Art. 50. La contre-lettre est un contre-écrit destiné, comme dit le texte, " à rester secret ” et portant modification, ou destruction totale ou partielle, d'un acte ostensible ; l'acte ostensible peut d'ailleurs être aussi bien authentique que sous seing privé, et même l'acte secret ou la contre-lettre, quoique le plus souvent sous seing privé, pourrait aussi être authentique, car les actes authentiques ne sont pas communiqués à qui désire les connaître et lorsqu'on les nomme actes publics, c'est pour indiquer qu'ils sont faits avec intervention d'un officier public et non pour dire qu'ils sont notoires. Mais ceux qui voudraient faire une contre-lettre par acte authentique feraient sagement d'y stipuler expressément le caractère secret c'est-à-dire purement personnel aux parties.
A raison du caractère secret des contre-lettres et de la modification qu'elles prétendent apporter à un acte ostensible, la loi craint qu'elles n'aient pour but de nuire à des tiers, c'est-à dire, ici, à des intéressés autres que les parties, et elle déclare qu'elles sont sans effet contre ceux-ci, de sorte que leur effet n'a lieu que “contre les signataires et leurs successeurs.” Les créanciers mêmes, qui, en général, subissent l'effet des actes de leur débiteur, lorsqu'ils n'ont pas été faits en fraude de leurs droite, ne sont pas tenus de subir l'effet des contre-lettres, lorsqu'elles n'étaient pas connues d'eux au moment où ils ont contracté : c'est une exception notable au principe énoncé à l'article 340 du Livre des Biens. On voit, au contraire, à l'article 52, que les contre-lettres peuvent être invoquées par les tiers et autres intéressés, mais toujours contre les parties seules ou leurs héritiers et non contre leurs créanciers.
On pourrait s'étonner, au premier abord, que les contre-lettres n'aient pas le même effet que l'acte primordial, quand on considère que celui-ci n'est pas, de sa nature, plus notoire que la contre-lettre, lorsqu'il n'est pas, à cause de son objet, soumis à l'inscription. Mais il faut remarquer que les parties, au moment où elles traitent avec des tiers, pourraient les tromper, en ne leur faisant connaître que l'acte primordial et en ayant soin de leur laisser ignorer la contre-lettre ; et ce ne serait pas préserver les tiers d'une surprise que de leur opposer une contre-lettre antérieure à leur acte : la fraude ici ne consisterait pas à avoir fait après coup un acte destiné à les frustrer, mais à leur avoir caché un acte qui les eût avertis d'une restriction aux droits de leur auteur et, par suite, à ceux qu'ils pouvaient acquérir de lui.
Quelques exemples sont nécessaires pour rendre sensible l'application de cette théorie.
Quelqu'un a souscrit une obligation de somme d'argent, comme emprunt ou comme prix d'un achat de meuble ou d'immeuble : voilà un acte ostensible, c'est-à-dire que le créancier pourra montrer à qui il aura intérêt à le faire ; en même temps ou plus tard, le créancier a remis au débiteur un acte destiné à rester secret entre eux pendant plus ou moins longtemps, et portant que cette dette n'est pas véritable ou qu'elle est moindre ; en cet état de choses, si le créancier vend à un tiers sa créance apparent, le débiteur cédé ne pourra se prévaloir contre le cessionnaire de la déclaration portant que la dette n'existe pas ou est moindre. Il en serait de même si cette créance était saisie par un tiers dans les mains du créancier apparent.
De pareilles conventions ne sont pas toujours faites dans un but frauduleux, à proprement parler, et d'ailleurs, la fraude se trouverait souvent déjouée par la prévision de la loi, mais leur but peut être de donner au créancier apparent un crédit qu'il n'aurait pas sans cela, et cette combinaison ne laisse pas que d être blâmable ; elle peut d'ailleurs favoriser après coup des fraudes qui n'étaient pas dans l'intention première des parties. Supposons, en effet, avec l'hypothèse précédent, que le débiteur vienne à tomber en faillite ou en déconfiture, que le créancier produise alors son titre dans la liquidation et que le débiteur ne lui oppose pas la contre-lettre, comme il aurait le droit de le faire, il en résultera que les créanciers véritables et légitimes dudit débiteur subiront le concours d'un faux créancier dont ils ne soupçonneront pas la collusion.
Il arrive cependant quelquefois que la contre-lettre n'a rien de frauduleux, ni même de blâmable d'après la morale la plus sévère.
Ainsi, les statuts d'une compagnie de finance ou d'industrie exigent que le gérant soit propriétaire, en son nom personnel, d'un certain nombre d'actions ou parts du capital ; c'est un gage sérieux de sa prudence et de sa vigilance, puisqu'il serait ainsi victime, comme les autres associés, de ses témérités ou de son incurie ; c'est aussi une garantie pécuniaire en cas de faute grave ou de malversation ; mais il est possible qu'il ne possède pas les fonds nécessaires pour acquérir ces actions : rien ne s'oppose à ce qu'un tiers les lui prête en les transférant à son nom, et qu'une contre-lettre déclare que ces actions continuent à être la propriété du prêteur et qu'elles devront lui être rétrocédées quand la gestion cessera. Cela ne peut nuire à personne, car ces actions sont toujours la propriété du gérant, au regard de la compagnie et des tiers intéressés, lesquels pourront les saisir s'il y a lieu, sans que la contre-lettre leur soit opposable.
Si les contre-lettres sont sans effet à l'égard des tiers, c'est parce que, de leur nature, elles sont secrètes et destinées à rester telles ; mais si, en fait, elles ont été connues des tiers qui prétendent en repousser l'effet, leur exception de nullité n'est plus fondée, ni en droit positif ni en équité. Il y aura seulement une difficulté de preuve, mais elle se résoudra d'après le droit commun : la contre-lettre étant dressée par les parties pour modifier secrètement un acte ostensible est, de leur fait même, présumée ignorée des tiers ; dès lors, c'est à la partie qui soutient que le tiers intéressé l'a connue à en faire la preuve ; seulement, elle n'est pas ici limitée à la preuve par l'aveu de l'adversaire, comme lorsqu'il s'agit de prouver qu'un acte non publié par l'inscription, lorsqu'il devait l'être, a été néanmoins connu de celui qui en repousse l'effet (v. Liv. des Biens, art. 347, et 350, 3e al.) : le caractère des deux présomptions est bien différent ; toutes deux sont légales, sans doute, mais la présomption d'ignorance des actes non inscrits, quand ils devaient l'être, est absolue et si, par exception, elle admet ia preuve contraire de l'aveu de l'adversaire, c'est parce qu'étant d'intérêt privé cette présomption ne peut profiter à celui qui, par son aveu, se condamne lui-même ; tandis qu'ici la présomption est simple et admet toute preuve contraire y compris la preuve testimoniale même au delà d'une valeur de 50 yens, car on est dans un cas où la partie intéressée ne pouvait se procurer de preuve écrite (v. art. 69-3°).