Art. 144. On a eu déjà bien des occasions de faire allusion à cette disposition, suivie presque dans toutes les législations modernes et dont on n'a pas craint de dire qu'elle consacre une “ prescription instantanée. ”
Il y a pourtant de bons esprits que cette expression ne satisfait pas, parce qu'ils prétendent que la prescription ne peut être qu'un effet du temps et que, précisément, cet élément fait ici défaut. Mais cette prétendue nécessité d'un laps de temps n'est pas démontrée. C'est la possession qui est le véritable fondement de la prescription dite “ acquisitive.” Sans doute, pour les immeubles, les lois, dès l'origine ont sagement exigé que cette possession lût de longue durée ; mais, pour les meubles, elles ont commencé par se contenter d'une possession annale ; puis on a compris que, pour protéger les propriétaires négligents, on sacrifiait la sécurité des transactions les plus loyales et les plus prudentes, et l'on est arrive, d'abord dans les coutumes et dans la jurisprudence, ensuite dans les lois modernes, à n'exiger que la seule possession, avec certaines qualités intrinsèques et initiales, sans aucune condition consécutive de durée.
Notre texte nous dit que la possession doit avoir ici les deux qualités qui, en matière immobilière, font réduire de moitié le délai requis pour prescrire : la possession doit avoir été acquise par un juste titre et de bonne foi. Il n'exige aucun délai, sauf les deux exceptions concernant le conjoint et l'administrateur du propriétaire (v. art. 134 et 135), et c'est parce qu'aucun temps de possession n'est requis que la définition de la prescription, où l'on a fait figurer la condition de temps, réserve la prescription de notre article (v. art. 89).
Il faut maintenant justifier cette énorme faveur attachée à la possession des meubles qui la dispense de toute condition de durée pour produire le bénéfice de la prescription.
Remarquons d'abord que la loi ne statue ici que pour les meubles “corporels:” c'est l'article 149 qui réglera la prescription acquisitive des meubles incorporels.
Or, c'est un fait observé en tous pays, au Japon comme en Europe, que les meubles corporels se cèdent, changent de maître, avec une grande célérité, sans qu'il soit demandé ni qu'il puisse être facilement fourni de titre écrit de propriété : si les acheteurs ou donataires pouvaient être exposés à des revendications qu'il leur a été pratiquement impossible de prévoir, il en résulterait de grands dommages individuels qui, par leur nombre, deviendraient un dommage général, et si ces dommages ne pouvaient être évités que par une excessive circonspection, alors il y aurait encore un plus grand dommage général par la rareté des transactions sur les meubles.
C'est pour remédier à ce double danger que la loi a admis que la possession, avec ses deux qualités de juste cause et de bonne foi, serait par elle seule un titre de propriété, un titre parfait. Et il fallait bien dispenser cette possession de toute condition de temps, car si la revendication pouvait avoir lieu pendant un an; comme dans certains Codes étrangers, le double danger auquel on voulait parer se serait représenté.
Puisque la prescription instantanée n'est soumise qu'à deux conditions: un juste titre de possession et la bonne foi, il faut voir comment ces deux conditions seront prouvées être remplies.
Pour la bonne foi, elle est présumée, en général, quand le possesseur a prouvé directement posséder en vertu d'un juste titre (v. art. 187).
Mais fallait il soumettre ici le possesseur à l'obligation de prouver directement qu'il a reçu le meuble ”en vertu d'un acte juridique de nature à lui conférer la propriété ” (v. art. 181 du Liv, des Biens,)?
Lui imposer une telle obligation eût été détruire toute la théorie de cette prescription exceptionnellement favorable, puisque la célérité des transactions mobilières ne comporte guère la rédaction d'actes, même sous seing privé, encore moins la convocation de témoins. Il faut donc, de toute nécessité, admettre une présomption légale de l'existence d'une juste titre, présomption simple assurément, susceptible de toute preuve contraire, et c'est ce qu'exprime le 2e alinéa de notre article.