Art. 391, 392 et 393. La loi présente ici quelques dispositions particulières aux dettes de sommes d'argent, en ce qui concerne les dommages-intérêts pour inexécution. Il faut remarquer tout d'abord qu'ici l'inexécution se confond avec le simple retard, car, tant que la dette d'argent n'est pas acquittée, elle est exigible en nature : il n'y a à cela aucun obstacle de droit ni de fait ; la faute du débiteur consiste donc uniquement dans le retard.
Ces dispositions spéciales, qui ne sont pas toutes des faveurs pour le débiteur, sont au nombre de trois et forment l'objet d'autant d'articles distincts.
Avant de les justifier, il convient de les préciser avec soin.
I. Le montant des dommages-intérêts ou des intérêts moratoires n'est pas laissé à l'appréciation du tribunal, même avec les limites prévues à l'article 385 : il ne peut être ni supérieur, ni inférieur au taux que la loi fixe elle-même, lorsqu'elle alloue des intérêts compensatoires au créancier de sommes d'argent, à défuta de convention spéciale.
Ce taux, dit légal, se rencontre dans toutes les législations, même dans celles qui admettent la liberté de l'intérêt conventionnel : il a justement pour but de suppléer au défaut de convention à cet égard, dans les cas où le créancier a besoin de la protection de la loi ; on conçoit dès lors qu'il ait une détermination fixe et que le taux en soit modéré.
Même quand l'intérêt conventionnel est limité, les deux taux peuvent être inégaux ; c'est ce qui existe actuellement au Japon, où l'intérêt légal est de 6 pour 100, tandis que l'intérêt conventionnel n'est limité qu'à 20, 15 et 12 pour 100, suivant le montant de la dette.
Ce n'est pas ici le lieu de discuter, au point de vue economique ni législatif, s'il ne vaut pas mieux que l'intérêt soit indépendant du montant des sommes dues, et même s'il ne doit pas être entièrement libre. La question trouvera sa place toute naturelle à l'occasion dn contrat de prêt de consommation.
De ce que les tribunaux ne peuvent allouer à titre d'intérêts moratoires que les intérêts dits légaux, il n'en faut pas conclure que ces intérêts moratoires deviennent eux-mêmes légaux : ce serait dire qu'ils sont dûs de plein droit, en vertu de la loi et sans demande de la partie intéressée, ce qui serait inexact, en présence de l'article 393 qui exige formellement une demande, comme point de départ des intérêts moratoires.
Si les parties veulent régler elles-mêmes les intérêts moratoires par une clause pénale, elles n'ont pas non plus, à cet égard, une liberté illimitée : elles doivent rester dans la limite du taux de l'intérêt conventionnel, s'il est limité par la loi ; mais elles peuvent toujours fixer un taux moindre, même inférieur à l'intérêt légal.
Au Japon, aujourd'hui, la clause pénale pourrait servir aussi à élever l'indemnité au-dessus du taux légal, tout en restant dans la limite du taux conventionnel maximum.
II. Le créancier, ne pouvant recevoir à titre de dommages-intérêts qu'une somme déterminée par la loi, pour tous les cas indistinctement, ne sera pas toujours indemnisé complètement du préjudice éprouvé ; il est naturel alors que par une sorte de compensation, il reçoive toujours la même somme, lors même qu'il n'établira avoir éprouvé aucun préjudice ; le règlement de la loi est un forfait, comme la clause pénale : le créancier peut y perdre, mais aussi il peut y gagner.
Comme on ne recherchera pas si c'est par la simple faute du débiteur ou par l'effet de sa mauvaise foi que la dette n'a pas été acquittée, il n'y a pas lieu non plus à la distinction entre les dommages prévus et les dommages imprévus, ni entre ceux qui sont une suite immédiate, directe et nécessaire du retard à payer et ceux qui n'en sont que la suite médiate, indirecte ou accidentelle. Mais, par contre, le débiteur ne sera pas reçu à se disculper en prouvant le cas fortuit ou la force majeure.
III. Tandis que la mise en demeure qui constitue le débiteur en faute peut résulter de moyens assez variés, lorsqu'il s'agit d'obligations autres que d'une somme d'argent (voy. art. 336 et 384), ici, la mise en demeure ne peut résulter que d'une demande en justice : la loi n'admet pas même une convention originaire, par laquelle il aurait été stipulé que le débiteur serait en demeure par la seule échéance du terme, sans demande et même sans sommation. Enfin, le Code tranche contre le créancier une question restée discutable en d'autres pays, à savoir, si la demande du capital suffit pour faire courir les intérêts moratoires ou si elle doit porter, en même temps ou séparément, sur les intérêts moratoires eux-mêmes : c'est cette dernière solution que le Code adopte comme plus favorable au débiteur.
La loi met sur la même ligne que la demande des intérêts moratoires la reconnaissance spéciale qu'en ferait le débiteur : il est clair que, de tous les modes de mise en demeure, c'est encore là celui qui donne le plus de garantie contre la surprise résultant de la rapidité du temps ; il n'est d'ailleurs qu'une application du principe que “la convention fait loi entre les parties.”
La loi réserve encore ici, d'une façon générale, des cas exceptionnels où les intérêts moratoires courent de plein droit, c'est-à-dire, par la force de la loi et sans injonction du créancier, et des cas où cette injonction, moins énergique qu'une demande en justice, consistera dans une simple sommation.
Il faut maintenant justifier ces trois faveurs accordées au débiteur d'une somme d'argent : les deux premières sont fondées sur une idée commune, la troisième sur une raison spéciale.
I. Si la loi avait permis au créancier de prouver toute espèce de préjudice résultant pour lui du défaut de payement de la somme due, il lui aurait été très-facile d'établir par des témoins complaisants ou abusés qu'il aurait fait de son argent tel ou tel emploi très-lucratif ; il aurait naturellement allégué les emplois qui, par l'événement, se seraient trouvés avantageux, tandis que, peut-être, s'il avait eu la disposition de la somme, il en aurait fait un emploi ruineux ; l'extrême variété des emplois possibles d'une somme d'argent, avec leurs résultats éventuels fort différents, aurait jeté les tribunaux dans un grand embarras, lequel ne se rencontre pas au contraire, lorsqu'il s'agit, soit de dettes de toutes autres choses à donner, soit d'obligation de faire ou de ne pas faire : dans ces cas, le but que se proposait le créancier est facile est à connaître et les conséquences de l'inexécution ou du retard sont également faciles à apprécier.
La loi, ne croyant pas possible pour les tribunaux d'arriver à la certitude sur la nature et l'étendue de la perte du créancier, supposé volontiers qu'il aurait fait de son argent un emploi raisonnable, plutôt sûr qu'aléatoire, par conséquent, modérément lucratif ; c'est par la même considération que, dans certains cas qu'on rencontre, chemin faisant, dans la loi, où elle accorde au créancier des intérêts compensatoires sans stipulation, ou des intérêts moratoires sans demande, elle les taxe à un taux uniforme et modéré qui devient ainsi le taux légal.
On agite quelquefois en d'autres pays la question de savoir si les tribunaux ne pourraient pas allouer des dommages-intérêts supérieurs à l'intérêt légal, lorsque le stipulant d'une somme d'argent en a annoncé au promettant un emploi déterminé et lorsqu'il est prouvé que, faute d'avoir eu la somme au temps convenu, le créancier a éprouvé un préjudice considérable et prévu ; par exemple, il avait stipulé une somme nécessaire pour exercer un rachat ou réméré, dans un délai déterminé, et, faute de la somme, il a été déchu de son droit. Mais il serait dangereux d'entrer dans cette voie ; ce serait s'exposer aux abus et aux contestations que la loi a voulu éviter, et si des exceptions devaient être admises, il faudrait qu'elles fussent limitativement déterminées par la loi, comme il en existe quelques cas dans les Codes étrangers.
II. Ce n'est point arbitrairement que la loi supprime à l'égard de l'inexécution des dettes d'argent, la distinction entre la simple faute du débiteur et sa mauvaise foi : c'est la conséquence de ce que l'indemnité du créancier est réglée par la loi, à forfait, avec des chances de gain comme avec des dangers de perte; c'est toujours la suite de la difficulté de prouver tant l'éten-pue du dommage que ses causes.
De même, quand la loi refuse au débiteur la faculté de se disculper en prouvant le cas fortuit ou la force majeure, il n'y faut pas voir une rigueur de la loi, surtout dans la matière même où elle prétend le plus protéger le débiteur : il faut considérer que la nature de la dette, qui est une chose de quantité, ne comporte pas d'extinction par la perte de la chose ou par l'impossibilité de se la procurer : à cet égard, il n'y a guère de différence entre les dettes d'argent et les autres dettes de choses fongibles ; si l'on en admettait une, elle serait encore contre le débiteur d'une somme d'argent ; car, si l'on comparait une dette de marchandises et une dette de somme d'argent, toutes deux portables, c'est-à-dire payables au domicile du créancier, et qu'on supposât les communications interrompues par force majeure (inondation, guerre, peste), le débiteur de marchandises serait exempt de dommages-intérêts pour le retard, tandis que le débiteur de somme d'argent devrait toujours les intérêts moratoires, puisqu'il aura pu profiter de son argent pendant tout le temps où il a été empêché de le payer. Encore bien moins le débiteur serait-il reçu à alléguer, comme empêchement majeur au payement. une faillite ou un vol dont il aurait été victime : ccs moyens de défense n'appartiennent qu'au débiteur d'un corps certain.
III. La dernière faveur accordée au débiteur d'une somme d'argent, celle relative au mode de. mise en demeure se justifie autrement. Lorsqu'il s'agit de toute autre sorte d'obligation, la loi est déjà très-favorable an débiteur, en exigeant qu'il reçoive un avertissement du créancier pour devenir responsable de l'inexécution ou du retard ; mais il suffit que cet avertissement soit donné d'une façon précise pour que le débiteur doive se tenir pour informé que le créancier attend l'exécution et, sans doute, a besoin qu'elle ait lieu : il n'est pas nécessaire que la mise ne demeure ait une forme menaçante. Au contraire, quand le débiteur doit une somme d'argent, il peut se faire illusion sur les besoins du créancier qu'il suppose peut-être moindre qu'ils ne sont ; il peut ne pas croire que la privation de son argent lui causera, quant à présent, un dommage réel ; il peut croire enfin que le créancier a d'autres moyens faciles, s'il en est besoin, de se procurer ailleurs une pareille somme d'argent. En fait, il est vrai qu'un créancier stipule souvent une somme comme règlement de compte et pour une époque fixe, sans, pour cela, avoir en vue un emploi déterminé de cette somme ; tandis que celui qui a stipulé des marchandises ou des travaux à faire a évidemment des besoins prochains à satisfaire. On conçoit donc que, dans le cas d'une somme d'argent, il faille plus d'énergie dans la réclamation du créancier pour révéler ses besoins et sa ferme intention d'arriver à l'exécution.
On peut ajouter une autre considération : le débiteur de marchandises ou de travaux n'a pris, en général, de pareils engagements que parce qu'il a, par sa profession ou par les circonstances, des facilités particulières pour l'exécution ; au contraire, la promesse d'une somme d'argent est une forme d'engagement que tout le monde peut prendre, mais dont l'accomplissement est souvent très-difficile : un marchand, un entrepreneur, déjà gêné dans ses affaires, pourra encore fournir des marchandises ou des travaux, mais sera souvent embarrassé de trouver une somme d'argent pour acquitter une dette ; il doit donc suffire de l'avertir par une simple sommation dans le premier cas, tandis qu'il est nécessaire, dans le second cas, de le menacer par une demande en justice.
Cette double considération servira encore à expliquer que la demande en justice du capital ne suffise pas pour faire courir les intérêts, et qu'elle doive porter spécialement sur lesdits intérêts ; autrement, le débiteur pourrait ne pas se rendre compte de l'augmentation de sa dette pendant la durée du procès, et comme, en matière civile, les procès ne sont jugés promptement que si les parties mettent ellles-mêmes de l'empressement à fournir aux juges les justifications nécessaires, le débiteur pourrait se trouver devoir plusieurs mois, d'intérêts, sans l'avoir prévu. Il doit donc en être averti formellement par la demande.