Art. 496, 497 et 498. La novation par changement de débiteur est d'une grande utilité pratique et elle comporte d'importantes distinctions qui sont l'objet de ces trois articles.
La première distinction est relative à l'intervention ou à la non-intervention du premier débiteur dans la nouvelle dette.
Le plus souvent, c'est lui qui présente à son créancier un nouveau débiteur, pour que le créancier stipule de celui-ci qui lui était dû précédemment ; l'opération se nomme délégation, mot qui exprime l'idée d'un mandat, d'une commission : on nomme délégant le premier débiteur, délégué le nouveau débiteur et délégataire le créancier. Généralement, le délégant est créancier du délégué ; il s'opère alors une double novation : le délégué change de créancier et le délégataire change de débiteur ; si en même temps, on changeait l'objet dû, il y aurait trois novations, à la fois.
La délégation est un mandat du délégant au délégué ; par conséquent, si le délégué n'était pas débiteur du délégant, il aurait recours, par l'action de mandat, pour ce qu'il aurait payé au délégataire ; il en serait de même si, étant débiteur du délégant, il avait promis et payé plus qu'il ne lui devait.
Entre le délégant et le délégataire, la délégation a aussi le caractère d'un mandat, car elle invite le délégataire a stipuler du délégué ; mais ce mandat ne sera pas en général, une source d'obligations entre ces deux parties, ainsi qu'on l'expliquera plus à propos sous l'article 498.
Quand le nouveau débiteur s'engage, comme expro-mettant, ou par expromission, au lieu et place de l'ancien, spontanément sans mandat de celui-ci, il agit comme gérant d'affaires et, quand il a payé la nouvelle dette, il a recours contre l'ancien débiteur pour toute l'utilité qu'il lui a procurée ; spécialement, s'il n'était pas tenu antérieurement envers lui : autrement, il se ferait compensation, en vertu d'une théorie à laquelle on arrivera bientôt.
Telle est la première distinction relative au changement de débiteur : il y a, soit délégation ou mandat, soit expromission spontanée ou gestion d'affaires.
Chacun de ces cas comporte une sous-distinction: la délégation est parfaite ou imparfaite ; la gestion d'affaires produit une expromission ou une adpromission.
La loi ne pouvait expliquer ces sous-distinctions dans le même article, sans le trop surcharger.
La délégation est parfaite, lorsque la libération est accordée au délégant par le délégataire : le nom de “parfaite,” donné alors à la délégation, est justifié, car elle est complète et a tout son effet possible : elle opère novation ; au contraire, quand le créancier, même ayant stipulé du délégué, s'est réservé son droit entier contre l'ancien débiteur, concurremment avec le nouveau, la délégation, étant alors incomplète, mérite bien d'être appelée “imparfaite:” il n'y a pas novation.
La même sous-distinction a lieu en cas d'engagement spontané d'un tiers : si le créancier l'accepte au lieu et place de l'ancien débiteur, il y a novation ; s'il entend conserver son droit antérieur, conjointement avec sa nouvelle créance, il y a accession d'un nouveau débiteur et non substitution de l'un à l'autre ; on dit qu'il y a expromission dans le premier cas et adpromission dans le second, pour faire sentir que, dans le premier cas, la nouvelle promesse exclut, dégage la première et prend sa place, tandis qu'elle s'y ajoute, s'y adjoint seulement, dans le second cas.
La loi n'exige pas, pour qu'il y ait, soit délégation parfaite, soit expromission, que le créancier ait expressément déchargé l'ancien débiteur : il suffit qu'il l'ait fait clairement, comme il est dit à l'article 492.
Le Code tranche aussi une question qui aurait pu s'élever, à savoir : quelle est la nature de l'engagement du nouveau débiteur, lorsque le premier n'est pas déchargé ? Le nouveau débiteur est-il simplement caution du premier ? Est-il tenu conjointement avec lui et pour moitié ? Est-il codébiteur solidaire, ou la dette est-elle indivisible passivement?
La loi distingue entre la délégation et l'intervention spontanée du tiers. Au premier cas, il y a solidarité ordinaire, solidarité parfaite, celle dont il a déjà été parlé par comparaison avec l'indivisibilité, mais qui ne sera traitée dans ses détails qu'au Livre des Garanties. Au second cas, il n'y a plus qu'une solidarité imparfaite, qu'on a déjà rencontrée sous le nom d'obligation intégrale.
On la retrouvera aussi au Livre des Garanties. Il suffit de noter ici que cette dette tient de la solidarité ordinaire son étendue : chaque débiteur peut être poursuivi pour le tout ; mais elle en diffère en ce que les deux débiteurs ne sont pas mandataires les uns des autres, pour tous leurs rapports avec le créancier: ce mandat, tout naturel et évident, quand il y a délégation, n'est plus admissible lorsqu'il n'y a qn'intervention spontanée d'un tiers : celui-ci n'est plus qu'un gérant d'affaires qui peut rendre service mais non pas nuire au débiteur; or, s'il était considéré comme codébiteur solidaire, les poursuites dirigées contre lui constitueraient l'ancien débiteur en demeure, mettraient chose due à ses risques, feraient courir contre lui les intérêts moratoires, interrompraient la prescription : ce seraient autant d'effets nuisibles résultant de son intervention et qu'on ne peut admettre.
L'article 498 déduit une conséquence de la novation sur laquelle il aurait pu y avoir doute et il y admet une exception.
Assurément, quand il y a délégation parfaite ou expromission, c'est-à-dire novation .complète par changement de débiteur, il paraît tout naturel que l'ancien débiteur, désormais libéré, ne puisse être recherché, même au cas d'insolvabilité du nouveau débiteur, surtout si cette insolvabilité est survenue postérieurement à la novation ; mais deux raisons pouvaient faire douter de cette solution, au moins au cas de délégation.
C'est, d'abord, le mandat contenu dans la délégation, lequel paraît adressé autant au délégataire qui stipule qu'au délégué qui promet ; mais, il faut prendre ce mandat tel qu'il est. c'est-à-dire avec ce qui l'accompagne ; or, ici, le délégataire a déchargé le délégant, c'est, de sa part, renoncer autant à tout recours en raison du mandat qu'à son ancienne action.
On pouvait encore attribuer un recours au créancier, en cas d'insolvabilité du nouveau débiteur, en invoquant en sa faveur la résolution tacite pour inexécution des conditions ; mais, sans prétendre que cette résolution ne soit admissible que dans les contrats synallagmatiques ou bilatéraux (or, la novation est unilatérale), elle paraît tout-à-fait inadmissible quand le créancier a déchargé l'ancien débiteur : une réserve tacite du droit de résolution serait destructive de la novation : on rentrerait dans la délégation imparfaite ou dans la simple adpro-mission.
La loi a donc dû se prononcer formellement pour lever tous les doutes.
Elle apporte ensuite une exception à la règle que l'ancien débiteur (le délégué ou l'expromettant) ne peut être recherché en cas d'insolvabilité du nouveau débiteur : c'est lorsqu'il était déjà insolvable, au moment où a eu lieu la délégation ou l'expromission, avec décharge, et que le créancier l'ignorait ; dans ce cas, en effet, le créancier n'aurait eu que des chances défavorables : ce ne serait pas un risque auquel il aurait été exposé, mais une perte certaine qu'il aurait encourue, et comme il a ignoré le fait de l'insolvabilité, il y a eu une erreur sur la cause de la novation,
La loi termine en réservant la liberté des conventions à ce sujet. Ainsi, les parties pourraient convenir que le recours du créancier aura lieu, même pour le cas d'une insolvabilité postérieure à la novation : il y aurait alors quelque chose d'intermédiaire entre la délégation parfaite et l'imparfaite on entre l'expromission et l'adpromission ; comme aussi on pourrait convenir que le créancier n'aura aucun recours pour une insolvabilité actuelle qu'il serait difficile de vérifier : il y aurait alors plus qu'une délégation parfaite ou plus qu'une expromission.
Dans le cas où le créancier a une recours contre l'ancien débiteur, soit en vertu de notre article 498, soit en vertu d'une convention spéciale, on peut se demander si c'est une action nouvelle ou si c'est l'ancienne action avec les avantages qui y sont attachés. Il est naturel, dans le cas prévu par la loi, que ce soit identiquement l'ancienne action ; mais, dans le second cas, il serait plus prudent au créancier de s'en expliquer, de stipuler la retenue conditionnelle de son ancienne action, et, spécialement, de réserver ses garanties, comme il lui est permis par les articles 500 et suivants ; à défaut de cette précaution, on pourrait décider qu'il a acquis l'action de mandat, si la novation a eu lieu par délégation, mais qu'il n'a que l'action ordinaire d'un contrat innommé, si la réserve de son recours a eu lieu dans une expromission.
Ainsi se trouve justifié ce qui avait été dit plus haut, que la délégation, quoique présentant le caractère d'un mandat, même entre délégant et le délégataire, donnera rarement lieu à l'action de mandat.
Au cas qui vient d'être cité, on pourrait en ajouter un autre, ce serait celui où le délégant aurait employé un dol, pour décider les délégataires à accepter un nouveau débiteur encore solvable, mais déjà engagé dans des affaires périlleuses qui devaient vraisemblablement le conduire à l'insolvabilité, et où ce résultat aurait effectivement eu lien.