Art. 131. Dans la plupart des législations de l'Europe, peut-être dans toutes, les prescriptions de plus de cinq ans sont suspendues en faveur des mineurs et des interdits, de sorte que la plupart de leurs droits réels et personnels sont à l'abri d'une prescription dont le délai s'achèverait pendant leur incapacité.
On a souvent signalé les inconvénients de cette disposition qui peut laisser la propriété et la libération dans une longue incertitude : déjà bien dure pour les débiteurs des mineurs qui pourront être recherchés après un temps considérable, cette suspension est funeste aux possesseurs d'immeubles qui, n'ayant pas traité avec le mineur ou ses auteurs, peuvent ne pas soupçonner le danger de revendication et s'endormir dans une fausse sécurité.
La minorité peut, en effet, durer bien des années après que des droits contre lesquels la prescription avait commencé à courir du chef d'un majeur ont passé sur la tête d'un mineur ; celui-ci peut mourir avant sa majorité et avoir lui-même un héritier mineur ; de là une très longue suspension.
L'inconvénient est encore plus frappant s'il s'agit d'un interdit qui peut ne jamais recouvrer la raison, et même laisser aussi un héritier mineur. Et quand on songe que les mineurs et les interdits ont un tuteur pour sauvegarder leurs droits contre la prescription, on ne comprend guère pourquoi ils obtiennent une faveur si contraire à l'intérêt général.
En présence de cette grave objection, on peut s'étonner que les nouvaux ('odes étrangers, aient suivi la tradition générale.
Le motif qu'on donne d'ailleurs pour justifier cette suspension est loin d'être concluant. On dit que le tuteur pourrait ignorer les droits du mineur et laisser s'accomplir la prescription, sans encourir de responsabilité, et que dans les cas où une négligence lui serait imputable, il pourrait être hors d'état d'indemniser le mineur.
Ces deux raisons sont bien faibles.
D'abord, il sera bien rare que le mineur ait des droits de quelque importance qui ne se révèlent pas par l'administration de la tutelle, laquelle met aux mains du tuteur tous les titrés et documents du mineur, ou que ces droits ne lui soient pas signalés par les parents du pupille ou de l'interdit, formant le conseil de famille ; d'ailleurs, s'il s'agit de prescription libératoire, les créances résulteront peut-être d'actes du tuteur lui-même.
Quant an danger d'insolvabilité du tuteur, il est difficile de croire qu'il ait été considéré comme sérieux pas des législations qui accordent au mineur et à l'interdit une hypothèque générale sur les immeubles du tuteur.
Restât-il quelque chose de fondé dans ces deux raisons, ce ne serait pas encore suffisant pour sacrifier un grand intérêt général à l'intérêt individuel de ces deux incapables.
Ce Code propose une innovation nécessaire avec un tempérament qui sauvegarde suffisamment l'intérêt du mineur et de l'interdit. La prescription n'est pas suspendue en leur faveur: elle continue à courir contre eux ; mais on peut dire qu'elle ne s'achève pas pendant la minorité ou l'interdiction : la loi laisse toujours à eux ou à leurs héritiers un délai pour agir en revendication ou en payement, quand l'incapacité a cessé. Ce délai est d'un an : un an leur suffira bien pour prendre connaissance de leurs droits et commencer des poursuites réelles ou personnelles.
Cette innovation n'empêchera donc pas qu'on puisse encore, par forme d'abréviation, parler de suspension de prescription en faveur des mineurs et interdits, car le système du Code permettra, en général, de dire que ” la prescription est suspendue pendant la dernière année de sa durée.”
Nous n'avons encore rien dit du 1er alinéa de notre article, parce qu'il n'innove pas sur les Codes étrangers : les prescriptions de cinq ans et au-dessous, dites “ courtes prescriptions,” courent sans restriction, contre les mineurs et les interdits, “ comme contre les majeurs sains d'esprit ;“ mais, comme le tuteur peut être eu faute, soit d'avoir négligé d'exercer leur droit qu'il connaissait, soit de l'avoir ignoré, pouvant le connaître, il est responsable du préjudice qu'il a causé.
Il y a toutefois une exception à cette règle en ce qui concerne la prescription do l'action en nullité appartenant aux incapables, laquelle ne commence à courir que quand l'incapacité a cessé (v. art. 545 du Livre des Biens).