Art. 30. On trouve ici, comme fondement du droit de la caution à la garantie ou indemnité, les deux principales causes d'obligations : la convention et l'enrichissement indû ; leur application dépend de la cause elle-même du cautionnement.
C'est ici surtout qu'il importe de distinguer s'il a eu lieu en vertu d'un mandat du débiteur ou seulement du quasi-contrat de gestion d'affaires, soit à l'insu du débiteur, soit même malgré lui. Cette triple cause du cautionnement a été annoncée au début de la matière (art. 11).
Il faut voir maintenant la différence des effets d'après la différence des causes, en notant d'ailleurs une condition commune à tous les cas de recours de la caution, c'est qu'il faut qu'elle “ ait fait un sacrifice personnel ” pour procurer la libération au débiteur : autrement, si elle avait seulement obtenu la remise gratuite de la dette, elle n'aurait droit à aucune indemnité, n'ayant éprouvé aucun dommage.
I. Lorsque la caution a reçu du débiteur le mandat d'intervenir pour lui, c'est évidemment en vertu de la convention qu'elle doit être indemnisée.
Par application de ce principe, nous dirons que, lors même que la dette cautionnée aurait été entachée d'un vice qui permettait de ne pas la payer, ou lors même qu'elle aurait été déjà éteinte, la caution qui l'aurait acquittée, ayant d'ailleurs averti le débiteur des poursuites, serait en droit de réclamer le remboursement de ce qu'elle aurait payé en son nom ; c'est le débiteur qui, à ses risques et périls, répéterait le payement indû contre le créancier.
C'est pour que le recours s'applique au payement d'une dette nulle ou déjà éteinte que le texte ajoute au cas où la caution “ a libéré le débiteur ” (ce qui suppose qu'il devait réellement) celui où elle “ a payé en son nom,” ce qui comprend même le cas où il ne devait pas.
Les frais dont il s'agit sont les frais de justice et même les frais extrajudiciaires, comme ceux de change des monnaies ou de change de places, ceux de transport d'argent, de voyage, etc.
Les intérêts des avances et déboursés sont encore une suite de l'application des règles du mandat.
Enfin, la caution peut réclamer tous autres dommages-intérêts justifiés : par exemple, pour troubles dans ses affaires personnelles, temps perdu en procès ou démarches, vente de ses meubles ou immeubles au-dessous de leur valeur normale, afin d'obtenir des fonds en temps utile, ou même vente forcée dans des conditions défavorables.
A cet égard, la caution est mieux traitée qu'un créancier ordinaire de somme d'argent, lequel ne peut, en général obtenir d'autres indemnités que l'intérêt normal de l'argent (intérêt conventionnel ou légal) ; mais l'article 391, qui a posé ce principe, a réservé “ les cas exceptés par la loi ” et nous sommes en présence d'un de ces cas.
La loi ajoute que dans ce cas de mandat, la caution a son recours avant d'avoir payé, par cela seul qu'elle a subi condamnation : en effet, elle éprouve déjà un préjudice de l'exécution de son mandat et elle doit en être indemnisée.
II. Le cas où la caution s'est engagée spontanément et comme gérant d'affaires du débiteur, à son insu et, par conséquent, sans opposition de sa part, est déjà beaucoup moins favorable.
En l'absence de convention, ce n'est pas sur la perte qu'elle a éprouvée que se mesurera son indemnité, mais sur l'utilité qu'elle a procurée au débiteur ; en effet, si elle éprouve des dommages du cautionnement au-delà du service rendu, c'est par sa volonté ou sa maladresse : le débiteur n'en peut être responsable ; tel est, par exemple, le cas où la caution a payé une dette annulable on déjà éteinte. Mais si le débiteur se trouve enrichi par le fait que la caution a payé pour lui une dette véritable et exigible, il est juste qu'il restitue cet enrichissement.
La caution ne doit obtenir les intérêts de ses déboursés que si le payement qu'elle a fait a arrêté pour le débiteur lui-même les intérêts de sa dette, ce qui suppose que la dette en était productive ; or, s'il s'agissait d'une dette ne portant pas intérêts, la caution ne pourrait alléguer avoir procuré, de ce chef, au débiteur une utilité ou un enrichissement.
C'est au moment où le débiteur a été libéré que s'apprécie son enrichissement : le texte a soin de l'exprimer, pour faire opposition au troisième cas ci-après ; si donc le débiteur a acquis contre son créancier, depuis le payement fait par la caution, des causes de compensation qui l'auraient libéré de sa dette, au cas où elle aurait encore existé, il n'en est pas moins tenu de rembourser la caution ; seulement, dans l'application de la loi, il faudra encore que la caution n'ait pas eu le tort de laisser ignorer au débiteur que sa dette était éteinte ; car, autrement, celui-ci pourrait soutenir que, s'il en avait eu connaissance, il n'aurait pas contracté de nouveau avec son créancier : il est désormais exposé au risque de l'insolvabilité de celui-ci, tandis que la compensation l'en eût préservé (comp. art. 33).
III. Supposons enfin, avec le 3e alinéa de notre article, que la caution s'est obligée malgré le débiteur. Cette circonstance n'est pas exclusive de l'idée de gestion d'affaires : on peut rendre un bon office à quelqu'un malgré lui et, de même qn'on peut payer la dette d'autrui malgré le débiteur, de même on peut la cautionner malgré lui. Ce n'est d'ailleurs qu'après le payement que la question de recours s'élèvera ici et alors interviendront les solutions déjà données par les articles 452 et 453 du Livre des Biens, au sujet du payement fait par un tiers et justifiées sous ces articles.
Signalons ici, avec le texte, la seule différence importante entre ce troisième cas et le précédent : ce n'est plus au moment où le payement a été effectué qu'on apprécie le montant de l'enrichissement du débiteur comme base du recours de la caution, c'est au moment où elle exerce ce recours ; si donc dans l'intervalle il est survenu entre le débiteur et le créancier quelque convention ou autre acte qui eût diminué l'obligation, par voie de compensation ou autrement, au cas où elle eût encore existé, le recours de la caution est diminué d'autant. Bien entendu, nous nous plaçons dans l'hypothèse où il n'y aurait pas eu fraude de la part du débiteur.
Voici, pour terminer, une dernière différence entre les deux cas de gestion d'affaires et celui de mandat : ce n'est que dans le cas de mandat que la caution peut demander une indemnité avant d'avoir payé et par le seul fait qu'elle “ a subi condamnation en cette qualité.” Déjà, l'article 29 nous a dit que ce n'est également qu'au cas de mandat que la caution peut appeler le débiteur en garantie incidente. Les deux idées sont corrélatives : tant que le débiteur ne tire aucun avantage de la gestion d'affaires, il ne peut être actionné par le gérant ; or, ni la poursuite exercée contre la caution, ni la condamnation prononcée contre elle, n'ont libéré le débiteur ; au contraire, lorsque le débiteur a donné mandat à la caution, celle-ci peut se retourner contre lui dès qu'elle éprouve un dommage ou un simple trouble par suite du mandat; or, la condamnation et même la simple poursuite constituent ce dommage ou ce trouble.