SECTION II.
DE LA NOVATION.
Art. 489. Le mot “novation” indique, par lui-même, que l'obligation est “changée en une nouvelle;”le texte l'énonce incidemment.
La novation produit deux effets simultanés : elle éteint une première dette et elle en crée une nouvelle. A raison même de ce double effet, elle appartient à la classe des actes onéreux, car chacune des parties y fait un sacrifice: le créancier n'acquiert un droit qu'en en perdant un autre, le débiteur ne se soumet à une obligation qu'en s'affranchissant d'une autre ; ce caractère de la novation fournit un des rares exemples de convention unilatérale et à titre onéreux, en même temps.
La novation est toujours le résultat d'une convention: il n'y a pas de cas où elle soit l'œuvre de la loi; il n'existe pas non plus de novation judiciaire, comme on en trouve dans l'ancienne jurisprudence romaine, où l'on avait admis que le fait d'engager un procès constituait une première novation et même qu'il en résultait une deuxième de la prononciation du jugement.
Mais, de ce que la novation se trouve toujours résulter aujourd'hui d'une convention, elle n'en présente pas moins plusieurs variétés, à d'autres points de vue. Une obligation ayant plusieurs éléments constitutifs, comme on l'a vu en son lieu : notamment, un objet une cause et deux sujets (l'un actif, le créancier, l'autre passif, le débiteur), il s'en suit que si l'un de ces quatre éléments est changé, la dette est, par cela même, changée ou novée. Telle est la disposition de notre premier article.
Il va sans dire que plusieurs de ces éléments de l'obligation pourraient être changés en même temps : ce serait une complication dans les effets, sans modifier les règles d'une novation simple.
Remarquons enfin qu'il y a un des éléments de l'obligation, le plus essentiel peut-être, à savoir le consentement, dont il n'est pas question ici : l'article suivant dira que le renouvellement du consentement n'opère pas novation de la dette en et on donnera la raison.
On reprendra séparément les quatre cas de novation.
Ier Cas. Changement de l'objet dû : la dette avait pour objet des marchandises ou choses de quantité et les parties sont convenues que le débiteur devrait désormais une somme d'argent, ou réciproquement. Ce cas a de l'analogie avec une autre opération déjà expliquée, avec la “dation en payement” (voy. art. 461), où l'on peut voir une novation préalable, mais momentanée et d'un intérêt plutôt théorique que pratique ; mais il en diffère en ce que, dans la dation en payement, la dette étant éteinte par le payement, il ne subsiste plus, de ce chef, de rapports de droit entre les parties, tandis que, dans la novation, il y a toujours une obligation reliée à la première par le rapport de l'effet à la cause.
On a supposé dans l'exemple précédent que l'ancienne et la nouvelle convention avaient pour objet une chose de quantité (marchandises ou argent) et non un corps certain, c'est qu'en effet, si la première convention avait eu pour objet un corps certain, elle en aurait déjà, par elle-même, transféré la propriété, et la nouvelle convention aurait eu principalement pour objet de la retransférer, ce qui serait une autre théorie, ayant ses règles propres (voy. art. 353) ; si c'était la seconde convention qui eût pour objet un corps certain, elle en transférerait immédiatement la propriété, en éteignant la dette antérieure, ce serait donc la dation en payement dont il a été parlé à l'article 461 et non plus la novation proprement dite; la translation de propriété entraîne cependant l'obligation de livrer et celle de garantir de l'éviction, mais ce ne sont plus que des effets accessoires.
IIe Cas. Il n'y a ni changement de personnes ni changement d'objet, mais changement de cause : par exemple, le débiteur devait une somme d'argent, comme prix d'une vente ou d'un louage ; étant embarrassé pour la payer, il obtient de son créancier de la lui devoir à titre de prêt ; le créancie rpourrait, assurément, faire a son débiteur un prêt avec lequel celui-ci acquitterait sa dette précédente , il pourrait aussi, après avoir reçu son payement.cn prêter immédiatement le montant; mais il est plus simple de changer, par une simple convention, le titre ou la cause de l'obligation.
Il n'est pas sans intérêt que le débiteur soit tenu désormais à titre de prêt, au lieu de rester tenu à titre de louage : la dette de prêt est soumise à la prescription ordinaire, celle de louage se prescrit par un temps beaucoup plus court ; celle de prêt n'est garantie par aucun privilège, celle de louage est privilégiée dans la plupart des cas ; la novation se trouve ainsi favorable an créancier quant au délai pour agir et défavorable quant aux sûretés.
Il ne faudrait pas croire que la novation par changement de cause puisse se faire toujours du plein gré des parties et que toute cause puisse être par elles substituée à une autre ; ainsi, on ne porrait admettre la réciproque de l'exemple précédent : les parties ne pourraient convenir que ce qui est dû à titre de prêt sera dû, désormais, à titre de vente ou de louage, parce qu'il n'y a pas de prix sans une chose vraiment louée ou vendue, et même cette transformation que les parties prétendraient faire, d'une obligation de prêt en obligation de prix de vente, serait très-dangereuse pour le prêteur, car le débiteur prouverait aisément qu'il n'y a pas eu de chose vendue et il arriverait à refuser le payement faute de cause ; s'il est permis de feindre une cause de prêt, c'est qu'on pourrait, comme il a été dit plus haut, soit effectuer un prêt véritable en faveur du débiteur, au moyen des sommes reçues de lui, soit lui prêter les sommes nécessaires pour se libérer de la première : dette par la novation, au lieu de deux prestations réciproques de sommes d'argent, on n'en fait aucune ; mais toutes les causes d'obligations, toutes les conventions ne se prêtent pas à cette fiction de deux traditions.
Le prêt n'est pas, du reste, le seul moyen de changement de causes : il serait tout aussi facile de changer en dépôt une dette d'argent ou de marchandises ayant une cause quelconque ; on supposerait toujours que la chose due a été fournie par le débiteur et qu'elle lui a été immédiatement confiée à titre de dépôt ; un dépôt de corps certain pourrait aussi être changé en un prêt à usage et réciproquement ; on peut encore citer comme changement de titre ou de cause le cas d'une dette fondée sur une gestion d'affaires transformée en dette née d'un mandat par la ratification du maître.
IIIe Cas. Le changement de débiteur peut avoir lieu de deux manières: soit par l'intervention spontanée d'un tiers qui prend la place de l'ancien débiteur; on dit alors qu'il y a expromission ; soit par le mandat donné à un tiers par le débiteur, à l'effet de s'engager au lieu et place de celui-ci ; l'acte se nomme alors délégation. Ce 3e cas de novation et le suivant comportent des développements et des distinctions qu'on retrouvera aux articles 496 et suivants.
IVe Cas. Il se cumule, le plus souvent, avec le précèdent : lorsqu'un débiteur délègue à son créancier son propre débiteur, il y a pour le délégataire changement de débiteur et pour le délégué changement de créancier. Cependant, on peut concevoir un changement de créancier seulement: si un créancier délègue son débiteur à quelqu'un auquel il ne doit rien et auquel il veut faire une libéralité, il n'y a pas pour celui-ci changement de débiteur, puisqu'il n'avait pas de créance contre le délégant, mais il y a changement de créancier pour le délégué.