bénéfice de la prescription peut être perdu pour la partie qui avoue que la présomption n'est pas fondée, en ce qui la concerne : dans ces cas, la loi suppose que l'aveu est concomitant à l'exception proposée, et il est naturel que le défendeur, la démentant en même temps qu'il l'invoque, en perde la bénéfice.
En principe l'aveu doit être fait par la partie elle-même : c'est à cette condition qu'il a une si grande force contre elle. Mais comme la partie peut être éloignée et que ce serait une grande complication que de la faire interroger par un juge-commissaire appartenant à un autre tribunal, elle peut donner un pouvoir spécial de la représenter ; mais remarquons que ce ne sera pas un pouvoir de répondre à l'interrogatoire, en quelque manière que ce soit, même par des dénégations des faits en question (autrement, toutes les garanties de sincérité disparaîtraient): ce sera un pouvoir spécial d'avouer certains faits défavorables au mandant.
Les mandataires-gérants pourront, il est vrai, être admis à répondre sur faits et articles et sans pouvoir spécial d'avouer, pour ce qui concerne leur gestion, mais alors ils seront considérés comme parties et leurs aveux nuiront tant à leur mandant dans ses rapports avec les tiers qu'à eux-mêmes dans leurs rapports avec leur mandant.
Enfin, la loi réserve les aveux permis, ou non, aux mandataires judiciaires des parties : c'est le Code de Procédure civile qui dit dans quels cas leurs aveux ont effet contre la partie qu'ils représentent et quand ils ne l'ont pas.
Art. 36. La loi détermine ici la force de l'aveu judiciaire. Cette force est la plus considérable possible : “l'aveu fait pleine foi contre celui de qui il émane.
Pour que l'aveu ait cette force probante, il faut qu il soit non seulement formulé, exprimé devant la justice, mais encore acquis à l'adversaire, ce qui a lieu lorsqu'il l'a accepté ou lorsque le tribunal en a “ donné acte ' c'est-à-dire a déclaré qu'il l'a entendu. A partir de ce moment, l'aveu ne peut être rétracté ; jusque-là il le pourrait ; mais il n'y a guère de danger que la partie qui a avoué puisse souvent retirer son aveu, car l'adversaire étant à l'audience, en personne ou par un représentant, ne manquera pas de s'emparer de l'aveu, en demandant au tribunal de lui en donner acte ; si même l'adversaire n'était pas représenté à l'audience, rien ne s'opposerait à ce que le tribunal donnât d'office acte de l'aveu, puisqu'il est saisi de la contestation et que l'aveu sera pour lui le meilleur élément de conviction.
L'aveu une fois acquis ne peut plus être rétracté purement et simplement ; mais il peut l'être pour erreur de fait, à la charge, bien entendu, de justification de cette erreur.
En effet, l'aveu est la “ reconnaissance d'un fait pouvant produire des conséquences juridiques contre celui de qui elle émane ” (art. 33). Mais rien n'est facile comme de se tromper sur la réalité d'un fait, et si l'erreur de fait peut faire annuler une convention, il est naturel qu'elle puisse de même faire annuler un aveu; il semble même que cette annulation soit encore plus facilement recevable que celle d'une convention, car dans la convention, la partie adverse a compté, dès l'origine de ce rapport de droit, sur une situation déterminée, dont elle ne doit pas être facilement privée, tandis que l'aveu n'est survenu qu'après coup, dans une situation discutée, et le changement favorable qu'il y a apporté quant à la preuve, n'ayant pas été absolument prévu, peut disparaître sans causer le même dommage que s'il s'agissait d'un avantage contractuel.
Quelques exemples de cette rétractation pour erreur de fait sont peut-être utiles.
Dans une action personnelle, le défendeur reconnaît qu'il a emprunté du demandeur une somme d'argent ou qu'il lui a acheté des denrées dont il doit encore le prix ; or, l'acte ayant été fait non par lui-même mais par son agent ou serviteur, il s'est trompé sur la personne du prêteur ou du vendeur et il le prouve : comme cet aveu erroné n'empêcherait pas qu'il fût débiteur du vrai créancier il fera annuler son aveu : autrement, il se trouverait avoir deux dettes au lieu d'une. Il en serait de même s'il avait avoué une dette réellement existante envers le demandeur, mais d'une somme moins forte qu'il ne croyait. La personne du créancier, le montant de la somme due, sont des éléments de faits de l'obligation.
On pourrait supposer de même que le demandeur a reconnu avoir reçu le payement de son débiteur, ce qui prouverait l'extinction de la dette, tandis qu'il l'avait reçu d'un autre qui a exercé ou pourra exercer contre lui la répétition de l'indu: il y aurait erreur de fait sur la personne ; ou bien, le demandeur aurait avoué avoir reçu un payement total lorsqu'en fait, il n'avait reçu qu'un payement partiel.
Dans une action réelle, le défendeur reconnaît que telle parcelle de terre qu'il possède ne fait pas partie d'une propriété qui a été vendue à son auteur ; plus tard, il retrouve un acte complémentaire ou rectificatif de la vente, ou de l'arpentage qui l'avait suivie, et en vertu duquel cette parcelle est comprise dans la vente.
Ou bien, en sens inverse, c'est le demandeur qui avoue et reconnaît que cette parcelle de terre faisait partie de la vente ; mais ensuite, il retrouve le plan qui devait être annexé à la vente et qui ne comprend pas cette parcelle.
Il est quelquefois plus difficile de séparer l'erreur de fait de l'erreur de droit, et cependant la distinction est très importante, comme on le voit à l'article suivant avec lequel la théorie va être complétée.
Art. 37. Lerreur de droit n'est ici autre chose que l'erreur sur les conséquences légales ou Juridiques du fait reconnu. Ainsi entendue, il est naturel que cette erreur n'infirme en rien la force probante de l'aveu que l'on suppose avoir porté sur un fait : le fait n'est pas moins vrai parce que la partie qui l'avoue ignore quelles conséquences en résulteront pour elle, d'après la loi et le droit ; bien mieux, l'aveu est d'autant plus sincère, et plus complet sans doute, que la partie ne prévoyait pas les effets qui en résulteraient contre elle.
Ainsi, en matière personnelle, un défendeur a reconnu une dette d'argent, mais il ignorait que la dette était de celles qui portent intérêt de plein droit, par exemple, c'était un mandataire qui avait employé à son profit des sommes provenant de sa gestion, et il a reconnu non seulement la somme dont il était reliquataire, mais encore l'emploi desdites sommes à son profit, sans autorisation du mandant : il devra les intérêts légaux du jour de l'emploi (art. 242 du Livre de l'Acquisit. des Biens et il ne sera pas admis à révoquer son aveu, sous prétexte et en prouvant qu'il ignorait cette sévérité de la loi ; de même, un défendeur ou un demandeur a reconnu une obligation de somme d'argent au profit de son adversaire et il ignorait que cette dette lui enlevait tout ou partie d'une créance contre celui-ci, par l'effet de la compensation légale : son aveu tient et la compensation aura lieu.
En matière réelle, le défendeur a reconnu qu'il savait, depuis une certaine époque, que la chose par lui possédée appartenait au demandeur; il ignorait que le possesseur doit les fruits au revendiquant depuis que sa bonne foi a cesse (art. 195 du Livre des Biens) : cette erreur de droit ne vicie pas son aveu et il rendra les fruits.
Dans une pareille action en revendication, le demandeur a avoué que certaines dépenses de conservation ou d'amélioration avaient été faites, non par lui, mais par le possesseur ; il ignorait que le revendiquant doit rembourser au possesseur les dépenses nécessaires et utiles (art. 196 même Livre): cette erreur ne l'eu exonère pas.
Nous avons dit, au sujet de l'erreur de fait, qu'elle confine quelquefois de si près à l'erreur de droit que l'on pourrait aisément s'y méprendre.
Par exemple, un défendeur a reconnu qu'il avait emprunté à usage ou reçu en dépôt du demandeur un objet que celui-ci prétend sien, et le défendeur ne lui en a pas contesté la propriété ; plus tard, il reconnaît et prouve que cet objet lui appartenait à lui-même, par conséquent, il n'en devrait pas la restitution : on pourrait dire qu'il y a là une erreur sur le droit de propriété; mais on peut dire aussi qu'il y a eu ignorance du fait juridique qui avait rendu le défendeur propriétaire avant son aveu, et cet aveu pourra être rétracté.
De même un acheteur d'immeuble, demandeur en revendication contre un tiers possesseur, a reconnu que le défendeur lui était préférable à cause d'une inscription antérieure qu'il avait ignorée d'abord ; plus tard, il découvre que cette inscription est sans effet contre lui, parce que le titre inscrit n'émane pas du vrai propriétaire : il semble bien que le demandeur invoque un principe de droit pour révoquer son aveu, et ce principe est que l'inscription n'a de valeur, comme mode de publication des mutations, que quand elle s'applique à des titres valables en eux-mêmes ; mais on peut dire aussi qu'il y a eu erreur de fait sur la personnalité de l'auteur du titre transcrit.
Pour prévenir de pareilles difficultés, le 2e alinéa de notre article introduit une proposition qu'il faut développer et justifier.
On n'a pas assez mis en relief, dans la doctrine, que l'aveu peut porter sur un fait favorable à l'adversaire ou sur le droit par lui, prétendu Or ce n'est que quand l'aveu porte sur un f a i t qu'il ne peut être révoqué pour erreur de droit, c'est-à-dire pour erreur sur les conséquences légales ou juridiques de ce fait. Mais quand celui qui avoue reconnaît le droit de son adversaire, c'est comme s'il déduisait lui-même les conséquences légales soit de certains faits qui par leur nature seraient générateurs de ce droit, soit de l'absence d'autres faits qui par eux-mêmes auraient éteint ce droit ; or, si, dans le premier cas, ces faits n'existaient pas, ou si, dans le second cas, ils existaient, la conséquence a été indûment déduite : au fond et dans le principe, il y a bien eu erreur de fait, mais, dans le résultat final, il y a erreur de droit.
(Quelquefois même il n'y aurait nulle erreur de fait, mais seulement erreur de droit ; c'est lorsque la partie, connaissant exactement les faits, en aurait mal à propos déduit l'existence ou la persistance du droit prétendu par son adversaire et l'aurait reconnu : son erreur de droit ne pourrait faire naître un droit pour autrui ou en empêcher l'extinction; l'aveu pourra donc être rétracté.
Ces trois dernières hypothèses doivent être appuyées par des exemples.
Au premier cas, un défendeur s'est reconnu débiteur d'une somme déterminée, en vertu d'un contrat antérieur de novation qui, en fait, avait été réellement consenti ; mais il découvre ensuite que cette prétendue novation était nulle, faute de cause, parce que la dette primitive qu'on avait voulu ateindre par novation était elle-même nulle à l'origine, ou éteinte au moment où on a voulu et cru la nover : il y a là une erreur de droit qui certainement permettra de faire révoquer l'aveu.
Au deuxième cas, le défendeur, créancier lui-même du demandeur et le sachant, mais ignorant que sa créance avait éteint sa dette jusqu'à due concurrence, par compensation légale, s'est reconnu débiteur de tout ce qui lui était réclamé, se réservant de faire valoir ultérieurement son propre droit : son ignorance des règles de la compensation légale ne doit pas le priver de cet avantage.
Enfin, au troisième cas, un débiteur solidaire, sachant bien que le créancier avait fait la remise de la dette à l'un de ses codébiteurs, mais ignorant que cette remise libère tous les débiteurs (art. 506, 2e al. du Livre des Biens.), s'est reconnu débiteur de tonte la dette, en retranchant seulement la part de celui auquel la remise a été faite : cette erreur de droit ne le privera pas du droit d'invoquer sa libération totale.
La justification de toutes ces solutions nous est indiquée suffisamment par le texte même.
En effet, l'erreur de droit ne peut donner naissance à une dette qui n'aurait pas de cause, ni la faire subsister quand une cause d'extinction s'en serait produite.
Et ce qui achèvera de lever tous les doutes, c'est que si le prétendu débiteur avait payé, à la suite de cet aveu, il aurait certainement la répétition de l'indu ; or, c'est un axiome de droit naturel “ qu'il est plus simple et plus juste de ne pas payer ce qu'on pourrait répéter une fois payé.”
On remarquera que, dans ces divers exemples, on n'a pas supposé que les actes antérieurs auxquels se rapportait l'aveu étaient simplement annulables pour vice de consentement ou pour incapacité. La solution devrait être la même ; en effet, l'aveu d'une obligation annulable en est bien une preuve qui dispense de produire d s titres ou d'autres preuves, mais il laisse subsister l'an-nulabilité : l'aveu ne figure pas dans les cas de confirmation tacite (v. art. 556 du Livre des Biens.) et il ne remplit pas les conditions rigoureuses de la confirmation expresse (v. art. 555).
Art. 38. Le principe de l'indivisibilité de l'aveu a déjà été déclaré applicable à l'acte sous seing privé (art. 25) et aux écritures non signées (art. 27); la loi a réservé ici de le formuler avec les limites qu'il comporte.
Il est d'une équité évidente que, lorsqu'une partie n'a pas d'autre preuve en sa faveur que l'aveu de son adversaire, elle ne puisse, lorsque cet aveu est complexe ou modifié, le décomposer à son gré, pour en prendre ce qui lui est favorable et en rejeter ce qui lui est contraire : elle doit l'accepter ou le rejeter en entier. En effet, du moment que celui qui avoue donne une garantie de sa sincérité, en reconnaissant des faits à lui défavorables et qu'il pourrait taire, il n'y a pas lieu de douter de sa bonne foi au sujet des déclarations qui restreignent la portée de cet aveu.
Ainsi, un défendeur reconnaît avoir emprunté du demandeur une somme déterminée, mais il ajoute qu'il en a remboursé une partie ou même la totalité : le demandeur ne pourra pas s'emparer de la première déclaration et rejeter la seconde, c'est-à-dire exiger la preuve directe du payement. Comment, en effet, pourrait-il exiger que le débiteur fournît une preuve écrite ou testimoniale du payement, quand lui-même n'a aucune preuve de son prêt, si ce n'est l'aveu de son débiteur. Si le débiteur était de mauvaise foi, il lui serait aussi facile de ne pas faire l'aveu du prêt que d'en alléguer faussement le remboursement.
Supposons maintenant un aveu en matière réelle Le demandeur revendique un meuble ou un immeuble comme l'ayant acheté du défendeur ; il n'a pas de titre mais le défendeur avoue qu'il lui a, en effet, vendu la chose : la preuve de la vente est complète ; mais le défendeur allègue que le prix n'a pas été payé et que, par conséquent, il a droit à la résolution de l'aliénation: cette seconde déclaration est connexe à la première, elle la modifie et elle n'en peut être séparée. Pour justifier cette indivisibilité, on dira, comme au sujet de l'exemple précédent, que si le défendeur était de mauvaise foi, il lui serait tout aussi facile de nier la vente que le payement, puisque le demandeur n'a de preuve ni de l'un ni de l'autre fait.
Mais l'indivisibilité de l'aveu ne présente pas toujours cette simplicité dans l'application ; elle comporte deux limites que nous indique le texte : la première, c'est que les faits allégués comme modifiant l'aveu doivent être “connexes au fait principal,” la second c'est que ces allégations favorables au défendeur ne soint pas démenties par une “preuve contraire” du demandeur.
Nous appliquerons immédiatement cette second limite à l'exemple précédent : lorsque le défendeur aura modifié son aveu de la vente, en alléguant que le prix n'a pas été payé, le demandeur sera nécessairement admis à faire preuve de son payement, par quittance, par témoins, ou autrement, d'après le droit commun.
De même, dans le premier exemple, celui d'un défendeur avouant un emprunt, mais alléguant l'avoir remboursé en tout ou en partie, la preuve contraire à cette allégation sera plus difficile parce qu'elle consistera à prouver un fait négatif; mais la difficulté ne tient pas à l'indivisibilité de l'aveu.
Prenons encore d'antres exemples, à cause de la difficulté de la matière.
Le défendeur à une revendication d'immeuble reconnaît bien que la propriété appartient au demandeur, mais il allègue que sa possession est fondée sur un juste titre, ce qui lui faciliterait l'acquisition des fruits, et même de la propriété par la prescription : le demandeur pourra démentir cette allégation, en prouvant que la possession est sans titre ou même précaire.
Le défendeur à une semblable revendication, tout en avouant le droit antérieur de propriété du demandeur, allègue que sa possession est à juste titre et a déjà plus de dix ans de durée : le demandeur n'est pas en situation de contester le juste titre, mais il prouve que la possession n'a pas dix ans, notamment parce qu'il possédait encore lui-même à une époque moins reculée.
Voilà des cas où, la modification de l'aveu étant écartée par la preuve contraire, l'aveu reste pur et simple en faveur du demandeur.
Voyons maintenant l'autre limite à l'indivisibilité de l'aveu, celle qui consiste dans la condition de connexité.
Voici d'abord quelques nouveaux exemples dans lesquels l'aveu reste indivisible, précisément parce que les faits allégués comme modifiant l'aveu “ sont connexes au fait principal.”
Le demandeur n'a d'autre preuve d'une promesse à lui faite que l'aven du défendeur, et celui-ci allègue que sa promesse a été faite par erreur, soit sur la cause, soit sur l'objet, soit sur la personne ; le fait de l'erreur, bien qu'antérieur à l'engagement, y est connexe ; il en serait de même si le défendeur modifiait son aveu en allégnant une violence du demandeur ou d'un tiers, ou même s'il alléguait la minorité ou une autre cause d'incapacité existant en sa personne au moment de son engagement ; sauf, dans tous ces cas, la preuve contraire permise au demandeur, et elle pourrait être facile dans le cas d'incapacité.
Nous avons déjà supposé que le défendeur, tout en avouant une dette, en a allégué le payement postérieur, total ou partiel, et nous avons établi que cette seconde allégation ne pourrait être séparée de la première. En serait-il de même si le défendeur modifiait son aveu par l'allégation d'une novation, d'une remise de dette, d'une compensation, ou d'un des autres modes d'extinction des obligations ?
Il faut, en principe, répondre affirmativement, parce que les modes d'extinction des obligations ont avec celles-ci la connexité sur laquelle se fonde l'indivisibilité de l'aveu qui nous occupe.
Sans doute, quelques-uns de ces modes sont moins fréquents que les autres, comme la novation et la remise conventionnelle, mais ils n'en sont pas moins connexes an fait principal qui est l'obligation avouée, et on peut toujours dire que si le débiteur était de mauvaise foi, il lui serait tout aussi facile, et même davantage, de nier l'obligation elle-même que d'inventer une novation ou une remise de dette dont le demandeur pourra faire la preuve contraire.
Le défendeur pourrait même alléguer une confusion ; mais comme les faits qui réunissent en une même personne les qualités opposées de créancier et de débiteur sont assez limités et faciles à vérifier (v. Liv. des Biens, art. 534), il y a peu à craindre que le défendeur l'allègue mensongèrement.
Il y a plus de difficulté au sujet de l'impossibilité d'exécuter et de la compensation.
Pour l'impossibilité d'exécuter, l'objection vient du principe d'après lequel “ le débiteur doit prouver le cas fortuit ou la force majeure qu'il invoque ” (v. Liv. des Biens, art. 541); or on pourrait dire que sa simple allégation, modificative de l'aveu de sa dette, ne peut être considérée comme une preuve en sa faveur ; mais il ne faut pas perdre de vue que cette allégation qui serait sans valeur si elle était isolée, acquiert une grande force par sa connexité avec l'aveu ; le défendeur sera donc reçu à modifier et même à détruire son aveu par la déclaration d'un cas fortuit ayant empêché l'exécution ; sauf toujours la faculté pour le créancier de prouver que le fait allégué n'a pas eu lieu ou que la cause n'en était pas fortuite, mais était due à la négligence du débiteur.
Pour la compensation, la solution doit être différente. Ainsi, le défendeur avoue sa dette, mais il allègue que, d'un autre côté, soit avant, soit après cette dette, il est devenu lui-même créancier de choses fongibles avec celle qu'il doit et, en outre, liquides et exigibles, en sorte que les deux dettes se compensent en tout ou en partie (v. Liv. des Biens, art. 520). Assurément, la compensation est une cause légale d'extinction des obligations, mais il n'y a aucune connexité d'origine entre les deux dettes et c'est ce qui fait la profonde différence entre ce mode d'extinction et les autres : le payement, la novation, la remise de la dette, ne se conçoivent pas sans une dette préalable à laquelle ces faits se rapportent et qu'ils ont pour unique but d'éteindre ; au contraire, la créance qui donne lieu à compensation est si peu connexe à la dette avouée qu'elle peut l'avoir précédée, aussi bien qu'elle a pu le suivre et que même elle aurait pu exister seule ; elle peut donc être l'objet d'une action distincte de la dette avouée et, certes, dans ce cas, le créancier ne pourrait se borner à une allégation : il devrait en fournir une preuve complète, par les moyens ordinaires ; si cette créance arrive à constituer, par compensation, un mode d'extinction des obligations, ce n'est pas par la nature des choses, mais par une raison d'utilité et de célérité reconnue par la loi, et qui ne peut changer les règles générales de la preuve.
Nous concluons que si le débiteur avoue sa dette, il ne pourra en invoquer la compensation avec une créance qu'il prétendrait lui appartenir, à moins de fournir la preuve directe de celle-ci, d'après les modes ordinaires.
Nous donnerons encore, avec une action réelle, un exemple de cas où l'aveu sera divisible parce que la seconde déclaration ne sera pas connexe au fait principal.
Un défendeur actionné en revendication d'un immeuble reconnaît bien le droit de propriété du demandeur, mais il prétend qu'il a fait pour la chose des dépenses nécessaires ou utiles, c'est-à-dire qu'il l'a conservée ou améliorée : il devra prouver ces dépenses, avec leur caractère et leur montant, car, bien que cette prétendue créance soit relative à l'immeuble, elle n'y a qu'un rapport accidentel ; en effet, la dépense aurait pu être faite par un gérant d'affaires qui ne possédait pas l'immeuble et elle aurait pu donner lieu à une action directe dans laquelle, comme au cas précédent d'une créance compensatoire, le demandeur aurait dû faire la preuve d'après le droit commun ; il n'est donc pas admissible qu'il puisse, à la faveur d'un aveu du droit du demandeur, se borner à une allégation pure et simple de sa créance.
L'importance et la difficulté de cette théorie pourrait autoriser de nouvelles hypothèses ; mais nous pensons que celles qui précèdent suffiront pour aider à résoudre les cas non prévus.
Art. 39. Généralement, tout ce qui a été fait dans une procédure est vicié par l'incompétence du tribunal, lorsque cette incompétence est reconnue en temps utile, suivant les règles qui sont déterminées par le Gode de Procédure civile et pour la loi organique des Cours et Tribunaux.
Il n'en est pas ainsi, au moins en règle générale, de l'aveu fait en justice : bien qu'il soit fait au cours d'une procédure, il n'y figure que par accident, en quelque sorte, et il est l'œuvre de la partie et non du tribunal ; l'incompétence du tribunal ne peut donc infirmer une déclaration qui tire sa force de la présomption de vérité attachée à l'intérêt qu'avait la partie à ne la pas faire ; à la vérité, le tribunal qui en a donné acte était incompétent pour juger le fond, mais il n'en était pas moins une autorité publique apte à constater un fait accompli devant elle.
Ainsi, le tribunal saisi d'une action personnelle n'était pas celui de domicile du débiteur, mais le débiteur y a reconnu son obligation : cette incompétence, quoique établie dans le seul intérêt du défendeur, ne saurait raisonnablement, par le motif indiqué plus haut, être invoquée par lui pour infirmer son aveu.
Au contraire, si le tribunal était incompétent, à raison de la matière, ce qui constituerait une incompétence absolue et d'ordre public, comme le litige ne pourrait lui être soumis en aucun cas, il n'a pas qualité pour constater un aveu qui concerne le fond du droit et doit entraîner une décision défavorable à celui qui l'a fait. Tel serait le cas où une action civile réelle ou personnelle aurait été portée devant un tribunal administratif.
La loi cependant ne refuse pas tout effet à un aveu fait devant un tribunal incompétent par raison d'ordre public : cet aveu “ vaut comme extrajudiciaire,“ avec les effets indiqués au § suivant.
On devrait donner la même décision que pour le cas d'incompétence relative, si l'aveu avait eu lieu dans une instance tombée en péremption : la péremption d'instance résultant d'une longue discontinuité des poursuites ne fait tomber que “ les actes de procédure ” proprement dits.
Enfin, la même décision s'appliquerait aussi s'il y avait désistement d'instance de la part du demandeur : assurément, si c'était le demandeur qui eût avoué un fait favorable au défendeur et qu'il en eût été donné acte à celui-ci, il ne serait pas soutenable que le demandeur, en se désistant de son action, détruisît l'effet de son aveu ; et lorsque c'est le défendeur qui a fait un aveu, le désistement du demandeur, loin d'impliquer la renonciation au bénéfice de l'aveu obtenu, s'explique plutôt par cette idée que le demandeur ayant obtenu l'aveu de son adversaire et pouvant en espérir désormais une exécution volontaire, a pu croire qu'il n'y avait pas lieu de continuer le procès.
Art. 40. De même qu'une partie assignée en reconnaissance d'écriture peut être réputée faire cette reconnaissance faute de faire une dénégation formelle de ladite écriture (v. art. 20), de même une partie peut être réputée avouer les faits litigieux sur lesquels, ayant été dûment appelée à se prononcer, elle a refusé de le faire. Cette mise en demeure pour une partie de s'expliquer sur certains faits peut avoir lieu comme préliminaire d'une enquête ou preuve testimoniale ou sur une sommation des parties à comparaître devant le juge pour répondre à un interrogatoire sur faits et articles. C'est le Code de Procédure civile qui se prononce sur les conditions auxquelles est subordonnée cette présomption d'aveu tacite (art. 111 et 353).
Art. 41. L'aveu judiciaire est naturellement verbal ; mais de ce qu'une partie serait incapable de parler, soit par accident ou maladie, soit par infirmité perpétuelle, il ne faudrait pas qu'il en résultât pour la partie adverse une impossibilité de bénéficier d'un aveu ou d'une reconnaissance qui serait dans l'intention formelle de la première. Sans doute, si la partie incapable de parler peut écrire, elle aura déjà la ressource de fournir une reconnaissance écrite ordinaire, un acte sous seing privé, qui n'est autre chose qu'un aveu écrit extrajudiciaire, comme le dit l'article 14; mais cet aveu a besoin lui-même d'être reconnu en justice ou légalement tenu pour reconnu. Il faut donc autoriser la justice à recevoir elle-même une déclaration écrite a laquelle elle donnera une authenticité spéciale, en la revêtant du sceau du tribunal, avec une mention expresse du greffier portant que ladite déclaration a été faite par écrit en présence du tribunal.
La loi devait prévoir encore le cas où une partie in capable de parler le serait aussi d'écrire ; dans ce cas, si la partie peut répondre clairement, par signes, aux questions à elle posées par le tribunal, ou par l'adversaire en présence du tribunal, et si le tribunal estime que la réponse est certaine, les règles de l'aveu verbal seront applicables.
Il va de soi qu'un pareil aveu sera très rarement sollicité et encore plus rarement accueilli par un tribunal ; mais il est bon que son admissibilité soit reconnue parla loi, de même que la loi a admis que le consentement à une proposition de contrat pût être donné par signes (v. Liv. des Biens, art. 317).
§ II.—DE L'AVEU EXTRAJUDICIAIRE.
Art. 42. Il n'y a pas besoin de définir dans la loi l'aveu extrajudiciaire : son nom même indique qu'il est fait hors de la présence de la justice. Mais ce qu'il importe de remarquer, avec le texte, c'est que si l'aveu extrajudiciaire n'a pas été fait en présence de l'adversaire ou de son représentant, légal, judiciaire ou conventionnel, il n'a aucune force probante ; la présence seule de celui qui a intérêt à s'emparer de l'aveu, à s'en prévaloir, permet de croire qui cet aveu n'a pas été fait légèrement ou dans un but incertain.
Ainsi, il pourrait arriver qu'une personne, sollicitée à faire un prêt d'argent et voulant se soustraire poliment à des importunités, déclarât mensongèrement au solliciteur qu'elle a une obligation de pareille ou plus forte somme à accomplir prochainement envers une personne qu'elle désigne nominativement, pour donner plus de force à son subterfuge ; or, il serait tout-à-fait inadmissible qui cette dernière personne, informée de la déclaration qui la concerne, s'en emparât comme d'une preuve de sa créance.
De même, sollicité de vendre un objet par quelqu'un auquel on n'ose pas opposer un refus désobligeant, on allègue avoir déjà vendu cet objet à une personne désignée: il serait impossible d'admettre que ce prétendu acquéreur pût revendiquer l'objet contre celui qui a fait cet aveu mensonger.
La loi met sur la même ligne que l'aveu verbal fait en présence de l'adversaire ou de son représentant une lettre missive ou undocument à lui adressé. II a paru bon de s'en expliquer dans la loi, afin que les tribunaux n'hésitent pas à donner à une lettre missive toute la valeur d'un acte sous seing privé, lorsqu'elle en remplit les conditions, notamment la signature, et lorsque d'ailleurs son objet a toute la précision nécessaire (comp. art. 14).
La loi ajoute à la lettre missive l'envoi ou la remise d'un document écrit contenant l'aveu ou la reconnaissance : l'expression ‘ document ” est très large et comprend toute espèce de pièce écrite ayant un caractère juridique et relative aux faits concernés par la reconnaissance.
L'aveu contenu dans une lettre ou un document a l'avantage qu'il devient ainsi une preuve écrite de l'aveu, en sorte qu'il n'y a plus qu a en examiner et apprécier la portée. Au contraire, l'aveu verbal extrajudiciaire a besoin lui-même d'être prouvé, c'est pourquoi la loi se prononce sur la manière dont il pourra l'être. Il ne reste guère, à cet égard, que la preuve testimoniale, à moins que l'aveu verbal ne soit reproduit en justice, auquel cas, il devient un aveu judiciaire: autrement, on se retrouve en présence des conditions restrictives de la preuve testimoniale telles qu'elles sont exposées plus loin (v. art. 60 et s.).
Art. 43. Dès que l'aveu extrajudiciaire est prouvé il n'y a plus de raison de lui attribuer moins de force qu'à l'aveu judiciaire; la loi renvoie donc aux trois théories qui sont propres à cet aveu, savoir : sa force probante absolue, n'admettant pas, en principe, de preuve contraire, la possibilité de le rétracter exceptionnellement pour erreur de fait, et son indivisibilité.
Néanmoins, la loi, considérant que cet aveu n'a pas eu lieu en présence de la justice, admet qu'il pourrait avoir été l'effet d'une inadvertance ou d'une surprise, et elle recommande au juge, devant lequel il pourra être invoqué plus tard, de ne tenir compte que d'un aveu assez précis et assez formel pour ne pouvoir être attribué à une pareille cause.
Art. 44. On a vu ailleurs que, dans certains cas, l'exécution volontaire, totale ou partielle, d'une obligation en vaut confirmation ou ratification tacite, si elle était attaquable pour vice de consentement ou pour incapacité (v. Liv. des Biens, art. 556), on si son existence était sujette à contestation (v. art. 22 ci-dessus). Le présent article nous dit que l'aveu tacite de la validité ou de l'existence d'une obligation par ces moyens n'est ni modifié ni supprimé par les dispositions qui précèdent. En admettant qu'on ne pût en douter, il est bon de relier dans la loi deux sortes de dispositions ayant un effet analogue.
Art. 45. On aurait pu croire qu'un aveu extrajudiciaire valablement rétracté ne laissait subsister aucun des effets qu'il avait pu produire avant la rétractation ; la loi repousse cette idée : elle veut que l'interruption de prescription qui est résultée de la reconnaissance (v. art. 109 et 118) subsiste nonobstant la rétractation. En effet, le contraire serait infiniment dangereux pour le créancier ou le titulaire d'un droit réel : s'il a obtenu une reconnaissance de son droit, peu de temps avant que le temps de la prescription soit accompli, il ne croira pas nécessaire d'intenter une action en justice avant l'accomplissement du délai, et si, plus tard, la rétractation de l'aveu vient annuler l'interruption de la prescription, le droit de l'adversaire sera perdu.
La loi maintient donc l'interruption; seulement, il ne serait pas juste qu'une nouvelle prescription dût recommencer à courir depuis la rétractation ; le demandeur ne serait plus seulement préservé d'un dommage, il trouverait un avantage inattendu et injustifiable ; la loi, pour rester dans les limites de ce qui est juste et nécessaire, autorise seulement la reprise du cours de la prescription antérieure pour le temps qui en restait à courir au moment de l'aveu, de sorte que le résultat est Je même que s'il y avait eu suspension et non interruption de la prescription (v. art. 129). Cela n'empêche pas que le fait, dans son point de départ, doive garder le nom “ d'interruption,” parce que la reconnaissance du droit en litige ne produit pas une suspension mais une interruption de prescription.
On ne trouve pas une pareille disposition pour l'aveu judiciaire rétracté ; le motif en est que cet aveu supposant une instance, c'est celle-ci qui a interrompu la prescription, et, la rétractation ne mettant pas fin à l'instance, on se trouve en présence d'une autre situation réglée à la matière de la prescription (v. art. 111 à 113).
SECTION III.
DE L'ACTE AUTHENTIQUE.
Art. 46. C'est avec l'intention de donner à l'acte authentique son véritable caractère de preuve que la loi le qualifie de “ témoignage d'un officier public.” En effet, cet officier est un témoin d'une qualité spéciale et dont l'autorité sera grande.
Voici en quoi il diffère des témoins privés :
1° Il est officier public, nommé par le Gouvernement, dans des conditions qui donnent toutes garanties de savoir et de probité ; le témoin ordinaire est une personne privée ou, du moins, elle n'intervient qu'en cette qualité ; dès lors, elle n'inspire confiance que par la solennité spéciale de sa déclaration ;
2° Il est appelé d'avance à témoigner sur des faits déterminés, qui doivent s'accomplir devant lui et pour la constatation desquels il doit avoir une compétence particulière ; le témoin ordinaire peut n'être que par hasard présent aux faits dont il pourra avoir à témoigner et ces faits sont susceptibles de toutes les variétes possibles ; ce n'est que par exception que le témoignage privé n'en est pas admis ;
3° Il ne témoigne pas devant la justice et dans une procédure spéciale : il témoigne en dehors de toute instance, devant la société en quelque sorte ; son témoignage est écrit et rédigé en certaines formes, pour valoir quand il y aura lieu ; le témoignage privé est fait en justice, oralement, et avec un effet aussi limité que l'instance dans laquelle il intervient.
D'après ce qui précède, l'acte authentique appartient à la classe des preuves dites prêconstituées, c'est-à-dire préparées à l'avance ; l'acte sous seing privé a aussi ce caractère ; mais non le témoignage des particuliers en justice.
C'est une sage mesure, de la part des parties, de se pourvoir ainsi à l'avance de la preuve de leurs droits : comme c'est au moment où les droits vont naître que la preuve en est rédigée, on aura toute facilité de préciser avec soin ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas ; si des désaccords se produisent, on pourra encore les aplanir et si l'on n'y parvient pas, on ne traitera pas, les actes ne seront pas signés. De cette façon, bien des procès seront évités : il n'y en aura que sur le sens des termes employés ou sur le point de savoir si les promesses ont été exécutées.
Le recours à un officier public (nous dirons un notaire, comme exemple) est quelquefois nécessaire : c'est quand la partie qui doit s'engager ne sait pas écrire et que l'autre partie ne veut pas se contenter de l'apposition du sceau, laquelle pourrait être matière à contestation, soit sur l'identité même de l'empreinte avec celle du sceau véritable, soit sur la réalité de son apposition par la partie; si l'on a recours au notaire, l'engagement même sera déjà prouvé par la déclaration de l'officier, puisqu'il a été pris en sa présence, et le fait de l'apposition du sceau ne pourra être contesté ; l'identite seule du sceau ne sera pas certifiée par l'officier, car il n'a pas mission de la vérifier (a).
L'acte authentique est utile, même pour ceux qui pourraient faire un acte sous seing privé, parce que l'officier conserve le minute, c'est-à-dire l'original de ses actes (sauf quelques exceptions) : on évite ainsi bien des dangers de perte ou de soustraction de la preuve. Enfin, l'officier public, ayant la confiance des deux parties et l'expérience des affaires, peut leur donner d'utiles conseils sur l'acte à faire et sur ses clauses.
Enfin l'acte authentique peut joindre à la force probante la force exécutoire sous des conditions déterminées au Code de procédure civile (art. 559, 560 et 562).
Le 1er alinéa de notre article concerne l'acte rédigé par un officier public sur la réquisition des parties.
Le 2e alinéa élargit la définition de l'acte authentique en déclarant “ authentique l'acte dressé par un fonctionnaire public agissant comme représentant d'une administration publique,” et il ne faut pas entendre cette dis(a) Nous ne citons pas ici comme nécessité du recours à la forme authentique les cas d'actes solennels dans lesquels la nécessite n'est plus pour la preuve, mais pour la solennité de Pacte, c'est-à-dire pour son existence ; bien entendu, la force probante y est également attachée position des cas seulement où les administrations figurent dans les actes comme prsonnes morales privées, mais encore des cas où elles y figurent comme autorité ; ainsi, la délivrance d'une permission, d'un ordre de faire on de ne pas faire quelque chose, sera authentiquement prouvée, en elle-même d'abord, et aussi quant au temps et au lieu où la délivrance en a été faite.
Le 3e alinéa nous indique les conditions requises pour qu'un acte ait le caractère d'authenticité; elles sont au nombre de quatre : trois sortes de coin pét en ces de l'officier et l'observation de certaines formes.
1° Les notaires et autres officiers publies ne peuvent rédiger des actes destinés à faire preuve que dans la circonscription territoriale pour laquelle ils sont institués. Ce n'est pas à dire que les parties ni même une d'elles doivent être domiciliées dans leur ressort ou circonscription ; toute personne, même non domiciliée ni même résidente dans un ressort (fût-elle en voyage), peut se présenter devant un notaire et requérir son office ; c'est le notaire qui ne peut se transporter hors de sa circonscription pour y recevoir des déclarations et y dresser des actes : il peut bien se rendre chez les particuliers, lorsqu'ils sont empêchés de se transporter devant lui au siége de sa fonction, mais à la condition que ce soit dans un lieu dépendant de son ressort : hors de son ressort : il n'est plus, légalement, qu'un simple particulier.
2° Les notaires et autres officiers publics ne peuvent dresser toutes sortes d'actes indistinctement: chacun a sa compétence pour certains actes; ce sont les notaires qui ont, à cet égard, la compétence la plus étendue : ils peuvent recevoir et dresser tous les actes civils relatifs aux biens. Les autres officiers publies et les fonctionnaires ont une compétence plus limitée et ils n'en doivent pas non plus sortir.
3° Les notaires ne peuvent dresser d'actes dans lesquels ils ont intérêt et, par une sage extension de la prohibition, ils n'en peuvent dresser qui intéressent leurs parents ou alliés à certains degrés : c'est toujours d'après le principe de raison qu'il faut éviter de placer l'homme entre son devoir et son intérêt.
4° Enfin, l'acte doit être dressé dans les formes prescrites par la loi ; ces formes sont une garantie de sincérité ; nous citerons comme principales formes : la présence de témoins instrumentaires, la présence des parties ou de leurs représentants, la lecture à leur faire de l'acte rédigé, leur signature ou l'apposition de leur sceau, ou la déclaration qu'elles n'ont pu signer no sceller.
Le dernier alinéa termine par un renvoi aux lois spéciales et aux Règlements sur la compétence des divers “officiers publics appelés à prêter leur ministère aux la déclaration quelles n'ont pusigner ou parties.”
Art. 47. Cet article détermine la force probante de l'acte authentique régulier ; la loi emploie à cet égard une formule aussi claire que simple : “ l'acte fait foi jusqu'à inscription en faux,” c'est-à-dire qu'il fera preuve complète, à moins que la partie à laquelle on l'oppose ne le prétende faux et ne l'attaque comme tel. Il ne suffirait pas, en effet, d'alléguer seulement la fausseté de l'acte : il faut encore que celui qui allègue le faux se montre prêt et résolu à le prouver, en prenant l'initiative d'une procédure civile tendant à cette preuve.
Celui qui entreprend la procédure de faux s'expose, en cas d'insuccès, à de lourdes indemnités envers l'adversaire et envers l'officier public dont la considération peut se trouver amoindrie, lors même qu'il n'aurait pas lui-même été accusé du faux.
Le Code de Procédure civile détermine la marche à suivre pour faire tomber un acte comme faux.
Nous ne parlons ici que d'une procédure civile de faux ou à fins civiles : c'est l'article suivant qui vise la procédure criminelle de faux, par forme de renvoi à la même théorie déjà présentée au sujet de l'acte sous seing privé reconnu. En effet, on ne pourrait subordonner l'invalidation de l'acte prétendu authentique à une poursuite et à une condamnation criminelles pour faux, puisque le faussaire pourrait être autre que l'officier public et resté inconnu, il pourrait aussi être décédé ou couvert par la prescription.
Le texte détermine ici quelles sont les mentions de l'acte auxquelles la foi est attachée jusqu'à inscription en faux : ce ne sont pas toutes les mentions qui s'y trouvent, mais seulement celles qui ont le caractère de “ déclarations de l'officier publie ” sur des faits accomplis par lui ou en sa présence. Ce sont là, en effet les seules parties de l'acte où, pour rappeler ce qui a été dit de son rôle, en commençant, il “ témoigne publiquement.”
Ainsi, il témoigne de ce que telles personnes se sont présentées devant lui, tel jour, quelles ont déclaré être d'accord pour telle convention portant aliénation obligation ou libération, applicable à tel objet mobilier ou immobilier ou à telle somme ou valeur ; il déclare encore qu'il a, par suite de leurs dires et faits accomplis devant lui, rédigé le présent acte, qu'il en a donné lecture aux parties, qu'elles l'ont signé en sa présence ou ont déclaré ne pouvoir signer pour telle ou telle causé, enfin que l'acte a été passé et dressé en présence de tels et tels témoins instrumentaires, en tel lieu et à telle date, lesquels témoins ont signé avec lui. Voilà une suite non interrompue de déclarations de faits à lui personnellement connus.
Aucune de ces déclarations ne pourrait être contestée sans la voie rigoureuse de l'inscription en faux.
Au contraire, si les parties ont fait des déclarations de faits antérieurs, à elles personnels et que l'officier n'a pu vérifier, la preuve, si elle existe, ne vient pas du témoignage de l'officier public.
Par exemple, les parties ont déclaré l'existence d'une obligation antérieure, au sujet de laquelle elles font devant l'officier public une novation, ou dont l'une déclare faire le payement ou l'autre la remise : l'officier témoigne bien du fait de la novation, du payement ou de la remise, mais il ne sait rien de l'obligation antérieure qu'on prétend éteindre en sa présence. Si cette obligation se trouve prouvée, c'est moins par l'acte authentique qu'à son occasion ; en effet là partie à laquelle une obligation antérieure est attribuée l'a reconnue, non-seulement par son silence, mais encore en se prêtant à son extinction. De même au cas d'aliénation d'un immeuble, si l'acheteur a dit que le prix qu'il doit se compensera, en tout ou en partie, avec une créance qu'il prétend avoir contre son vendeur, ou si le vendeur a indique l'origine de la propriété, le fait méme de ces deux déclarations relatées dans l'acte authentique ne pourra être contesté parce que l'officier public en témoigne personnellement ; mais la réalité des faits antérieurs ainsi déclarés ne sera prouvée que suivant la distinction déjà faite, au sujet des actes sous seing privé entre les énonciations qui on, un rapport direct avec le dispositif ou le complètent et celles qui n'ont pas ce caractère (v. art. 25).
Quelquefois, le plus souvent même, ce ne sera pas la sincérité du témoignage de l'officier public qui sera contestée, ce sera l'authenticité même de l'acte, c'est-à-dire son origine : on soutiendra que l'acte n'émane pas de l'officier dont il porte la désignation, la signature et le sceau.
La solution du Code est celle que la raison et l'utilité générale réclament : lorsqu'un acte a la forme extérieure et principale d'un acte authentique, il est présumé l'être en réalité ; cette forme principale consiste dans trois caractères extérieurs ; 1° l'acte est rédigé au nom d'un officier public : c'est lui qui parle dans l'acte, qui témoigne de faits qu'il se dit appelé à constater ; 2° l'acte porte sa signature manuscrite et son sceau officiel ;
3° il porte la signature des témoins instrumentaires.
Eu présence de ces formes propres à l'acte authentique, il est naturel de croire que l'acte émane vraiment dudit officier : le contraire impliquerait un faux, la fabrication d'un acte authentique simulé ; or, le faux est un crime prévu et puni par le Code pénal, et les crimes ne se présument pas ; cc n'est donc que par l'inscription en faux que la partie intéressée pourra faite tomber la présomption d'authenticité.
La procédure d'inscription en faux est nécessairement assez compliquée et c'est au Code de Procédure civile qu'on en trouve les règles et la marche.
Art. 48. Il est naturel que l'inscription en faux, une fois formée, fasse suspecter la sincérité de l'acte ; et comme les actes authentiques, à la différence des actes sous seing privé, sont souvent exécutoires sans jugement (notamment, quand ils constatent des obligations certaines, liquides et exigibles); la loi ajoute ici que la force exécutoire sera suspendue de même que la force probante.
La loi renvoie à l'article 25, déjà rappelé plus haut, pour la distinction à faire entre les diverses énonciations qui peuvent se trouver dans l'acte authentique comme dans l'acte sous seing privé : ici, comme les énonciations sont l'oeuvre des parties qui les proposent ou les acceptent, expressément ou tacitement, et non l'œuvre de l'officier publie, il ne peut y avoir de différence, quant à leur effet, entre l'acte authentique et l'acte sous seing privé.
Art. 49. Après avoir indiqué les conditions requises pour qu'un acte soit authentique et avoir réglé ses effets lorsqu'elles ont été observées, la loi suppose qu'elles ne l'ont pas été, en tout ou en partie, soit que le notaire fût incompétent sous l'un des trois rapports énoncés à l'article 46, soit que les formes requises n'eussent pas été observées.
Si l'acte ne porte ni la signature ni le sceau des parties “ qui font un sacrifice, ” c'est-à-dire qui aliènent, s'obligent ou abandonnent un droit, ledit acte est sans effet, car il n'y aurait d'autre preuve de leur intervention que dans la déclaration de l'officier portant qu'elles étaient présentes et qu'elles ont déclaré ne savoir ou ne pouvoir signer ; or, précisément, on est dans un cas où l'acte n'est pas authentique et où l'officier ne peut plus être cru, au moins comme tel ; tout au plus, pourrait-il être entendu comme témoin privé, si les faits étaient de nature et d'importance assez faible pour comporter la preuve testimoniale, d'après les règles et distinctions portées à la Section vu.
Si l'acte, irrégulier comme authentique, porte la signature écrite ou le sceau de la partie qui confère un droit à l'autre, ou abandonne un droit quelle a contre elle, l'acte, nul en tant qu'authentique, est pleinement valable comme acte sous seing privé.
La chose n'irait pas de soi, si la loi ne s'en exprimait pas, et c'est encore une grande faveur qu'elle accorde à la partie bénéficiaire de l'acte, car l'acte sous seing privé est lui-même soumis à des formes qui précisément ne sont pas observées ici ; un acte sous seing privé qui contient des engagements réciproques doit être rédigé eu double original (v. art. 21); s'il contient une obligation de somme d'argent ou autres choses de quantité, il doit porter un sceau spécial, au moins dans un cas particulier (v. art. 23); or, un acte destiné dans l'intention des parties à être authentique et dressé comme tel ne sera certainement pas rédigé en plusieurs originaux et il serait en quelque sorte injurieux pour l'officier public, de la part des parties, d'ajouter à sa déclaration un sceau spécial sur les sommes ou quantités promises, et cependant l'acte vaudra comme s'il remplissait ces conditions.
Le texte exprime le sens de cette faveur.
SECTION IV.
DES CONTRE-LETTRES.
Art. 50. La contre-lettre est un contre-écrit destiné, comme dit le texte, " à rester secret ” et portant modification, ou destruction totale ou partielle, d'un acte ostensible ; l'acte ostensible peut d'ailleurs être aussi bien authentique que sous seing privé, et même l'acte secret ou la contre-lettre, quoique le plus souvent sous seing privé, pourrait aussi être authentique, car les actes authentiques ne sont pas communiqués à qui désire les connaître et lorsqu'on les nomme actes publics, c'est pour indiquer qu'ils sont faits avec intervention d'un officier public et non pour dire qu'ils sont notoires. Mais ceux qui voudraient faire une contre-lettre par acte authentique feraient sagement d'y stipuler expressément le caractère secret c'est-à-dire purement personnel aux parties.
A raison du caractère secret des contre-lettres et de la modification qu'elles prétendent apporter à un acte ostensible, la loi craint qu'elles n'aient pour but de nuire à des tiers, c'est-à dire, ici, à des intéressés autres que les parties, et elle déclare qu'elles sont sans effet contre ceux-ci, de sorte que leur effet n'a lieu que “contre les signataires et leurs successeurs.” Les créanciers mêmes, qui, en général, subissent l'effet des actes de leur débiteur, lorsqu'ils n'ont pas été faits en fraude de leurs droite, ne sont pas tenus de subir l'effet des contre-lettres, lorsqu'elles n'étaient pas connues d'eux au moment où ils ont contracté : c'est une exception notable au principe énoncé à l'article 340 du Livre des Biens. On voit, au contraire, à l'article 52, que les contre-lettres peuvent être invoquées par les tiers et autres intéressés, mais toujours contre les parties seules ou leurs héritiers et non contre leurs créanciers.
On pourrait s'étonner, au premier abord, que les contre-lettres n'aient pas le même effet que l'acte primordial, quand on considère que celui-ci n'est pas, de sa nature, plus notoire que la contre-lettre, lorsqu'il n'est pas, à cause de son objet, soumis à l'inscription. Mais il faut remarquer que les parties, au moment où elles traitent avec des tiers, pourraient les tromper, en ne leur faisant connaître que l'acte primordial et en ayant soin de leur laisser ignorer la contre-lettre ; et ce ne serait pas préserver les tiers d'une surprise que de leur opposer une contre-lettre antérieure à leur acte : la fraude ici ne consisterait pas à avoir fait après coup un acte destiné à les frustrer, mais à leur avoir caché un acte qui les eût avertis d'une restriction aux droits de leur auteur et, par suite, à ceux qu'ils pouvaient acquérir de lui.
Quelques exemples sont nécessaires pour rendre sensible l'application de cette théorie.
Quelqu'un a souscrit une obligation de somme d'argent, comme emprunt ou comme prix d'un achat de meuble ou d'immeuble : voilà un acte ostensible, c'est-à-dire que le créancier pourra montrer à qui il aura intérêt à le faire ; en même temps ou plus tard, le créancier a remis au débiteur un acte destiné à rester secret entre eux pendant plus ou moins longtemps, et portant que cette dette n'est pas véritable ou qu'elle est moindre ; en cet état de choses, si le créancier vend à un tiers sa créance apparent, le débiteur cédé ne pourra se prévaloir contre le cessionnaire de la déclaration portant que la dette n'existe pas ou est moindre. Il en serait de même si cette créance était saisie par un tiers dans les mains du créancier apparent.
De pareilles conventions ne sont pas toujours faites dans un but frauduleux, à proprement parler, et d'ailleurs, la fraude se trouverait souvent déjouée par la prévision de la loi, mais leur but peut être de donner au créancier apparent un crédit qu'il n'aurait pas sans cela, et cette combinaison ne laisse pas que d être blâmable ; elle peut d'ailleurs favoriser après coup des fraudes qui n'étaient pas dans l'intention première des parties. Supposons, en effet, avec l'hypothèse précédent, que le débiteur vienne à tomber en faillite ou en déconfiture, que le créancier produise alors son titre dans la liquidation et que le débiteur ne lui oppose pas la contre-lettre, comme il aurait le droit de le faire, il en résultera que les créanciers véritables et légitimes dudit débiteur subiront le concours d'un faux créancier dont ils ne soupçonneront pas la collusion.
Il arrive cependant quelquefois que la contre-lettre n'a rien de frauduleux, ni même de blâmable d'après la morale la plus sévère.
Ainsi, les statuts d'une compagnie de finance ou d'industrie exigent que le gérant soit propriétaire, en son nom personnel, d'un certain nombre d'actions ou parts du capital ; c'est un gage sérieux de sa prudence et de sa vigilance, puisqu'il serait ainsi victime, comme les autres associés, de ses témérités ou de son incurie ; c'est aussi une garantie pécuniaire en cas de faute grave ou de malversation ; mais il est possible qu'il ne possède pas les fonds nécessaires pour acquérir ces actions : rien ne s'oppose à ce qu'un tiers les lui prête en les transférant à son nom, et qu'une contre-lettre déclare que ces actions continuent à être la propriété du prêteur et qu'elles devront lui être rétrocédées quand la gestion cessera. Cela ne peut nuire à personne, car ces actions sont toujours la propriété du gérant, au regard de la compagnie et des tiers intéressés, lesquels pourront les saisir s'il y a lieu, sans que la contre-lettre leur soit opposable.
Si les contre-lettres sont sans effet à l'égard des tiers, c'est parce que, de leur nature, elles sont secrètes et destinées à rester telles ; mais si, en fait, elles ont été connues des tiers qui prétendent en repousser l'effet, leur exception de nullité n'est plus fondée, ni en droit positif ni en équité. Il y aura seulement une difficulté de preuve, mais elle se résoudra d'après le droit commun : la contre-lettre étant dressée par les parties pour modifier secrètement un acte ostensible est, de leur fait même, présumée ignorée des tiers ; dès lors, c'est à la partie qui soutient que le tiers intéressé l'a connue à en faire la preuve ; seulement, elle n'est pas ici limitée à la preuve par l'aveu de l'adversaire, comme lorsqu'il s'agit de prouver qu'un acte non publié par l'inscription, lorsqu'il devait l'être, a été néanmoins connu de celui qui en repousse l'effet (v. Liv. des Biens, art. 347, et 350, 3e al.) : le caractère des deux présomptions est bien différent ; toutes deux sont légales, sans doute, mais la présomption d'ignorance des actes non inscrits, quand ils devaient l'être, est absolue et si, par exception, elle admet ia preuve contraire de l'aveu de l'adversaire, c'est parce qu'étant d'intérêt privé cette présomption ne peut profiter à celui qui, par son aveu, se condamne lui-même ; tandis qu'ici la présomption est simple et admet toute preuve contraire y compris la preuve testimoniale même au delà d'une valeur de 50 yens, car on est dans un cas où la partie intéressée ne pouvait se procurer de preuve écrite (v. art. 69-3°).
Art. 51. De ce qu'un acte a été d'abord destiné à être tenu secret, il ne suit pas qu'il doive nécessairement rester tel, malgré la volonté contraire des parties : la loi leur permet de donner à la contre-lettre “ l'effet ordinaire d'un acte ostensible,” en le rendant public parl'inscription ; mais cette forme de révélation n'est possible que pour les actes qui comportent ce mode de publicité. Ainsi, une vente d'immeuble avait été faite par acte ostensible inscrit ; mais une contre-lettre avait déclaré que la vente était simulée ; si la contre-lettre est inscrite, à son tour, le vendeur s'en prévaudra contre ceux qui traiteraient avec l'acheteur ; mais pour l'avenir seulement, “ sans rétroactivité ” comme le texte prend soin de l'exprimer.
Ainsi encore le créancier d'une dette hypothécaire inscrite avait, pour aider au crédit du débiteur, consenti à lui donner quittance de la dette, et l'hypothèque avait été radiée; mais, par une contre-lettre, le débiteur avait reconnu que sa dette hypothécaire subsistait toujours ; plus tard, le créancier n'ayant pas obtenu le payement véritable, conformément à la convention secrète, a fait rétablir son inscription, pour celle-ci valoir à sa nouvelle date ; le rétablissement ne rétroagira pas.
Quelquefois, une simple mention de la contre-lettre en marge d'une inscription suffira. Ainsi, dans le cas de vente d'immeuble, si l'acte inscrit porte quittance du prix et qu'une contre-lettre déclare qu'il est encore dû, le créancier pourra faire mentionner la contre-lettre en marge do l'inscription, à l'elïet de recouvrer son privilège pour le prix, mais avec le caractère et le rang d'une simple hypothèque (v. Liv. des Garanties, art. 181). De même, au cas d'une inscription ostensiblement radiée mais réservée par contre-lettre, cette dernière peut être mentionnée en marge de la radiation pour faire tomber celle-ci et rétablir l'inscription, pour valoir à la date de la nouvelle mention. Cette situation rappelle celle prévue à l'article 237 du Livre des Garanties ; mais elle est moins favorable au créancier qui n'opposera ici son hypothèque à aucun des créanciers inscrits antérieurement, parce qu'il a vraiment consenti à la radiation pure et simple à l'égard des tiers, tandis que l'article 237 fait entre ceux-ci une distinction qui a été justifiée à cette occasion.
Art. 52. C'est à cause de leur caractère secret que les contre-lettres n'ont pas d'effet contre les tiers, c'està-dire, dans le sens ici spécial du mot “ tiers,” contre toutes personnes autres que les parties et leurs héritiers ; mais, si elles n'ont pas d'effet contre les tiers, elles peuvent en avoir pour eux. En effet, à quelque époque que la contre-lettre leur soit révélée, lors même que ce serait après qu'ils sont devenus ayant-cause de l'une des parties, du moment qu'ils trouvent avantage à l'invoquer, ils le peuvent : c'est le droit commun des ayant-cause généraux ou particuliers.
Ainsi, un vendeur apparent, resté propriétaire en vertu de la contre-lettre, est devenu insolvable, le bien sera compris dans sa liquidation et le prix en sera distribué à ses créanciers, si la contre-lettre a été par eux découverte en temps utile ; ce bien pourrait même, en cas de découverte tardive, être l'objet d'une distribution ultérieure s'il n'avait pas été aliéné, hypothéqué ou saisi, du chef de l'acquéreur apparent.
L'inefficacité de la contre-lettre ne reparaît donc que lorsqu'il y a conflit entre les ayant-cause des deux parties, parce qu'alors, s'il s'en trouve, d'un côté, un ou plusieurs qui invoquent la contre-lettre, ils sont, d'un autre côté, en présence d'un ou plusieurs qui en repoussent l'effet.
Si le conflit existe entre l'héritier d'une partie et l'autre partie survivante ou l'héritier de l'autre également décédée, la préférence est pour la partie ou l'héritier qui invoque la contre-lettre, à charge, bien entendu, de la prendre dans son ensemble et sans la diviser, comme lorsqu'il s'agit de toute autre convention.
SECTION VI.
DES ACTES RÉCOGNITIFS.
Art. 53. La loi définit l'acte récognitif de manière à ce qu'il ne soit pas confondu avec le titre primordial : il est “ la reconnaissance d'un titre antérieur ” et son but est, soit de le remplacer, s'il a été perdu, soit de le rajeunir, pour ainsi dire, lorsqu'il est menacé de perdre sa force par la prescription.
Généralement, l'acte récognitif sera sous signature privée, et l'acte ainsi reconnu sera lui-même sous seing privé ; mais rien n'empêche qu'on remplace un acte authentique perdu ou détruit par un acte sous seing privé et un acte privé par un acte authentique.
En principe, l'acte récognitif ne dispense pas de représenter le titre primordial : il ne le remplace pas ; de sorte que son seul effet constant est celui d'interrompre la prescription (v. art. 55, 2e al.). Par conséquent, c'est dans l'acte primordial que l'on recherchera la nature et l'étendue du droit prétendu: s'il y avait dans le titre récognitif ” plus, moins ou autre chose ” que dans le titre primordial, c'est à celui-ci seul que l'on s'attacherait, et c'est précisément pour établir la similitude des deux actes que la loi veut la représentation du primordial.
Le Texte est explicite sur le cas où l'acte récognitif contiendrait moins que le primordial, car on ne doit pas plus voir une remise partielle de la dette par le créancier dans le titre récognitif qui la diminue qu'une novation dans celui qui la reproduit avec changements, ou une aggravation dans celui qui l'augmente.
Un premier cas cependant est excepté et l'exception a un double effet, à la différence des deux autres cas prévus à l'article suivant, c'est lorsque le titre récognitif porte “ qu'il est destiné à remplacer le primordial : ” il y a là l'exercice d'un droit des parties et de la liberté des conventions que la loi n'aurait aucune raison d'entraver.
Nous disons que l'exception a un double effet, en ce sens : 1° que le créancier n'est pas tenu de représenter le titre primordial, 2° que, si ce titre est représenté, par une partie ou par l'autre, c'est ce qu'il contient de plus, de moins ou de différent qui, à son tour, n'a plus de valeur et est remplacé par le nouvel acte lequel produit, tout à la fois, deux novations : celle du titre et celle de l'obligation.
Art. 54. Ici deux nouveaux cas sont exceptés de la règle que “ le titre récognitif ne dispense pas celui qui l'invoque de représenter le titre primordial." Dans chacun de ces cas, il faut d'abord que la partie qui se prévaut de l'acte récognitif, sans représenter conjointement l'acte primordial, prouve que celui-ci a été perdu : cette preuve, ne se trouvant pas limitée par la loi, se fera par tous les moyens possibles, y compris les présomptions de fait.
Le 1er cas excepté est celui où le titre récognitif “ porte qu'il reproduit la teneur du titre primordial : ” il est naturel de s'en rapporter à la déclaration de la partie qui a fait cette déclaration, du moment que le titre primordial n'est pas là pour la démentir.
Par “ teneur ” il ne faut pas entendre les termes mêmes de l'acte primordial, mais l'ensemble de ses dispositions et énonciations : ce ne serait pas reproduire la teneur de l'acte que d'en reproduire seulement “ la substance,” parce qu'il pourrait y avoir des énonciations secondaires qui ne constitueraient pas la substance, mais seraient d'un intérêt assez sérieux pour qu'il fût nécessaire de les reproduire. Cependant, si un acte récognitif déclarait reproduire “ la substance de l'acte primordial” et qu'il n'y eût pas de motifs graves de soupçonner qu'il a omis des énonciations importantes, il n'y aurait pas de raison suffisante pour rejeter la preuve faite par un tel acte.
Le 2e cas excepté est celui où le titre récognitif ayant déjà 20 ans de date, a déjà été employé seul pour fonder l'exercice du droit prétendu. Par exemple, ce titre a servi une ou plusieurs fois à obtenir les intérêts d'un capital dû dont il mentionne le chiffre.
Ce n'est pas nécessairement pour faire valoir un droit personnel ou de créance qu'un titre récognitif est invoqué : il peut être aussi invoqué à l'appui d'un droit réel.
Ainsi, un propriétaire s'est fait payer des loyers ou fermages, en se fondant sur un titre récognitif de son droit ayant 20 ans de date: il pourra invoquer le même titre pour se faire rendre le fonds, à la fin du bail.
Art. 55. Si le demandeur ne se trouve dans aucun des trois cas exceptés ci-dessus, il n'est pas dispensé de représenter le titre primordial, et si la chose lui est impossible, il ne peut plus tirer de l'acte récognitif d'autre avantage que celui d'un commencement de preuve par écrit, c'est-à-dire qu'il ne peut que prouver par témoins, comme il est dit à la Section vu, mais alors sans limite quant aux sommes ou valeurs engagées (voy. art. 70-1°).
Le dernier alinéa indique l'effet constant de l'acte récognitif, celui qui, le plus souvent, aura été seul cherché dans cet acte et que nous avons annoncé tout d'abord, à savoir “ l'interruption de la prescription.”
Deux cas sont d'ailleurs à considérer : 1° si l'acte primordial est représenté et si déjà, en considérant sa date, le temps de la prescription en est écoulé ou près de l'être, il se trouve, comme nous avons dit, rajeuni par le titre récognitif qui y restera annexé ; 2° si l'acte primordial n'est pas représenté, le cas est plus délicat : on peut se demander quelle est la valeur, la portée, d'une interruption de prescription, pour un droit dont la preuve manque au fond. La réponse est dans le précédent alinéa : Cet acte récognitif, non fortifié par un titre primordial, vaut encore comme commencement de preuve par écrit; or, si on prouve par témoins que le droit a existé, la prescription en a été interrompue par cet acte récognitif, lequel a eu ainsi deux avantages : aider à la preuve tes timoniale du droit prétendu et le préserver de la prescription.
SECTION VI.
DES COPIES DE TITRES.
Art. 56. Il est naturel que la copie d'un titre ne remplace pas l'original, au moins en principe, car la copie ne présente pas les mêmes garanties de sincérité et d'exactitude que l'original : s'il s'agit de la copie, même authentique, d'un original authentique également, elle ne présente pas les formes solennelles qui ont accompagné la rédaction de l'acte lui-même ; s'il s'agit d'une copie privée et si elle n'est pas signée, elle n'a même pas la valeur d'un acte récognitif ; ainsi les copies privées ne sont-elles pas mentionnées dans la loi : du moment qu'elles ne sont pas signées de la partie à laquelle on prétendrait les opposer, elles n'ont absolument aucune valeur juridique ; on n'en connaît légalement ni l'origine ni le but ; elles rentrent dans les notes individuelles ; elles peuvent aider la mémoire des intéressés, mais la justice n'a pas à s'en occuper.
Au contraire, les copies authentiques d'actes authentiques ou sous seing privé ont toujours une certaine force probante et elles peuvent arriver à remplacer l'acte original lui-même, comme on va le voir bientôt.
Notre premier article prescrit des précautions particulières pour ne pas déplacer sans nécessité les actes authentiques ou privés qui ont été déposés dans les minutes ou archives d'un officier public ; ces précautions se trouveront dans des Règlements spéciaux ; il sera bon que le transport de l'original au tribunal ne soit fait qu'au moment précis où le tribunal pourra en prendre connaissance, de façon à ce qu'il puisse être réintégré prompte ment aux archives de l'officier, car souvent les diverses minutes d'une période de temps plus ou moins longue se trouveront réunies et d'autres parties intéressées pourraient avoir à y recourir. On devra même permettre au tribunal de ne pas exiger ce transport, lorsque la partie qui se prévaudra de l'acte authentique en produira une copie ou expédition en bonne forme et de l'une des qualités énoncées aux trois premiers paragraphes de l'article suivant, quoique les faveurs accordées aux copies par cet article soient établies pour le cas de perte de l'original.
Pour réserver ainsi ce droit du tribunal, la loi veut que, dans ces circonstances, la production de l'original n'ait lieu “ que sur l'ordre du tribunal," et il ne manquera pas de déterminer les formes et les conditions de cette production : ” la partie intéressée pourra toujours en présenter la demande, mais le tribunal pourra ne pas l'accueillir, quand il n'y verra qu'un moyen frustratoire de gagner du temps.
Art. 57. Lorsque l'original est perdu, par quelque cause que ce soit et que cette perte est “ prouvée,” certaines copies le remplacent quant à la force probante, et cela dans quatre cas sur chacun desquels nous nous arrêterons un instant.
1er Cas. Il est d'usage que quand un acte est dressé en minute, l'officier en délivre une première copie ou expédition à la partie dont les droits sont ainsi constatés. Si même il s'agit de droits liquides et exigibles, l'expédition est revêtue de la formule exécutoire, sur l'ordre du tribunal. Si le droit est à terme ou conditionnel la formule exécutoire ne peut être délivrée qu'après l'échéance du terme on l'accomplissement de la condition.
Il est naturel que quand l'original authentique est perdu, la première copie ou expédition le remplace quant à la force probante, et il n'y a pas de raison sérieuse pour qu'elle n'obtienne pas, dans le même cas, la force exécutoire.
2e Cas. Ici, il ne s'agit plus de la première expédition, délivrée plus ou moins promptement après la rédaction de l'acte authentique par l'officier qui l'a reçu et comme suite de cette réception, mais d'une copie dressée, à une époque ultérieure, par l'officier public légalement dépositaire de la minute. Seulement, dans ce cas, une double condition est necessaire, c'est qu'il y ait eu une demande de la partie en faveur de laquelle l'acte fait preuve et que la partie adverse ait été présente, ce qui a été un contrôle légitime nécessaire à l'autorité de la copie.
La loi assimile ici à l'acte authentique dressé en minute l'acte sous seing privé qui, après avoir été reconnu en justice, aurait été, par ordre du tribunal ou du consentement des parties, déposé dans les minutes d'un officier public: comme la force probante de cette copie tient, tout à la fois, à l'autorité morale du copiste et à la présence des parties intéressées, il n'y a aucune raison de faire une différence entre la minute d'un acte authentique et l'acte sous seing privé déposé pour minute.
3e Cas. Ce cas diffère du précédent, en ce que la demande de la partie intéressée est remplacée par un ordre du tribunal et, à raison même de ce qu'il y a cette preuve d'une nécessité judiciaire, la présence des parties n'est plus exigée : il suffit qu'elles aient été “dûment appelées ” à la rédaction de la copie.
L'officier, dans ce cas, peut n'être que temporairement dépositaire de l'original, comme un greffier dans les mains duquel les minutes d'un notaire auraient été déposées pour un procès.
4e Cas. Ici, de toutes les garanties présentées par les trois premiers cas il ne reste qu'une seule : la copie a été faite par l'officier légalement dépositaire de la minute, fût-ce encore temporairement ; mais il n'y a eu ni ordre du tribunal, ni présence, ni même convocation des parties; toutes ces garanties sont remplacées par l'ancienneté de la copie : la loi se contente d'une ancienneté de 20 ans ; c'est le même délai que pour un cas d'acte récognitif (v. art. 54-2°) ; mais ce délai est suffisant pour qu'il n'y ait pas lieu de craindre une collusion frauduleuse de l'officier public, si longtemps avant tout intérêt actuel ; d'ailleurs, comme cette copie n'aurait pas la même autorité si elle avait été tenue secrète, la loi ajoute une condition qui rappelle encore celle de l'article 54-2°, à savoir que cette copie “ ait déjà été invoquée entre les parties, en justice ou extra-judiciairement, au sujet du droit prétendu et n'ait pas donné lieu à réclamations.”
Pour que le caractère de ces diverses copies soit révélé à la simple lecture, la loi prescrit pour chacune des trois premières la mention de la circonstance qui en fonde l'autorité ; quant à la quatrième copie, il n'y aura rien de particulier, puisque son autorité est faible, mais on y verra nécessairement, comme dans les autres : qu'elle a été dressée par un officier public compétent, qu'elle est certifiée conforme à l'original, enfin on verra, par sa date, si elle a l'ancienneté voulue.
Art. 58. Cet article suppose qu'une copie présentée en justice à l'appui d'une demande ou d'une exception ne remplit pas les conditions imposées ci-dessus à chacune, suivant les cas : la seule circonstance qui peut lui donner quelque autorité c'est qu'elle a été ‘‘dressée” par un officier public;” la loi n'exige pas qu'il soit légalement dépositaire de l'original ; mais il sera rare qu'il ait pu dresser cette copie sans avoir le dépôt de l'original.
Cette copie, en principe, ne remplacera pas l'original, lors même que la perte en serait prouvée ; mais elle servira de commencement de preuve par écrit, ce qui, on le verra bientôt (art. 69-1°) et on l'a déjà plusieurs fois annoncé, permet la preuve testimoniale, même pour les intérêts les plus considérables.
Du reste, lors même que la loi n'accorderait pas cette faveur à la copie qui nous occupe, la preuve testimoniale du droit en question serait toujours permise, parce que l'on est dans l'hypothèse où le titre original a été perdu et c'est un autre cas où la preuve testimoniale est permise au-delà de la limite légale de 50 yens et sans qu'il soit besoin d'une autre preuve (art. 69-3°). Ce n'est pas toutefois sans raisons que le texte reconnaît à cette copie le caractère de commencement de preuve par écrit : d'abord, cela fortifiera les témoignages qui seront produits, ensuite, cela constituera une différence notable avec les copies de copies qui, d'après l'article suivant, ne valent que comme ‘‘ simples renseignements.”
On reviendra, sous l'article suivant, à ce caractère de commencement de preuve par écrit qui n'est pas sans difficulté.
Art. 59. Ici, la copie est encore affaiblie : elle n'a pas été dressée d'après l'original, mais d'après une autre copie, probablement d'après une des copies énoncées aux deux articles précédents. On les suppose toujours dressées par un officier public, car une copie faite par un particulier ne peut raisonnablement avoir aucune force probante en justice.
La copie de copie dressée par un officier public vaut comme “ simple renseignement,” ce qui permettra au tribunal d'y puiser une présomption de fait, et ce pourrait être pour lui un moyen suffisant de former sa conviction et de décider le litige, mais “ dans les cas seulement où la preuve testimoniale est admissible ” (v. art. 88) ce qui suppose ou un litige dont l'intérêt n'excède pas 50 yens, ou des circonstances particulières (v. art. 69).
Il faut bien remarquer que, dans ce cas d'un litige, n'excédant pas 50 yens il ne sera pas nécessaire que des témoins soient effectivement produits : il suffit que cette preuve soit “ admissible.”
A ce sujet, et en rapprochant le présent article du précédent, on pourrait s'étonner qu'ici, avec un “ simple renseignemeiit,” on se contente de ce que la preuve testimoniale soit seulement admissible, tandis que dans le cas d'un “ commencement de preuve par écrit,” la preuve testimoniale doit être effectivement fournie ; mais il faut bien remarquer que, dans le cas de l'article précédent, on pourra prouver, par la réunion du commencement de preuve écrite et des témoins, toute espèce de droit, si important qu'il soit par son chiffre, taudis qu'ici la présomption de fait tirée du simple renseignement ne servira pas à prouver au-delà de 50 yens, et, lors même que des témoins seraient effectivement produits à l'appui de la présomption (ce qu'il sera toujours prudent de faire quand on aura des témoins), on ne pourrait toujours pas prouver un droit d'une importance supérieure au chiffre de 50 yens.
Notons enfin, toujours par rapprochement des deux articles, que celui qui n'aurait que le commencement de preuve par écrit de l'article précédent, sans témoins à produire, pourrait, mieux encore qu'avec le simple renseignement du présent article, faire admettre par le tribunal toute autre présomption de fait favorable à sa prétention, et alors sans être enfermé dans la limite de 50 yens, puisque le commencement de preuve par écrit exclut cette limite.
La copie de copie, objet de notre article 59 est relevée du rang de “simple renseignement” à celui de “commencement de preuve par écrit,” lorsqu'elle est faite sur le registre des inscriptions, soit qu'elle s'applique à “ un acte authentique” (2e al), tel qu'un jugement ou un acte notarié, soit qu'elle s'applique à “un acte sous seing privé reconnu en justice (3e al.). Bien plus, “ si elle a 20 ans de date et s'il en a été fait usage sans réclamation, elle devient une preuve complète” (4' al.).
Ces dispositions sont analogues à celles que nous avons vues aux articles 54 et 55 au sujet des actes récognitifs.
SECTION VII.
DE LA DÉPOSITION DES TEMOINS GU DE L'ENQUÊTE.
On a l'habitude de justifier la préférence donnée à la preuve écrite sur la preuve testimoniale, en disant que le faux témoignage est plus fréquent que le faux en écriture et que la loi doit dès lors se défier du témoignage oral des particuliers.
On ne voudrait pas ici pour restreindre la preuve testimoniale, s'appuyer sur un motif aussi injurieux à l'égard de la généralité des hommes ; on peut même dire que les faux témoignages sont moins nombreux que les faux en écriture : les témoins n'ayant aucun intérêt dans le procès ne peuvent être entraînés à un faux témoignage en justice que par corruption, par méchanceté ou par crainte ; or, les deux derniers cas sont presque invraisemblables en matière civile ; la corruption seule y est à craindre ; mais le corrupteur et le corrompu ont souvent assez de défiance l'un de l'autre pour ne pas s'engager jusqu'au bout dans cette mauvaise voie ; tandis que le faux en écriture n'exige pas de complice ou de coauteur : le coupable y agit pour lui-même, directement, secrètement, et n'a pas à partager son profit illicite.
Non-seulement cette suspicion générale du témoignage oral est injurieuse pour la société humaine, mais elle s'accorde mal avec les dispositions mêmes de la loi qui restreint le témoignage, ainsi que nous l'allons démontrer.
On va voir que le but et le caractère des restrictions légales apportées à l'emploi de la preuve testimoniale se révèle mieux par la nature de certaines exceptions que par la règle elle-même. La règle d'ailleurs est double: 1° la preuve testimoniale n'est pas recevable pour établir des faits dont l'intérêt excède 50 yens ; 2° elle est admise si l'intérêt du litige est inférieur à ce chiffre. Chacune de ces règles reçoit des exceptions ; dans certains cas, on peut prouver par témoins au-delà de 50 yens ; dans d'autres, on ne le peut même en-deçà de cette somme.
Ce n'est ni la première règle ni ses exceptions qui éclairciront notre question : on pourrait soutenir, d'une façon plausible, que la loi, en défendant la preuve testimoniale, en règle, pour les litiges d'un intérêt élevé, a craint qu'on n'en prélevât une partie pour corrompre des témoins ; quant aux exceptions déjà signalées (v. art. 169), elles s'imposaient chacune par des motifs particuliers. Mais, quand on arrive à la seconde règle et que l'on considère les exceptions qu'elle comporte à son tour (v. art. 63 et 64), la csainte de la corruption des témoins n'est plus possible.
Ainsi, s'il s'agit de prouver outre ou contre un écrit et si cc que l'on prétend en retrancher ou y ajouter est inférieur à 50 yens, le montant du litige ainsi réduit n'est plus celui que la loi considérerait comme un danger de corruption, et cependant elle en défend encore la preuve testimoniale. De même, une somme inférieure à 50 yens est réclamée comme étant le reliquat d'une somme qui a été plus forte, et cependant la preuve par témoins en est interdite.
Si le danger do la corruption des témoins ne peut expliquer toutes les dispositions de la loi, on ne peut sc contenter non plus de la clainte des erreurs de mémoire : si cette crainte explique la restriction de la preuve à des litiges peu considérables, elle ne justifie pas non plus les exceptions précédentes où l'intérêt du litige peut être très minime et doit cependant être prouvé par écrit; elle ne se concilierait pas davantage avec les exceptions inverses où des demandes considérables peuvent être prouvées par témoins.
La crainte de la multiplicité des procès et le désir de les éviter suffisent à justifier la double règle et les deux classes d'exceptions, et, précisément, les procès où se fait la procédure d'enquête ou de preuve testimoniale sont plus longs et plus coûteux.
Et d'abord, pour la prohibition même de prouver par témoins au-delà d'une certaine valeur, cette raison l'explique tout naturellement : si l'intérêt engagé dans une convention est un peu élevé, les parties peuvent bien prendre la peine de rédiger un écrit pour constater celle-ci. On ne peut objecter que la célérité des affaires ne permettra pas toujours de dresser un écrit, car les affaires urgentes pourront bénéficier de l'une des exceptions annoncées, comme rentrant dans le cas où il n'aurait pas été possible de dresser un écrit (v. art. 69-3°).
La crainte des procès ou le désir de les éviter justifie également très bien la prohibition exceptionnelle de prouver par témoins les intérêts minimes, soit contre ou outre un écrit, soit comme reliquat d'un intérêt qui a excédé le taux de 50 yens; mais comme ces exceptions nous occuperont sous les articles qui les contiennent (v. art. 63 et 64), nous n'insistons pas davantage, quant à présent.
Cette idée, qu'une trop grande latitude laissée à la preuve testimoniale multiplierait les procès, a pour corollaire l'idée inverse, à savoir que la nécessité de faire la preuve par écrit tend à les éviter ou à en réduire le nombre. En effet, si l'on pouvait toujours tenter la preuve par témoins, on se ferait aisément illusion sur l'opinion de ceux qui, par politesse ou complaisance, auraient encouragé la prétention d'un plaideur; on s'engagerait facilement dans un procès, espérant d'eux un témoignage favorable ; mais, ensuite, ils se trouveraient bien moins affirmatifs devant la justice et la cause serait perdue; mieux aurait valu, dès lors, ne pas entreprendre le procès. Cette illusion d'ailleurs serait à craindre aussi bien chez le défendeur que chez le demandeur.
Si, ait contraire, on sait qu'il faut un écrit, on aura soin de s'en munir en contractant et alors on plaidera en quelque sorte à coup sûr : l'adversaire ne se laissera appeler en justice que s'il ne peut ou ne peut se prêter à l'exécution volontaire, ou s'il conteste le sens et la portée de l'acte écrit ou même sa sincérité.
Il reste malheureusement encore un assez vaste champ aux procès sur les écrits ; mais on peut dire qu'il y en aurait infiniment plus si cette entrave légale à la preuve testimoniale n'existait pas.
Art. 60. La loi emploie l'expression de “ tout fait," parce que les écrits constatent des faits et non des choses, et comme ces faits doivent avoir un caractère juridique, elle en indique le but ou la nature qui doit être, soit de “ créer ou transférer un droit réel ou personnel, soit de le modifier ou de l'éteindre.” Cet énoncé des faits dont il doit être dressé acte par écrit rappelle celui de l'article 296 du Livre des Biens, au sujet de l'objet des conventions ; c'est qu'en effet, ce seront presque toujours des conventions dont il y aura lieu de dresser acte.
Le texte nous dit, au sujet de cette valeur de 50 yeux :
1° Qu'il suffit qu'elle soit excédée par l'intérêt d'une seule des parties pour qu'il y ait lien de dresser un écrit ; comme, à ce moment, on ne sait pas encore quelle partie se prévaudra du fait pour en faire la base d'une demande ou d'une exception, il suffît que l'intérêt d'une seule soit supérieur à 50 yens ; mais si, plus tard, ce n'est pas cette partie qui invoque le fait, et si la preuve testimoniale en est proposée par la partie dont l'intérêt est inférieur à 50 yens, il n'y a plus de motifs de défendre cette preuve (nos reviendrons sur ce point sous l'article suivant et sous l'article 64).
2° Que c'est “ au moment où le fait s'accomplit ” qu'il y a lieu d'apprécier cet intérêt; par conséquent, si l'intérêt de la partie n'excédait pas 50 yens au moment de la convention, mais, plus tard, y est devenu supérieur, il n'y a pas moins lieu à la preuve testimoniale ; en effet il serait impossible d'obtenir de l'adversaire un titre écrit lorsqu'il n'y a plus lui-même aucun avantage, lorsque peut-être même il se propose de contester la prétention dont il s'agit.
Le 2e alinéa pose une seconde règle qui est le corollaire de la première : la preuve testimoniale est inter lite devant les tribunaux au-delà de la valeur sus énoncée, sauf les exceptions réservées par la loi, lesquelles se trouvent soit dans la loi, en général, ce qui vise surtout le présent Code (v. art 69). soit dans le Code de Commerce, spécialement. Ces exceptions ne seront pas nécessairement explicites ou expresses : la loi admet qu'elles pourront résulter “ implicitement” de ses dispositions.
Le texte n'exprime pas une autre régle qui est aussi le corollaire de la première, à savoir que la preuve testimoniale est admise lorsque l'intérêt n'excède pas 50 yens. Cette règle implicite comporte elle-même quelques exceptions formelles qui se présenteront sous les articles 63 et 64.
Art. 61. Les contrats synallagmatiques pourraient donner lieu, si la loi ne s'en expliquait pas, a une difficulté particulière, au sujet de la manière d'apprécier la valeur de l'intérêt engagé : si aucun des deux intérêts, pris séparément, n'excédait 50 yens, mais que cette valeur fût excédée par leur réunion, on pourrait croire qu'il doit être dressé un écrit et que la preuve testimoniale de la convention est interdite; mais la loi n'est pas si rigoureuse : on ne s'attache qu'au droit ou à l'intérêt le plus élevé des deux, et si aucun n'excède 50 yens, on pourra ne pas dresser d'écrit. Ainsi, pour la vente d'un objet de 50 yens la réunion des intérêts engagés est bien de 100 yens, mais chaque partie n'a intérêt que pour 50. Il sera rare, dans un contrat synallagmatique, que les deux intérêts ne soient pas égaux, car ce contrat est généralement commutatif, c'est-à-dire que ce que l'une des parties en obtient est considéré comme l'équivalent de ce qu'elle y promet ou fournit, mais si l'on suppose la vente d'un meuble au-dessous de sa valeur réelle : par exemple, un meuble valant 60 yens a été vendu 50, l'une des parties, l'acheteur, a un intérêt excédant 50 yens et le vendeur non.
Dans ce cas, une autre difficulté se présente : si c'est le vendeur qui poursuit l'acheteur en payement du prix, offrant en même temps de livrer la chose, ou l'ayant déjà livrée, comme il ne réclame que 50 yens, peut-il prouver le contrat par témoins ? Il faut le décider, sans hésiter: la justice n'est appelée à connaître que d'un intérêt de 50 yens, la valeur réelle de la chose n'est pas l'objet de son examen, et l'acheteur ne serait ni raisonnablement, ni équitablement recevable à alléguer que, la chose valant plus qu'il ne doit la payer, ou aurait dû dresser un écrit.
Art. 62. Le point en litige, du côté du demandeur ou du défendeur, ne présente pas toujours une valeur certaine et liquide qui permette de reconnaître, au premier abord, si elle excède ou non 50 yens; dans ce cas, il est nécessaire, si les parties ne sont pas d'accord sur la production de la preuve testimoniale, que le tribunal se prononce préalablement sur cette valeur ; ce ne sera, d'ailleurs, que d'une façon “provisoire” et sans qu'il soit lié pour le jugement de la condamnation au fond : il pourra faire lui-même cette estimation “d'après les éléments de la cause,” après avoir entendu les dires des parties, si ces éléments ne lui suffisent pas, il recourra à une expertise. Les parties feront sagement de se prêter à une estimation amiable qui évitera des frais hors de proportion avec un litige d'aussi peu d'importance.
Art. 63. La loi arrive à une série d'exceptions aux deux règles qui précèdent.
Il s'agit ici de cas où, bien que le litige n'excède pas 50 yens, on ne pourra en faire preuve par témoins.
Un acte authentique ou privé a été dressé, soit qu'il le fallût, parce que l'intérêt en jeu excédait 50 yens, soit qu'on eût préféré cette preuve à celle par témoins, quoique celle-ci fût permise : une partie prétendrait prouver que, par erreur ou autrement, l'acte est inexact, quant à la valeur qui y est portée ; elle voudrait prouver que cette somme ou valeur est inférieure ou supérieure de 30, 40 ou 50 yens à la réalité ; dans le premier cas, elle voudrait “ prouver contre l'écrit,” dans le second cas “ outre ledit écrit : ” la loi le lui interdit. Cependant ce litige spécial n'a pas un intérêt supérieur à 50 yens.
De même, une partie allègue “ qu'avant, pendant ou après la rédaction de l'acte,” il a été dit ou fait par les parties quelque chose qui modifie la portée de l'acte, c'est-à-dire l'intérêt engagé ; cette modification n'a peut-être pas un intérêt excédant 50 yens, cependant la preuve par témoins n'en est pas permise. Le motif est, bien évidemment, celui auquel nous avons rattaché tout le système de la loi : ce n'est pas la crainte de la corruption des témoins, puisque l'intérêt est minime, c'est la crainte de multiplier les procès ; puisqu'il a été dressé un écrit, obligatoirement ou facultativement, il y fallait énoncer tout ce qu'il importait aux parties de prouver ; il est d'ailleurs vraisemblable que cela a été fait et que la prétention contraire est mal fondée ; elle ne pourra donc être justifiée que par un autre écrit ou par l'aven de la partie adverse, à moins qu'on ne se retrouve dans un des cas exceptionnels où la preuve testimoniale est permise au-delà de 50 yens (v. art. 69).
On pourrait, par une raison plus spécieuse que fondée, croire que la prohibition de prouver contre un écrit empêcherait de prouver l'extinction ou la modification du droit constaté par écrit ; la loi ne permettra pas qu'on cède à cette illusion: prouver qu'une obligation a été exécutée, ce n'est pas démentir l'écrit qui l'a constatée, c'est plutôt confirmer qu'elle a été créée; l'exécution est la suite normale de toute obligation. Si les autres modes d'extinction des obligations ont quelque chose de plus accidentel, ils n'en sont pas moins aussi une des suites qu'elles peuvent avoir. En somme, ce n'est pas parce que la naissance d'une obligation a été constatée par écrit que son extinction doit nécessairement lêtre de la même manière.
Ce qui la loi dit de l'extinction d'un droit personnel, elle le dit aussi de l'extinction d'un droit réel, et comme la novation proprement dite ne s'applique pas aux droits réels, le mot est remplacé, à leur égard par celui de “ modification.”
Bien entendu, et la loi a soin de l'expliquer, cette preuve testimoniale de l'extinction ou de la modification des droits qui n'est pas exclue par la seule circonstance qu'il y a eu un écrit originaire pour les constater, est enfermée dans la limite légale de 50 yens, à moins qu'on ne soit dans une des exceptions. Ainsi une obligation de 100 yens est constatée par écrit : le débiteur ne pourrait pas prouver par témoins qu'il en a effectué le paye ment intégral, en une seule fois ; mais il pourrait prouver qu'il a donné un à-compte de 50 yens ou moins.
Pourrait-il prouver séparément plusieurs payements successifs contenus chacun dans la même limite et éteignant toute la dette ? Le cas pouvait faire difficulté et il est réglé par les articles 67 et 68.
Si l'écrit ne porte pas la date de l'acte ou le lieu où il a été passé, et si ces circonstances n'ont pas par elles-mêmes d'intérêt pécuniaire appréciable, ou n'élèvent pas l'intérêt du litige au-delà de 50 yens, la preuve testimoniale n'en est pas défendue ; il en est de même de l'omission de l'époque et du lieu qui auraient été ” fixés verbalement ” pour l'exécution et qui auraient été omis dans l'acte.
Remarquons, au sujet de ces deux sortes de lieux et de date, une différence nécessaire de rédaction ; au premier cas, le lieu et la date du contrat sont des faits virtuels, inséparables de tout acte, ils ne sont pas l'effet d'une convention spéciale des parties : du moment qu'elles contractent, cela implique nécessairement un lieu et un temps de l'année, mais elles ont omis d'en faire mention ; au second cas, le lieu et le temps de l'exécution ont dû être fixés spécialement par les parties : autrement, l'exécution serait exigible immédiatement fv. Liv. des Biens, art. 402) et le lieu d'exécution se trouverait légalement déterminé, suivant certaines distinctions (v. art. 468 du même Livre) ; l'omission a donc consisté à ne pas mentionner dans l'acte le temps et le lieu convenus verbalement pour l'exécution.
Le texte subordonne la preuve testimoniale de ces deux sortes d'époques et de lieux à la condition qu'elles ne présentent pas un intérêt supérieur à 50 yens, avec le principal. La première date, celle du contrat, présenterait un intérêt considérable, un intérêt égal à celui de la validité de l'acte, si la date alléguée par le débiteur ou l'aliénateur coïncidait avec une époque où il se trouvait incapable de s'obliger ou d'aliéner; le lieu du contrat étant, dans certains cas, celui où doit se faire la délivrance (v. Liv. des Biens, art. 333, dern. al.) peut présenter l'intérêt d'un transport coûteux à faire ou à ne pas faire. La date fixée pour l'exécution peut, elle aussi, intéresser l'existence même du droit, car, suivant qu'elle est plus ou moins ancienne, le droit peut être éteint ou non par la prescription ; le lieu fixé pour l'exécution peut présenter le même intérêt que plus haut, par les frais de transport des personnes et des choses, auxquels il faut ajouter, pour les payements de sommes d'argent, les frais de change dits “ de place ” (v. art. 4(58 du même Livre).
Art. 64. Cet article présente deux nouvelles exceptions à la règle que la preuve testimoniale est permise quand l'intérêt en jeu n'excède pas 50 yens.
La première est le cas où une demande ou un moyen de défense présentait d'abord un intérêt ou un chiffre supérieur à 50 yens, mais où la partie, pour rentrer dans les limites de la loi, a réduit sa prétention à ce chiffre : la loi ne voit là qu'un artifice pour échapper à sa sanction, et elle maintient celle-ci, comme peine de l'inobservation de sa disposition qui prescrivait la rédaction d'un écrit.
La deuxième exception se justifie de la même manière.
Art. 65. La loi devait prévoir une objection qui se présente à l'esprit, en présence des deux exceptions qui précèdent : on pourrait dire qu'il n'y aura guère de sanction à la défense de prouver par témoins la valeur réduite ou le reliquat d'une somme supérieure à 50 yens, car ce n'est évidemment pas l'adversaire qui entreprendra de prouver qu'il doit ou a dû plus qu'on ne lui demande ou qu'il a reçu plus qu'on ne le lui oppose dans l'exception de payement : son allégation seule, en ce sens, serait déjà un aveu qui le ferait succomber dans sa défense ou dans sa demande ; dès lors, quelle sera la garantie que la double prohibition qui précède n'est pas éludée ? La réponse est dans le texte ep notre article : duisque les témoins sont supposés être sincères, ils ne se borneront pas à dire que le débiteur doit la somme réduite ou le reliquat réclamé, mais qu'à leur connaissance il doit ou a dû à l'origine la somme supérieure à 50 yens, en sorte qu'ils prouveront trop pour que leur témoignage soit recevable ; même réponse si un défendeur, alléguant un payement, réduisait son allégation dans la mesure où la preuve testimoniale est permise ; les témoins lui donneraient tort s'ils déposaient avoir connaissance d'un payement plus élevé. Dans ces divers cas, l'enquête quoique d'abord autorisée, serait annulée, parce qu'elle se trouverait, par l'événement, avoir été ordonnée à tort.
On pourrait objecter que cette nullité de l'enquête ne concorde pas avec l'explication donnée plus haut de la limitation de la preuve testimoniale par la crainte de la multiplicité des procès : on pourrait dire que le procès n'a pas été évité et que mieux vaudrait, puisque la preuve testimoniales été fournie, l'accepter comme moyen de décider le litige ; à quoi nous répondons : d'abord, que l'explication tirée de la crainte de la corruption des témoins ne se concilierait pas mieux avec l'annulation de l'enquête, puisque la corruption n'était plus à craindre dès que le litige n'avait qu'une valeur minime ; ensuite, que c'est bien le meilleur moyen d'empêcher l'abus de la preuve testimoniale que d'édicter qu'elle sera non avenue si elle se trouve avoir été faite indument ; or, elle a été faite indûment, quand le fait primitif à prouver devrait être constaté pas écrit.
La loi ajoute que la même sanction sera appliquée dans tous les cas où l'enquête aurait révélé des faits qui n'étaient pas susceptibles d'être prouvés par témoins : par exemple, une cause illicite d'obligation.
Art. 66. Il arrive souvent que celui qui réclame un capital prétend aussi, soit à des intérêts compensatoires, c'est-à-dire stipulés comme équivalent de la jouissance de ce capital, soit à une clause pénale pour retard dans l'exécution d'une obligation, soit enfin à des fruits naturels ou civils, comme suite de la convention de donner ; dans ces cas, si les accessoires ajoutés au principal donnent une valeur supérieure à 50 yens, la preuve testimoniale ne peut être employée pour prouver l'ensemble. Mais les accessoires pourront être abandonnés par une renonciation du demandeur, sans qu'on puisse lui objecter, avec l'article 63, qu'il “réduit sa demande ” ou qu'elle concerne “ le reste ou une partie ” d'une valeur plus forte ; en effet, ici, il y a deux droits distincts: les accessoires ne sont pas une partie du principal ; ils sont si bien l'objet d'un droit distinct du principal qu'ils sont soumis à une prescription plus courte, généralement de 5 ans (v. art. 156); or, on ne peut empêcher un créancier de renoncer aux intérêts de sa créance, ni un propriétaire aux fruits qu'il pourrait réclamer en revendiquant.
La loi va plus loin (2e al.), si les intérêts, au lieu d'être compensatoires étaient “ moratoires,” c'est-à-dire étaient la peine légale du retard dans l'exécution, on s'il s'agissait do dommages-intérêts dus légalement pour retard ou inexécution, ou de fruits perçus ou échus depuis la demande, leur réunion au principal pourrait excéder le chiffre de 50 yens, sans préjudicier à la preuve testimoniale, et la loi a bien soin de dire que ces accessoires pourraient être prouvés “ pour le tout, ” c'est-à-dire sans limites, et cela “ avec le principal, ” s'il n'excède pas 50 yens, ou “ séparément ” au cas contraire et si la dette du principal est constatée par écrit.
En effet, dans le cas de ce 2e alinéa, on ne peut re procher au demandeur de n'avoir pas exigé d'écrit : ces accessoires ne lui sont dus que depuis la convention et par une cause qui, bien qu'elle ait pu être prévue comme possible, n'était pas certaine ni de celles qu'il fallût nécessairement régler par stipulation, puisque la loi elle-même y pourvoit.
Art. 67. La disposition de cet article est incontestablement et évidemment établie dans le seul but d'éviter la multiplicité des procès : la loi ne veut pas que celui qui pourrait faire plusieurs demandes susceptibles d'être justifiées par la preuve testimoniale ait la faculté de faire autant de procès successifs : ce serait un procédé vexatoire et onéreux pour le défendeur, une surcharge pour le tribunal et un retard apporté au jugement des autres affaires.
Le demandeur devra donc réunir tous les chefs de demandes dans une seule instance, et sans distinguer de quelle cause chacun provient, que ce soit du même contrat ou de plusieurs, ou de causes autres que les conventions, et lors même que quelques-uns des droits prétendus ne seraient pas nés en la personne du demandeur mais dans celle de son auteur.
La loi toutefois apporte deux tempéraments à cette exigence ; on pourrait même dire que ce sont deux conditions nécessaires qu'elle signale plutôt qu'elle ne les apporte c'est 1° que les chefs de demandes soient “échus;” si, en effet, l'échéance n'est pas arrivée, le défendeur, ni même le demandeur, ne doit pas être privé du bénéfice du terme ; 2° que toutes les demandes soient “ de la compétence du même tribunal en effet, le respect de la compétence s'impose encore plus que le besoin d'éviter la multiplicité ces procès.
La sanction de la disposition impérative qui précède est rigoureuse mais nécessaire, c'est la déchéance, non des droits eux-mêmes qui n'auraient pas été réunis dans la procédure entamée, mais de la faculté de les prouver par témoins ; il n'y aurait pas lieu d'appliquer ici les trois exceptions que nous présentera l'article 69 déjà cité ; d'ailleurs, c'était peut-être déjà à cause de l'une de ces exceptions que la preuve testimoniale était recevable, notamment, parce qu'il y avait commencement de preuve par écrit, il est donc inadmissible que le bénéfice de l'exception soit recouvré quand le demandeur a négligé la prescription que la loi lui imposait.
Il n'y aurait pas lieu non plus aux présomptions de fait laissées à la prudence des juges, puisque cette sorte de preuve n'est admise que lorsque la preuve testimoniale l'est aussi (v. art. 88) et, précisément, cette dernière preuve est l'objet d'une déchéance formelle.
Le droit lui-même est donc bien compromis. La seule preuve qui resterait au demandeur serait l'aveu de son adversaire, sur lequel il ne faut guère compter.
Le présent article est surtout écrit pour la pluralité de demandes; mais il fallait le déclarer applicable aussi aux exceptions ou moyens de défense ; seulement, il fallait le limiter aux exceptions opposables ‘‘ à une même demande," car il ne pourrait être question d'obliger celui qui peut avoir des exceptions à les faire valoir avant d'être actionné.
Ainsi, le défendeur qui prétendrait avoir fait des payements successifs d'une même dette devrait les opposer dans la même instance, et si celle-ci contenait plusieurs demandes réunies, par application de notre article même, il devrait, à son tour, réunir tous ses moyens contre chacune.
Du reste, il y avait moins besoin de l'exprimer dans la loi, car le défendeur est suffisamment contraint à réunir tous ses moyens de défense par son intérêt et par la marche de la procédure qui se terminerait promptement par sa condamnation, s'il ne se hâtait de grouper et de faire valoir toutes scs exceptions.
Art. 68. Dans l'article précédent, la loi ne s'est pas occupée de la différence ou de la similitude des causes des diverses demandes dont elle exigeait la réunion, ni de leur montant total. Il est vraisemblable que, le plus souvent, le chiffre de 50 yens sera excédé, et ce ne sera pas, en principe, un obstacle à la preuve testimoniale : chaque demande séparée comportait cette preuve, par des témoins sans doute différents; rien ne sera changé au mode de preuve, il y aura des enquêtes multiples, il est vrai, mais une seule instance, donc économie de temps et de frais.
Dans le présent article, la loi restreint la permission de la preuve testimoniale au-delà de 50 yens, au cas où “ les droits prétendus procèdent de causes différentes : ” autrement, s'ils ont une seule cause, par exemple, le même contrat, ils ne seront susceptibles d'être prouvés par témoins que si leur valeur totale n'excède pas 50 yens.
Si, au lieu de demandes diverses, nous supposons diverses exceptions, réunies en vertu de l'article précédent, la solution sera la même. au fond ; mais avec quelques distinctions nécessaires dans l'application.
Supposons d'abord une seule demande à laquelle le défendeur prétendrait opposer plusieurs payements successifs : il ne pourrait prouver par témoins plus de 50 yens pour le tout, parce que ces payements, quoique distincts, ne sont pas des “causes différentes; ” mais s'il alléguait un payement de 50 yens et un prêt de 50 yens. faisant compensation à sa dette de 100 yens, il pourrait faire la preuve testimoniale des deux exceptions séparément, parce que ce sont deux causes différentes, même si elles sont survenues en sa personne ; à plus forte raison, si l'une provient de son auteur.
S'il y a plusieurs demandes, il pourra prouver par témoins le payement de chacune, quoique la somme de tous les payements excède 50 yens, pourvu que chaque dette séparée n'excède pas ce chiffre : dans ce cas, chaque exception a une cause différente, puisque les dettes l'ont également.
Art. 69. La loi arrive aux exceptions extensives de la preuve testimoniale. Elles sont au nombre de trois et on les a déjà rencontrées plusieurs fois, par anticipation. Elles permettent toutes, comme le dit le texte (Ier al.), de prouver par témoins au-delà d'une valeur de 50 yens. Mais permettront-elles également de prouver outre ou contre un écrit, ou le reliquat d'une valeur primitivement supérieure ? La question sera examinée plus loin et elle comportera des distinctions.
La première exception est le cas où ” il existe un commencement du preuve par écrit,” Cet écrit, quoiqu'imparfait, peut être authentique aussi bien que sous seing privé; en effet, un acte authentique, bien que rédigé par un officier public n'émane pas moins de celui qui y fait des déclarations et porte son adhésion, soit par sa signature ou son sceau, soit par sa déclaration approbative certifiée par l'officier.
Notre article exprime que cet écrit peut émaner non seulement de celui même auquel il est opposé, mais encore de celui par lequel il a été valablement représenté, comme un tuteur, un mandataire, un administrateur. Il faut y ajouter, naturellement, son auteur, au cas où le demandeur est un héritier.
Quant à ce que doit contenir cet écrit pour être un “ commencement de preuve,” sans être une preuve complète, la loi contente qu'il “rende vraisemblable le fait allégué;” il fallait laisser ici aux tribunaux un large pouvoir d'appréciation : du moment qu'il faut un écrit qui prouve en partie, mais non pas en entier, aucune mesure fixe de cette preuve intermédiaire ne pouvait être proposée dans la loi.
Rappelons, à ce sujet, que la loi, dans plusieurs circons tances spéciales, s'est prononcée formellement pour le caractère de “ commencement de preuve par écrit ” de certains écrits imparfaits (v. notamment, art. 25, 5 5, 53 et 59).
La deuxième exception est le cas où la partie intéressée “ a perdu son titre ; mais il faut que ce soit “ par un événement de force majeure,” ou, si c'est par un cas fortuit, il faut qu'il ne soit pas imputable à sa faute ou à sa négligence : ” autrement, tous les abus seraient à craindre et les précautions de la loi se trouveraient souvent inutiles.
Dans ce cas, il y aura deux preuves à faire par témoins : la première sera celle de la perte du titre et de la cause de cette perte, si elle n'est pas imputable à la partie ; la seconde sera la preuve de ce que portait le titre : aliénation, obligation, libération, etc. Il va sans dire que les témoins ne seront pas nécessairement les mêmes et que les deux enquêtes, quoique rapprochées, seront consécutives et séparées, puisque la seconde ne sera admise que si la première a prouvé la perte dans les conditions prévues par la loi.
La troisième exception est “ lorsqu'il n'a pas été possible de dresser un écrit : ” cette impossibilité peut résulter d'obstacles de fait ou même de droit ; l'article suivant donnant des applications particulières de cette exception nous y renvoyons pour en déterminer le caractère principal.
C'est ici qu'il convient d'examiner, comme on l'a promis, dans quelle mesure ces trois exceptions permettraient de prouver par témoins ce qui en règle devrait être prouvé par écrit.
D'abord, sans qu'il y ait de doute possible, puisque le texte l'exprime (1er al.), les trois exceptions permettent de prouver un intérêt supérieur à 50 yens. Mais elles n'ont pas toutes la même efficacité pour lever les autres prohibitions, et ce point comporte des distinctions.
La 1re exception, le cas d'un commencement de preuve par écrit, permet encore de prouver outre ou contre l'écrit principal : ainsi que les faits et dires qui ont eu lieu avant, pendant ou après sa rédaction, le texte le dît formellement Elle permettrait aussi de prouver un droit qui serait le reste ou la partie d'un droit qui aurait été supérieur ; mais, en cela, l'exception ne produirait pas un nouvel effet : du moment qu'elle aurait permis de prouver par témoins le droit tout entier, toutes les parties du droit auraient été prouvées en même temps, de même qui si un écrit avait été produit; tandis que s'il s'agit de prouver par témoins outre ou contre un écrit, d'ailleurs produit, ou des dires modifiant cet écrit, il faut un commencement de preuve par écrit rendant spécialement ces allégations vraisemblables.
Quant à la prohibition de prouver par témoins une demande ou une défense d'abord supérieure à 50 yens et qui aurait été réduite à ce chiffre dans le but de pouvoir la prouver par témoins, elle ne reçoit ici ni application ni dérogation, par la nature seule des choses : elle se rapporte à la limitation générale de la preuve testimoniale à 50 yens ; or, du moment qu'une partie sera déjà, par l'effet d'une des trois exceptions, autorisée à prouver par témoins une prétention supérieure à 50 yens, elle n'imaginera pas de réduire volontairement sa prétention au-dessous de ce chiffre pour en faire ht preuve testimoniale.
La 2e exception, le cas où le titre a été perdu, n'élargit pas autant que la 1re la possibilité de prouver par témoins : ainsi, il ne peut être permis de prouver outre ou contre l'écrit, ni les faits et dires qui l'ont précédé, accompagné ou suivi : la seule faveur ici accordée c'est de pouvoir suppléer par le témoignage la preuve écrite perdue; cela implique, il est vrai et à plus forte raison, la preuve d'un reliquat ou d'une partie des droits que pouvait constater l'écrit ; mais cette faveur ne peut raisonnablement aller jusqu'à permettre d'étendre, de restreindre ou de contredire cet écrit : ce ne serait plus suppléer à sa perte.
La 3e exception, le cas où il n'a pas été possible de dresser un écrit, exclut toute pareille difficulté, puisqu'il ne peut être question de prouver outre ou contre un écrit qui n'a jamais existé : on pourra bien prouver par témoins un droit à un reliquat ou à une partie d'une valeur quelconque, mais c'est parce qu'on a pu prouver le tout par témoins. Cette exception est donc, par le fait, la moins efficace des trois.
Art. 70. La troisième exception, c'est-à-dire le cas où il n'a pas été possible de dresser un écrit, bien que moins efficace que les autres, comme nous le disons, demande cependant quelques développements, de la part de la loi elle même, quant à ses applications.
Et d'abord, remarquons, au sujet du fait même qui donne lieu à l'exception, qu'il ne faut pas exiger une impossiblité physique et absolue de dresser un écrit ; les applications mêmes que la loi fait de l'exception aident à le prouver ; il suffit, pour que la preuve testimoniale soit recevable au-delà de 50 yens, qu'il y ait eu impossibilité morale et relative, plausible et raisonnable, d'obtenir un écrit, ce que les tribunaux apprécieront souverainement, d'après les circonstances du fait et la situation respective des personnes.
Ainsi, il serait conforme à l'esprit de la loi de voir une impossibilité morale née de la situation des personnes, dans le cas des soins donnés par un médecin à un malade ou dans le cas d'un prêt d'argent fait par un inférieur à son supérieur, comme par un domestique à son maître ou par un employé à son chef.
Il ne faut non plus rien voir de limitatif dans les trois applications que notre article fait de l'exception : cela résulte de l'emploi du mot “ notamment.”
Le premier cas est le dépôt nécessaire : la loi se réfère aux deux articles qui le prévoient ; ces articles ont été suffisamment expliqués en leur lieu (v. art. 220 et s. du Livre de l'Acq. des Biens).
Le deuxième cas est plus large et il prouve que les tribunaux doivent avoir ici un large pouvoir discrétionnaire, car la loi ne peut déterminer la nature des “ accidents et des dangers,” le degré de “ l'imprévu,” la force de la “ nécessité ” et son “ urgence."
Comme application de la loi au cas “ d'accident,” on pense naturellement à des travaux de consolidation d'un bâtiment, dans un tyhpon ou un tremblement de terre ; pour un “ danger imprévu,” ce serait un secours dans un naufrage ou dans un péril le navigation ; comme cas de “ nécessité urgente,” un prêt d'argent entre voyageurs se trouvant ensemble dans un wagon de chemin de fer ou se rencontrant dans un voyage, en sens opposé.
Le troisième cas est plus large, il repose sur cette idée peut-être un peu hardie, qu'il n'y a que dans le cas de convention que les parties ont le loisir de dresser un écrit, et encore, sauf les exceptions qui précèdent. En effet, au cas de convention non urgente, la partie intéressée à avoir la preuve du droit qu'elle va acquérir, peut toujours suspendre son consentement jusqu'à la rédaction et la remise entre ses mains d'une preuve préconstituée ; mais s'il s'agit d'obligations nées d'un enrichissement indû, d'un dommage injuste ou de la loi, il semble impossible que la partie intéressée puisse en exiger une preuve : les faits qui engendrent son droit sont, en général, étrangers à son concours et à sa volonté.
Ainsi, un gérant d'affaires pourra prouver par témoins les dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites pour le maître, parce qu'ayant géré sans mandat, il n'a pu avoir une preuve écrite de son droit ; celui qui a été victime d'un dommage causé à sa personne ou à ses biens, volontairement ou non, n'a pas pu en obtenir à son gré, une preuve écrite ; enfin, les obligations légales nées du voisinage, de la parenté ou de l'alliance, ont bien leur preuve dans la loi elle-même, quand les faits auxquels elles sont attachées sont constants, mais cas faits mêmes ne pourront, en général, être prouvés que par témoins.
Il ne faudrait pas croire cependant que dans le cas de ces trois causes d'obligations autres que la convention, il n'y aura jamais à faire de preuve par écrit ; aussi le texte apporte-t-il, à la fin de notre article, une limitation raisonnable à la dispense de production d'un écrit.
Comme exemples de cas où chacune de ces trois causes d'obligation “ présuppose un acte juridique de nature à être prouvé par écrit” et où “cette preuve devra être préalablemeut fournie,” nous citerons : pour l'enrichissement sans cause, le payement indu, où le fait même du payement devra être prouvé par écrit avant qu'on ne prouve par témoins que ce payement était indu ; pour le dommage injuste, l'abus de confiance, où la preuve écrite d'un dépôt, d'un prêt à usage ou d'un mandat devra être fournie avant la preuve par témoins du détournement ; enfin, pour l'obligation légale, l'obligation alimentaire où la preuve écrite de la parenté devra être fournie préalablement à la preuve testimoniale dit refus d'aliments.
Art. 71. C'est un point qui pouvait faire doute, que de savoir si la preuve testimoniale serait recevable devant les tribunaux hors les cas où elle est autorisée par la loi comme ci-dessus, lorsque la partie qui pourrait s'y opposer, y consentirait. Cela revient à se demander si la prohibition est d'ordre public ou d'intérêt purement privé. La solution dans le premier sens ne paraît guère contestable, soit qu'on attribue la prohibition du témoignage à la crainte de la corruption des témoins, soit qu'on l'attribue, comme on l'afait plus haut, au désir d'éviter des procès nombreux, longs et coûteux.
Cependant, la loi ne pousse pas à l'extrême les conséquences de la prohibition : du moment que la partie qui pourrait s'opposer à la preuve testimoniale consent à ce qu'elle soit fournie, le tribunal n'est plus obligé de rejeter l'enquête ; il n'est pas non plus obligé de l'autoriser : la loi lui laisse le pouvoir discrétionnaire de l'admettre ou non. Il fera sagement de ne l'admettre que si l'affaire est simple et l'intérêt du litige peu considérable.
Art. 72. Ce dernier article termine la matière par une autre règle de fond qu'on peut considérer comme la principale : elle est relative à la force probante du témoignage privé.
Il est clair qu'il ne pouvait être ici question d'une “ pleine foi ” attachée au témoignage privé, comme elle est attachée à l'acte authentique régulier, à l'acte sous seing privé reconnu et à l'aveu : bien des causes s'opposent à ce qu'une telle valeur soit donnée à cette preuve et à ce qu'elle impose la conviction au juge.
D'abord, il peut avoir été entendu des témoins en faveur des deux parties adverses, par enquête et contre-enquête ; dans ce premier cas, à moins de compter les témoins produits de part et d'autre et de décider dans le sens de la majorité, ce qui serait aussi peu raisonnable qu'inique, il faut bien laisser au juge le droit de suivre sa conviction, c'est-à-dire sa conscience et sa raison. Il faut donc admettre que le nombre et la qualité des témoins, quelque importance que le juge puisse y attacher en fait, ne modifie pas son indépendance dans l'appréciation de la preuve. On doit aller jusqu'au bout, et si l'on suppose unanimité des témoins en faveur d'une partie contre l'autre et qu'aucun d'eux n'ait été valablement récusé ou reproché, le tribunal ne serait pas lié davantage par de tels témoignages et il statuerait toujours “suivant son intime conviction.”
SECTION VIII.
DE LA COMMUNE RENOMMÉE
Art. 73. La preuve par commune renommée est et doit être infiniment plus limitée encore que la preuve testimoniale proprement dite, parce que, comme la loi a soin de l'exprimer, les témoins ne déposent pas de ce qu'ils savent par eux-mêmes, mais “ de ce qu'ils ont entendu dire par d'autres ou de ce qui leur a été révélé par la notoriété publique.” Aussi cette preuve n'est-elle admise que “ dans les cas où la loi l'autorise spécialement,” et ces cas sont peu nombreux dans le Code. Jusqu'ici, on ne peut encore citer que l'article 75 du Livre des Biens, au sujet de l'usfruitier qui a négligé de faire inventaire du mobilier dont il est appelé à jouir ; c'est une sorte de pénalité civile pour son inobservation de la loi : comme il a négligé de fournir une preuve au nu-propriétaire de ses obligations envers celui-ci, il se trouve par cela même exposé à subir une preuve testimoniale particulièrement dangereuse par sa nature et sans limite quant aux sommes ou valeurs.
Ce qui fait le danger particulier de cette preuve, c'est non seulement que le témoin ne connaît qu'indirectement les faits dont il s'agit, mais aussi que le bruit public, “ la renommée ” a toujours une tendance marquée à l'exagération.
Le texte de notre article donne aussi comme cas d'application de la preuve par commune renommée, la preuve des “ faits notoires,” lorsque la loi exige cette notoriété : le cas le plus fréquent est celui d'insolvabilité notoire (voy. art. 405 du Livre des Biens, 144 du Livre de l'Acquisition des Biens, et 18 du Livre des Garanties).
Quand la loi exige qu'un fait soit ” notoire” pour qu'on puisse l'invoquer contre une partie, c'est généralement parce que cette notoriété même devait être pour elle un avertissement de faire ou de ne pas faire ce que son intérêt ou l'intérêt d'autrui commandait, et la notoriété étant facile à prouver, cette condition simplifiera le jugement du litige.
Il ne faut pas s'étonner d'ailleurs que la loi veuille une preuve judiciaire de cette notoriété même : si notoires que soient des faits dans le public, ce n'est pas une raison certaine pour qu'ils soient connus des juges: d'abord, il peut s'agir de faits qui se sont produits hors de leur circonscription ; ensuite, même quand les juges peuvent décider d'après leur “ expérience personnelle” (v. Chapitre 1er ci-dessus), il faut que cette expérience ou connaissance personnelle des faits de la cause leur vienne de la procédure même et non pas de leur relations extérieures.
Quoique cette preuve par commune renommée soit encore moins favorable au x yeux de la loi que la preuve testimoniale, on n'y trouve pas de limite quant à la valeur de l'intérêt engagé dans le litige : le motif est, bien que la loi ne l'exprime pas, que cette preuve n'est permise que dans des cas où il n'était pas possible d'avoir un écrit et pas même des témoignages directs ordinaires.
En effet, lorsqu'il s'agit d'un usufruitier ayant négligé de faire inventaire, le nu-propriétaire, n'a pas pu se procurer, de la part de son adversaire, une preuve écrite de la consistance du mobilier. Lorsqu'il s'agit d'insolvabilité notoire, on ne peut songer à en exiger une reconnaissance écrite du débiteur, laquelle serait d'ailleurs sans valeur, à cause de son défaut d'intérêt ; on ne peut non plus exiger un témoignage direct de cette insolvabilité, par exemple de ses créanciers non payés, car le débiteur peut avoir changé de résidence, à cause du mauvais état de ses affaires ; on est donc obligé de recourir à la renommée commune, et ce n'est pas le cas de craindre soit la corruption des témoins, soit la multiplicité des procès.
CHAPITRE III.
DES PREUVES INDIRECTES.
Art. 74. Bien que les présomptions rentrent dans la nomenclature générale des Preuves, on peut les en séparer, à cause de leur nature toute particulière : c'est ainsi qu'on dit quelquefois qu'il n'y a pas lieu de faire la preuve de tel ou tel fait, parce qu'il est l'objet d'une présomption. Mais il suffit de donner à ce genre de preuve une qualification spéciale, pour éviter toute confusion, et c'est ce que fait le Code en les appelant “ preuves indirectes : ” elles forment ainsi l'opposé des diverses sortes de témoignages que le Code qualifie “ preuves directes” (v. Chap. II).
L'expression de preuve indirecte a été adoptée pour mieux faire ressortir le caractère de conjecture, de probabilité “ d'induction tirée de faits connus à des faits inconnus,” suivant les expressions mêmes de la loi.
Quand on va reprendre séparément chaque présomption, on ne manquera pas d'y faire ressortir ce caractère conjectural : elles ne proclament que des probabilités : elles appartiennent à un ordre de preuves qu'on pourrait appeler “ preuves morales si l'idée de conjecture est généralement négligée, c'est parce que certaines présomptions sont revêtues par la loi d'une telle force probante qu'elles imposent au juge la certitude ; mais cette certitude qu'on pourrait appeler “ légale ou judiciaire ” n'est pas le certitude philosophique.
Nous justifierons, dès à présent, la formule du Code, en prenant l'exemple de la présomption légale la plus forte, celle de l'autorité de la chose jugée : lorsqu'une décision judiciaire est intervenue sur un litige et que toutes les voies de recours sont épuisées, la loi présume que ce qui a été reconnu par le tribunal “ est la vérité ” (v. art. 78) ; si donc une partie tentait de soulever “ la même contestation” contre l'autre, elle serait arrêtée immédiatement et sans débat, en vertu de l'autorité de la chose jugée (v. art. 79). Il faut pourtant reconnaître que cette présomption de vérité n'est qu'une “ conjecture;” les erreurs judiciaires, dans le jugement des points de fait et des points de droit, sont malheureusement possibles, et il y a, au premier abord, quelque chose de singulier à décerner ainsi un certificat légal de vérité aux décisions judiciaires, lorsqu'elles sont devenues inattaquables. Mais si la raison répugue à imposer aux juges de la nouvelle contestation la certitude absolue des faits antérieurement reconnus ou déclarés, l'ordre public exige qu'il en soit ainsi, pour que les procès aient une fin : autrement, les mêmes contestations pourraient être indéfiniment renouvelées et l'on verrait peut-être la même partie gagner et perdre, tour à tour et plusieurs fois, le même procès.
Les présomptions sont de deux sortes ; les unes sont établies par la loi elle-même et elles portent naturellement le nom de présomptions “ légales,” les autres sont laissées, “confiées par la loi aux lumières et à la prudence des magistrats : ” ce sont les juges qui tireront des faits les inductions ou les conjectures qui détermineront leur conviction, aussi ces présomptions sont-elles dites “ de fait.”
Chacune de ces deux classes de présomptions est l'objet d'une Section.
Nous reppelons ici ce qui a été déjà dit au début de la matière des Preuves, que les présomptions ne donnent lieu à aucune disposition du Code de Procédure civile.
SECTION PREMIÈRE.
DES PRÉSOMPTIONS LEGALES.
Art. 75. Toutes les présomptions légales n'ont pas la même force probante : il y en a d'invincibles n'admettant, en principe, aucune preuve contraire et auxquelles convient surtout le nom “d'absolues;” d'autres admettent seulement certaines preuves contraires déterminées par loi ; d'autres enfin, admettent toutes les preuves contraires et, pour cette raison, sont dites “ simples.”
Pour séparer la seconde catégorie de la première, la loi ajoute à celle-ci la qualification ‘‘ d'intérêt public ” et à la seconde celle ” d'intérêt privé.” Cette distinction de deux ordres d'intérêts, toujours très différents, expliquera bien qu'aucune preuve contraire ne soit admise contre les premières présomptions, au moins en règle, tandis que certaines preuves seront toujours admises contre la seconde.
Ces trois classes de présomptions demandent naturellement des §§ séparés.
§ Ier.---DES PRÉSOMPTIONS LÉGALES ABSOLUES D'INTÉRÊT PUBLIC.
Art. 76. Après ce que nous avons dit de la première classe de présomptions légales, on pourrait s'étonner de voir que notre article les déclare susceptibles de preuve contraire “ dans les cas et par les moyens déterminés par la loi ; ” mais il faut bien reconnaître que le législateur ne peut s'interdire à lui-même d'admettre cette preuve contraire dans les cas où il le jugera à propos. D'ailleurs, nous verrons plus loin que l'autorité de la chose jugée a des degrés et que les re cours, lorsqu'ils sont encore recevables, permettent de fournir la preuve contraire de ce qui a été reconnu par les premiers juges (v. art. suiv.). Certaines prescriptions aussi, sans cesser d'être d'ordre public, comportent quelques preuves contraires (v. art. 161).
Cette réserve de la preuve contraire, mais dans les limites des prévisions de la loi, ne fera cependant pas confondre les présomptions de cette première classe avec celles de la suivante, parce que ces dernières comporteront toujours, outre les preuves contraires réservées par la loi, celle de l'aveu, soit spontané, soit provoqué par interrogatoire en justice (v. art. 86, dern. al.).
La prescription, qui est la seconde présomption absolue d'ordre public, est une théorie si considérable qu'elle réclame un grand nombre divisions et de subdivisions qui demandent qu'on lui consacre toute la IIe Partie du présent Livre.
La loi n'indique que deux présomptions légales absolues d'intérêt public ; s'il s'en trouve d'autres, plus tard, dans des lois spéciales, ce que nous ne prévoyons guère, elles seront régies par le même principe : elles n'admettront de preuves contraires que celles que les mêmes lois auront réservées.
Art. 77. Le texte de cet article nous dit que l'autorité de la chose jugée est attachée au dispositif du jugement : c'est presque dire qu'elle n'est nullement attachée à ses motifs ; mais il faut atténuer cette exclusion, en reconnaissant une certaine autorité aux motifs lorsqu'ils sont liés au dispositif de façon à n'en pouvoir être séparés sans en diminuer la portée.
Le dispositif est certainement la partie principale du jugement, c'est celle par laquelle le tribunal fait droit, soit à une demande, soit à une exception, ou par laquelle il la rejette, en même temps qu'il en déduit les conséquences, en ordonnant ou défendant certains faits qui seront l'exécution même de son jugement.
Mais, le dispositif est souvent inséparable des motifs : c'est souvent par les motif qu'il est possible de voir exactement ce qui a été jugé et ce qui a l'autorité de la chose jugée. Quand un tribunal a jugé que le demandeur était ou n'était pas propriétaire d'un objet déterminé, qu'il était créancier de telle personne ou ne l'était pas, qu'un défendeur était libéré ou non, comment pourra t-on arrêter toute tentative, par l'un ou l'autre plaideur, de provoquer un nouveau jugement, si on ne sait pour quel motif la demande ou l'exception a été admise ou écartée ?
Ainsi il a été jugé que le demandeur n'était pas propriétaire d'un bien qu'il avait revendiqué comme acheteur ; mais il pouvait être propriétaire comme légataire de son prétendu vendeur : si le demandeur ne pouvait pas revendiquer en vertu d'un legs, ce serait bien juste. De même, le tribunal a rejeté la demande d'une somme réclamée comme prêtée ; cela doit-il empêcher demander la même somme comme prix d'une chose vendue ?
Si, les motifs ont été tirés de la loi générale ou spéciale qui régit le cas litigieux, l'autorité de la chose jugée devra s'appliquer aux points de droit sur lesquels le tribunal a statué pour sa décision.
Au contraire, si les motifs n'ont que le caractère de raisonnements, ils ne font pas partie intégrante du dispositif et ils n'ont pas l'autorité de la chose jugée.
Art. 78. On n'a pas hésité à proposer d'inscrire dans la loi l'axiome de droit romain si célèbre, si nécessaire et si souvent appliqué, que “ la chose jugée est tenue pour la vérité.”
Une différence est à faire pourtant entre les jugements encore susceptibles de recours et ceux qui sont devenus irrévocables.
Mais, de ce qu'un jugement est encore susceptible d'un recours ordinaire ou extraordinaire, fondé ou prétendu tel, il ne s'ensuit pas qu'il n'ait encore aucunement l'autorité de la chose jugée : elle existe déjà et durera tant que ledit jugement n'aura pas été annulé ou réformé ; c'est au point que certains jugements sont exécutoires pendant les délais accordés pour faire opposition ou appel, et même nonobstant ces recours formés et pendants. Seulement, cette autorité n'est pas invincible tant que les voies de recours ne sont pas épuisées, par un usage sans succès ou par l'expiration des délais légaux pendant lesquels les recours étaient recevables, et les moyens de combattre ces jugements ne sont autres que lesdits recours: toute antre tentative pour les infirmer ou pour diminuer leur autorité serait sans effet.
Mais comme certaines voies de recours, notamment, la révision, peuvent ne s'ouvrir que très longtemps après la prononciation du jugement, il a fallu faire la distinction entre les voies ordinaires et les voies extraordinaires : les premières suspendant, en général, l'exécution du jugement, non seulement quand le recours est formé, mais même tant que le délai pour le former n'est pas expiré ; les secondes au contraire, n'empêchent pas l'exécution, sauf exception.
Ainsi se trouvent expliquées, en même temps que le 2e alinéa de notre article, les réserves qu'a faites l'article précédent quant à la preuve contraire.
Comme cette présomption est, à beaucoup d'égards, “ d'ordre publie,” les parties intéressées qui pourraient renoncer aux voies de recours ou en abréger le délai, ne pourraient ni se réserver un des recours quand la loi ne l'autorise pas, ni en proroger le délai : les tribunaux, d'office tiendraient pour non avenues ces dernières conventions.
Art. 79 et 80. C'est ici que la loi énonce la force de l'autorité de la chose jugée, lorsque le jugement est devenu irrévocable : elle crée une fin de non-recevoir ou exception péremptoire contre toute tentative faite pour obtenir, par voie d'action ou d'exception, une nouvelle décision judiciaire sur ce qui a déjà été l'objet dudit jugement.
Quant au point de savoir si cette fin de non-recevoir doit être invoquée par une partie ou si elle peut être suppléée d'office par le tribunal, la loi fait immédiatement à ce sujet une distinction.
1° Si le jugement rendu intéresse l'ordre public, le tribunal doit écarter d'office la nouvelle demande ou l'exception sur laquelle il a déjà été statué. Et remarquons, avec le texte, qu'il suffit que l'ordre public soit intéressé dans l'un des chefs du jugement : lors même qu'il ne le serait pas également dans tous, le tribunal ne devrait pas statuer séparément au sujet chacun, parce qu'il peut y avoir entre les divers chefs du jugement une connexité qui les rende indivisibles.
2° Si le jugement ne statue que sur des intérêt privés, il faut que l'exception de chose jugée soit ” opposée par la partie intéressée :” le tribunal ne peut la suppléer d'office.
On peut dire ainsi que, suivant la nature de la première décision, l'exception de chose jugée est elle-même d'intérêt public ou d'intérêt privé.
Du reste, la partie intéressée peut être l'une aussi bien que l'autre de celles qui avaient figuré dans le procès, et aussi bien celle qui avait succombé dans la première instance que celle qui y avait triomphé, car la partie qui a succombé peut craindre un insuccès nouveau et plus onéreux, pendant que celle qui a triomphé peut espérer un succès plus complet. En sens inverse, celle qui avait succombé pourrait espérer être mieux traitée par un nouveau jugement et celle qui a triomphé craindre de l'être moins bien. Chacune invoquera donc l'exception de chose jugée, suivant ce qu'elle croira son intérêt; si elles sont toutes deux désireuses d'obtenir un nouveau jugement, elles seront muettes sur l'exception et c'est là qu'il importe de dire que le tribunal ne peut la suppléer d'office.
On pourrait croire pourtant que l'ordre publie ne demande pas moins que l'intérêt privé la stabilité des décisions judiciaires et la diminution des procès, et que cela devrait toujours autoriser le tribunal à rejeter d'office toute nouvelle demande ou exception semblable à la première. Mais, quand on considère combien il est difficile au tribunal, même quand l'une des parties lui vient en aide, en opposant l'exception, de vérifier si les conditions en sont remplies (v. art. 81 à 84), on comprend que la loi ne lui donne le pouvoir de se prononcer d'office sur ce point que dans le cas où le premier jugement intéresse lui-même l'ordre public, ce qui n'est pas le même intérêt public que l'on invoquerait ici pour maintenir tous les premiers jugements quel que fût leur objet.
Art. 81. La grande difficulté de cette matière est, avons-nous dit, de reconnaître si la nouvelle contestation est la même que celle qui a été déjà l'objet d'un premier jugement.
Avant d'aller plus loin, nous ferons remarquer d'abord que le Code ne se borne pas, à parler d'une nouvelle “ demande ” comparée à la précédente : l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas moins aux défenses ou exceptions qu'aux demandes : sans doute, dans la pratique, ce seront le plus souvent, de nouvelles demandes qui seront écartées par l'autorité de la chose jugée, et la doctrine peut aussi tirer ses exemples courants des demandes plutôt que des exceptions ; mais la loi doit éviter de ne statuer que pour un cas, quand elle doit s'appliquer à deux.
Pour éviter toute confusion et pour ne pas employer constamment les deux expressions nous pourrons parler le plus souvent de “ la contestation ” ou de “ la prétention,” car l'exception est contenue, aussi bien que la demande, dans chacune de ces expressions, et c'est ainsi que déjà l'article 79 a parlé de “ la même contestation portée en justice par voie d'action ou d'exception.”
Il pourrait même arriver que les rôles des parties ne fussent pas les mêmes dans la première instance et dans la seconde, que celui qui aurait, élevé une prétention comme demandeur et succombé, l'élevât ensuite comme défendeur : par exemple, un contractant qui aurait intenté une action en nullité de la convention et aurait succombé, étant ensuite poursuivi pour l'exécution, prétendrait opposer l'exception de nullité ; assurément, il devrait être arrêté par l'autorité de la chose jugée et, dans ce cas, il serait aussi inexact de dire qu'il y a “ même demande ou même exception ; ” mais il y a certainement “ même contestation ou même prétention ” au sujet de la nullité.
Pour qu'il y ait lieu à l'exception de chose jugée, il faut donc qu'il y ait identité dans les deux contestations ou prétentions, or cette identité générale se décompose en trois identités particulières que le texte indique avec soin : identité d'objet de la contestation, c'est-à-dire du droit prétendu ou du fait allégué, identité de la cause de la prétention, identité des parties.
Objet, cause et parties, ce sont là, eu effet, les trois éléments de toute contestation. Chacun d'eux est repris dans les trois articles suivants.
Art. 82. Cet article est relatif à l'identité d'objet. Cet objet peut être, comme le dit l'article précédent, soit un droit (réel ou personnel) dont on demande la reconnaissance, soit un fait dont on demande la vérification et la constatation pour en tirer un avantage juridique : par exemple, un payement, une remise de dette, une prescription libératoire ; dans ces cas, il y a plutôt défense ou exception que demande, et celui qui se prétend libéré ne prétend pas à un droit pour lui-même mais à la négation d'un droit pour un autre.
C'est lorsqu'il a été statué une première fois sur une telle prétention qu'elle ne peut être soulevée de nouveau devant la justice.
Notre article ne revient pas sur le principe même de l'identité d'objet, lequel est suffisamment exprimé dans le précédent ; mais il se prononce sur un point de son application qui pouvait faire doute.
Avant d'examiner la formule proposée pour régir les cas auxquels nous faisons allusion, il est utile de nous placer en présence de la difficulté.
1° Un demandeur a revendiqué la pleine propriété d'un fonds et il a succombé, peut-il ensuite réclamer l'usufruit de ce même fonds ou une servitude sur ce fonds? Réciproquement, il a demandé, sans succès, l'usufruit ou une servitude, peut-il ensuite réclamer la pleine propriété ?
2° Un demandeur a réclamé une somme d'argent, comme due par une cause déterminée, et il a succcombé, peut-il en demander une plus forte ou une moindre, en vertu de la même cause?
Remarquons, incidemment, qu'ici l'objet de la demande ne peut être séparé de la cause, car si la cause de la seconde demande était différente de celle de la première, rien ne s'opposerait à ce qu'une somme égale, supérieure, ou inférieure, fût demandée et obtenue dans une seconde instance; car, ainsi que disaient les jurisconsultes romains, “la même chose peut nous être due plusieurs fois,” c'est-à-dire à des titres différents, “ mais elle ne peut nous appartenir plusieurs fois.”
Voyons maintenant la formule du Code qui nous fournira la solutions.
L'idée est en somme fort simple : évidemment, il n y a eu de jugé dans la première instance que ce qui a ete soumis aux juges, que ce sur quoi ils pouvaient statuer, d'après les conclusions des parties ; pour cela, quelle que soit leur décision, il y a chose jugée ; mais pour les choses que les juges ne pouvaient juger, la question reste entière pour une nouvelle instance.
Reprenons nos précédentes questions, avec le contrôle de cette formule.
1° Celui qui revendiquait la pleine propriété a succombé ; peut-il encore réclamer l'usufruit ? Cela revient à demander si le juge avait le pouvoir de ne lui reconnaître qu'un droit d'usufruit. Or, nous disons, sans hésiter, qu'il avait ce pouvoir ; car le demandeur en revendication est considéré comme ayant soutenu qu'il avait, tout à la fois, la nue propriété et l'usnfruit : le juge pouvait donc lui reconnaître les deux droits, ou un seul, on ne lui en reconnaître aucun ; tout ce qu'il lui a reconnu est jugé en sa faveur contre son adversaire; tout ce qu'il ne lui a pas reconnu est jugé négativement contre lui, en faveur de l'adversaire.
Mais le même juge saisi d'une revendication de pleine propriété, de nue propriété on d'usufruit, pouvait-il, dans la même instance, reconnaître au demandeur un droit de servitude foncière seulement ? Il ne le pouvait pas : ce droit n'est pas une partie des précédents, il est d'une autre nature. De même le juge saisi d'une demande de nue propriété n'aurait pas pu reconnaître au demandeur un droit d'usufruit, ou réciproquement : son jugement pour avoir statué sur choses non demandées, eût été attaquable en révision. Donc ce qui n'a pu être accordé dans une première instance n'a pas été non plus refusé et peut encore être demandé.
2° Celui qui a demandé comme une somme d'argent prêtée tel jour, on comme prix de tel objet vendu, a succombé, peut-il encore demander, an même titre, une somme supérieure ou inférieure ? Appliquons notre formule, par cette question : le juge pouvait-il admettre la demande pour une somme plus forte on moindre? Plus forte, assurément non : un jugement qui ” adjuge plus qu'il n'a été demandé ” est sujet aussi à recours en révision ; cependant, ce ne sera pas une raison pour qu'il soit permis au demandeur de revenir à la charge par une nouvelle demande de cet excédant, parce qu'en n'augmentant pas scs premières conclusions avant le jugement, il a reconnu lui-même qu'il n'avait pas droit à davantage.
Le juge pouvait, au contraire, accorder moins qu'il n'était demandé, parce que la demande d'une somme comprend implicitement, et à plus forte raison, celle de toute somme inférieure qui paraîtra justifiée au même titre ; si donc le juge n'a rien accordé, rien ne pourra plus être réclamé, parce qu'il a jugé que rien n'était dû ; s'il a accordé une somme quelconque dans la limite de la première demande, le chiffre ne peut être critiqué, ni par le demandeur ni par le défendeur, parce qu'il y a chose jugée.
Toutes les difficultés analogues se résoudraient par les mêmes raisonnements. Ainsi, s'il s'agit d'une exception ou défense a une action personnelle pour une somme d'argent et que le défendeur allègue avoir payé la somme entière, s'il succombe, il ne pourra plus prétendre avoir payé une partie de la somme, parce que le juge pouvait le reconnaître libéré une partie de la somme demandée : s'il est déclaré avoir payé la moitié, il ne pourra pas prétendre avoir payé plus, pace qu'il l'a déjà soutenu sans succès.
Art. 83. Cet article se rapporte surtout à l'identité de cause, avec un certain lieu avec l'identité d'objet, comme précédemment on vient de voir une certaine liaison de l'objet avec la cause.
De même que le précédent article ne statuait que sur une application délicate de l'identité d'objet, celui-ci également prévoit des difficultés sur l'identité de cause.
Mais avant la solution des cas particuliers, il convient de s'arrêter un instant sur la cause en elle-même.
Nous avons déjà eu occasion de remarquer plus haut que l'adjonction d'une cause est nécessaire quand il s'agit d'une action personnelle, car il ne signifierait rien de dire qu'on est créancier de quelqu'un si on ne disait par suite de quel fait juridique on prétend l'être : non-seulement, il faudrait absolument exprimer la cause de son droit devant le juge dans la plaidoirie, sans cela le gain du procès serait impossible, mais il faudrait aussi l'expremier dans les conclusions premières: autrement, que le procès soit gagné ou perdu, il serait, sinon impossible, au moins bien difficile, de demander un objet semblable pour une cause qui aurait déjà existé à l'époque de la première demande. On devra donc indiquer dans la demande le fait juridique auquel on attribue la naissance du droit personnel invoqué, contrat, enrichissement indu, dommage-injuste, disposition légale ; bien plus, il faudra préciser quel contrat, quelle sorte d'enrichissement indu, quel fait dommageable, quelle disposition de la loi, afin que l'autorité de la chose jugée soit limitée aux seuls faits que l'on a entendu soumettre au juge.
Ce que nous disons de la cause de la demande, il faut l'appliquer aussi à l'exception ou défense à l'action personnelle. Ainsi, il serait impossible an défendeur d'alléguer seulement qu'il est libéré, que son obligation est éteinte : il devra dire par laquelle des causes d'extinction il est libéré, et lorsqu'il invoquera l'une d'elles, comme un payement ou une remise conventionnelle, il devra encore spécifier l'époque et le mode de payement ou de la remise, afin de pouvoir, en cas d'insuccès pour erreur, alléguer un autre payement on une autre remise.
Nous n appliquons pas cette observation à l'exception de nullité pour laquelle précisément notre article a une solution particulière et plus rigoureuse.
Supposons maintenant une action réelle.
Nous avons dit que, comme on ne peut avoir plusieurs fois le même droit de propriété ou le même démembrement de la propriété, il est moins important d'exprimer la cause de son droit dans la demande, sauf toujours à la faire valoir dans les plaidoiries, car il faudra bien démontrer au juge que l'on a la propriété par transmission, si on ne l'a pas par occupation. Il sera utile aussi d'indiquer, dans les conclusions premières, la cause ou l'origine de la propriété, afin de circonscrire les pouvoirs du juge et de se réserver la possibilité de faire la nouvelle demande fondée sur une autre cause ; mais cette précaution ne sera nécessaire que dans le cas assez rare où l'on croirait avoir en sa faveur plusieurs causes soutenables, quoiqu'une seule fût suffisante et exclusive des autres.
Ainsi un acheteur revendique la chose vendue contre l'héritier de son vendeur, mais il n'ignore pas que ses preuves de la vente sont très discutables et pourraient ne pas convaincre le juge ; d'un autre côté, il est légataire de tout ou partie des biens du vendeur, et la chose réclamée se trouverait comprise dans le legs, si la vente n'était pas valable. Il préfère revendiquer comme acheteur (quand le prix est payé), parce que le legs peut être sujet à des charges ; mais il ne veut pas soumettre au même jugement les deux causes de propriété dont l'une est subsidiaire à l'autre ; alors, il revendiquera en indiquant la vente comme cause de son droit, et en cas d'insuccès, il pourra revendiquer ensuite en vertu du legs.
Il suppose d'abord que l'objet de la première contestation (demande ou exception) a été la recision ou nullité, la révocation ou la résolution, soit d'une convention, soit d'une disposition testamentaire. Cette demande ou exception aurait pu être fondée sur plusieurs causes; ainsi, une convention est annulable ou rescindable pour vice de consentement, pour incapacité et pour vice de forme ; il peut même y avoir eu, lors d'une convention, plusieurs incapacités réunies, plusieurs vices de consentement ou de forme ; une convention peut être révocable pour fraude aux créanciers; elle peut être résolue par l'effet d'une condition expresse on pour inexécution des charges ou obligations ; bien plus, la même convention pourrait être, tout à la fois, attaquable par les trois voies différentes, c'est-à-dire en rescision, en révocation ou en résolution.
C'est alors que se présente la question de savoir si la partie qui prétend faire tomber l'acte doit réunir tous ses moyens d'attaque dans une seule instance, à peine de déchéance pour ceux qu'elle aura négligés, de manière à ce que l'exception de la chose jugée s'oppose à toute nouvelle contestation fondée sur l'une des causes énoncées ci-dessus ? Ce serait d'une rigueur exagérée.
Mais s'ensuit-il qu'il faille admettre autant de nouvelles contestations qu'il existe de moyens d'attaque? Ce serait tomber d'un extrême dans l'autre, favoriser la multiplicité des procès et les procédures frustratoires.
La difficulté est de savoir jusqu'où on peut aller et où l'on doit s'arrêter entre ces deux extrémités.
Le Code fait une distinction qui demande quelques préeau lions pour être bien comprise.
D'abord, si une partie avait ou prétendait avoir droit, tout a la fois, a la rescision, à la révocation et à la résolution d une convention, elle ne serait pas tenue de réunir ces trois prétentions dans une même action ou exception : ce sont là trois objets différents et non trois causes différentes ; or, on ne peut exiger qu'un plaideur réunisse toutes ses demandes ou exceptions en une seule. Il est vrai qu on a rencontré dans la loi une exigence de ce genre, an sujet de l'emploi de la preuve testimoniale (v. art. 67), mais cette rigueur ne s'applique plus, s'il y a preuve par écrit, et même on l'absence de preuve écrite, la déchéance du plaideur à l'égard des droits négligés n'est pas absolue, tandis qu'ici, si l'autorité de la chose jugée permettait de repousser toute prétention négligée dans le premier procès, la déchéance serait irrémédiable. Si l'on soutenait qu'il n'y a pas trois objets distincts de contestation, dans la rescision, la révocation et la résolution, parce qu'elles ont un caractère commun qui est la “ destruction” d'une convention, nous dirions que c'est là une unification factice qui n'est pas dans l'esprit de la loi, puisque le nom prétendu commun des trois objets do la contestation n'est pas consacré. Sans doute, quelquefois, la doctrine pourra employer ce nom générique de “ destruction ” d'un contrat, pour embrasser les trois actions, mais ce sera seulement par forme d'abréviation ; sans doute aussi la loi rapproche souvent ces trois actions dans une même disposition, parce qu'elles ont, en effet, ce caractère commun de tendre à détruire une convention ; mais elle ne manque pas de les énoncer chacune séparément, avec son nom légal (v- Liv. des Biens, art. 42-3°, 217-2°, 569), et ce qui s'oppose à leur unification c'est qu'elles ne sont pas soumises à la même prescription.
Ce premier ordre d'objets de demandes ou d'exceptions étant dispensé do la réunion, il n'eu est plus de même si, étant donné un seul de ces objets (la rescision, par exemple), il existe simultanément plusieurs causes de le réclamer : ici le texte introduit une distinction qui serait délicate s'il ne la précisait lui-même par des applications (2e et 3e al).
Si les diverses causes de réclamer le même objet sont “ de même nature,” elles doivent être réunies dans la demande ou dans l'exception, à peine de ne pouvoir faire valoir dans une nouvelle instance, les causes déjà existantes et connues de celui qui pouvait s'en prévaloir. Cette déchéance n'est pas d'ailleurs une pénalité proprement dite: elle est fondée sur une “présomption d'abandon ” de ces moyens de nullité ; l'observation n'est pas sans intérêt, car, chaque fois qu'on parle de présomption, on doit se demander si elle comporte une preuve contraire : ici, ou doit admettre que celui qui ne voudra pas soumettre aux premiers juges tous ses moyens do nullité, sans pourtant entendre abandonner ceux qu'il omettra, puisse eu faire une réserve expresse ; seulement, la partie adverse pourra s'opposer à cette réserve et demander au tribunal d'ordonner la production des autres moyens pour être statué sur tous par un seul jugement.
Ainsi, dans certains cas, il ne suffira pas pour écarter la nouvelle demande on exception qu'elle présente identité de causes, il faudra encore que la nature des causes soit identique.
Le texte se prononce d'abord sur les nullités de forme (2e al.): quoique la forme des actes soit requise tantôt pour la solennité et tantôt pour la preuve seulement, la loi écarte ici cette distinction, et elle reconnaît dans les divers vices de formes une suffisante " identité de nature.” Ce serait, en effet, de la part du plaideur, un procédé frustratoire que de diviser dos moyens qui, lorsqu'ils existent, sont frappants au premier examen de l‘acte.
Enfin, le texte (3e al.) déclare que tous les vices de consentement ainsi que toutes les incapacités sont “considérés comme de même nature,” pour l'action eu rescision, et, pour l'action en résolution, tous les cas d'inexécution des obligations.
Mais celui qui prétendrait pouvoir attaquer un contrat en nullité pour un vice de consentement (erreur ou violence) et pour une incapacité (minorité ou interdiction) pourrait en faire l'objet de deux instances séparées. De même, celui qui prétendrait invoquer une condition résolutoire expressément stipulée et la condition résolutoire tacite résultant de l'inexécution des obligations de l'adversaire, pourrait intenter deux actions successives ou opposer séparément deux exceptions à deux demandes formées contre lui pour l'exécution, parce que ce ne sont pas des causes de même nature.
Art. 84. La loi arrive à la troisième identité, celle des parties, nécessaire pour l'application, contre une seconde contestation, de l'autorité de la chose jugée dans une première instance. Cette identité pourrait être exigée en première ligne, comme étant la plus évidemment nécessaire, mais on ne lui donne que le troisième rang, parce qu'elle ne donne pas lieu aux mêmes difficultés que les précédentes.
Le texte a bien soin d'exiger l'identité “juridique” des parties, parce que l'identité physique non-seulement n'est pas nécessaire, mais même ne serait pas toujours suffisante : elle n'est pas nécessaire, et quelquefois même elle est impossible, puisqu'une partie qui a figuré dans le premier procès, peut être décédée lors du second et y être représentée par son héritier ; de même, mais en sens inverse, une partie peut avoir été représentée dans le premier procès, par son tuteur ou par un mandataire, et figurer en personne dans la seconde instance.
D'un antre côté, l'identité physique peut être insuffisante : par exemple, si une personne qui a figuré en son nom dans le premier procès, ne figure dans le second que comme tuteur ou mandataire d'une autre personne, la chose jugée dans le premier procès n'aura aucune influence dans le second. C'est pour compléter l'idée d'identité juridique des parties que la loi exige “ l'identité de qualité ” dans laquelle elles ont figuré dans le premier procès et figurent dans le nouveau.
Enfin, la loi pose incidemment le principe que certaines personnes peuvent être liées par des intérêts coinmuns d'une façon qui “implique mandat tacite d'une représentation mutuelle ” dans les procès : ce principe a déjà été appliqué, par anticipation, en matière de cautionnement (v. Liv. des Garanties, art. 26 et 42', et de solidarité (v. art. 59).
Art. 85. Cet article tranche la question très difficile et importante “ de l'influence au civil de la chose jugée au criminel.” On sait que les faits délictueux, crimes, délits et contraventions, peuvent donner lieu à des restitutions ou réparations civiles au profit de la partie lésée ou de ses représentants, et que ces réparations peuvent être demandées, soit conjointement à l'action publique, devant les tribunaux de répression, soit séparément devant les tribunaux civils.
Si la première voie a été suivie, le tribunal de répression après avoir statué sur l'action publique, statue sur les réparations civiles, il ne lui sera pas difficile de ne pas contredire sa décision au criminel dans sa décision au civil ; presque toutes les décisions civiles sont conciliables avec la décision au criminel;
S'il y a eu condamnation au criminel, la condamnation civile ne dépendant pas de la gravité morale et sociale du. délit, mais de l'étendue de dommage privé, l'appréciation de ce dernier reste au pouvoir du tribunal; il pourrait même n'être alloué aucune indemnité à la partie civile, soit parce qu'elle n'est pas lésée d'une manière appréciable, soit parce qu'elle a déjà obtenu autrement les restitutions et les réparations qui lui sont dues.
S'il y a eu acquittement, il sera fréquent qu'il n'y ait aucune condamnation civile; cependant le contraire pourrait arriver, sans que les deux décisions fussent en contradiction : le tribunal peut n'avoir pas trouve dans l'inculpation les caractères d'un délit pénal, ce qui n'empêche nullement qu'il ait trouvé dans le fait incriminé les caractères de la faute ou du délit civil. Mais il y aurait contradiction certaine (elle ne se présentera pas sans doute) si l'acquittement était fondé sur ce que l'inculpé n'est pas auteur du fait et si pourtant le tribunal le condamnait à quelque réparation envers la partie civile. C'est un des cas où les motifs sont tellement liés an dispositif qu'ils doivent avoir comme lui l'autorité de la chose jugée.
Les tribunaux de répression peuvent aussi, en cas d'acquittement, statuer sur l'indemnité que réclamerait l'inculpé pour avoir été indûment dénoncé et poursuivi par le plaignant.
Du moment que le tribunal de répression remplit en cette matière le rôle de juge civil (et l'organisation judiciaire rend cela tout naturel, puisque les deux justices sont réunies), il est clair, que, quelle que soit la décision civile du tribunal de répression, la contestation sur les conséquences civiles de l'infraction ne pourra être portée de nouveau devant les tribunaux civils proprement dits, pour obtenir une augmentation ou une diminution de la réparation : il y a chose jugée.
Il pourrait arriver, en sens inverse, que l'action civile eût été d'abord portée devant le tribunal civil, alors qu'aucune poursuite criminelle n'était commencée (autrement, il serait sursis aux poursuites civiles jusqu'au jugement, en vertu du principe que “ le criminel tient le civil en suspens). Dans ce cas, on doit décider que les tribunaux de répression ne peuvent plus statuer sur les réparations civiles : ils ne pourraient élever la condamnation civile, ni même la réduire au cas d'acquittement, puisque l'acquittement n'exclut pas la possibilité d'une faute civile; ils ne pourraient non plus y ajouter, en cas de condamnation, parce que le mal moral et social de l'acte qui en fait une infraction plus eu moins grave, au point de vue pénal, n'a pas une influence nécessaire sur le dommage privé de la partie lésée : celle-ci est considérée comme ayant lait valoir au civil tous ses droits à une réparation ; pour que la condamnation pénale motivât une aggravation de la condamnation civile par le tribunal criminel, il faudrait que de nouveaux faits délictueux et dommageables qui n'avaient pas été soumis aux premiers juges eussent été révélés dans 1 instance criminelle.
Il va sans dire que la décision civile n'aurait aucune influence sur la décision à rendre au criminel : lors même qu'un tribunal civil aurait déclaré quelqu'un auteur d'un fait dommageable, commis, avec liberté, raison et intention de nuire, cela ne mettrait nul obstacle à ce que le même individu fût acquitté. Cette possibilité de contradiction des deux jugements est inévitable, lorsqu'on n'a pu surseoir an jugement civil avant le jugement criminel : il ne faut pas mêler et confondre les compétences ; les tribunaux de répression et la procédure à suivre devant eux sont organisés d'une façon spéciale, considérée comme donnant les meilleures garanties à la société et aux inculpés pour la découverte de la vérité; il n'est pas possible que les tribunaux civils puissent déclarer une culpabilité pénale.
Par une réciprocité nécessaire, si une personne poursuivie civilement à raison d'une fait dommageable était renvoyée de la demande comme n'étant pas auteur du fait ou n'en étant pas responsable, ce ne serait nullement un obstacle à cc qu'elle fût plus tard poursuivie, jugée et condamnée pénalement comme auteur et responsable du fait ; la raison est toujours la même : les tribunaux criminels ont bien une compétence civile mais les tribunaux civils n'ont pas de compétence pénale, quand ils siègent et procèdent au civil.
Et pourtant, ici encore, la chose jugée au civil aurait une certaine influence sur les pouvoir du tribunal criminel : du moment que le tribunal civil aurait statué sur les intérêts civils, il n'y aurait plus place à un jugement du tribunal criminel sur les mêmes intérêts, car on se trouverait en présence des trois identités qui y mettraient obstacle : même objet (même indemnité) même cause (même fait dommageable), mêmes parties.
Jusqu'ici nous avons examiné des questions que les principes ont permis de résoudre, plus ou moins facilement, mais auxquelles notre article n'a pas fait allusion. Il s'est, au contraire, prononcé sur un autre ordre de difficultés sur lesquelles la controverse pourrait se produire si la loi ne prenait soin de la prévenir.
Nous avons dit que les décisions civiles et les décisions criminelles sont, dans une large mesure, indépendantes les unes des autres. Ainsi une condamnation civile pour un fait délictueux de sa nature ne met pas obstacle à un acquittement; réciproquement, une condamnation pénale n'entraîne pas nécessairement responsabilité civile.
La première règle ne comporte ni tempérament ni exception : le jugement du tribunal criminel ne peut subir aucune influence légale du jugement civil, et la loi, pour éviter même qu'il subisse une. influence de fait a admis en règle que lorsque les deux affaires sont pendantes simultanément,” le criminel tient le civil en suspens.”
Mais il n'en est pas de même de la seconde règle : lorsque le tribunal civil juge après le tribunal criminel, selon le vœu de la loi, il n'est pas absolument indépendant de la décision rendue an criminel et c'est la mesure, l'étendue de cette dépendance que notre article a pour objet de déterminer.
Nous supposerons, successivement, un inculpé condamné ou acquitté du chef de l'infraction.
Au cas de condamnation, il est certain que le tribunal civil a un grand pouvoir pour apprécier le dommage civil, puisque, comme on l'a remarqué plus haut, il n'y a aucun rapport nécessaire entre le mal moral et social de l'acte et le dommage pécuniaire qu'il a pu causer à autrui : par exemple, des blessures volontaires, mais peu graves, entraîneront assurément des dommages-intérêts moindres que des blessures plus sérieuses causées par imprudence ; de même, un vol à force ouverte d'objets peu importants donnera lieu à une réparation moindre qu'un vol clandestin ou une escroquerie d'une importance considérable.
Mais voici où le tribunal civil est lié par le jugement criminel : il ne pourrait rejeter la demande de réparation par le motif que le fait qui a donné lieu à la condamnation du défendeur “ n'a pas eu lien,” ou “que celuici n'en est pas l'auteur ” ou “ qu'il n'en est pas responsable:” ce serait se mettre en opposition flagrante avec l'autorité de la chose jugée au criminel.
Ce n'est pas d'ailleurs qu'on puisse dire qu'ici se rencontrent les trois identités, d'objet, de cause et de parties; on l'a cependant quelquefois soutenu, mais à tort : il n'y a pas identité d'objet, car ici c'est une réparation pécuniaire et privée qui est demandée, tandis qu'au tribunal de répression, c'était une sorte de réparation publique, par voie de châtiment; il y aurait, en apparence, identité de cause, mais la cause est, en réalité, différente : dans l'action publique la cause de la demande était un fait délictueux avec certains caractères de mal moral et de mal social qui constituent l'infraction ; tandis que dans l'action civile, la cause est dans un autre caractère du même fait, celui d'être injustement dommageable à un particulier; enfin, il n'y a pas identité des parties, car dans l'action publique le demandeur est le ministère publie, agissant au nom de la société, abstraction faite des individus, tandis que dans l'action civile, le demandeur est la partie lésée, agissant seule et dans son propre intérêt.
Si le jugement du tribunal de répression a autorité quant à 1 instance civile, cela tient à un principe plus important et plus étendu qu'aucun de ceux qu'on a déjà rencontrés en cette matière, c'est que la chose jugée au criminel, qu'il y ait acquittement ou condamnation, est une vérité non plus relative mais absolue : l'inculpé, après le jugement est innocent ou coupable, à l'égard de la société tout entière, et son innocence, comme sa culpabilité, ne peut plus être mise en question par personne, ni même nulle part ; c'est au point que les jugements rendus en matière pénale dans un pays ont, en général, l'autorité de la chose jugée dans les autres pays, en tant au moins qu'ils mettent obstacle à ce qu'il y soit procédé à un nouveau jugement.
Par application du même principe, si un inculpé a été condamné à une peine entraînant des incapacités civiques et politiques, s'il prétend plus tard exercer l'un des droits qui lui sont enlevés et que l'affaire soit portée devant l'autorité compétente pour y être statué sur son exclusion, il ne pourra y avoir un nouveau débat sur le bien ou mal jugé quant à sa culpabilité: on ne pourra pas soutenir qu'il n'est pas l'auteur du fait incriminé, ou qu'il n'en est pas coupable, par exemple, soutenir qu'il a exercé un droit de légitime défense dans un cas de condamnation pour coups ou blesseures, ou qu'il avait la propriété, dans le cas d'une condamnation pour vol ou soustraction de la chose d'autrui.
Réciproquement, si l'inculpé a été acquitté, la partie qui se prétend lésée par l'acte objet des poursuites pourra bien soutenir qu'il y a eu faute civile, mais elle ne pourra pas alléguer des circonstances qui seraient constitutives de la culpabilité pénale ; si même l'acquittement portait que le fait n'a pas eu lieu ou que l'inculpé n'en est pas l'auteur, il ne resterait aucune place à la poursuite civile.
On ne trouve pas au texte, au sujet de l'autorité de la chose jugée, une disposition analogue à celle de l'article 95 relative à la prescription : à savoir, jusqu'à quel moment de la procédure l'exception de la chose jugée peut être proposée et si elle peut l'être une première fois devant la Ce tir de cassation.
La solution sera tout-à-fait analogue.
Assurément, l'exception peut être proposée en première instance et en appel, et si la partie intéressée avait négligé de l'y invoquer, elle ne pourrait le faire une première fois devant la Cour de cassation, parce qu'il y a là des éléments de fait qu'il n'appartient pas à la Cour de cassation de vérifier. Mais une fois que les juges de première instance ou d'appel auront reconnu et déclaré, en fait, ce qui avait déjà été jugé dans un premier procès, et auront, par suite, admis ou rejeté l'exception de chose jugée, la partie de leur jugement qui caractérisera ce qui a été l'objet ou la cause du droit prétendu, ou le rôle qu'a joué chaque partie dans le litige, et aussi la constatation de l'identité d'objet, de cause et de parties dans les deux instances, tomberont sons le contrôle de la Cour de cassation, parce qu'il y a là une suite de questions de droit qui sont du ressort de la Cour suprême.
De toutes les questions qui sont du domaine de la Cour de cassation en cette matière, c'est assurément, celles résolues, ci-dessus, par notre article 85, relativement à l'influence au civil de la chose jugée au criminel qui lui seront le plus souvent déférées.
§ II.—DES PRÉSOMPTIONS LÉGALES ABSOLUES D'INTÉRÊT PRIVÉ.
Art. 86. Il n'est pas sans difficulté de grouper les présomptions de cette deuxième catégorie. On indique ici trois groupes de ces dernières, ce qui n'exclut pas les présomptions détachées qui peuvent, avec le même caractère, se rencontrer dans des dispositions spéciales de la loi.
Le premier groupe fait surtout allusion à la présomption de paternité ou de filiation, soit légitime, soit naturelle, qu'on rencontrera au Livre des Personnes. On pourra y rattacher une présomption inverse, exclusive de la paternité.
Le second groupe comprend certaines présomptions de fraude, à raison desquelles la loi annule certains actes. Quoique, en général, la bonne foi soit présumée, il peut se rencontrer quelques circonstances dans lesquelles il peut paraître évident que des contractants ont voulu échapper, par collusion, à quelque disposition impérative ou prohibitive de la loi.
Le troisième et dernier groupe se rapporte aux cas oû la loi requiert un mode déterminé de publicité pour certains actes, il est naturel qu'elle présume qu'à défaut de la publicité requise ces actes ont été ignorés de ceux qui avaient intérêt à les connaître.
La loi n'édicte pas la présomption inverse, à savoir que, lorsque la publicité requise a été donnée, l'acte est réputé connu, car ce serait présumer aussi que les intéressés ont toujours la prudence et la vigilance nécessaires pour s'enquérir de ce qui les concerne; or, l'expérience de chaque jour prouve le contraire ; mais alors ils sont en faute et ils ne peuvent se prévaloir de leur ignorance.
Les présomptions de cette catégorie sont encore dites “absolues,” parce qu'elles ne comportent pas toute preuve contraire : pour que la preuve soit recevable contre elles, il faut que la loi l'ait réservée, en la limitant soit à certaines situations ou circonstances, soit a certains moyens de preuve. Mais 1 aveu est admis, en général, pour renverser ces présomptions et la loi a permis spécialement de renverser par l'aveu de la partie intéressée la présomption établie en sa faveur, quand il s'est agi du défaut de publicité d un acte et de la présomption d'ignorance qui y est attachée (v. Liv. des Biens, art. 347, 4e al. et 350, 2e al.).
On ne pourrait pas dire cependant que toutes les présomptions qui nous occupent sont susceptibles d'être renversées par l'aveu : quoiqu'elles soient qualifiées “ d'intérêt privé : ” il en est quelques-unes où l'intérêt public se trouve connexe à l'intérêt privé, ainsi les présomptions relatives à l'état civil des personnes ; dans ces cas, il ne serait pas possible d'admettre que la preuve de l'état civil acquise par la présomption légale, fût compromise par l'imprudence d'un aveu. C'est pour maintenir cette preuve dans ses justes limites et pour conserver à la restriction un caractère qui ne soit pas trop spécial, que la loi limite la. preuve contraire par aveu au cas où le litige comporte ou “ permet la transaction.”
Terminons par une remarque qui nous paraît importante : il existe dans la loi diverses incapacités qui s'expliquent, au fond, par des présomptions et auxquelles pourtant il ne fraudrait pas songer à en appliquer la théorie, pour y opposer une preuve contraire. Ainsi, la vente est défendue entre époux (v. Liv. de l'Acquisition des Biens, art. 35) ; quand nous expliqué et justifié cette prohibition nons l'avons rapportée à la crainte, de la part de la loi, que les époux ne déguisassent des donations, à la faveur d'une vente dont le prix ne serait pas réellement payé, et cela, en violation des règles spéciales des donations entre époux qui sont toujours révocables.
Est-ce à dire que si l'époux vendeur ou son héritier, demandeur en nullité, avouait que le prix a été réellement payé, il serait repoussé dans sa demande ? Nous ne saurions l'admettre. Sans doute, il est bien libre de renoncer à l'action en nullité, mais si, tout en faisant cet aveu, il persiste à demander la nullité, il devra l'obtenir, parce que la loi n'a pas procédé ici en énonçant une présomption, mais en édictant une prohibition ; l'aveu ne sera pas d'ailleurs sans effet : il obligera le revendiquant à restituer le prix qu'il reconnaît avoir réellement reçu ; sans cet aveu, il n'y aurait pas lieu à la restitution du prix qui serait porté dans l'acte comme reçu : la prohibition étant fondée sur la crainte d'une donation déguisée, c'est-à-dire d'une aliénation sans équivalent réel, cette partie de l'acte doit être présumée mensongère ; tandis que l'aveu du vendeur, et surtout celui do son héritier, survenant plus tard, au moment même où il invoque la nullité, présente plus de garantie de sincérité.
Nous en dirons autant de l'action en nullité exercée du chef de l'incapacité d'un mineur ou d'un interdit : sans doute, ces incapacités sont fondées sur une présomption d'insuffisance de raison ; mais la loi n'exprime pas cette présomption : elle prohibe certains actes des mineurs ou des interdits et sa prohibition est sanctionnée par une action en nullité qui ne serait pas écartée parce que l'incapable, devenu capable, ou son représentant, avouerait qu'il s'est parfaitement rendu compte de la portée de son acte et qu'il jouissait de la plénitude de sa raison. L'incapable aurait toujours la ressource de ne pas intenter l'action en nullité ou, l'ayant intentée, d'y renoncer : mais son aveu seul ne l'en ferait pas déchoir ; enfin, il pourrait confirmer l'acte annulable et cette confirmation se trouverait présumée dans certains cas (v. Liv. des Biens, art. 556).
§ III.—DES PRÉSOMPTIONS LÉGALES SIMPLES.
Art. 87. Les dernières présomptions légales sont dites “ simples, ” ce qui exprime suffisamment qu'elles n'ont pas la force des présomptions absolues et cette différence tient justement à cc qu'elles admettent “toutes preuves contraires ” et cela, comme le dit le texte de notre article, “ lors même que la loi ne les aurait pas expressément réservées. ”
On a rencontré dans les Livres précédents un si grand nombre de ces présomptions qu'il ne faut pas songer à les rappeler.
Un point important pourrait faire difficulté. C'est la question de savoir à quel signe on reconnaîtra si une présomption légale est absolue ou simple.
Il est certain que la loi n'ajoute pas à chaque présomption qu'elle établit la qualification qui permettra de la distinguer des autres et qui indiquera son degré de force. Souvent, pourtant, le texte réserve “ la preuve contraire," ce qui doit s'entendre naturellement de “ toute preuve contraire, ” la présomption est alors simple, et on n'a pas manqué de le faire remarquer dans ce Exposé. Mais comme il faut un principe dirigeant, dans la loi elle-même et pour tous les cas, nous l'indiquons ici : quand la loi n'a pas exprimé que “ toute preuve contraire est admise ” contre une présomption qu'elle a édictée, il faudra recourir à la double énumération des présomptions légales absolues ; l'article 76 n'en présente que deux très déterminées et. si l'article en contient davantage, elles sont réunies en trois groupes dont chacun est également assez déterminé ; or, il sera toujours facile de voir si une présomption légale, non qualifiée simple ni absolue, rentre dans l'un de ces groupes : au cas de la négative, la présomption est simple.
Naturellement, chaque preuve contraire qui sera produite contre une présomption légale se fera “sous les conditions et dans la forme qui lui sont propres.” Les conditions de fond ont été exposées aux deux Chapitres précédents ; celles de forme ont été réservées au Code de Procédure civile.
Ainsi, s'il s'agit de prouver par témoins contre une présomption légale, on ne pourra le faire que si l'intérêt du litige n'excède pas 50 yens, à moins qu'on ne se trouve dans l'une des trois exceptions déterminées à l'article 69.
Le dernier alinéa de notre article lève un doute qui aurait pu se produire : les présomptions de fait, les plus faibles, celles qui forment l'objet de la Section suivante, peuvent même être invoquées contre les présomptions légales simples ; mais il n'y a rien là que de naturel, puisqu'elles ont la même force que la preuve testimoniale et quelles peuvent la remplacer quand elle manque.
SECTION II.
DES PRÉSOMPTIONS DE FAIT.
Art. 88. Chemin faisant, on a rencontré beaucoup de cas où la loi laisse aux tribunaux le pouvoir de décider, d'après les circonstances, certains points du litige qui leur est soumis ; c'étaient, le plus souvent, des questions secondaires ou incidentes. Ici, la loi va plus loin, c'est le litige tout entier qui peut être décidé par des présomptions de fait que la loi ne détermine plus et dont elle laisse l'appréciation aux juges.
Mais il est clair que si des limites n'étaient pas posées à ce pouvoir, il serait tout-à-fait inutile que la loi eût organisé avec tant de soins tout un système de preuves dont chacune a son degré de force et ses conditions : il arriverait alors que le juge, lorsque la preuve écrite ou testimoniale manquerait, pourrait former sa conviction, sans contrôle, d'après des circonstances ou présomptions de fait ; or, la loi ne le permet pas : de là, la règle importante que la preuve par présomption de fait n'est admissible que lorsque la preuve testimoniale l'est elle-même ; il y a ainsi parité entre les deux preuves, l'une peut remplacer l'autre ; si elles se trouvent réunies, c'est un supplément de preuve ; mais les présomptions de fait peuvent suffire, comme pourrait suffire aussi la preuve testimoniale. Ce point a déjà été établi par anticipation.
Il reste d'ailleurs encore une assez large application des présomptions de fait, car, indépendamment du cas où le litige n'est pas d'une valeur excédant 50 yens, il y a encore les trois cas exceptionnels où la preuve testimoniale est recevable au-delà de cette valeur : le cas d'un commencement de preuve par écrit, celui où le titre a été perdu et celui où il n'a pas été possible de dresser un écrit (v. art. 69). Dans ces cas, le tribunal pourrait décider le litige sans témoignages, par simples présomptions de fait.
La loi n'exige pas que les juges énoncent nominativement dans leur jugement les circonstances de fait qui ont déterminé leur conviction ; ils pourront s'y référer d'une manière générale, mais il sera préférable qu'ils aient soin de préciser ces circonstances : cela préviendra des abus possibles. Si, par exemple, un tribunal avait admis comme présomption de fait, la seule affirmation du demandeur ou du défendeur, dont il proclamerait la bonne réputation ou l'honnêteté éprouvée, il aurait violé là loi, sinon dans ses termes, au moins dans son esprit ; car, un tribunal peut bien accorder une grande confiance à la parole d'un des plaideurs, au point de vue de l'honnêteté, mais ce serait, en même temps, témoigner publiquement qu'il lui paraît plus digne de foi que l'autre partie; or, le tribunal n'a pas qualité pour établir ainsi des différences de probité ou de sincérité entre les plaideurs.
En outre, et cette raison seule suffirait, l'affirmation d'une partie ne donne aucune garantie contre les erreurs de mémoire et les confusions possibles dans les faits.
Enfin, si les circonstances mentionnées dans le jugement comme décisives étaient de nature à fournir des présomptions contraires les unes aux autres, le contrôle de la Cour de cassation pourrait s'exercer utilement.
FIN DE LA Ire PARTIE DIT LIVRE DES PREUVES.
DEUXIÈME PARTIE.
DE LA PRESCRIPTION.
CHAPITRE PREMIER.
DE LA. NATURE ET DES APPLICATIONS DE LA PRESCRIPTION.
Art. 89. Nous arrivons enfin à cette importante théorie, dont nous avons cru devoir, plus d'une fois, signaler le caractère que devait lui reconnaître ce Code, celui d'une présomption, caractère qui l'a fait placer, comme la chose jugée, dans la classe des “ Présomptions absolues, d'intérêt public.” (v. art. 76).
Notre premier article définit donc la prescription “ une présomption légale d'acquisition... ou de libération.........”
D'abord, pour l'équité et la raison, que nous ne prétendons pas séparer, qu'y aurait-il de plus inique et de plus déraisonnable que d'attribuer au laps de temps, c'est-à-dire à la durée de la possession ou de l'inaction d'un créancier, l'acquisition de la propriété dans le premier cas et la libération du débiteur dans le second ?
Que servirait d'organiser si laborieusement dans la loi des moyens d'acquérir ou de se libérer, si le temps pouvait les suppléer l'un et l'autre ?
Quel est d'ailleurs l'honnête homme qui oserait invoquer la prescription pour conserver un bien qu'il possède, n'ayant pas la preuve de son droit de propriété, si la prescription n'était proclamée par la loi une preuve secourable pour ceux qui n'en ont pas d'autre ?
Quel débiteur honnête et ayant le respect de lui-même invoquerait la prescription libératoire, si, au lieu de suppléer à un titre régulier de libération, elle n'était qu'une brutale déchéance du créancier négligent?
Quand les anciens jurisconsultes ont créé pour la prescription la qualification, plus ou moins romaine, de “ patronne du genre humain,” ils n'ont pas entendu en faire un manteau complaisant pour les usurpations déjà lointaines et pour les infidélités des débiteurs à leur parole et à leur signature ; et lorsque les lois positives ont consacré les droits des possesseurs et des débiteurs restés longtemps en repos, sans être troublés par d'anciens propriétaires ou d'anciens créanciers, elles n'ont songé à venir au secours que de ceux qui avaient perdu leur titre, soit d'acquisition, soit de libération, ou qui avaient négligé de s'en faire délivrer un à l'origine.
Si, à la faveur des dispositions de la loi, édictées pour les hommes honnêtes seuls, quelques-uns qui ne le sont pas en bénéficient, c'est un des dangers auxquels prêtent les meilleures lois, en toutes autres matières.
Les bienfaits de la Société humaine sont institués pour les bons, mais ils profitent aussi aux méchants : ce serait calomnier la Société que de dire, par exemple, qu'elle assure et garantit la liberté individuelle pour les méchants, parce qu'ils en abusent souvent contre les bons.
La prescription reste donc un grand bienfait du droit et de la loi, parce quelle assure la tranquillité des propriétaires vraiment légitimes et des débiteurs vraiment libérés : sans elle, ils pourraient être indéfiniment troublés par les procès de ceux qui auraient conservé d'anciens titres de propriété transférées, ou de créances éteinles, alors qu'ils ne pourraient plus eux-mêmes produire leur titres, quoique plus nouveaux.
Voyons maintenant si à la recherche de la nature de la prescription se rattache un autre intérêt que celui, déjà bien suffisant d'ailleurs, de la moralité de la loi et de l'honneur de ceux qui l'invoquent.
Si les adversaires de l'idée de présomption en cette matière avaient été logiques, s'ils avaient eu la hardiesse d'admettre les conséquences naturelles de leur système, l'intérêt pratique ne manquerait pas, et leurs solutions seraient en même temps si choquantes qu'elles donneraient de nouveaux avantages contre eux.
Ainsi, ils devraient dire que celui qui “ acquiert ” un immeuble pas prescription, n'en devenant propriétaire que par l'accomplissement du temps de possession requis, serait, jusqu'à ce moment, s'il n'avait pas juste titre et bonne foi, comptable des fruits, au moins pour les cinq dernières années ; de même, que le débiteur qui invoque la prescription libératoire devrait les intérêts des cinq dernières années, quand la dette portait intérêts. Aucun auteur, que nous sachions, n'a eu la hardiesse de soutenir aucune de ces conséquences: on a imaginé, pour s'y soustraire, une acquisition ou une libération rétroactive, remontant au jour où la prescription a commencé à courir ; c'est là une différence arbitraire, créée pour le besoin de la cause, entre la prescription et les autres moyens d'acquérir ou de se libérer.
Tandis que, si la prescription est une présomption, c'est-à-dire une preuce d'acquisitions ou de libération, il est clair qu'elle établit un fait antérieur, dont la date est précisément le moment où la prescription a commencé.
Mais voici deux points capitaux sur lesquels les deux systèmes sont loin de se rencontrer, et ce sont eux qui donnent un grand intérêt pratique à cette controverse.
I. Supposons qu'un possesseur invoque la prescription dite “ acquisitive,” ou un débiteur la prescription dite “ libératoire,” et qu'il déclare, en même temps qu'il n'a aucune cause légitime de propriété ou de libération autre que le bénéfice du temps. Dans le système des adversaires de la présomption, le possesseur ou le débiteur n'en triomphera pas moins, parce que le moyen d'acquérir ou de se libérer se rencontre et est invoqué comme tel ; dans le système du Code, il succombera dans sa demande ou dans son exception, parce qu'il dément lui-même la présomption qu'il invoque : nous dirons, avec le texte, qu'il ” est considéré comme renonçant à la prescription ” (v. art. 95, 2e al.).
Il y a d'ailleurs certaines applications de la prescription libératoire dans lesquelles il est impossible, même dans l'opinion adverse, de dénier à celle-ci le caractère de présomption, ce sont les cas dits des “ courtes prescriptions,” des prescriptions inférieures à cinq ans lesquelles cessent de profiter à celui qui les dément par son propre aveu qu'il n'a pas acquitté son obligation (v. art. 161). Or, les longues prescriptions diffèrent des courtes par leur durée, mais non par leur nature: c'est seulement parce que le temps de ces dernières est moins long que la probabilité de payement est moins forte.
II. Le second point qui donne un grand intérêt pratique à notre question est de savoir quel sera le caractère, onéreux ou gratuit, de cette acquisition ou libération, directe dans l'opinion opposée et seulement présumée dans le système du Code.
On sait qu'il est très important, pour l'application de plusieurs théories juridiques, de distinguer les actes à titre onéreux des actes à titre gratuit.
Ainsi, les premiers ne demandent, en général, chez le disposant, qu'une capacité ordinaire ou de droit commun, les seconds veulent une capacité plus étendue et plus rare, soit absolue, c'est-à-dire, vis-à-vis de tout bénéficiaire, soit relative ou vis-à-vis de certaines personnes qui, sans cette capacité du disposant, ne pourraient pas bénéficier de la libéralité.
Cette différence principale entre les effets des deux sortes d'actes suffit à-faire comprendre immédiatement l'intérêt qui se rachette à savoir quelle est la nature, onéreuse on gratuite, de la prescription. Or, si la prescription est un moyen direct d'acquérir ou de se libérer, comme il est évident que celui qui l'invoque et qui y est admis ne fournit à ce moment aucune contre-valeur, il est évident aussi qu'il acquiert ou se trouve libéré gratuitement. Si, au contraire, la prescription n'es qu'une présomption d'acquisition ou de libération, c'est nécessairement une acquisition ou une libération onéreuse qu'on devra présumer ; car ce sont les actes les plus fréquents, par conséquent les plus vraisemblables, quand on ne connaît pas les faits originaires.
Il n nous reste plus qu'à faire remarquer qu'on a tenue à faire figurer explicitement dans les conditions de la prescription celle du laps de temps, bien qu'à la rigueur, il eût pu suffire de dire que la présomption était attachée “ à certaines conditions déterminées par la loi;” mais l'idée de laps de temps se présente si naturellement à l'esprit, au sujet de la prescription, que les Romains lui donnaient quelquefois la singulière qualification de “ suffrage du temps, secours du temps.”
Cette énonciation du temps, comme élément de la prescription, présentait cependant un inconvénient: il y a dans le présent Code une application considérable de la prescription au profit de ceux qui possèdent de bonne foi des meubles corporels ; or, pour cette prescription aucun laps de temps n'est requis : elle est “ instantanée;” il a donc fallu l'excepter nominativement de cette condition de temps, et c'est ce que fait notre premier article, en renvoyant aux articles 141 et suivants qui règlent cette prescription.
Cette qualification de “prescription instantanée” qui rencontre des contradicteurs en d'autres pays, passera désormais sans contestation en droit japonais; le Code ne fait d'ailleurs que la consacrer dans la loi, après quelle l'est déjà dans l'usage. On la justifiera sous l'article 141 précité.
Art. 90. La prescription a dû figurer dans l'énumération des présomptions légales absolues d'ordre public donnée par l'article 76, où elle occupe le second rang. Ce n'était pas une raison de ne pas rappeler ses trois caractères au siége même de la matière, surtout parce que c'était l'occasion d'annoncer d'avance deux preuves contraires qu'elle reçoit exceptionnellement Tout l'intérêt de cet article étant dans ces deux preuves contraires, déjà invoquées dans la discussion qui précède, nous renvoyons, comme le texte, aux articles 96 et 161 pour nous en expliquer davantage.
Art. 91. L'effet rétroactif de la prescription que nous avons trouvé arbitraire dans le système que nous avons combattu est, au contraire, tout naturel lorsque la prescription est reconnue être une présomption : les présomptions, étant des preuves, ne font pas naître des droits nouveaux, mais elles constatent des droits antérieurs et ces droits sont évidemment considérés comme datant du moment où le temps ne la prescription a commencé à courir ; on peut dire que la présomption germe, naît, à ce moment, et le temps ne fait que lui donner le développement nécessaire pour qu'elle devienne en justice une preuve complète et absolue, sauf toujours les deux exceptions réservées.
Le texte nous dit que pour la prescription acquisitive, le moment de l'acquisition présumée est celui où la possession utile a commencé et pour la prescription libératoire qui ne demande pas la possession (quelle pourrait être cette possession, à moins que ce ne soit celle de la tranquillité ?), c'est le moment où le créancier pouvant agir ne 1 a pas fait et a ainsi donné lieu de présumer qu'il avait reçu satisfaction.
Art. 92. On discute souvent en d'autres pays si les delais assignés par la loi à l'exercice de certaines actions sont des prescriptions proprement dites, ou de simples délais préfixes, des délais de déchéance. La question a un grand intérêt, car si ces délais sont de déchéance, ils ne comportent pas les interruptions ou suspensions qui, au contraire, peuvent retarder la prescription.
Il n'y a pas d'obstacle réel à ranger dans les prescriptions les délais assignés à l'exercice de la faculté de rachat, de la rescision du partage pour lésion et de l'action rédhibitoire pour vices non apparents de la chose vendue : ces prescriptions, il est vrai, courent contre les incapables, mais c'est la règle pour les courtes prescriptions qui certainement ne sont pas de simples délais préfixes.
La seule objection serait donc que ces délais sont de rigueur, au moins les deux premiers, et ne peuvent être prorogés par convention ; mais il n'est pas facile de comprendre et d'admettre que le délai des autres prescriptions puisse être prorogé par les parties intéressées.
Les délais des actions sont donc considérés comme des prescriptions et ils en suivent les règles générales ; mais si la loi y a dérogé, explicitement ou même implicitement, on observera ces dérogations ; il y eu a certainement une implicite au sujet de la prescription de l'action en réméré: cette action à diriger contre l'acheteur, appartient aux actions réelles, et lorsqu'elle est prescrite, on peut dire que le droit de propriété est consolidé ; mais on n'exigera pas que, pour prescrire contre l'action du vendeur, l'acheteur ait possédé la chose paisiblement, publiquement et avec les autres conditions requises pour la prescription acquisitive.
Du reste, l'action en réméré est de nature mixte, c'est-à-dire qu'elle est en même temps réelle et personnelle et on peut expliquer par ce qu'elle a do personnel que le défendeur puisse se borner à invoquer l'inaction du demandeur pendant le temps fixé, sans qu'il soit question de possession, comme cela a lieu contre les autres actions personnelles.
Il n'y a, au surplus, aucune objection à faire à ce qu'on considère comme délais préfixes les délais de procédure, notamment ceux des recours contre les jugements.
Art. 93. C'est parce que lu prescription est un moyen d'action ou d'exception très different des autres que la loi s'attache à présenter la théorie dans son ensemble, même quand il ne s'agit que de la soumettre au droit commun, comme le fait notre article. Ainsi la prescription, soit acquisitive, soit libératoire, peut être invoquée par toutes personnes, par les particuliers et par les officiers agissant comme représentants de l'Etat ou des administrations publiques.
Elle peut aussi être invoquée contre toutes personnes; mais ici il y a des exceptions auxquelles la loi fait allusion : la prescription est suspendue en faveur de certaines personnes, en ce sens que leurs droits ne sont pas exposés à l'effet de cette présomption, tant qu'elles se trouvent dans certaines conditions où elles ne peuvent pas les faire librement valoir.
Art. 94. Ici, il s'agit de l'application de la prescription aux choses et non plus aux personnes.
Que la prescription soit un moyen d'acquérir ou une présomption légale d'acquisition, elle doit naturellement s'appliquer, en principe, à toutes les choses susceptibles d'acquisition et de convention privée. Mais il peut y avoir et il y a dans la loi des exceptions qui sont réservées. Déjà l'article 28 du Livre des Biens a annoncé qu'il y a des choses imprescriptibles, et l'article 559 du même Livre a assigné ce caractère aux actions qui ont pour objet le redressement de certaines erreurs.
La loi nous indique ici comme imprescriptibles, les choses qui sont hors du commerce et celles qui sont inaliénables ; il est naturel qu'une chose qui ne peut être directement l'objet d'une aliénation ne puisse être présumée l'avoir été.
Enfin, la loi déclare imprescriptibles les biens “même mobiliers" du domaine public : comme ils sont hors du commerce, il pouvait n'être pas nécessaire de la déclarer imprescriptibles ; mais la loi s'en explique pour lever tout doute possible au sujet de la prescription instantanée des meubles qui souvent s'écarte du droit commun.
Cette disposition relative à la prescriptibilité ou à l'imprescriptibilité des choses concerne surtout la prescription acquisitive ; mais elle pourrait aussi s'appliquer à la prescription libératoire, si l'on se trouvait en présence d'une obligation qui ne fût pas de nature à s'éteindre même par un payement ou une remise conventionnelle ; alors il serait impossible de présumer, à la faveur du temps, une extinction légitime survenue par l'un de ces modes et il ne serait pas plus raisonnable d'admettre, dans le système adverse, une extinction directe par le seul effet du temps. Comme obligation ne pouvant s'éteindre par un payement, par une remise conventionnelle, ni par une convention libératoire, ou peut citer les pensions alimentaires : le créancier ne pourrait donc les perdre ni le débiteur en être libéré par présomption de payement ou de remise.
Art. 95. La difficulté est de déterminer la nature de ces ‘‘facultés légales qu'il ne faut pas confondre avec les “droits.” Déjà ce mot a été rencontré dans l'article 339, 3e alinéa du Livre des Biens et, à cette occasion, on a fait remarquer que les facultés diffèrent des droits en ce qu'on ne peut négliger ceux-ci sans éprouver une perte certaine, tandis que pour jouir d'une faculté il y a un sacrifice à faire. C'est ce qui a servi à expliquer que les créanciers puissent exercer les droits de leur débiteur comme étant leur gage, taudis qu'ils ne peuvent exercer les simples facultés pour lesquelles l'option du débiteur est necessaire : cette distinction peut nous servir encore pour l'explication de cet article.
Ainsi, de même que les créanciers ne pourraient bâtir sur le terrain de leur débiteur ou exercer à sa place l'achat de la mitoyenneté du mur de son voisin, parce que ce sont là de simples facultés, de même le propriétaire qui aurait négligé pendant trente ans de bâtir sur son propre terrain ou d'exercer l'achat de la mitoyenneté ne pourrait se voir, de ce chef, opposer la prescription par le voisin, sous prétexte que la faculté est perdue par une inaction de trente ans.
Au contraire, si le voisin avait un droit de servitude de passage sur le fonds voisin et était resté trente ans sans en user, il aurait perdu son droit par le non-usage qui est une sorte de prescription libératoire du fonds servant (v. Liv des Biens art. 291.)
Pour justifier l'imprescriptibilité des facultés légales, il y a une raison qu'on a peut-être trop négligée jusqu'ici et qui paraît aussi simple que décisive, c'est que ces facultés renaissent pour ainsi dire chaque jour ; tenant à une situation permanente qui est leur cause, elles n'ont pas d'échéance et par conséquent aussi elles ne sont pas sujettes à être perdues par l'effet du temps.
Par précaution, la loi réserve les cas où certaines facultés légales se trouveraient soumises, par la loi elle-même, par la convention des parties ou par testament, à la condition d'être exercées dans un certain délai : dans ce cas, elles seraient prescrites ou perdues par la seule échéance de ce délai sans qu'il en ait été usé, c'est ce qui a lieu pour la faculté de rachat.
Art. 96. Dans le système qui considère la prescription comme un moyen direct d'acquisition ou de libération, on admet bien, comme dans le système de le Code, que les juges ne peuvent suppléer d'office le moyen tiré de la prescription ; mais il faut reconnaître que cette prohibition est bien plus facile à justifier lorsqu'on voit dans la prescription une présomption d'acquisition ou de libération.
Si, dans une action en revendication, le tribunal trouvait des preuves directes d'acquisition ou, dans une action personnelle, il trouvait des quittances de payement, il pourrait, dans les deux cas, rejeter la demande, lors même que le défendeur n'aurait pas invoqué ces moyens de défense : ce ne serait pas ” statuer sur choses non demandées ” (ce qui lui est défendu), car dès que le défendeur conteste la demande formée contre lui, c'est qu'à son tour il en demande le rejet, par tous les moyens reconnus par la loi.
Pourquoi en est-il autrement, si le défendeur parait être dans le cas de jouir de la prescription acquisitive ou libératoire ?
On se borne généralement, dans l'opinion adverse, à répondre que ce mode d'acquérir ou de se libérer peut répugner à la conscience du possesseur ou du débiteur et qu'il ne doit pas appartenir au tribunal de lui reconnaître un avantage dont il ne veut pas se prévaloir.
Mais pourquoi le défendeur aurait-il de pareilles répugnances à profiter d'un mode d'acquisition ou de libération que la loi édicte en sa faveur ? Comment surtout expliquer que la loi elle-même lui suppose cette répugnance ? La loi n'est-elle donc pas sûre de l'équité et de la sagesse de sa propre disposition ?
Combien, au contraire, la solution qui nous occupe est juste et naturelle, avec le système qui ne voit dans la prescription qu'une présomption ! Une présomption, si forte qu'elle soit, n'est toujours qu'une conjecture, une induction, une probabilité ; or, quand la loi tire une induction ou conjecture d'une situation particulière, elle peut très bien, et ce sera peut-être très sagement, y mettre des conditions déterminées : on sait que pour la prescription dite “ acquisitive, ” la condition fondamentale est la possession par le défendeur de la chose litigieuse, et cette possession doit avoir de nombreuses qualités que nous rencontrerons plus loin (v. art. 138 et s.) et dont la durée, le temps, est une ; pour la prescription libératoire, il ne peut être question de possession, mais il faut l'inaction du créancier pendant un temps déterminé depuis le moment où il pouvait légalement agir (v. art. 150 et s.).
Cela étant, n'est-il pas juste et naturel, comme nous l'avons dit plus haut, que la loi exige une autre condition commune aux deux prescriptions : à savoir, qu'elle soit invoquée par celui qui peut en profiter? Ne convient-il pas qu'il confirme par sa déclaration le bien fondé de la présomption légale ? Comment d'ailleurs le tribunal saura-t-il d'une manière certaine que toutes les conditions légales de la prescription acquisitive ou libératoire sont remplies, si le défendeur ne lui vient en aide pour le démontrer ?
Et il ne faudrait pas objecter que cette solution ne cadre pas avec le caractère de “ présomption d'ordre public ” que le Code lui assigne : elle ne prend ce caractère que quand elle est invoquée ; c'est alors seulement que le tribunal ne peut pas se dispenser de l'admettre ; sauf encore la restriction à laquelle nous allons arriver. D'ailleurs, c'est la même solution et par le même motif que celle que nous avons rencontrée pour la présomption attachée à la chose jugée (v. art. 80).
Le 2e alinéa tranche la question dont la solution est le plus grand intérêt de la controverse sur la nature de la prescription. Nous avons dû, par anticipation, soulever et résoudre cette question, dans notre préambule, ce qui nous permet de n'en plus dire ici que quelques mots.
Fallait-il admettre le défendeur à invoquer la prescription et à en obtenir le bénéfice, lorsqu'il reconnaît, tout en l'invoquant, qu'il n'a pas acquis ou qu'il n'est pas libéré par un des modes légaux d'acquisition ou de libération ?
Assurément, dans l'opinion qui voit dans la prescription un mode légal d'acquisition ou de libération, la solution serait affirmative en faveur du défendeur. Mais l'opinion contraire doit repousser un pareil résultat qui rendrait la prescription immorale dans son caractère, inique dans son effet et déshonorante pour celui qui s'en prévaudrait avec un pareil cynisme.
Le texe refuse formellement le bénéfice de la prescription à celui qui s'est déclaré lui-même en dehors des conditions de son application : la loi considère sa déclaration “ comme une renonciation à la prescription.”
Il ne faut pas d'ailleurs conclure de cette disposition de la loi que le défendeur qui invoque la prescription pourrait être sommé d'avoir à s'expliquer sur la réalité de son acquisition ou de sa libération, ni qu'il pourrait être soumis à un interrogatoire sur faits et articles tendant à obtenir un aven sur ce point : cette provocation de la preuve contraire n'est permise que contre les courtes prescriptions (v. art. 161) ; ici l'aveu ne peut être que spontané.
Il convient de placer ici une observation importante qui aurait pu déjà trouver sa place, c'est que si la prescription est presque toujours invoquée par le défendeur (comme l'autorité de la chose jugée), elle peut l'être tout aussi bien par le demandeur, et cela dans ses deux applications Ainsi un possesseur qui a rempli les conditions de la prescription acquisitive a perdu ensuite la possession : il peut, en se fondant sur la prescription, revendiquer la chose contre le possesseur actuel qui peut être l'ancien propriétaire ou un tiers.
Ainsi encore, un débiteur qui avait donné une hypothèque en garantie de sa dette, et en faveur duquel la prescription libératoire est accomplie, intentera une action en radiation d'hypothèque, et il commencera par prouver, par la prescription, que sa dette est éteinte.
Dans les deux systèmes sur la nature de la prescription, cette solution est incontestable.
Art. 97. De ce que les juges ne peuvent suppléer le moyen tiré de la prescription, il ne suit pas qu'elle soit un bénéfice exclusivement attaché à la personne de celui en faveur duquel elle est accomplie : elle a un intérêt pécuniaire qui fait partie du patrimoine de la partie intéressée ou se rattache à ses autres droits et les complète. Dès lors, elle doit pouvoir être invoquée, de son chef, par ceux qui ont des droits sur ce patrimoine ou des droits qui en proviennent.
En premier lieu, sont l'héritier et les autres successeurs universels qui le représentent après sa mort : ils pourront naturellement faire valoir les deux prescriptions.
En second lieu, ses successeurs particuliers, c'est-à-dire ceux qui tiennent de lui la possession de la chose à laquelle la prescription peut se rapporter ou des droits sur cette chose: par exemple, ceux auxquels il a vendu, donné ou hypothéqué la chose qu'il possédait sans en être propriétaire : ils n'auront guère à faire valoir que la prescription acquisitive; cependant, les créanciers hypothécaires d'un rang défavorable pourraient avoir à faire valoir la prescription libératoire contre une créance hypothécaire qui leur serait préférable.
Enfin, en troisième lieu, ses créanciers simplement chirographaires qui peuvent exercer ses droits, à son défaut sous certaines conditions énoncées à l'article 339 du Livre des Biens, auquel renvoie notre article : les deux prescriptions leur appartiennent évidemment.
Art. 98. Il était nécessaire que la loi indiquât jusqu'à quel moment de la procédure la prescription peut être invoquée ; le but est surtout de dire qu'elle ne peut être invoquée devant la Cour de cassation ; et la solution devait être la même, soit qu'on considérât la prescription comme un moyen direct d'acquisition ou de libération, soit qu'on la considérât comme une présomption d'acquisition ou de libération ayant une autre cause légitime ; car, dans tous les cas, la prescription repose sur des faits qui ne peuvent être présentés et discutés que devant les tribunaux de première instance ou d'appel et non devant la Cour de cassation, juge du droit seulement.
Ce n'est pas à dire cependant que la Cour de cassation n'aura jamais à statuer sur des questions de prescription ; au contraire, rien ne sera plus fréquent : lorsque la prescription aura été invoquée et que les faits sur lesquels elle aura été fondée auront été constatés en justice, ce qui les mettra hors de discussion ultérieure, il sera possible aux parties respectivement de soutenir devant la Cour de cassation ou que ces faits satisfont aux conditions légales de la prescription ou qu'ils n'y satisfont pas, et la décision de la Cour de cassation validera ou infirmera la décision de la cour d'appel intervenue sur ce point.
Ainsi, la Cour de cassation pourra être appelée à décider si, dans tel cas donne, la possession est précaire ou à titre de propriétaire, si tel titre est ou non une juste cause de possession, si tel acte est ou non interruptif de prescription, si telle modalité du droit ou telle situation respective des personnes produit suspension de prescription, si dans tel cas, la prescription exige tel délai ou tel autre : ce sont là des questions de droit et non de fait.
Des solutions analogues ont été données au sujet de la présomption attachée à la chose jugée.
Art. 99. Lorsqu'il s'agira d'une prescription comptée par années, les années bissextiles intermédiaires y figureront comme les autres, sans qu'il y ait de difficulté. Les deux seuls cas à relever sont ceux, assurément bien rares, où 1° la prescription ayant commencé à être comptée du 28 février d'une année ordinaire devrait finir dans une année bissextile : alors, il faudrait que le 29 février fût accompli ; 2° la prescription ayant commencé le 29 février d'une année bissextile s'accomplirail avec le 28 février d'une année ordinaire : le possesseur ou le débiteur perdrait un jour an premier cas et le gagnerait au second cas.
Le même mode de calcul serait observé, avec plus d'applications, pour une prescription se comptant par mois : la prescription commencée le 1er jour d'un mois quelconque s'achèverait le 28, le 29, le 30 ou le 31 du dernier mois, suivant sa durée légale. Si la prescription a commencé au cours d'un mois quelconque, elle est accomplie lorsque le jour qui pérècde le jour correspondant du mois final est accompli : par exemple, du 15 févrie au 14 mars, du 15 mars au 14 avril.
Quand la prescription s'accomplit par un certain nombre de jours, on ne tient pas compte de l'heure à laquelle elle a commencé : le jour déjà entamé n'est pas compté, la prescription se compte depuis minuit du jour suivant et finit au minuit qui termine jour final.
La même observation s'applique au premier et au der nier jour de toute prescription : les fractions de jours ne sont pas comptées en faveur du possesseur ou du débiteur.
CHAPITRE II.
DE LA RENONCIATION A LA PRESCRIPTION
Art. 100. C'est dans un but de sage protection contre l'imprévoyance de l'homme que la loi ne veut pas qu'un possesseur ou un débiteur se prive d'avance du bénéfice de la prescription. Il pourrait arriver qu'un possesseur menacé d'un revendication et pour la conjurer, quoiqu'ayant des titres, déclarât par une fausse délicatesse, qu'il n'invoquerait jamais la prescription contre celui qui s'annonce comme son adversaire. Le cas serait encore plus fréquent et plus naturel de la part d'un débiteur, soit de même au moment où il craindrait des poursuites, soit surtout au moment du contrat ; dans ce second cas, il lui serait presque impossible de ne pas subir cette condition de la part du créancier : autrement, il lui faudrait renoncer à un emprunt ou à un achat à crédit dont il peut avoir un besoin urgent.
L'un et l'autre ont pu se faire illusion en croyant qu'ils ne perdraient jamais leurs titres, l'un de propriété, l'autre de libération.
Mais dans le cas de la possession, la loi ne peut s'opposer à ce que le possesseur reconnaisse la précarité de sa possession : ce n'est pas renoncer d'avance à une prescription à laquelle on aurait droit, c'est reconnaître qu'on n'est pas dans le cas d'en jouir, qu'on n'en remplit pas une des conditions principales, à savoir la possession à titre de propriétaire (v. art. 138).
La loi reviendra sur cette reconnaissance de précarité (v. art. 120, 2e al.). D'ailleurs, il ne faudrait pas la confondre avec la simple reconnaissance du droit actuel du propriétaire, laquelle ne suffirait pas à donner à la possession le caractère de précarité.
Dans les deux cas, de possession et d'obligation, celui qui est arrivé à pouvoir invoquer la prescription, parce que les conditions, y compris celle du temps, en sont remplies, peut y renoncer, mais toujours pour le passé et sans être privé du droit de profiter d'une nouvelle prescription.
Le possesseur ou le débiteur peut aussi, même avant que la prescription soit accomplie, renoncer an bénéfice du temps écoulé.
Dans ces deux cas, le renonçant ne peut être taxe d'imprévoyance: il sait et il veut ce qu'il fait. Il y a alors, comme dit le dernier alinéa, une sorte de reconnaissance du droit actuel de l'adversaire.
La reconnaissance est interruptive de la prescription et exige que le délai en soit recommencé (v. art. 118 et suiv.).
Art. 101. IL n'est pas nécessaire que la renonciation soit expresse : elle peut être tacite ; seulement, pour qu'il n'y ait pas trop facilement de procès à cet égard, la loi veut que la renonciation résulte clairement des circonstances.
Ainsi, il ne faudrait pas voir une renonciation à la prescription dans le fait que le possesseur aurait produit des titres de propriété, ou le débiteur des quittances, sans invoquer subsidiairement la prescription : il est naturel que celui qui croit avoir des preuves directes de son droit ou de sa libération préfère invoquer ces preuves, plutôt qu'une présomption qui, par cela même qu'elle peut quelquefois abriter la mauvaise foi, répugnera souvent aux personnes qui seraient blessées du moindre soupçon.
C'est dans ce cas que la prescription sera souvent négligée en première instance : alors, celui dont les titres auront été jugés insuffisants par le tribunal fera sagement, tout en les reproduisant en appel, d'invoquer subsidiairement la prescription.
Il serait même très sage à celui qui aurait triomphé avec ses titres en première instance de recourir à ce moyen subsidiaire contre l'appel interjeté contre lui : autrement, si la cour d'appel n'adoptait pas la décision des premiers juges, il ne serait plus possible de proposer devant la Cour de cassation le moyen tiré de la prescription (v. art. 98).
Art. 102. Il est clair que s'il était permis à un incapable de renoncer à une prescription accomplie il arriverait indirectement à ce que la loi lui interdit de faire directement, c'est-à-dire à aliéner ou à s'obliger.
On remarquera que la loi exige, pour la validité de la renonciation à la prescription accomplie, la capacité d'aliéner ou de s'obliger " gratuitement.”
Ceci rappelle ce que nous avons dit en commençant du caractère onéreux de l'acquisition ou de la libération présumée, mais semble le contredire ; il n'en est rien cependant : il est clair que si le possesseur qui prescrit est présumé avoir acquis à titre onéreux c'est-à-dire moyennant une contre-valeur, en sens inverse quand il se prive du bienfait de la prescription accomplie, il se nuit autant que s'il aliénait sans recevoir une contre-valeur, il en est de même pour la renonciation à la prescription libératoire.
Nous exceptons, bien entendu, le cas où la renonciation serait compensée par une contre-valeur, elle aurait alors le caractère d'une transaction et on en observerait les règles quant à la capacité.
La loi profite de cette nouvelle occasion d'accentuer le caractère de présomption de la prescription, en parlant du “ droit présumé acquis et de l'obligation présumée éteinte : ” il serait d'ailleurs tout-à-fait impossible, dans le système du Code, de dire que le droit est acquis et l'obligation éteinte.
La loi ne parle que d'une prescription “ accomplie : ” elle ne s'applique donc pas à une prescription en cours à laquelle le possesseur ou le débiteur incapable aurait renoncé ; elle ne prononce aucunement sur la valeur de cette renonciation; mais les principes généraux de l'incapacité suffiront à résoudre cette difficulté.
D'abord, c'est avec raison que ce second cas n'est pas traité avec la même rigueur que le premier : le possesseur ou le débiteur n'était pas sûr, dans le second cas, d'arriver à la prescription ; il pouvait être, il était même déjà sans doute actionné en revendication ou en payement et, par sa renonciation, il a prévenu ou fait cesser les poursuites ; tandis que, dans le premier cas, il n'avait qu'un mot à dire pour triompher.
Mais ce n'est pas à dire que, dans le second cas, la renonciation soit nécessairement valable : nous verrons, au sujet de la reconnaissance fart. 122), qu'elle exige aussi une certaine capacité que plusieurs personnes n'ont pas.
Art. 103. On a vu à l'article 98 que les créanciers peuvent invoquer la prescription du chef de leur débiteur, lorsqu'il la néglige : ils exercent alors le droit qui leur appartient comme ayant-cause (v. Liv. des Biens, art. 389). Mais si leur débiteur ne s'est pas seulement abstenu de faire valoir la présomption, s'il y a renoncé formellement, alors les créanciers n'en sont pas nécessairement privés; s'ils peuvent prouver que leur débiteur, en renonçant à une prescription acquisitive ou libératoire, a été mu, non par un sentiment de délicatesse provenant de l'incertitude de son droit, mais par un désir de fraude à leur égard, par le désir de les frustrer d'un moyen d'être payés, alors ils agissent non plus comme ses ayant-cause, mais comme des tiers, car il ne les a pas représentés en les frustrant ; ils n'invoquent plus la prescription au nom et du chef de leur débiteur, mais en leur propre nom, par l'action ré-vocatoire (v. art. 340 et s ).
CHAPITRE III.
DE L'INTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION.
Art. 104. En matière de prescription, on dit que son cours est interrompu, lorsque le temps qui en a déjà couru demeure sans effet et qu'il faut le compter à nouveau en entier ; tandis que lorsqu'il y a suspension, ce n'est qu'un temps d'arrêt, plus ou moins long, mais après lequel on recommence à compter le temps depuis le moment où l'on s'était arrêté (v. art. 129).
Art. 105. La distinction entre l'interruption naturelle et l'interruption civile est consacrée dans les Codes étrangers et il n'y avait pas lieu de la négliger dans ce Code : on verra à l'article 107, comparé à l'article 110, qu'elle a un grand intérêt pratique.
Le texte fait remarquers d'ailleur que cette distinction ne concerne que la prescription acquisitive, car, pour la prescription libératoire, il n'y a qu'une interruption civile possible.
La loi indique à l'article suivant ce qui constitue l'interruption naturelle et à l'article 109 ce qui constitue l'interruption civile, mais on n'y trouve pas une définition dogmatique.
Nous dirons ici, comme préambule, que l'interruption naturelle consiste dans un fait matériel ou physique, la dépossession, tandis que l'interruption civile résulte de faits intellectuels, soit juridiques, soit judiciaires.
Art. 106. On sait que la possession civile, celle qui mène à la prescription acquisitive, a un double élément, la détention réelle ou physique d'une chose, et l'intention de l'avoir comme propriétaire, ce qu'on appelle, dans le langage consacré “le fait et l'intention,” (v. Liv. des Biens, art. 180). Si le possesseur cessait d'avoir l'intention de posséder tout en conservant la détention de la chose, il n'y aurait pas interruption niais discontinuité de la possession (v. art. 108 et 139) ; tandis que s'il perd la détention physique, tout en gardant l'intention d'avoir la chose à lui, il y a interruption naturelle, et encore faut-il que cette dépossession vienne du fait du vrai propriétaire ou du fait d'un tiers, car si elle vient de la pure volonté du possesseur, il y a encore discontinuité (ibid.) et si elle provient d'une “ force majeurre temporaire,” le possesseurs ne perd aucun de ses avantages (3e al. de notre art.).
Il faut aussi pour que la dépossession par le fait du propriétaire ou d'un tiers produise interruption naturelle qu'elle ait duré plus d'un an: autrement, si le possesseur recouvre la possession par l'action en réintégrande, il est censé ne l'avoir pas perdue dans l'intervalle (v. Liv. des Biens, art. 206).
La loi nous dit que cette interruption peut concerner soit un immeuble ou un meuble particulier, soit une universalité de meubles : mais elle ne parle pas d'une universalité d'immeubles seulement, parce qu'elle n'admet pas qu'on puisse posséder et prescrire une telle universalité d'immeubles : lors même qu'il s'agirait des immeubles d'une succession, ile ne seraient jamais tellement nombreux qu'on ne pût les considérer, au point de vue de possession, comme des immeubles déterminés, et on devrait vérifier pour chacun, s'il a été l'objet d'actes de possession suffisamment caractérisés.
Ce n'est pas à dire qu'on ne puisse acquérir par prèscription une hérédité tout entière, meubles et immeubles, mais alors, outre la possession des choses corporelles, il y aurait eu exercice des principaux droits DE L'INTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION. 479 héréditaires et possession du titre et de la qualité d'héritier.
Quoique l'article 104 ait déjà dit que “ le cours de “ la prescription interrompue recommence dès que la “ cause d'interruption a cessé,” il n'a pas paru inutile d'insérer ici une disposition analogue et on en retrouvera même une autre au su jet de l'interruption civile (v. art. 121), parce qu'il y a des nuances dans ces divers cas.
Ainsi, dans le cas qui nous occupe, il est bon de faire remarquer que si l'interrupteur cessait lui-même de posséder, cela ne suffirait pas pour que la prescription recommençât à courir au profit du dépossédé : il faudrait qu'il eût recouvré la possession ; tandis que, s'il s'agissait d'une interruption civile résultant d'une procédure et durant autant qu'elle, la prescription recommencerait à courir à la fin de la procédure, sous certaines distinctions qu'on rencontrera plus loin.
Quant aux privations temporaires de la possession par force majeure, on peut, sans aller jusqu'à l'hypothèse de troubles civils intérieurs, supposer une inondation, une. éruption volcanique, ou même le simple retour, plus on moins périodique, de phénomènes atmosphériques qui rendent certaines parties du sol inaccessibles au possesseur, soit par les pluies estivales, soit par les neiges hybernales.
Art. 107. C'est ici la différence la plus saillante entre l'effet de l'interruption naturelle et celui do l'interruption civile : celle-ci “ ne produit d'effet qu'au profit de celui par les soins ou en faveur duquel l'acte interruptif a été fait, ou de ses ayant-cause ” (v. art. 110): c'est un effet purement relatif, comme est, en général, celui de tout acte juridique et surtout judiciaire ; tandis que l'interruption naturelle a un effet absolu, profite à tous ceux qui y ont intérêt ; on peut dire qu'elle opère en quelque sorte contre la chose possédée, et que l'interruption civile opère du chef de la personne de l'interrupteur.
Il est bien évident, en effet, que, quand la possession a cessé dans son principal élément, qui est le fait de la détention de la chose, le possesseur ne peut plus, quel que soit l'auteur de la dépossession, se prévaloir vis-à-vis de personne d'une possession qui n'a pas eu la durée nécessaire ; tandis que, lorsqu'il a seulement été actionné en revendication, tout en restant possesseur, cette interruption civile, par acte judiciaire, ne peut profiter qu'à son auteur ou à ses ayant-cause, de même qu'un jugement final qui aurait suivi ne produirait que cet effet relatif; c'est l'application du principe que “la chose faite ou jugée entre les uns ne nuit ni ne profite aux autres.”
Art. 108. On a déjà annoncé plus haut qu'il n'y a pas interruption naturelle proprement dite, lorsque le possesseur cesse volontairement de posséder pendant un certain temps : il y a alors discontinuité de la possession. Sans doute, les deux faits ont une grande analogie, puisque la possession discontinue doit être recommencée en entier (v. art. 139) et que l'effet de la discontinuité est absolu comme celui de l'interruption naturelle; mais il ne faut pas les confondre, au moins quant a leur cause, puisque, comme le dit notre article, la discontinuité peut résulter aussi bien du changemant d'intention que de l'abandon de la détention matérielle.
Art. 109. Chacun des cinq modes d'interruption civile étant repris séparément dans les articles suivants, avec les détails nécessaires, il est inutile de s'y arrêter ici où ne s'en trouve que l'énumération.
Remarquons seulement la condition finale qui aurait pu, à la rigueur, être suppléée sans texte : il faut “ que lesdits actes de procédure ou de reconnaissance concernent clairement le droit contre lequel court la prescription et on pourrait ajouter : “ contre celui en faveur duquel elle est commencée.” Ainsi, une demande en justice ou une citation en conciliation pourrait ne pas désigner d'une façon assez précise quelle chose est revendiquée, quel payement est réclamé ou quel est le défendeur. Sans doute, il faudra bien, devant le tribunal, que le demandeur précise complètement sa prétention, mais l'interruption ne commencerait qu'à ce moment et non à celui où la citation imparfaite aurait été donnée.
L'utilité de cette condition se retrouvera d'ailleurs sur l'article 111, au sujet des demandes ” nulles en la forme ” qui peuvent, dans ce Code, interrompre la prescription.
Art. 110. Cet article, rapproché de l'article 107, complète le parallèle et la différence dans les effets entre l'interruption naturelle et l'interruption. civile: la première était absolue, celle-ci est purement relative. Nos développements, à ce sujet, sur l'article 107 nous dispensent d'y insister davantage.
Art. 111. Le premier mode d'interruption civile, le plus fréquent et le plus naturel assurément, est la demande en justice ; la loi nous dit, incidemment, que cette demande peut être : “ principale,” c'est-à-dire ouvrant une instance, “ incidente,” c'est-à-dire survenant au cours d'une instance, par voie d'addition à la première, enfin “reconventionnelle,” c'est-à-dire servant de défense à l'une des deux actions du demandeur, comme une demande en compensation. Cette distinction est très importante en procédure, et c'est justement parce qu'elle est sans influence ici que la loi y met les trois sortes d'actions sur la même ligne.
Ce qui est l'objet de 1 article c'est de nous dire que la demande, quoique nulle en la forme ou portée devant un tribunal incompétent (ce qui est un autre cas de nullité), n'en est pas moins interruptive de prescription.
Sous ce rapport, le Code japonais va au-delà de plusieurs Codes étrangers dans le sens favorable à l'interruption ; ces Codes, en effet, admettent bien que l'incompétence du tribunal saisi n'est pas un obstacle à l'interruption, mais ils n'accordent pas la même indulgence à la nullité de forme.
Pour justifier une pareille différence : on a dit que les questions de compétence sont souvent difficiles et qu'une erreur du demandeur à cet égard est excusable, tandis que la forme des demandes est assez nettement déterminée par la loi pour qu'il n'y ait pas d'excuse à la négliger. Mais il n'est pas absolument vrai qui les formes de la demande ne présentent aucune difficulté et il peut arriver que les tribunaux rejettent une demande comme nulle en la forme sauf à la renouveler.
N'est-il pas dès lors plus juste, de regarder l'avertissement donné à l'adversaire comme suffisant pour arrêter le cours de la prescription ? Celle-ci n'est pas d'ailleurs accomplie, elle n'est pas encore un droit acquis, une preuve complète : elle n'y est qu'un acheminement ; qu'importe, dès lors, au défendeur qu'il y ait quelque irrégularité dans cette demande, dès qu'il est prévenu que son adversaire n'entend pas laisser périmer son droit.
Nous rappellerons seulement ici une condition de l'article 109, in fine, d'après laquelle la nullité de forme pourra quelquefois mettre obstacle à l'interruption : parmi les formes des demandes, il y en a une essentielle visée par l'article précité et dont l'inobservation ôtera tout effet à la citation, c'est la désignation de l'objet de la demande ; il est clair que si la citation ne donnait pas cette désignation, le défendeur ne pourrait être considéré comme suffisamment averti de la nature de la prétention élevée contre lui.
La loi devait dire quelle sera l'issue d'une interruption civile par une demande nulle pour incompétence : il est clair qu'il faut une nouvelle demande pour réparer le vice de la première. Mais dans quel délai doit-elle être faite pour que l'interruption soit confirmée ? La loi accorde deux mois pour former la nouvelle demande.
Art. 112. Cet article fait suite au 2e alinéa de l'article précédent, en ce qu'il présente trois autres cas où l'interruption, d'abord valable, n'est pas confirmée par la suite.
Ier Cas. La demande, régulière d'ailleurs quant à la forme et à la compétence, “ a été rejetée au fond.” Il est clair que l'interruption qui en était l'effet, conditionnel en quelque sorte, est elle-même rejetée.
Mais ici une objection se présente naturellement à l'esprit : si la demande est rejetée au fond, ce n'est plus dès lors la prescription que le défendeur invoquera, s'il est de nouveau actionné au même sujet, ce sera l'autorité de la chose jugée; à tel point que, lors même que la prescription n'aurait point encore eu le temps de s'accomplir, il n'en serait pas moins à l'abri d'une nouvelle demande.
Pour répondre à l'objection, il faut supposer un cas où il y aurait plusieurs co-intéressés qui n'auraient pas qualité pour invoquer respectivement la chose jugée en faveur de l'un d'eux et qui, au contraire, pourraient invoquer la prescription comme commune.
Ainsi, supposons plusieurs créanciers solidaires ou plusieurs créanciers d'une dette indivisible, la poursuite d'un de ces créanciers a bien interrompu la prescription au profit do tous (v. Liv. des Garanties, art. 81 et 89, 2e al.) ; mais le jugement intervenu sur la dette, contre ce créancier, ne nuit pas toujours aux autres créanciers (v art. 78 à 80 du même Livre); lors donc que le débiteur aura triomphé contre l'un de ces créanciers, il sera encore exposé aux poursuites des autres, puisque le jugement ne leur est pas opposable; mais comme l'interruption résultant de la première poursuite est réputée non avenue, la prescription qui n'a pas cessé de courir peut être accomplie au moment des nouvelles poursuites et produira son effet.
IIe Cas. Le demandeur s'est désisté ” : Le désistement est l'abandon de l'action ou de la procédure entamée, mais non du droit lui-même, lequel ne peut se faire que par remise conventionnelle, s'il s'agit d'une obligation, par renonciation, s'il s'agit d'un droit réel, ou par transaction, pour les deux sortes de droits. Si le demandeur se désiste de son action, les choses sont remises au même état que si la demande n'avait pas eu lieu : une nouvelle demande est encore possible, mais l'interruption est non avenue, la prescription a continué à courir et, si elle est accomplie au moment de la nouvelle demande, celle-ci sera rejetée.
IIIe Cas. “ L'instance a été déclarée périmée." La péremption d'instance résulte de la discontinuité des poursuites pendant un temps fixé par le Code de Procédure civile.
La péremption peut être considérée comme un désistement tacite ; son effet est le même, à plusieurs égards : elle ne met pas obstacle à une nouvelle demande ; mais, l'interruption de la prescription par l'effet de l'instance périmée étant réputée non avenue, il est possible que la prescription se treuve accomplie an moment de la nouvelle demande.
La péremption diffère d'ailleurs du désistement en ce qu'elle n'a pas effet de plein droit : elle doit être invoquée par le défendeur, avant quelle ait été couverte par un acte de procédure du demandeur ; tandis que le désistement. une fois signifié au défendeur, lui est acquis.
Art. 113. Il est naturel que lorsque, l'interruption a été opérée par la demande, le demandeur ne soit pas obligé de la soutenir par des actes plus ou moins rapprochés : les actes ordinaires de procédure y suffisent; ils ne deviennent inefficaces, à cet effet, que s'ils ont été longtemps arrêtés et s'il y a eu péremption déclarée, à la requête du défendeur, comme il vient d'être dit.
On a ici un exemple de cas où la prescription interrompue ne recommence pas à courir immédiatement.
Art. 114. Lorsque la conciliation a été tentée, il est naturel que la citation donnée à cet effet au défendeur interrompe la prescription, puisque c'est le premier acte par lequel son adversaire lui fait connaître sa prétention et tend à conserver son droit.
Si les parties, pour éviter les frais et pour se témoigner du bon vouloir, comparaissent volontairement devant le conciliateur, c'est alors le jour de la comparution même qui est celui de l'interruption, tandis que, dans le premier cas, c'est celui de la citation lequel devance toujours un peu celui do la comparution.
Notons ici deux ressemblances entre la citation eu justice et la citation en conciliation :
1° Les demandes reconventionnelles sont assimilées, à cet égard, aux demandes principales (1er al.) ;
2° La citation nulle doit être remplacée par une demande régulière, dans le mois du rejet de la première (2e al.).
Enfin, si le défendeur ne comparaît pas sur citation régulière, ou si, après comparution volontaire ou sur citation, il n'y a pas eu conciliation, l'interruption est réputée non avenue, à moins que la demande en justice ne soit formée dans le mois (3e al.)
Art. 115. Quand une partie a déjà en sa faveur un jugement ou un acte authentique exécutoire sans jugement, il est clair que si elle veut interrompre une prescription, elle ne peut ni donner une citation en conciliation, ni former une demande en justice, et pourtant, dans le cas d'un jugement déjà obtenu, la prescription qui avait été interrompue par la procédure a recommencé un nouveau cours et dans le cas d'un acte authentique la prescription peut avoir couru depuis bien longtemps et être imminente.
La loi vient alors an secours de la partie intéressée, propriétaire ou créancier, en attachant l'effet interruptif à la demande d'exécution : elle contient pour celui qui la reçoit un avertissement plus énergique encore que celui d'une demande en justice. Mais il ne faudrait pas que la partie qui a fait cette demande crût pouvoir sans danger rester ensuite dans une inaction indéfinie : la loi veut que la saisie-exécution ait lieu dans l'année, autrement l'interruption de la prescription sera non avenue.
Si la demande d'exécution n'était pas régulière, par inobservation des formes prescrites au Code de Procédure, elle ne serait pas nécessairement sans effet, ni toujours interruptive de prescription : on examinerait si elle remplit au moins les conditions de la sommation interruptive, à laquelle nous arrivons.
Art. 116. La sommation qui est un moyen de mettre le débiteur en demeure est admise aussi par la loi comme moyen d'interrompre la prescription.
Mais la loi y met deux conditions dont la première rappelle la disposition finale de l'article 109 et dont la seconde est en harmonie avec plusieurs conditions analogues des articles précédents : 1° il faut que la sommation indique clairement l'obligation dont il s'agit, par son objet et sa cause ; 2° que la sommation, si elle est restée sans effet, soit suivie, dans les six mois d'une demande en justice ou en conciliation.
Art. 117. On a vu à l'article 115 que lorsque, la demande d'exécution a etc faite régulièrement, elle a produit un effet interruptif de prescription, mais que si elle n'est pas suivie de la saisie-exécution dans l'année, l'interruption est non avenue. La saisie-exécution même tardive deviendra elle-même un nouveau moyen d'interruption.
Certaines saisies urgentes ne demandent pas de présentation d'un titre exécutoire : ces saisies interrompront la prescription par elles-mêmes, et comme la procédure en peut être plus ou moins longue, par suite d'incidents, le texte nous dit ici que l'interruption dure autant que la procédure, “ pourvu que celle-ci soit continuée régulièrement jusqu'à sa terminaison ” et s'il s'agit de saisies provisoires, le tribunal fixe le délai dans lequel la demande en justice doit être formée; passé ce délai, l'interruption est non avenue.
Le 3e alinéa demande à être expliqué par un exemple. Un créancier pratique une saisie-arrêt contre le débiteur de son débiteur, contre un tiers débiteur, cette saisie ne se trouve pas pratiquée “contre celui qui prescrit,” lequel est le débiteur principal : pour qu'elle interrompe la prescription contre celui-ci, il faut qu'elle lui ait été notifiée : cela est tout naturel, Il en serait de même d'une saisierevendication que ferait un bailleur sur des objets formant son gage qui auraient été déplacés sans son consentement ou appartiendraient à un sous-locataire (v. Liv. des Garanties, art. 148, 2e al. et 150).
Si au contraire, le créancier saisit les meubles possédés par son débiteur même, celui-ci est suffisamment averti par cette saisie.
Art. 118. La reconnaissance est le dernier mode d'interruption et c'est un des plus fréquents, parce qu il est prompt et presque sans frais.
La reconnaissance peut être faite en justice ou extrajudiciairement :
1° En justice, elle peut être spontanée ou consister dans un aveu obtenu par interrogatoire sur faits et articles ; ceci n'a rien de contraire à ce qui a été dit plus haut, que la renonciation à la prescription ne peut être sollicitée par un interrogatoire de ce genre; il s'agissait alors d'une prescription acquise et non, comme ici, d'une prescription en cours: si l'interrogatoire avait été permis au cas de l'article 96, il aurait porté sur la réalité de l'acquisition oude la libération présumée, en d'autres termes sur le bien fondé de la prescription, et c'est ce que la loi ne permet pas ; mais ici l'interrogatoire portera sur le fond du droit, sur l'existence du droit de propriété ou sur la créance ou son extinction, alors que la prescription n'est pas invoquée et ne peut l'être utilement. Si le défendeur ne reconnaît pas le droit du demandeur, il pourra être condamné ; il est donc désirable qu'il fasse cette reconnaissance ; c'est même son intérêt et il est naturel qu'il y soit invité.
2° Extrajudiciairement: soit par un écrit authentique ou privé, même par lettre, soit verbalement, mais alors dans les cas seulement où l'aveu verbal peut être prouvé par témoins, conformément à l'article 36.
Rappelons, en terminant, l'article 37 qui donne une solution tout exceptionnelle, pour le cas où l'aveu a été rétracté par suite d'une erreur de fait : l'interruption n'est ni tout-à-fait maintenue, ni tout-à-fait non avenue; d'un côté, le défendeur a, été averti de la prétention du demandeur et la rétractation ne détruit pas cet avertissement ; d'un autre côté, il ne doit pas être aussi maltraité que si son aveu était valable ; la loi concilie les deux idées en permettant au défendeur de bénéficier de la reprise du cours de la prescription au point où elle était lors de l'aveu.
Art. 119. Ceci est une autre distinction dans les reconnaissances.
Il n'y a rien à dire de la reconnaissance expresse.
A l'égard de la reconnaissante tacite, la loi distingue s'il s'agit de la prescription acquisitive ou de la prescription libératoire ; mais elle ne donne que des exemples de reconnaissance tacite et non une énumération limitative.
Tl est naturel que le possesseur d'un immeuble soit considéré comme reconnaissant le droit de propriété du demandeur, lorsqu'il acquiesce à une demande de fruits ou d'indemnité pour dégradations : il désavoue toute prétention à la propriété ; il en est de même, lorsque, en sens inverse, c'est lui qui demande le remboursement de dépenses nécessaires ou ulties faites sur la chose.
En matière de prescription libératoire, il est également naturel de considérer le débiteur comme reconnaissant sa dette lorsqu'il acquiesce à une demande d'intérêts ou de payement total ou partiel de cette dette, et, en sens inverse, lorsque c'est lui qui fait une offre de payement, même sans présenter la chose due, ou s'il demande un délai de grâce.
A plus forte raison, dans les deux cas de prescriptions, y aura-t-il renonciation tacite, si le défendeur a rendu les fruits demandés, a payé les indemnités ou les intérêts, ou s'il a reçu le remboursement de ses dépenses.
Il faut de même admettre comme reconnaissance tacite du droit du créancier, le fait d'invoquer un délai de droit non encore écoulé ou une condition non encore accomplie et, à plus forte raison, le fait de demander une prorogation de délai an créancier ou au tribunal.
Art. 120. Comme la reconnaissance est un fait instantané, à la différence des procédures interruptives de prescription, une nouvelle prescription recommence à courir immédiatement, au moins en général. Mais la nouvelle prescription ne s'accomplira pas toujours par le même délai que la précédente.
La loi distingue encore, à ce sujet, entre la prescription acquisitive et la prescription libératoire.
S'il s'agit de la prescription acquisitive, le possesseur qui était peut-être de bonne foi à l'origine, commençant une nouvelle possession autant qu'une nouvelle prescription, ne pourra plus se prévaloir de sa bonne foi, au moins vis-à-vis du même demandeur. La loi a soin d'indiquer cette restriction à sa sévérité, parce que cela constitue une différence avec l'interruption naturelle dont l'effet est absolu (v. art. 107); il est, en effet conforme aux principes généraux qu'un acte juridique ne produise d'effets qu'entre les parties et leurs ayant-cause.
La loi ne s'explique pas ici sur la juste cause : d'abord il n'y a pas d'intérêt, puisque la juste cause sans bonne foi n'abrègerait pas la nouvelle prescription ; ensuite, il n'est pas douteux que la juste cause antérieure n'est pas détruite par la reconnaissance : la juste cause est un fait dont l'existence peut être discutée, contestée, mais qui une fois établi ne peut être détruit par une déclaration quelconque ; d'ailleurs, la reconnaissance du droit du vrai propriétaire n'a rien qui contredise la réalité d'un acte passé avec une autre personne.
La loi n'avait pas à formuler cette règle purement dogmatique.
Mais la reconnaissance peut prendre un autre caractère et enlever à celui qui la fait tout droit à la prescription, et cela non-seulement vis-à-vis du demandeur, mais vis-à-vis de tous autres, c'est lorsqu'elle constitue le possesseur en état de détention précaire, c'est-à-dire lorsqu'il déclare posséder pour le demandeur qu'il reconnaît propriétaire : la précarité, en effet, est une qualité incompatible avec la prescription, puisqu'elle exclut l'intention d'avoir à soi.
La loi rappelle cependant que le vice de précarité peut être purgé de deux manières mentionnées à l'article 185 du Livre des Biens.
Art. 121. Il s'agit ici de la reconnaissance de dette, laquelle interrompt la prescription libératoire. Une nouvelle prescription recommence immédiatement.
Mais cette nouvelle prescription peut n'être plus de la même durée que la précédente : elle sera toujours de trente ans, “ quoique, primitivement, elle pût être plus courte.” Et cela est très juste : lorsqu'il s'agit de courtes prescriptions, le délai n'a cette brièveté que parce que la dette est de celles qu'il est d'usage de payer promptement et dont aussi le débiteur ne garde pas longtemps les quittances ; en même temps, les preuves des créanciers ne sont pas toujours bien convaincantes ; mais lorsque le débiteur a reconnu sa dette devant la justice qui en a donné acte au créancier, ou par un écrit qui reste dans les mains de celui-ci, il est naturel que le débiteur qui acquitte sa dette ensuite s'en fasse donner une preuve écrite et qu'il ne soit dispensé de produire cet écrit, par présomption de payement, qu'après trente ans.
Art. 122. L'article 102 a réglé la capacité requise pour renoncer à la prescription ” accomplie.”
Il s'agit ici seulement d'une renonciation au bénéfice du temps déjà écoulé (v. art. 100, 2e al.), car c'est là, en somme, le principal effet de la reconnaissance.
Pour cette renonciation ou reconnaissance, la loi n'exige que “la capacité ou le pouvoir d'administrer, pour soi-même ou pour autrui, les biens que concerne la prescription.” En effet, comme on l'a déjà fait remarquer par anticipation, sous l'article 102, celui qui renonce à une prescription accomplie se dépouille, gratuitement en général, d'un avantage certain ; tandis que celui qui n'est qu'en voie de prescrire n'a aucune certitude d'arriver à une prescription complète : peut-être même est-il déjà actionné au moment de sa renonciation.
Par application de notre article, la reconnaissance faite par un interdit sera toujours annulable ; elle pourra être annulée en faveur du mineur non émancipé, lorsqu'elle constituera pour lui une lésion (v. Liv. des Biens, art. 547, 2e al. et 548).
A l'égard des mandataires, légaux, judiciaires ou conventionnels, ce n'est pas une question de capacité proprement dite, mais de p o u v o i r, comme le texte a soin de l'exprimer ; or, le pouvoir qui leur est nécessaire pour faire une reconnaissance interruptive de prescription varie suivant qu'il s'agit d'une prescription acquisitive ou libératoire.
S'il s'agit d'une prescription libératoire, le pouvoir d'administrer les biens du débiteur suffit, car les mandataires pourraient payer la dette; ils doivent donc pouvoir la reconnaître pour éviter des poursuites et retarder le payement. Mais, pour une prescription acquisitive, il leur faut le pouvoir l'acquiescer à la demande immobilière concernant le bien qu'ils administrent.
Art. 123. Comme la reconnaissance du droit contre lequel on prescrit n'est pas un contrat mais un acte unilatéral, la loi croit utile de dire que cet acte est soumis, quant à sa preuve, aux modes ordinaires : il n'y a, à cet égard, ni faveurs ni conditions spéciales ; pour la preuve testimoniale notamment, il faudra que l'intérêt engagé n'excède pas 50 yens, ou que l'on se trouve dans les cas exceptionnels où cette limite n'est plus imposée.
Art. 124. Cet article n'est qu'un renvoi à des théories spéciales déjà souvent rencontrées, le cautionnement, la solidarité et l'indivisibilité actives et passives, lesquelles créent entre les parties une certaine communauté d'intérêts qui influe sur l'interruption de la prescription par l'effet d'une sorte de mandat réciproque. Comme on est entré, à cet égard, dans des développements suffisants sous les articles cités au texte, on ne doit pas y revenir ici.
CHAPITRE IV.
DE LA SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION.
On sait déjà, par ce qui a été dit sous l'article 104, et bientôt l'article 129 disposera formellement que la suspension est un temps d'arrêt dans la prescription, lequel ne met pas, comme l'interruption, obstacle à la jonction du temps déjà utilement écoulé au temps qui reprendra son cours après un certain intervalle. Mais on n'a pas encore indiqué le caractère différent des causes de suspension comparé a celui des causes d'interruption.
On a vu. au Chapitre précédent, que les causes d'interruption consistent toujours dans un fait volontaire de l'homme tendant, d'une façon plus ou moins directe et formelle, à la conservation du droit menacé par la prescription.
Ici, les causes sont indépendantes d'un fait actuel de l'homme : elles résultent, soit de la modalité des droits exposés à la prescription, soit de la condition du titulaire de ces droits, c'est-à-dire du propriétaire ou du créancier, et cette condition est envisagée tantôt d'une façon absolue ou en elle-même, tantôt relativement au possesseur ou au débiteur.
Du reste, ce ne sont là encore que les causes immédiates ou directes et, pour ainsi dire, externes, de la suspension : elles se peuvent ramener à une cause supérieure et unique qui est l'impossibilité certaine ou présumée par la loi, chez le propriétaire ou le créancier, de faire valoir son droit par action eu justice ou autrement Toute cette théorie de la suspension sera encore une preuve que la prescription n'est qu'une présomption que le droit a été épuisé par son exercice ou par un abandon volontaire, et ici la présomption fera défaut.
Cette différence de nature des causes suffit à faire comprendre que l'effet de la suspension soit moins rigoureux que celui de l'interruption et qu'elle ne produise qu'un arrêt dans la marche du temps de la prescription, au lieu d'anéantir le bénéfice du temps déjà écoulé, comme fait l'interruption.
Art. 125. On sait que la condition suspensive, tant qu'elle n'est pas accomplie, inet obstacle à la naissance du droit qui y a été subordonné, soit par la convention, soit par la loi ; le terme, au contraire, n'empêche pas le droit de naître, mais il met seulement obstacle à son exercice (v. Liv. des Biens, art. 403 et 408).
Il est naturel que les droits ne puissent se perdre par la prescription tant qu'ils n'ont pu être exercés; c'est le cas où s'applique exactement la maxime dont on abuse quelquefois : “ contre celui qui ne peut agir en justice la prescription ne court pas.” Il est impossible, en effet, de présumer raisonnablement qu'un créancier, par exemple, a été désintéressé, tant qu'il ne pouvait réclamer son payement.
Il ne faudrait pas s'arrêter à l'objection que si le terme a été stipulé dans l'intérêt du créancier il a toujours pu y renoncer : de ce qu'il a pu renoncer au terme ce n'est pas une raison pour qu'il l'ait fait ; par conséquent, si le débiteur ne prouve pas que cette renonciation a eu lieu, le ternie reste un obstacle au cours de la prescription, parce qu'il empêche de présumer qu'il y a eu payements L'objection aurait encore moins de valeur si le terme avait été stipulé dans l'intérêt du débiteur ; celui-ci ne pourrait alléguer qu'un terme auquel il a toujours pu renoncer ne peut être retourné contre lui et le priver de la prescription : il a pu y renoncer, sans doute, mais s'il ne prouve pas l'avoir fait, il est présumé en avoir joui.
La loi exprime formellement que le ternie de grâce a le même effet suspensif que le terme de droit, et cela est juste, car le terme de grâce, concédé par le tribunal, met, tout autant que le terme de droit concédé par le créancier, obstacle à l'action de celui-ci. Cependant, il est plus fragile, en ce sens que le débiteur en peut être déchu plus facilement (v. Liv. des Biens, art. 407).
On pourrait se demander si le débiteur qui se trouverait dans un des cas de déchéance du terme, de droit ou de grâce, pourrait recouvrer le bénéfice de la prescription. La réponse dépend d'une distinction : comme la déchéance du terme soit de droit, soit de grâce, n'a pas lieu de plein droit, mais doit être demandée en justice par le créancier, le débiteur ne recouvrera le bénéfice de la prescription qu'après le jugement qui aura prononcé sa déchéance ; jusque-là, il ne peut prescrire, car ce serait tirer avantage de sa faute, puisque les cas de déchéance (sauf un seul, celui où il y a compensation légale) supposent sa faute.
Un cas particulier demande un instant d'attention. Si, au cours de la prescription, le créancier a concédé au débiteur un terme qui sera de droit, ou si le tribunal lui a concédé un terme de grâce, quelle sera l'influence de ce terme sur la prescription ?
Il ne faudrait pas répondre d'une façon absolue qu'il en résultera une suspension, et quelquefois, en sens inverse, cet effet sera dépassé.
Ainsi, si le créancier, de son propre mouvement faisait savoir au débiteur qu'il lui accorde un délai sans que celui-ci y acquiesçât, il serait inadmissible que le créancier pût ainsi retarder pour le débiteur le bénéfice d'une prescription peut-être près de s'accomplir : le créancier avait, pour empêcher la prescription, le moyen d'une demande en justice que le débiteur aurait pu combattre ; la concession d'un délai qu'on ne lui demande pas ne peut avoir le même effet.
Mais si le débiteur a acquiescé à ce délai et, à plus forte raison, s'il l'a sollicité, alors l'effet est supérieur à une suspension de la prescription : c'est une interruption, car c'est une reconnaissance tacite de dette (v. art. 119),
Il en serait de même si le débiteur demandait au tribunal un terme de grâce, lors même qu'il ne l'obtiendrait pas.
Art. 126. La disposition du présent article est encore l'application directe du principe qu'un droit ne peut se perdre par la prescription que lorsqu'il est né et que l'exercice en est possible légalement.
Certains droits dépendent de l'ouverture d'une succession, soit quant à leur naissance même, soit quant à leur étendue, soit quant à leur exercice : aucun de ces droits ne peut se perdre par prescription tant que la succession n'est pas ouverte et que le délai de la prescription ne s'est pas écoulé depuis cette ouverture.
A la première catégorie semblerait appartenir le droit même de succéder, le droit de l'héritier légitime et celui du légataire universel ou particulier.
Mais c'est à peine si l'on peut considérer notre article comme applicable à ce droit qui est soumis à tant de condition qu'on ne peut guère dire qu'il existe, même en germe.
En effet, il est subordonné à plusieurs conditions : notamment que l'héritier présomptif survivra à son auteur, qu'il ne sera pas indigne de succéder; et ce ne serait pas exagérer que d'exiger encore la condition qu'une loi n'ait pas, avant l'ouverture de la succession, changé l'ordre des héritiers, car cette loi s'appliquerait certainement au détriment du précédent successible. C'est même cette dernière condition qui prouve qu'on ne doit pas considérer le titre d'héritier comme un doit en germe, tels que sont les droits conditionnels, car s'il avait déjà ce caractère, si faible qu'il fût, il ne serait pas soumis aux dispositions d'une loi nouvelle.
Mais il reste d'autres droits moins éventuels et qu'on peut, avec plus d'exactitude, dire soumis pour leur existence à l'ouverture de la succession : ce sont les droits de demander le rapport et la réduction des donations ; on pourrait bien, à la rigueur, faire quelque objection tirée également de l'applicabilité d'une loi nouvelle à ces droits ; mais ce serait sortir de notre sujet que de la discuter ici.
De toute façon, et pour ne pas exposer la loi à quelque lacune, il a paru bon d'indiquer d'abord des droits dont “ l'existence même ” est subordonnée à l'ouverture d'une succession.
Quant aux droits de la seconde catégorie, ceux dont “ l étendue ” seule n'est fixée qu'au décès d'une personne, nous ne pensons pas qu'il puisse s'en trouver un grand nombre : nous citerons au moins en ce sens certaines combinaisons des assurances donnant droit à des sommes payables à un décès et susceptibles de s'augmenter à mesure que ce décès est plus retardé.
A la troisième catégorie se rattachera le droit de toucher l'indemnité d'un décès, au cas d'assurance sur la vie, celui de recouvrer des objets sommis à un usufruit viager, et généralement les droits dont “ l'exercice ” seul est soumis à un décès, soit par convention, soit par la loi : le décès, dans ce cas, est un terme incertain.
Art. 127. Ici, la prescription est suspendue non-seulement jusqu'à un décès, mais encore plus tard: la loi ne veut pas qu'un héritier soit privé par la prescription d'une action en nullité qu'il ne saurait pas lui appartenir. Mais le cas demande une certaine attention.
S'il s'agit d'un testament, lequel donne toujours un droit contre l'héritier pour l'exécution, la loi considère que l'héritier peut ignorer ce testament, par conséquent aussi ses vices. Si le testament est nul en la forme, l'héritier n'aura pas à prendre l'initiative : il opposera la nullité quand on l'invoquera contre lui ; s'il la exécuté sans réclamation, il pourra, soit revendiquer la chose léguée comme étant encore sienne, soit se faire restituer les valeurs fournies comme payées indûment : dans ces deux cas, la prescription commence à courir du jour de la livraison ou du payement, et il n'y a pas de suspension.
Mais si le testament est vicié soit par incapacité, soit par erreur, violence ou dol, alors il n'est qu'annulable et l'héritier devrait prendre l'initiative d'une action en nullité. Or, si la loi ne venait pas à son secours, il pourrait arriver que cette action en nullité, durât-elle trente ans, se trouvât prescrite avant que l'héritier eût été informé de l'existence du testament et par conséquent de son vice, sans que le droit du légataire fût perdu par son inaction pendant le même temps ; c'est ce qui arriverait si le légataire jouissait d'une cause de suspension par suite d'une qualité personnelle ou si le legs était conditionnel, car la condition mise au legs ne rend pas conditionnelle l'action en nullité. La loi prévient ce résultat en suspendant la prescription de ladite action en nullité jusqu'à ce que le testament ait été in-voqué ou exercé contre l'héritier.
S'il s'agit d'une convention du défunt, la solution est la même, mais encore avec une distinction. Si le défunt avait aliéné un bien étant incapable ou étant sous l'influence d'un vice de consentement et qu'il eût exécuté la convention de façon à ce qu'il n'en pût résulter d'action dans l'avenir contre son héritier, l'action en nullité de l'héritier se prescrirait par le délai ordinaire de cette action, par 5 ans, (Liv. des Biens. art. 544).
Mais si la convention n'a pas été exécutée ou ne l'a été qu'en partie, comme alors il en résulte une action à exercer contre l'héritier, ainsi que l'indique le texte de notre article, l'action en nullité ou l'exception de nullité est suspendue en sa faveur tant que la partie adverse n'a pas invoqué ou exercé contre lui le droit résultant de la convention.
Art. 128. La position des tiers détenteurs est généralement meilleure que celle des parties originaires, parce qu'ils n'ont pas d'obligation personnelle: lorsqu'ils possèdent un bien, ils le possèdent envers et contre tous et en ne peut leur opposer les causes de suspension qui auraient pu être opposées à celui de qui ils tiennent leur droit.
Ainsi, supposons que quelqu'un ait acheté un immeuble sous condition suspensive et qu'il ait fait inscrire son acquisition : tant que la condition suspensive n'est pas accomplie, l'acheteur ne peut perdre par prescription son droit contre son vendeur; mais si celui-ci a vendu le même immeuble purement et simplement à un tiers et le lui a livré, et si celui-ci a fait également inscrire son titre, il prescrira la propriété contre le premier acheteur, même avant l'accomplissement de la condition qui suspend le droit de celui-ci. Il en serait de même si le tiers avait acquis l'immeuble d'un autre que du premier vendeur : sa possession serait opposable au premier acheteur, nonobstant la condition à laquelle il reste étranger.
Mais ce résultat, fâcheux pour le premier acheteur, peut être facilement conjuré par un moyen qu'indique la loi : il lui suffira de faire reconnaître son droit éventuel par le possesseur, soit à l'amiable, par un titre authentique ou privé ou par lettre, soit en justice; il n'y aura pas lieu de prendre d'autres conclusions actuelles, c'est-à-dire de formuler aucune autre réclamation.
Le moyen serait le même s'il s'agissait de prévenir,
(a) C'est par inadvertance que le texte de l'article 546 fait le renvoi à l'article 129 du présent Livre, au lieu de le faire à notre article.
contre un tiers détenteur, la prescription extinctive de 1 hypothèque prévue à l'article 297 du Livre des Garanties: : dans le cas où un créancier hypothécaire n'a qu'une créance conditionnelle, il ne peut interrompre la prescription de l'hypothèque par la sommation de payer on de délaisser qui lui est permise par l'article 298, c'est pourquoi la loi lui donne ici un moyen de se garantir de la prescription sans s'affranchir de la condition.
Remarquons que, dans ces deux cas, ce n'est plus une suspension de la prescription qui a lieu, c'est une véritable interruption.
Art. 129. Cet article consacre le principe, déjà annoncé, que la suspension ne produit qu'un temps d'arrêt dans la marche de la prescription, en laissant subsister le bénéfice du temps déjà écoulé; la justification de cette différence avec l'interruption ayant été donnée, il n'y a pas lieu de s'y arrêter davantage.
Remarquons seulement que si cet article n'a pas été placé plus tôt, c'est parce que jusqu'ici la prescription était suspendue avant d'avoir commencé à courir, tandis que, maintenant, on va la trouver suspendue “ pendant son cours.”
A ce sujet, nous ferons observer que le Code n'a aucun scrupule d'employer le mot de “suspension” dans les deux cas, quoique quelques personnes soutiennent qu'il n'y a de véritable suspension que quand la prescription est arrêtée dans son cours, non quand son départ est retardé.
Dans cette opinion, il faut adopter un autre mot pour le retard originaire et l'on n'a guère que celui “d'empêchement” qui s'emploie déjà dans un autre ordre d'idée: à savoir, pour exprimer le défaut des qualités requises dans la possession pour prescrire, ce qui est un inconvénient plus grave.
Ce scrupule exagéré aurait pour effet de jeter de la confusion dans une matière déjà compliquée, car il faudrait change, d'expression pour indiquer un effet des mêmes causes, suivant que celles-ci se produiraient avant ou après que le cours de la prescription aurait commencé. D'ailleurs, il est très correct, dans le langage ordinaire, de dire qu'un fait est suspendu quand le commencement en est ajourné ; ainsi on suspend son jugement jusqu'à ce qu'on soit éclairé, on suspend son départ jusqu'à une certaine époque.
Art. 130. Cet article aurait pu, comme on y a songé d'abord, ouvrir le présent Chapitre ; mais alors il fallait lui donner plus de généralité et dire que “ la prescription n'est suspendue que dans les cas et en faveur des personnes que la loi détermine." On n'a pas cru devoir proposer de limiter aussi rigoureusement les cas de suspension que les personnes en faveur desquelles elle existera: d'abord les articles 126 et 127 ont déjà une certaine largeur qui permet difficilement de dire que ce sont “ des cas déterminés par la loi mais c'est surtout l'article 136 qui ne cadrerait pas avec cette rigoureuse limitation ; il est pourtant accompagné de quelques restrictions, mais elles n'éxcluent pas une certaine appréciation des juges, au sujet de l'impossibilité d'agir en justice pour faire valoir le droit menacé de la prescription.
On n'exige donc une détermination légale que quant aux personnes en faveur desquelles la prescription sera suspendue, et dès lors cet article se trouve précéder l'énumération de ces personnes.
Art. 131. Dans la plupart des législations de l'Europe, peut-être dans toutes, les prescriptions de plus de cinq ans sont suspendues en faveur des mineurs et des interdits, de sorte que la plupart de leurs droits réels et personnels sont à l'abri d'une prescription dont le délai s'achèverait pendant leur incapacité.
On a souvent signalé les inconvénients de cette disposition qui peut laisser la propriété et la libération dans une longue incertitude : déjà bien dure pour les débiteurs des mineurs qui pourront être recherchés après un temps considérable, cette suspension est funeste aux possesseurs d'immeubles qui, n'ayant pas traité avec le mineur ou ses auteurs, peuvent ne pas soupçonner le danger de revendication et s'endormir dans une fausse sécurité.
La minorité peut, en effet, durer bien des années après que des droits contre lesquels la prescription avait commencé à courir du chef d'un majeur ont passé sur la tête d'un mineur ; celui-ci peut mourir avant sa majorité et avoir lui-même un héritier mineur ; de là une très longue suspension.
L'inconvénient est encore plus frappant s'il s'agit d'un interdit qui peut ne jamais recouvrer la raison, et même laisser aussi un héritier mineur. Et quand on songe que les mineurs et les interdits ont un tuteur pour sauvegarder leurs droits contre la prescription, on ne comprend guère pourquoi ils obtiennent une faveur si contraire à l'intérêt général.
En présence de cette grave objection, on peut s'étonner que les nouvaux ('odes étrangers, aient suivi la tradition générale.
Le motif qu'on donne d'ailleurs pour justifier cette suspension est loin d'être concluant. On dit que le tuteur pourrait ignorer les droits du mineur et laisser s'accomplir la prescription, sans encourir de responsabilité, et que dans les cas où une négligence lui serait imputable, il pourrait être hors d'état d'indemniser le mineur.
Ces deux raisons sont bien faibles.
D'abord, il sera bien rare que le mineur ait des droits de quelque importance qui ne se révèlent pas par l'administration de la tutelle, laquelle met aux mains du tuteur tous les titrés et documents du mineur, ou que ces droits ne lui soient pas signalés par les parents du pupille ou de l'interdit, formant le conseil de famille ; d'ailleurs, s'il s'agit de prescription libératoire, les créances résulteront peut-être d'actes du tuteur lui-même.
Quant an danger d'insolvabilité du tuteur, il est difficile de croire qu'il ait été considéré comme sérieux pas des législations qui accordent au mineur et à l'interdit une hypothèque générale sur les immeubles du tuteur.
Restât-il quelque chose de fondé dans ces deux raisons, ce ne serait pas encore suffisant pour sacrifier un grand intérêt général à l'intérêt individuel de ces deux incapables.
Ce Code propose une innovation nécessaire avec un tempérament qui sauvegarde suffisamment l'intérêt du mineur et de l'interdit. La prescription n'est pas suspendue en leur faveur: elle continue à courir contre eux ; mais on peut dire qu'elle ne s'achève pas pendant la minorité ou l'interdiction : la loi laisse toujours à eux ou à leurs héritiers un délai pour agir en revendication ou en payement, quand l'incapacité a cessé. Ce délai est d'un an : un an leur suffira bien pour prendre connaissance de leurs droits et commencer des poursuites réelles ou personnelles.
Cette innovation n'empêchera donc pas qu'on puisse encore, par forme d'abréviation, parler de suspension de prescription en faveur des mineurs et interdits, car le système du Code permettra, en général, de dire que ” la prescription est suspendue pendant la dernière année de sa durée.”
Nous n'avons encore rien dit du 1er alinéa de notre article, parce qu'il n'innove pas sur les Codes étrangers : les prescriptions de cinq ans et au-dessous, dites “ courtes prescriptions,” courent sans restriction, contre les mineurs et les interdits, “ comme contre les majeurs sains d'esprit ;“ mais, comme le tuteur peut être eu faute, soit d'avoir négligé d'exercer leur droit qu'il connaissait, soit de l'avoir ignoré, pouvant le connaître, il est responsable du préjudice qu'il a causé.
Il y a toutefois une exception à cette règle en ce qui concerne la prescription do l'action en nullité appartenant aux incapables, laquelle ne commence à courir que quand l'incapacité a cessé (v. art. 545 du Livre des Biens).
Art. 132. A la différence du mineur, la femme mariée est soumise en principe à la prescription des tiers lors même que l'administration de ses biens appartient à son mari, d'après les conventions matrimoniales. Le motif est qu'elle peut toujours avertir son mari des prescriptions qui la menaceraient de perdre ses droits réels ou personnels.
Mais la loi réserve, d'une façon indéterminée, les cas où la prescription pourrait être suspendue en sa faveur. Dans ces cas, il n'y aura pas suspension de la prescription pendant toute La durée du mariage, la prescription suivra son cours ; seulement elle s'arrêtera un an avant son entier accomplissement, ce qui laissera toujours à la femme ou à son héritier un an pour agir après la dissolution du mariage, ou au moins ce qui restait à courir quand il restait moins d'une ou au moment du mariage.
C'est dans ces cas réservés la même situation que celle faite plus haut aux mineurs et interdits dans tous les cas.
Art. 133. Cet article se réfère à une suspension particulière de la prescription établie en faveur de l'action en nullité des conventions consenties par des incapables ou par des personnes capables, mais dont le consentement a été vicié : dans ces cas, la prescription est suspendue pendant toute la durée de l'incapacité ou jusqu'à ce que le vice du consentement ait pris fin (voy. art. 545 et 546 du Livre des Biens).
Au moment où ces articles ont été rédigés, l'innovation portée à nos articles 131 et 132 n'était pas encore arrêtée définitivement ; mais on n'entendait pas, de toute façon, l'appliquer à l'action en nullité qui est une protection spéciale et dont le délai est déjà d'une durée moitié moindre que dans les lois étrangères. On a donc été d'avis de ne pas réduire ici la suspension.
Art. 134. En disant que la prescription court entre époux, le Code pose encore un principe opposé a celui de plusieurs Codes étrangers.
Sans doute, on peut dire qu'il n'est pas bon que les époux soient placés dans l'alternative ou de perdre leurs droits respectivement, parce qu'ils auront craint de compromettre la paix conjugale par des poursuites l'un contre l'autre, ou de perdre la bonne union parce qu'ils auront fait valoir leurs droits; c'est bien, là encore, ce qu'on peut appeler un empêchement moral aux poursuites.
Mais était-il nécessaire, pour concilier les deux intérêts, de suspendre entièrement la prescription pendant toute la durée du mariage ? On ne l'a pas cru.
Du moment qu'on a déjà adopté un système de “ suspension limitée” pour les mineurs, les interdits et la femme mariée, lorsque la prescription qui les menace court au profit d'un tiers, il est naturel de l'appliquer ici également, quoique l'empêchement morale d'agir soit plus direct.
La prescription courra donc entre les époux lorsqu e l'un sera débiteur de l'autre, ou lorsque l'un possédera comme sien le bien de l'autre, et dès qu'il ne restera plus qu'un an à courir pour que la prescription soit accomplie, elle se trouvera suspendue, de sorte que l'époux ou ses héritiers auront toujours un an pour faire valoir leur droit.
Toutefois, s il s'agit d'une courte prescription, d'un an ou au-dessous, la suspension n'aura lieu que pour moitié de sa durée, soit pour six mois, s'il s'agit d'une prescription d'un an (v. art. 159) et pour trois mois si la prescription est de six mois (v. art. 160). Ces prescriptions d'ailleurs, seront bien rares entre époux, à cause de la nature des créances qu'elles concernent.
Il fallait surtout prévoir le cas de la prescription instantanée des meubles : lors même qu'on l'aurait suspendue entre époux pendant le mariage, elle aurait immédiatement produit son effet après sa dissolution, de sorte que la protection de l'époux propriétaire et des on héritier serait nulle. Le Code accorde alors trois mois comme étant le plus court délai résultant de la disposition qui précède sur les courtes prescriptions.
Art. 135. Ici la suspension n'est pas limitée comme dans les articles précédents, mais complète et tant que dure sa cause.
Lorsqu'une personne est administrateur des biens d'une autre, en vertu de la loi comme le tuteur ou le mari, de l'ordre de la justice comme un syndic de faillite ou l'administrateur d'une succession vacante, ou. en vertu d'une convention comme uu mandataire ou un gérant de société, si cette personne est en même temps débitrice de celui dont elle gère les biens, ou si elle possède un bien appartenant à celui-ci, ce serait à elle à faire valoir le droit qui existe contre elle-même, ou au moins à interrompre la prescription. Mais ce serait peu praticable et elle y manquerait naturellement ; or, comme elle encourrait, de ce chef, une responsabilité préciésment égale au préjudice par elle causé, c'est-à-dire au droit que la prescription accomplie aurait fait perdre au maître ou titulaire, il est plus simple que la loi suspende la prescrip tion qui a commencé à courir en sa faveur tant que dure ce cumul des qualités contraires d'administrateur et de débiteur ou de possesseur.
Bien entendu, et la loi a soin de l'exprimer, il faut que la créance qui existe contre l'administrateur et le bien qu'il possède rentrent dans son administration. S'il s'agit d'une administration générale, comme celle du tuteur ou d'un mandataire général, il n'y a pas de question, mais le mandat légal ou conventionnel confiée par justice pourraient avoir un objet spécial ou déterminé et ne pas concerner la créance contre l'administrateur ou la chose possédée par lui.
La loi nous dit que la prescription recommence à courir dès que l'administration a cessé. Mais, là encore, il fallait songer à la prescription instantanée des meubles qui se trouverait accomplie avant que le maître des affaires eût pu reprendre effectivement la gestion : la loi lui accorde un délai de trois mois, comme entre époux.
La loi n'accorde pas à l'administrateur une faveur inverse de la rigueur qui précède, pour le cas où il serait créancier de celui dont il gère les affaires ou propriétaire d'un bien dont celui-ci serait possesseur. C'est qu'en effet il n'y a pas même raison : le tuteur, le mari, le mandataire général, peut bien se payer de ses propres mains, et il lui suffira même de déduire sa créance au moment où il rendra ses comptes, sans avoir à prouver qu'il s'est payé antérieurement.
Quant au bien dont il est propriétaire, il lui aura fallu, il est vrai, faire un acte judiciaire interruptif de la prescription acquisitive, et cet acte il aura dû le faire contre la personne même du possesseur ou contre un mandataire spécial qu'il aura fait nommer ; mais c'est une procédure assez facile pour qu'il n'y ait pas lieu de l'en dispenser et pour qu'on ne voye pas là un empêchement moral d'agir comme nous en avons rencontré.
Art. 136. La loi arrive à des cas de suspension qui ne sont fondés ni sur la nature ou la modalité des droits, ni sur la qualité des personnes, mais suides circonstances de fait qui peuvent constituer non plus des empêchements légaux ou moraux, à l'exercice des droits menacés de prescription mais des obstacles de fait et pour ainsi dire matériels.
Elle admet la suspension, mais avec beaucoup de réserve et dans des cas très limités.
Il existe dans notre matière un axiome déjà cité et appliqué, d'après lequel la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir en justice.” Que cet axiome s'applique quand il y a un obstacle légal ou juridique à l'action, cela est naturel et incontestable ; mais si on veut l'étendre à des empêchements de fait, on risque d'ouvrir la voie aux abus.
Quand un pays n'est régi que par des coutumes et que la jurisprudence doit à chaque instant suppléer à leur insuffisance, il est plausible que les tribunaux reconnaissent et admettent des suspensions de prescription fondées sur des obstacles de fait, comme aussi ils sont obligés de reconnaître les obstacles de droit que rarement les coutumes ont prévus ; mais cela n'est plus possible lorsque le pays est régi par une loi civile écrite, et ce sera désormais la situation du Japon.
S'il doit y avoir des suspensions fondées sur des empêchements de fait, c'est encore à la loi à les déterminer et c'est ce que fait le présent Code.
La loi n'admet, pour la généralité des citoyens, que deux obstacles matériels à l'action judiciaire, motivant une suspension de prescription, à défaut d'interruption, ce sont : l'arrêt des communications et la suspension du cours de la justice.
Pour les militaires et les marins, il y a une autre cause de suspension de la prescription.
Il n'y a pas besoin de s'étendre sur ces deux causes de suspension de prescription : les communications peuvent être interrompues par des inondations, des neiges, des épidémies, ou par des troubles intérieurs. Cet arrêt étant nécessairement assez court, le préjudice de celui dont la prescription est suspendue ne peut être considérable.
Quant à l'interruption ou suspension du cours de la justice, elle peut avoir les mêmes causes que celles des communications. On pourrait y ajouter la destruction du tribunal local par incendie, tremblement de terre ou inondation, avec perte des documents, sceaux et autres objets plus ou moins nécessaires au fonctionnement de la justice.
On voit que dans les deux cas prévus par la loi, l'obstacle à l'exercice en justice du droit menacé de prescription provient d'une force majeure déterminée.
Indépendamment de la limitation qui précède, il faut remarquer que la loi soumet encore la suspension à trois conditions ; il faut :
1° Qu'il y ait impossibilité d'agir : ainsi dans les cas où un acte d'huissier suffirait pour interrompre la prescription, sauf à attendre la possibilité d'une audience, si les circonstances précitées n'empêchaient pas le demandeur d'obtenir l'office de cet agent, ni celui-ci de communiquer avec le défendeur, la suspension ne serait pas admise.
Mais il ne faut pas exiger impossibilité absolue : il est clair que les obstacles aux communications résultant des inondations ou des neiges ne sont pas souvent tels qu'il soit de toute impossibilité de franchir les distances ; mais évidemment la loi ne prétend pas que les parties ou leurs représentants compromettent leur vie pour interrompre une prescription imminente : il reste nécessairement un pouvoir d'appréciation au tribunal qui n'exigera que ce qui est raisonnablement possible et n'imputera pas a faute ce qui n'aura été qu'une prudence nécessaire.
2° Il faut que l'impossibilité d'agir ait existé “ à 1 époque où le délai de là prescription est expiré : " si elle avait précédé cette époque et avait cessé auparavant, la suspension ne serait pas admise.
3° Il faut enfin “ que la demande interruptive ait été faite aussitôt que l'obstacle a cessé.” Ici encore, il faut admettre que le tribunal a. un certain pouvoir dépréciation : par exemple, au cas d'interruption des communications, il y a des degrés dans leur rétablissement progressif et s'il n'est pas admissible que la partie ait attendu toutes les facilités antérieures, on ne peut exiger non plus qu'elle ait été des premières à tenter le passage.
A l'égard des militaires et des marins, la suspension n'est admise comme résultant d'une force majeure que “ par suite de leur service en temps de guerre (Ce qui doit s'entendre aussi bien d'un guerre intérieure (que d'une guerre extérieure).”
Art. 137. Comme pour l'interruption (voy. art. 124), la loi renvoie ici, pour la suspension résultant de l'indivisibilité des droits, à des articles où cet effet a déjà été réglé.
Les solutions différentes fondées sur ces diverses modalités ont été justifliées sous les articles cités au texte.
CHAPITRE V.
DE LA PRESCRIPTION ACQUISITIVE DES IMMEUBLES.
Art. 138 et 139. Le Code présente ici six conditions requises pour la prescription acquisitive : des immeubles. Comme cette prescription est très différente de celle des meubles, par ses conditions, on a consacré un Chapitre distinct aux deux sortes de biens.
On sait que le fondement de la prescription acquisitive est la possession.
La possession a été l'objet d'un Chapitre spécial, au Livre des Biens, on n'a donc pas à revenir sur sa nature complexe, de fait et de droit. Mais on a précisément réservé celui de ses effets qui est de mener à la prescription, et cela va nous remettre en présence de ses diverses espèces (v. art. I 79 et s.)
La première condition pour que la possession d'un immeuble même à la prescription est qu'elle soit “ à titre de propriétaire c'est la possession “civile,” opposée à la possession simplement “ naturelle ”; elle est encore opposée à la possession “précaire,” où le possesseur, par son titre même, reconnaît un autre maître de la chose, la possède pour un autre.
La possession doit encore être “ continue,” c'est-à-dire, se révéler par des actes de maître aussi rapprochés et réguliers que l'usage de la chose le comporte : il est clair que la possession d'une terre en culture, d'une rizière où d'un bois, n'exige pas la présence du possesseur ou d'un de ses représentants, comme la possession d une maison ou d'un jardin ; mais la possession. d'une terre labourable ou d'une rizière cesserait d'être continue si le possesseur en avait négligé la culture pendant un an, ou même pendant la moitié de l'année, lorsque l'usage local des autres propriétaires est de tirer deux récoltes différentes de sols de la même nature que celui qui est possédé.
Nous supposons avec le texte de notre article 139 que c'est par négligence ‘‘ ou volontairement que le possesseur n'a pas cultivé. La déchéance n'a donc pas lieu au cas d'obstacle temporaire résultant d'une force majeure (v. art. 106, 3e al.).
La discontinuité une fois établie, la prescription ne doit être comptée que depuis la reprise de la possession : sous ce rapport, elle produit le même effet que l'interruption, et même un effet plus nuisible au possesseur, car cet effet est toujours absolu, tandis que l'interruption n'a un effet absolu que lorsqu'elle est naturelle, (v. art. 107), non lorsqu'elle est civile, auquel cas l'effet n'est que relatif à celui qui a fait l'interruption (v. art. 110).
Il ne faut pas confondre la "discontinuité ” avec la “suspension” de la prescription: en cette matière, le sens technique des mots n'est pas toujours d'accord avec leur sens vulgaire. On a vu avec détails, an Chapitre précédent, ce qu'est la suspension: c'est un effet légal de certaines circonstances qui empêchent de compter comme utile une possession qui avait d'ailleurs tous les caractères requis pour mener à la prescription.
Il ne serait pas exact non plus d'ajouter aux conditions requises la “non suspension, comme on va y ajouter la “ non interruption,” parce que la suspension n'empêche pas la prescription, elle la retarde seulement.
La troisième condition, “ la non interruption, nous est connue par le Chapitre III : il n'y a pas à y revenir; il suffit de rappeler qu'une nouvelle prescription peut recommencer dès que la cause d'interruption a pris fin (v. art. 106, 2e al).
La quatrième condition est que la possession soit “ paisible ” ; son opposé est la possession “ violente,” celle qui est “ obtenue ou conservée par la force ou la menace ” (v. art. 183, 2e al. du Livre des Biens): rien ne serait plus contraire à la présomption d'acquisition légitime qu'une possession obtenue conservée par la violence.
Une différence est d'ailleurs à noter entre la violence originaire employée pour acquérir la possession et celle dont on aurait usé pour la conserver ; cellé-ci serait plus nuisible que la première, à cause de sa continuité. Si la violence originaire n'avait été suivie d'aucune tentative de fait ou de droit, de la part du vrai propriétaire, pour recouvrer sa chose, le vice pourrait être considéré comme purgé après un certain temps reconnu par le tribunal, lorsque la question de prescription lui serait soumise, et c'est de ce moment que la prescription serait comptée utilement. De même, en cas de violence à l'effet de conserver la possession, on compterait la prescription à partir du moment où elle aurait manifestement cessé.
Mais, sur ce point encore, une grande précaution est nécessaire : la menace peut durer sans être renouvelée ; c'est ce qui arriverait si le propriétaire, intimidé par une menace faite contre lui ou les siens, s'était abstenu de réclamer en justice, de peur que les menaces ne fussent mises à exécution : ce qu'on doit considérer c'est plutôt la crainte du propriétaire que la menace elle-même du possesseur, et la prescription ne devrait être comptée qu'à partir du moment où la crainte aurait dû cesser, par le changement des circonstances ou des personnes intéressées.
La cinquième condition est que la possession ait été “publique;” la possession non publique est dite “clandestine” (v. art. 183, 3e al. du Livre des Biens). C'est encore là une condition en parfait accord avec le caractère de présomption que nous attribuons à la prescription.
On a établi sous l'article précité que les deux vices de violence et de clandestineté de la possession ne sont que relatifs et qu'ils n'empêcheraient pas la prescription de courir contre l'intéressé qui n'aurait pas été l'objet de la violence ou qui n'aurait pas ignoré la possession clandestine. Il n'en est pas de même de la précarité qui, excluant l'intention d'avoir la chose à soi, à titre de propriétaire, empêche la possession d'être civile.
Art. 140. La sixième et dernière condition que doit remplir la possession pour mener à la prescription acquisitive d'un immeuble est le temps requis par la loi.
Ce temps varie de moitié, suivant que la possession réunit ou non deux nouvelles conditions.
Ou a vu, à l'article 181, que la possession peut être fondée, ou non, sur un “ juste titre ou sur une juste cause ” et à l'article 182, que le possesseur peut être “de bonne foi ou de mauvaise foi.”
Ces qualités favorables ou défavorables de la possession ont été déjà l'objet d'explications suffisantes sous ces articles.
Rappelons seulement, pour l'intelligence de notre article, tous les actes d'aliénation, à titre gratuit ou onéreux, nommés ou innommés, sont des justes titres, et il faut y compter le legs.
Mais, bien entendu, il faut supposer un vice dans ces acquisitions: autrement, la prescription serait inutile; ainsi, au cas de transmission, le vice est qu'elle n'ait pas été faite par le propriétaire véritable, et, au cas d'occupation, le vice est que la chose n'ait pas été sans maître.
Si le possesseur a ignoré ce vice “ au moment où le titre a été créé,” il est de bonne foi ; dans le cas contraire il est de mauvaise foi.
On remarquera que ce n'est pas au moment où la possession a commencé que la bonne ou la mauvaise foi est considérée, mais au moment “de la création du titre-”
Ce qui importe c'est que la bonne foi ne soit pas nécessaire pendant toute la durée de la possession.
Il y a une profonde différence morale entre celui qui est de mauvaise foi au moment où il contracte et celui qui, ayant, à l'origine, cru à la qualité de propriétaire chez son cédant, a découvert ensuite qu'elle lui manquait. C'est tout autre chose, en effet, de s'engager sciemment dans une mauvaise voie, alors que l'abstention ne cause aucun préjudice et que. le mobile ne peut être que la recherche d'un avantage illicite, et ne la pas quitter, de ne pas revenir sur ses pas, alors qu'on s'y est engagé de bonne foi, en faisant des sacrifices pour l'acquisition et pour l'installation, sacrifices qu'on ne pourrait que rarement et toujours difficilement recouvrer de son cédant.
Lorsque le possesseur a les deux avantages d'une juste cause et de la bonne foi originaire, le délai de la prescription est de moitié plus court que lorsque l'un de ces avantages ou tous deux lui manquent.
Le délai de 30 ans, au cas de défaut de titre ou de mauvaise foi est emprunté au droit européen. Quant an délai de 15 ans, au cas de juste cause et bonne foi, il simplifie une solution compliquée dans les Codes étrangers de questions de distance que le texte a soin d'exclure.
On remarquera, en passant, que la loi fait une allusion à la preuve de la juste cause et de la bonne foi : on a vu à l'article 199 que celui qui invoque une juste cause doit la prouver directement, tandis que la bonne foi est présumée et que c'est à celui qui la conteste à prouver la mauvaise foi ; notre article a donc soin de ne soumettre à la condition de 30 ans de possession que “celui qui ne peut justifier d'un juste titre ou contre lequel la mauvaise foi est prouvée.”
Il ne suffirait pas d'ailleurs, pour prouver la mauvaise foi du possesseur, d'invoquer le registre des inscriptions qui porterait le nom du véritable propriétaire ; la question s'est déjà présentée au sujet de la garantie d'éviction dont les effets varient suivant que l'acheteur a été de bonne ou de mauvise foi : le possesseur ne serait convaincu de mauvaise foi (que s'il avait demandé au conservateur un certificat des inscriptions on connu autrement le droit du vrai propriétaire.
Art. 141. Du moment que le possesseur se prévaut d'un juste titre, il doit en observer les règles et conditions ; or les actes translatifs de propriété et d'autres droits réels doivent être inscrits pour être opposables aux tiers, et le vrai propriétaire est un tiers par rapport au titre sur lequel le possesseur prétend fonder une prescription de 15 ans, il ne peut donc se voir opposer qu'un titre inscrit: l'inscription complétera utilement la publicité requise dans la possession.
Art. 142. On sait que certaines conventions sont soumises à la forme authentique, notamment la donation entre-vifs et le contrat de mariage : la solennité n'est pas exigée seulement pour la preuve, mais pour l'existence même de l'acte. La conséquence en est qu'un titre entaché de cette nullité ne peut être considéré comme un juste titre pour la prescription: il ne remplit pas la condition essentielle du juste titre qui est d'être “ de nature à conférer le droit possédé. '
La loi donne la même solution à l'égard d'un titre qui était seulement annulable pour vice de consentement ou pour incapacité et qui a etc effectivement annulé en justice.
Art. 143. La jonction ou continuation de possession de l'auteur à ses successeurs ou ayant-cause généraux ou particuliers, ne concernant pas seulement la prescription, a eu sa place à la matière de la possession en général : la loi se borne à renvoyer à ce qu'en dit l'article 192 du Livre des Biens.
CHAPITRE VI.
DE LA PRESCRIPTION AQUISITIVE DES MEUBLES.
Art. 144. On a eu déjà bien des occasions de faire allusion à cette disposition, suivie presque dans toutes les législations modernes et dont on n'a pas craint de dire qu'elle consacre une “ prescription instantanée. ”
Il y a pourtant de bons esprits que cette expression ne satisfait pas, parce qu'ils prétendent que la prescription ne peut être qu'un effet du temps et que, précisément, cet élément fait ici défaut. Mais cette prétendue nécessité d'un laps de temps n'est pas démontrée. C'est la possession qui est le véritable fondement de la prescription dite “ acquisitive.” Sans doute, pour les immeubles, les lois, dès l'origine ont sagement exigé que cette possession lût de longue durée ; mais, pour les meubles, elles ont commencé par se contenter d'une possession annale ; puis on a compris que, pour protéger les propriétaires négligents, on sacrifiait la sécurité des transactions les plus loyales et les plus prudentes, et l'on est arrive, d'abord dans les coutumes et dans la jurisprudence, ensuite dans les lois modernes, à n'exiger que la seule possession, avec certaines qualités intrinsèques et initiales, sans aucune condition consécutive de durée.
Notre texte nous dit que la possession doit avoir ici les deux qualités qui, en matière immobilière, font réduire de moitié le délai requis pour prescrire : la possession doit avoir été acquise par un juste titre et de bonne foi. Il n'exige aucun délai, sauf les deux exceptions concernant le conjoint et l'administrateur du propriétaire (v. art. 134 et 135), et c'est parce qu'aucun temps de possession n'est requis que la définition de la prescription, où l'on a fait figurer la condition de temps, réserve la prescription de notre article (v. art. 89).
Il faut maintenant justifier cette énorme faveur attachée à la possession des meubles qui la dispense de toute condition de durée pour produire le bénéfice de la prescription.
Remarquons d'abord que la loi ne statue ici que pour les meubles “corporels:” c'est l'article 149 qui réglera la prescription acquisitive des meubles incorporels.
Or, c'est un fait observé en tous pays, au Japon comme en Europe, que les meubles corporels se cèdent, changent de maître, avec une grande célérité, sans qu'il soit demandé ni qu'il puisse être facilement fourni de titre écrit de propriété : si les acheteurs ou donataires pouvaient être exposés à des revendications qu'il leur a été pratiquement impossible de prévoir, il en résulterait de grands dommages individuels qui, par leur nombre, deviendraient un dommage général, et si ces dommages ne pouvaient être évités que par une excessive circonspection, alors il y aurait encore un plus grand dommage général par la rareté des transactions sur les meubles.
C'est pour remédier à ce double danger que la loi a admis que la possession, avec ses deux qualités de juste cause et de bonne foi, serait par elle seule un titre de propriété, un titre parfait. Et il fallait bien dispenser cette possession de toute condition de temps, car si la revendication pouvait avoir lieu pendant un an; comme dans certains Codes étrangers, le double danger auquel on voulait parer se serait représenté.
Puisque la prescription instantanée n'est soumise qu'à deux conditions: un juste titre de possession et la bonne foi, il faut voir comment ces deux conditions seront prouvées être remplies.
Pour la bonne foi, elle est présumée, en général, quand le possesseur a prouvé directement posséder en vertu d'un juste titre (v. art. 187).
Mais fallait il soumettre ici le possesseur à l'obligation de prouver directement qu'il a reçu le meuble ”en vertu d'un acte juridique de nature à lui conférer la propriété ” (v. art. 181 du Liv, des Biens,)?
Lui imposer une telle obligation eût été détruire toute la théorie de cette prescription exceptionnellement favorable, puisque la célérité des transactions mobilières ne comporte guère la rédaction d'actes, même sous seing privé, encore moins la convocation de témoins. Il faut donc, de toute nécessité, admettre une présomption légale de l'existence d'une juste titre, présomption simple assurément, susceptible de toute preuve contraire, et c'est ce qu'exprime le 2e alinéa de notre article.
Art. 145. Tous les Codes qui admettent en matière de meubles une prescription instantanée, admettent une double exception en cas d'un objet perdu ou volé et acquis par un tiers de bonne foi. Le Code japonais l'a admise également ; mais il sacrifie beaucoup moins le possesseur au propriétaire.
Dans les cas ordinaires d'application de cette prescription, on peut dire que le propriétaire du meuble qui a laissé sa chose exposée à une tradition faite par un autre que lui, n'est pas exempt de faute, d'imprudence ou de négligence. Mais lorsqu'il a été victime d'un vol, ou lorsqu'il a fortuitement perdu sa chose, ce sont là des faits contre lesquels il doit être considéré comme n ayant pu se prémunir, malgré les précautions ordinaires.
En même temps, celui qui a acquis la possession du voleur on de l'inventeur a pu, généralement, remarquer un certain mystère dans les offres qui lui ont été faites de la chose, et sa défiance devait être éveillée : dans le doute, il ne devait pas traiter. De là, la revendication est permise contre le possesseur, “ même à juste titre et de bonne foi ; ” mais, pour cette revendication, le Code n'accorde qu'un an depuis la perte ou le vol, ce qui paraît bien suffisant.
La loi tranche, au 2e alinéa, une question sur laquelle on aurait pu hésiter, mais qui s'impose du moment qu'on s'attache au motif qui justifie l'exception.
Lorsque le propriétaire a été victime d'un abus de confiance ou d'un escroquerie, on peut, sans rigueur exagérée, le considérer comme ayant été imprudent : il a mal placé sa confiance, en déposant sa chose, en la louant, en la confiant à un mandataire indigne ; de même, s'il s'est laissé surprendre par les ruses d'un escroc. D'un autre côté, le possesseur qui a traité de bonne foi avec l'escroc, avec le dépositaire, le locataire ou le mandataire infidèle, n'a été aucunement en situation de soupçonner la fraude, car ces personnes possédaient ostensiblement, comme étant leur, la chose par eux aliénée, puisqu'elle leur avait été librement confiée ou remise.
Dans ces cas donc, la revendication n'est pas admise contre le possesseur de bonne foi.
Art. 146. Dans le cas prévu à cet article, il y a, pour ainsi dire, une exception à l'exception, sans pourtant un retour tout à fait à la règle : la revendication est encore possible, mais elle est comme un rachat.
La loi veut que, dans ce cas, le possesseur recouvre son prix d'achat, de sorte qu'il ne souffre que dans ses convenances et non dans son intérêt. C'est parce que les circonstances dans lesquelles il a acheté ne pouvaient lui faire ou lui laisser soupçonner que son cédant n'eût pas la propriété ou le droit d'aliéner l'objet.
Le propriétaire n'ayant ainsi recouvré sa chose qu'à prix d'argent se fait rembourser ce prix par le vendeur DE LA PRESCRIPTION ACQUISITIVE DES MEUBLES. 523 celui-ci par son cédant, en remontant jusqu'au vendeur ou a 1 inventeur qui est le seul indûment enrichi.
Art. 147. Depuis que les titres au porteur (rentes sur l'Etat, actions et obligations des compagnies) ont été usités au Japon, on a dû prendre des mesures spéciales contre les conséquences possibles de la perte ou du vol de ces valeurs qui, sous un mince volume, peuvent constituer toute la fortune d'un particulier.
Il y a déjà un Règlement sur cette matière (mai de la VIIIe année de Meiji). Comme il y a lieu de croire qu'il sera encore amélioré ou complété et comme, en tout cas, la matière est de sa nature, sujette à changements, le texte de notre article se borne à un renvoi aux Règlements.
Art. 148. La loi a statué jusqu'ici pour la possession à juste titre et de bonne foi.
Il fallait décider quel serait le délai de la prescription au cas de possession sans juste titre ou sans bonne foi. La loi la fixe à trente ans, ce délai étant le délai normal des actions réelles et personnelles. Quoique les meubles aient, en général, moins d'importance que les immeubles, ce n'est pas une raison pour que les possesseurs de mauvaise foi jouissent d'une plus courte prescription : il est déjà bien assez difficile, en fait, qu'après de longues années un propriétaire puisse retrouver uu objet mobilier possédé par autrui, pour ne pas ajouter contre lui une limite légale trop étroite, lorsqu'il est en conflit avec un possesseur de mauvais foi.
Art. 149. On sait par l'article 9 du Livre des Biens, que certains objets qui sont meubles par leur nature deviennent immeubles par destination, lorsqu ils sont placés sur des fonds, dans certaines circonstances déterminées par la loi.
Il ne fallait pas croire que, s'ils sont sortis de l'immeuble, sans la volonté du propriétaire, ou même avec sa volonté, mais temporairement et pour y être replacés, ils suivraient les règles des immeubles quant à la prescription: ils ne sont immeubles que tant que dure leur attache au fond, aussi bien physiquement qu'intentionnellement de la part du propriétaire ; c'est pourquoi, ils pourraient être donnés en gage, par le propriétaire.
La loi donne la solution inverse pour les immeubles qui sont assimilés aux meubles par la destination du propriétaire (v. art. 12 du même Livre), parce que tant qu'ils sont fixés au sol. quoique d'une façon provisoire et momentanée, ils ne sont pas possédés comme meubles et ce n'est pas au sujet de la prescription qu'ils leur sont assimilés. Mais une fois détachés du sol et livrés à l'acquéreur, ils sont possédés et prescriptibles comme meubles.
La loi place aussi en dehors de la prescription instantanée les créances nominatives et universalités de meubles, à cause de la facilité pour celui qui veut les acquérir de se faire justifier des droits du cédant.
Du moment que la prescription instantanée ne s'applique pas à ces meubles, il est naturel que la loi les soumette à la prescription des immeubles, car il n'y a pas lieu d'introduire pour eux une troisième sorte de prescription; la prescription sera donc de 15 ans, si le possesseur a juste cause et bonne foi et de 30 ans, dans le cas où une de ces deux conditions favorables lui manquera.
La loi ne dit rien des créances immobilisées par la détermination de la loi ou de l'homme (v. art. 11-2° 3° 6°), parce que ce sont légalement de véritables immeubles.
Remarquons, au sujet des créances nominatives, qu'il ne peut être question de devenir créancier originaire par prescription, en ce sens que celui qui serait parvenu à faite croire à un autre qu'il était son créancier et aurait obtenu des intérêts annuels de cette prétendue créance, pourrait au bout d'un certain temps avoir droit au capital : une pareille prescription n'aurait aucune analogie avec les autres cas de prescription.
S'il est possible d'admettre une prescription acquisitive des créances nominatives, il ne peut en être question que lorsque ces droits préexistaient au profit de quelqu'un et quand un autre les a exercés comme lui appartenant, soit avec juste cause et bonne foi, soit même par usurpation.
Pour qu'une pareille prescription soit admissible, il faut évidemment la possession et c'est pourquoi nous supposons que ces droits ont été exercés.
La possession en effet, peut consister dans l'exercice d'un droit indépendamment de la possession corporelle d'une chose (v. art. 180 du Livre des Biens); or, ce droit peut être aussi bien réel que personnel (ibid). Déjà, plusieurs dispositions du Code ont attribué un effet favorable à la possession d'une créance: dans le premier cas (v. art. 457 du même Livre), c'est la validité du payement fait de benne foi au possesseur de la créance; là, il est vrai, ce n'est pas en faveur du possesseur qu'existe l'effet de la possession, c'est on faveur du débiteur, mais cela prouve que la loi reconnaît une véritable possession de créance.
Le Code a trois autres applications de la possession d'une créance, cette fois en faveur du possesseur, c'est lorsqu'il s'agit de déterminer la priorité entre deux actes ayant la même date ou n'ayant de date ni l'un ni l'autre (v. art. 1351, 2e et 3e al.), ou de suppléer, par un titre récognitif, par une copie de titre ou même par une copie de copie, an titte primordial non représenté (v. art. 34-2°, 57-4° et 59, 4e al du présent Livre).
Posons donc en principe qu'il y a possession d'une créance lorsqu'on fait valoir, lorsqu'on exerce les droits qui y sont attachés. D'abord, ce peut être en recevant des intérêts ou arrérages périodiques : cette possession aura l'avantage d'une certaine continuité. C'est aussi en faisant des actes conservatoires ou en posédant un nantissement ou une hypothèque inscrite à raison de cette créance. C'est enfin en recevant tout ou partie du capital dû, soit qu'il y ait eu lien on non à une réception antérieure d'intérêts ou à une sûreté.
C'est cette possession qui peut, d'après notre article, mener à la prescription acquisitive de la créance.
CHAPITRE VII.
DE LA PRESCRIPTION LIBÉRATOIRE.
Art. 150. Dans nos observations générales sur la prescription, nous avons fait remarquer par anticipation que la prescription libératoire n'exige, en principe, que 1 inaction du créancier pendant le temps que la loi lui assigne comme suffisant pour faire valoir son droit, et c'est sur cette inaction que se fonde la présomption de payement. Cette idée se trouve exprimée dans le présent article : Nous n'avons pas à y revenir.
On a déjà eu plus d'une fois occasion de mentionner le délai de 30 ans comme étant le délai orninaire et en même temps maximum. de la prescription libélratoire. On peut le trouver peut-être un peu long, mais i! est tranditionnel en Europe, et du moment qu'on a déjà conservé le même delai pour les immeubles, il n'y a pas de raison de moins protéger contre la prescription la partie des biens des particuliers qui consiste en créances que celle qui consiste en immeubles.
Il y a d'ailleurs de nombreuses exceptions, d'après la cause des créances ou obligations et quand on aura vu toutes les prescriptions particulières qui sont l'objet du Chapitre suivant, on verra qu'il n'en restera qu'un assez petit nombre qui soient soumises à la' prescription de trente ans. Nous citerons pourtant les créances de prix de vente d'immeuble, de prêt d'argent, de prêt à usage, de dépôt, de transaction, de novation ; celles nées d'un dommage injuste, quand la poursuite civile n'implique pas imputation d'un délit ou d'un crime ; enfin, celles nées d'un enrichissement indu.
La loi nous rappelle que le délai ne court qu'à partir du moment où le créancier a eu le droit d'agir, ce qui fait allusion à certaines suspensions sur lesquelles nous n'avons pas à revenir, notamment au terme et à la condition (v. art. 125).
Art. 151. Il ne faut pas confondre les “ annuités ” avec les intérêts annuels : la loi a soin de dire quelle statue pour une dette de capital payable par fractions annuelles, s'il s'agissait d'intérêts, la prescription serait de 5 ans, pour chaque année d'intéréts (v. art. 156-1°). Mais ici, chaque annuité est un capital, et la prescription est de 30 ans pour chacune séparément.
La loi a encore soin de dire que, si les intérêts sont compris dans l'annuité, la prescription ne sera pas divisée, mais s'appliquera aux deux dettes cumulativement et indistinctement.
Quant au point de départ, il est, pour chaque annuité, sou exigibilité.
Art. 152. On sait que le caractère distinctif de la rente, soit viagère, soit perpétuelle, est l'inexigibilité du capital (v. art. 173 et 191 du Livre de V Acquisition des Biens). On pourrait donc croire que la créance qui constitue “le droit de rente” ne peut s'éteindre par prescription, et c'est surtout dans le système qui l'explique par l'idée de présomption, que cette opinion pourrait se produire, La prescription en est cependant possible et facile à justifier.
Et d'abord, pour la rente perpétuelle, on ne pourra pas, parce qu'il s'est écoulé 30 ans depuis la constitution de la rente, supposer, présumer, que le créancier a réclamé et obtenu le payement du capital, puisque, précisément, ce droit ne lui appartient pas. Mais il faut se souvenir que si le capital n'est pas exigible par le créancier, il est remboursable par le débiteur (v. art. 192 1er al. ibid.)
Or, il n'y a rien d'exagéré à présumer que le débiteur a usé de ce droit essentiellement protecteur, dit droit de rachat, que la loi lui donne et qui a été justifié en son lieu : on est encore là dans le droit commun de la prescription.
Mais voici où l'on s'en écarte : il peut être permis au créancier de stipuler que le débiteur n'usera pas du droit de rachat pendant un certain temps qui ne peut excéder dix ans (v. art. 192, 2e al.). Or, on se trouve alors devant la double impossibilité d'une action cn payement et d un remboursement volontaire. Les principes généraux conduiraient à ne faire courir la prescription qu'à partir de l'expiration du terme qui retarde le remboursement volontaire.
Assurément, il n'y aurait aucune objection grave à adopter cette solution, législativement. Mais on doit reculer devant la perspective d'une si longue prescription qui pourrait être de 40 ans, et quand on considère avec quelle facilité le créancier peut interrompre la prescription, spécialement dans le cas qui nous occupe, on peut, sans scrupules, faire courir la prescription à partir “ de la date du titre. ”
D'ailleurs, la présomption de payement peut encore se justifier par le laps de trente ans, même en y faisant figurer 10 ans pendant lesquels le débiteur ne pouvait imposer le remboursement ; en effet, il a pu intervenir entre le créancier et le débiteur une renonciation à ce terme.
Mais c'est surtout, disons-nous, la grande facilité qu'a le créancier d'interrompre la prescription qui explique cette dérogation au droit commun de l'effet du terme Il a, en effet, une reconnaissance de son droit de rente dans chaque payement d'arrérages, s'il a soin d'exprimer dans la quittance une relation suffisante à son titre. Mais il devra avoir soin de se faire donner une contre-quittance ou toute autre pièce constatant qu'il a reçu le payement des arrérages : autrement, comme c'est le débiteur qui conserve ses quittances, et comme il pourrait nier avoir payé, la preuve de l'interruption périodique de la prescription manquerait au créancier.
Le second moyen d'interruption de la prescription accordé au créancier, et spécial à cette matière, est de pouvoir dans les deux ans qui précèdent l'accomplissement de la trentième année, exiger, “un titre récognitif de son droit,” comme dit notre article, et cela aux frais du débiteur, s'il s'y laisse contraindre ; si, au contraire, le débiteur acquiesce à la demande, les frais, alors minimes, sont supportés en commun.
Le créancier ne court donc aucun danger réel de cette prescription, bien qu'elle commence avant l'arrivée du terme.
On ne trouve pas une disposition semblable, permettant d'exiger un titre récognitif, au sujet d'un prêt à intérêt, parce que, si le débiteur se refuse à le donner volontairement, le créancier a le droit de la contraindre au remboursement qu'un suppose exgible depuis près de trente ans.
Notre article est applicable aussi à la rente viagère. Ici, il y avait plus de raison de douter, car le capital de la rente viagère est purement “ fictif ou idéal ” et ne peut être, ni exigé par le créancier, ni remboursé par le débiteur ; dès lors, il semble difficile de comprendre qu'après trente ans de la date du titre, la rente soit présumée éteinte par un remboursement.
Mais comme les parties ont toujours eu le droit de faire de nouveaux arrangements, une novation, une transaction, une remise conventionnelle, la loi ne sort pas des vraisemblances en présumant que si trente ans se sont écoulés depuis la naissance de la rente viagère, sans qu'il y ait eu interruption par des payements d'arrérages ou autrement, il y a eu une extinction légitime résultant d'un accord entre les parties.
Art. 153. On a vu à l'article 115 du Livre des Garanties que la possession du gage par le créancier reste précaire, même après l'extinction de la dette, et l'article 130 a décidé de même (par renvoi) pour le nantissement immobilier. Il ne peut donc, dans ces deux cas, être question de prescription acquisitive ; en conséquence, le débiteur, une fois libéré, peut toujours revendiquer sa chose, tant qu'elle est dans les mains de celui qui a été son créancier.
Mais le nantissement impose au créancier l'obligation de conserver la chose avec les soins d'un bon administrateur et de la restituer lors de l'extinction de la dette (v. art. 106). Il y a donc là un droit personnel ou de créance du débiteur, à côté de son droitréel de propriété.
Il n'y a aucune raison de soustraire cette créance à la prescription libératoire : la précarité de la possession n'a aucune influence ici, puisque la prescription libératoire est fondée sur l'inaction du créancier.
La seule question que la loi avait à trancher était celle du point de départ de cette prescription libératoire: il est et il ne pouvait être autre que “ l'extinction de la dette par l'un des modes légaux.” En effet, tant que la dette n'est pas éteinte, le débiteur ne peut exiger la restitution du gage (v. art. 110 et 105); il se trouve donc jusque-là, dans une impossibilité légal d'agir en restitution, c'est-à-dire dans un cas ordinaire où la prescription est suspendue à son profit.
Mais ici il ne faut pas confondre parmi les modes légaux d'extinction de la dette, la prescription libératoire qui est la présomption de l'un de ces modes, parce que la loi a décidé que la possession du gage par le créancier privé le débiteur de la prescription libératoire de sa dette (v. art. 114).
CHAPITRE VIII.
DE QUELQUES PRESCRIPTIONS PARTICULIÈRES.
Art. 154. En général, les droits relatifs à l'état civil des personnes ne, peuvent se perdre par la négligence à les exercer, pas plus qu'on n'en pourrait acquérir par une longue possession d'état ; l'intérêt général est engagé dans ces questions autant que l'intérêt particulier, et c'est par des causes plus directes que la prescription et sous des conditions moins dépendentes de la volonté des personnes que l'état civil s'acquiert et se perd.
Cependant, on trouve au Livre des personnes certaines actions relatives aux nullités de mariage qui sont soumises à des délais déterminés, passés lesquels le mariage est inattaquable ; ces délais une fois écoulés, l'action non exercée est prescrite.
Art. 155. La loi règle ici la durée de l'action réelle tendant, comme dit notre article, ” à faire valoir la qualité d'héritier ou de successeur à titre universel ; ” elle s'exerce contre ceux qui possèdent, à l'un des mêmes titres, tout ou partie des biens d'un défunt. La reconnaissance de la qualité d'héritier, ou de légataire à titre universel, a pour conséquence la restitution au demandeur des biens de là succession attachés à cette qualité.
Si le possesseur d'un bien d'une succession le possédait comme acheteur, donataire particulier, ou à tout autre titre également particulier, ce ne serait pas par la pétition d'hérédité qu'il devrait être actionné, mais par la revendication ordinaire, et la prescription serait alors de 15 ou 30 ans pour un immeuble et instatanée pour un meuble.
Lors, au contraire, que la possession est à titre universel, le délai de la prescription est uniformément de 30 ans, sans distinguer les meubles des immeubles, ni 1 existence ou l'absence d'une juste cause et de la bonne foi.
Cette longue prescription s'explique, tant par la circonstance que la totalité ou une quote part d'un patrimoine est en jeu, que par l'ignorance excusable où l'héritier peut se trouver, par rapport à l'ouverture de la succession et à son droit d'héritier ou de légataire.
Art. 156. Le caractère commun des créances qui sont soumises à la prescription de cinq ans, objet de cet article est la périodicité annule. Comme elles sont toutes connues par des dispositions éparses dans le Code, il n'y a pas à les reprendre séparément.
On remarquera que la formule générale qui suit les six applications de cette prescription ne comprend pas les capitaux divisés par annuités lesquels ont été l'objet de l'article 151.
Art. 157. Ici la prescription n'est plus que de trois ans : si la loi l'avait fixé plus court, c'eût été moins favorable au débiteur, en ce sens que le créancier aurait été obligé de le poursuivre plus tôt ; or, il ne fallait pas ôter aux médecins, professeurs, la faculté d être bienveillants pour leurs malades ou leurs élèves.
Art. 158. Ces prescriptions sont de deux ans. Ce qui est à remarquer c'est que la prescription est suspendue, en principe, tant que les affaires ou procès, origines de la créance, ne sont pas terminés. Mais dans ce cas même, la prescription est limitée à cinq ans, et si la loi n'a pas fait rentrer cette prescription de cinq ans dans l'article 156, c'est parce que la créance n'a pas le caractère périodique.
Art. 159. Des trois créances soumises à la prescription d'un an, une seule, la dernière, a une caractère périodique.
Nous remarquerons sur la deuxième et la troisième créance qu'elles ne s'appliquent pas quand les ventes et travaux ont eu lien au profit de marchands, en ces qualités : dans ce cas, ce seront les prescriptions du Code de Commerce qui seront appliquées.
Art. 160. A mesure que les créances diminuent d'importance et sont de nature, soit par leur cause, soit par la condition des personnes, à ne pas comporter un long crédit, la prescription est plus courte : ici elle n'est plus que de six mois, pour trois créances dont la première et la dernière ont un caractère périodique.
On ne peut dire que ce soit la plus courte, car indépendamment de la prescription instantanée (v. art. 144), nous avons vu deux cas de prescription de trois mois dans les articles 134 et 135.
Art. 161. La brièveté des prescriptions de trois ans, deux ans, un an et six mois affaiblit beaucoup la force de la présomption de payement ; aussi la loi accorde-t-elle un secours spécial au créancier auquel le débiteur oppose de telles prescriptions : c'est de faire rejeter la prescription, si le débiteur avoue n'avoir pas payé : cette solution est déjà admise par l'article 96, comme conséquence de la nature île présomption reconnue à la prescription.
Art. 162. Les avocats, les greffiers, et les notaires sont, par la nature de leur fonction ou profession, obligés de prendre communication de “ pièces ” (titres ou documents) qui leur sont confiées par les plaideurs ou par leurs clients. Une fois terminés les procès, actes ou significations dont ils ont été chargés, ils doivent restituer les pièces qui leur ont été confiées à cette occasion et, depuis le dépôt jusqu'à la restitution, ils sont tenus de conserver ces pièces avec les soins que doit tout dépositaire volontaire, c'est-à-dire avec les soins qu'il apporte à ses propres affaires (v. Liv. de l'Acquisition des Biens, art. 210).
Mais il y aurait de graves inconvénients à laisser durer trop longtemps cette responsabilité et les actions en restitution et en indemnité des particuliers : si les personnes dont il s'agit ont négligé de faire la restitution, les particuliers ont été négligents aussi de ne pas la réclamer. De là, une prescription assez courte pour protéger les officiers publics dont il s'agit.
Art. 163. Toutes les prescriptions qui précèdent, de cinq ans et au-dessous, sont fondées sur la probabilité du payement et sur la difficulté pour le débiteur de le prouver directement, par quittances ou par témoins, car il n'est guère possible ni même raisonnable de conserver longtemps des quittances de payements presque journaliers et de sommes souvent minimes. Alors la loi permet au débiteur de suppléer à la preuve directe par la présomption de payement.
Mais la situation change lorsque le débiteur a reconnu sa dette par un compte arrêté et liquidé à une somme déterminée. Il n'y a cependant pas une novation, une transformation de la cause primitive eu prêt d'argent : ce serait faire perdre au créancier les privilèges et autres avantages légaux ou conventionnels qui peuvent être attachés à la cause originaire de la dette. Mais il y a pour le débiteur une preuve plus énergique contre lui, laquelle l'oblige dès lors à tirer de son payement une quittance en bonne forme et a la conserver pendant trente ans, ou à ne payer que devant témoins, quand le montant de la dette autorise cette preuve. Mais, en pareil cas, la preuve testimoniale sera bien difficile à fournir après un long intervalle de temps.
S'il y a eu jugement contre le débiteur, il y a une preuve encore plus énergique de sa dette, et il est naturel que la prescription soit désormais de trente ans.
DISPOSITION COMPLÉMENTAIRE.
Art. 164. Le nouveau Code civil donnera lieu pendant longtemps à des questions transitoires qui, très souvent, pourront être fort délicates.
La loi n'a d'effet rétroactif (art. 2 de la Loi 97 du 10 mois de la 23e année de Meiji) ; c'est un principe aussi conforme à la justice qu'à la raison. Mais l'application en est quelquefois très épineuse.
Ce n'est pas ici le lieu d'examiner et de résoudre les principales questions qu'il est possible de prévoir à ce sujet, sur les principales dispositions de Code : on a eu seulement à expliquer une disposition transitoire, an sujet de l'Emphytéose (v. Liv. des Biens, art. 155).
Par une seconde exception, on trouve ici une disposition transitoire sur la prescription.
Le motif de cette exception est qu'il y a toujours quelque chose d'arbitraire dans les délais légaux de la prescription et que la loi paraît obligée de faire elle-même, en cette matière, la part de l'ancienne loi et de la nouvelle.
Ce n'est, en effet, que pour la combinaison des anciens délais avec les nouveaux que l'intervention du législateur est nécessaire ; pour les autres règles de la prescription dont s'occupe le 1er alinéa, les principes généraux de l'effet d'une loi nouvelle sur les modes des preuves pourraient à la rigueur suffire.
Là encore cependant, la prescription présente de particularités qu'il a paru très utile de mettre en relief.
En effet, quand il s'agit de preuves préconstituées, comme les preuves écrites, authentique ou privée, il est certain et évident que la loi nouvelle n'y peut porter atteinte : les parties ont respectivemnet un droit acquis à prouver leur acquisition ou leur libération par les moyens qu'elles se sont préparés à l'avance, conformément à la loi alors en vigueur. Si même il s'agit de la preuve par témoins, permise au moment où le fait à preuver a été accompli, la loi nouvelle ne peut défendre la preuve testimoniale de ce même fait.
Mais la prescription est une preuve d'une toute autre nature, non pas tant parce qu'elle est une présomption (car, s'il s'agissait de l'autorité de la chose jugée, le droit à la présomption serait acquis dès le jugement), mais parce que c'est une présomption qui n'est formée et complète qu'avec un laps de temps. Or, jusqu'à ce que ce temps soit écoulé, il n'y a pas droit acquis pour celui qui pouvait seulement espérer y parvenir. On conçoit dès lors que la loi nouvelle puisse soumettre cette prescription à de nouvelles conditions, et c'est ce que déclare notre premier alinéa. Il s'exprime même, à cet égard, avec une ampleur intentionnelle, en parlant des “ conditions, prohibitions, interruptions et suspensions.”
Les “ conditions ” sont principalement celles de la prescription acquisitive et libératoire portées aux Chapitres V, VI, VII et VIII ; les prohibitions sont peu nombreuses (en dehors du défaut des conditions requises) ; nous citerons surtout: l'imprescriptibilité des choses hors du commerce et des simples facultés (art. 94 et 95), la prohibition de renoncer d'avance à la prescription (art 100), enfin, les causes “ d'interruption et de suspension ” font l'objet des Chapitres III et IV.
Reste la question des délais. C'est ici que la loi devait se prononcer d'une façon plus spéciale et en faisant quelques distinctions (2e et 3e al.).
1° Le délai de l'ancienne loi était plus long que celui de la nouvelle, par exemple 30 ans de possession, au lieu de 15; il ne fallait pas soumettre le possesseur à une possession de 15 ans, à partir de la loi nouvelle, alors que, déjà peut-être, il avait possédé 20 ans : c'eût été trop aggraver sa position.
On ne pouvait non plus imputer absolument son ancienne possession sur le nouveau délai requis, car, dans notre exemple, la prescription se fût trouvée immédiatement accomplie, au grand préjudice du vrai propriétaire qui avait sans doute compté agir pendant les 10 ans qui lui restaient.
La décision de la loi concilie des deux intérêts.
Dans ce cas, le possesseur achèvera l'ancienne prescription par les 10 ans qui lui manquaient.
Mais si, dans la même hypothèse d'une ancienne prescription plus longue que la nouvelle (30 ans au lieu de 15), le débiteur n'avait encore possédé que 5 ans, il jouirait bien de la nouvelle prescription, mais sans en imputer les 5 ans de son ancienne possession. En d'autres termes, il ne peut ici invoquer à la fois les deux prescriptions.
2° Le délai de l'ancienne prescription était plus court que celui de la nouvelle : la loi a pu valablement le prolonger, puisqu'il n'y avait pas encore droit acquis.
Mais il ne serait pas juste, quand la situation du possesseur on du débiteur est déjà aggravée de ce chef, de ne pas lui tenir compte du temps déjà écoulé à son profit; ce temps sera donc déduit de celui qui est exigé par la loi nouvelle.
FIN DU LIVRE DES PREUVES.