Art. 362 et 363. La gestion d'affaires a beaucoup d'analogie avec l'acceptation et l'accomplissement d'un mandat, tant dans son principe que dans ses effets : dans son principe, car elle est motivée, en général, par le désir d'être gratuitement utile à autrui ; c'est un bon office ; dans ses effets, car les obligations respectives quelle crée entre le gérant et le maître sont à peu près les mêmes que celles qui se forment entre le mandataire et le mandant. Cependant, il y a une grande différence entre les deux faits : le mandat est un contrat, parce qu'il y a accord de deux volontés dans un but déterminé ; la gestion d'affaires n'est l'effet que d'une seule volonté, elle est “spontanée,” comme dit le texte ; c'est un quasi-contrat, dans le langage reçu, et la plupart des obligations qui en résultent peuvent encore s'expliquer par l'idée d'enrichissement indû. Toutefois, un autre principe d'obligation vient s'y joindre, le plus souvent, au moins du côté du gérant (non du côté du maître), c'est la responsabilité des fautes. Il ne faut pas dire, à la vérité, comme une loi romaine: “c'est une faute que de s'immiscer aux affaires d'autrui sans mandat mais il y a faute, si, lorsqu'on s'y est immiscé par bon office, on abandonne la gestion prématurément ou si on la conduit mal.
Le texte de l'article 362 suppose que la gestion a été entreprise à cause de l'absence du maître ou par une nécessité analogue ; évidemment, ces circonstances n'ont rien de limitatif, la loi les indique pour donner à la gestion d'affaires ses causes les plus ordinaires et sa physionomie la plus naturelle; mais, une maladie du maître serait une cause de gestion non moins fréquente et peut-etre plus intéressante encore.
La loi n'exige pas, comme la loi romaine, que le mobile qui a fait agir le gérant soit nécessairement un bon office ; ainsi, celui qui gérerait les biens de son débiteur absent, pour assurer son payement, aurait non-seulement les devoirs d'un gérant d'affaires, mais il en aurait aussi les droits ; on peut encore traiter comme gérant d'affaires celui qui, étant copropriétaire avec un autre, a géré et administré la chose commune, plutôt dans son intérêt que dans celui de son copropriétaire. Il en est autrement d'un associé : c'est en vertu du contrat de société qu'il a le devoir de gérer la chose commune.
Par la même raison que l'intention de remplir un bon office n'est pas nécessaire, on doit admettre que celui qui, croyant gérer sa propre chose, a, par erreur, géré celle d'autrui, aurait droit aux indemnités dues au gérant ordinaire.
On hésite davantage à appliquer les règles de la gestion d'affaires au cas où la gestion a eu lieu malgré la défense du maître ; mais il est préférable de reconnaître que, dans ce cas même, il y a gestion d'affaires et qu'il n'est pas moins juste de faire rendre par le maître ce dont il est enrichi seulement ; dans ce cas, comme dans le précédent, l'enrichissement sera apprécié, non au moment de la gestion, mais au moment de l'action judiciaire in tentée par le gérant ; de sorte que s'il y a eu, dans l'intervalle, diminution du profit, la perte retombera sur le gérant qui, dans ce cas, est beaucoup moins digne d'intérêt.
Le texte n'exige pas que le maître ignore la gestion : il pourrait la connaître sans qu'il y eût mandat. Cependant, le mandat ne doit pas être nécessairement exprès : si un propriétaire sait que quelqu'un gère son bien, et, pouvant s'y opposer, ne le fait pas, si même il a déjà demandé des comptes de gestion, s'il a reçu des mains du gérant des loyers ou intérêts des biens et valeurs gérés, il est difficile de ne pas voir là un mandat tacite ; il semble donc plus sage de laisser aux tribunaux, en cas de contestation, le soin de décider s'il y a eu mandat tacite ou simple gestion d'affaires.
Dans le cas où un mandataire excéderait ses pouvoirs, on devrait le considérer comme gérant d'affaires pour tout ce qu'il aurait fait au delà de son mandat.
L'article 362 indique quatre obligations du gérant, dont deux sont dans le 1er alinéa.
1° Il doit restituer, à première demande, et même spontanément, dès qu'il le peut, les sommes, valeurs, fruits et autres avantages qu'il a perçus en vertu de sa gestion. S'il avait employé tout ou partie de ces sommes à ses propres affaires, il en devrait les intérêts, comme profit tiré des biens du maître. Si, sans profiter ainsi des sommes reçues, il avait tardé à les restituer, il pourrait être encore tenu des intérêts, à cause de sa négligence ; ce serait une rigueur particulière, car, en général, un débiteur de sommes d'argent ne doit les intérêts qu'à partir de la demande ; mais on peut dire que le gérant s'est mis virtuellement et de lui-même en demeure, par le fait de son immixtion dans les affaires d'autrui.
2° Le gérant a pu acquérir des droits et actions, en son propre nom, à l'occasion de ladite gestion; par exemple, ayant vendu des fruits et produits avec terme pour le payement, il s'est fait souscrire des billets ou obligations, et comme les acheteurs ne connaissaient pas le maître, c'est au profit du gérant, nominativement, que les billets ont été souscrits ; si les billets avaient été payés avant la reddition du compte de gestion, c'est la valeur, ce sont les sommes reçues qui seraient restituées au maître ; mais, si les obligations subsistent encore, le gérant fera des cessions de créance, comme elles sont prévues à l'article 347, et ce ne seront pas des cessions gratuites, bien que le cédant n'en reçoive pas directement la contre-valeur : il reçoit en retour sa libération, il ne fait donc pas une donation au maître.
3° Le gérant n'était pas tenu d'entreprendre la gestion, puisqu'il n'y avait aucun mandat ; il a pu agir par simple sentiment de bon office ; mais, une fois la gestion commencée, il doit la continue (2e al ) : autrement, il pourrait arriver qu'au lieu de rendre un service, il eût causé un dommage au maître ; par exemple, voulant faire réparer une maison, il a commencé par la faire découvrir: s'il ne fait pas poser une nouvelle toiture, la condition du bâtiment sera pire que précédemment ; il en serait de même pour la plupart des travaux matériels à exécuter sur les biens immeubles, à l'égard desquels il est généralement plus sage de ne pas commencer des réparations que de les commencer sans les achever.
Une raison encore pour laquelle le gérant doit continuer la gestion commencée, c'est que son intervention aura pu empêcher une autre personne, par exemple, un autre ami ou un voisin du maître, d'entreprendre ladite gestion et, à cet égard encore, mieux aurait valu ne pas commencer la gestion que de l'abandonner ensuite.
Il ne faudrait pourtant pas pousser trop loin la sévérité envers le gérant d'affaires ; si, par exemple les travaux qu'il a entrepris étaient urgents et qu'une cause légitime ou nécessaire l'empêchât de les continuer, il ne devrait pas être responsable plus qu'un mandataire qui, en ce cas serait excusable (v. Liv. de l'Acq. des Biens art. 256).
4° Enfin, le gérant doit gérer avec autant de soins qu'un mandataire conventionnel. Le droit romain lui demandait des soins encore plus exacts, par le motif que si le gérant n'avait pas entrepris la gestion, une autre personne plus diligente aurait pu l'entreprendre. Le présent article ne pose pas une règle aussi absolue : il laisse aux tribunaux le soin de déterminer s'il y a lieu à responsabilité, c'est-à-dire s'il y a faute ou négligence du gérant, en tenant compte des circonstances dans lesquelles il a entrepris la gestion (3e al.). Par exemple, s'il y avait urgence et si personne n'était disposé à gérer les biens de l'absent, on devra être moins exigeant pour le gérant que si la gestion pouvait attendre sans inconvénients ou être entreprise par un proche parent qui y était disposé ; de même encore, si la gestion a eu lieu à la suite d'un incendie, d'un typhon ou d'une inondation qui ont causé des dégradations demandant une réparation urgente, on devra être moins sévère pour le gérant que si l'on se trouvait dans un cas ordinaire, surtout si le gérant a eu à faire, en même temps, des réparations à ses propres biens.
L'article 363 impose au maître deux obligations qui sont uniquement fondées sur son enrichissement, car, de son côté, il ne peut être question de fautes commises.
1° Si le gérant a fait des dépenses nécessaires ou de conservation c'est-à-dire, sans lesquelles les biens gérés eussent péri ou perdu de leur valeur, il est juste que le maître les rembourse, car “il est enrichi de ce qu'il n'a pas perdu.” De même, si les dépenses ont été utiles ou d'amélioration le maître les doit rembourser, par le même motif, encore plus évident. Il ne devrait pas les dépenses dites voluptuaires ou de pur agrément, parce qu'elles ne constituent pas un enrichissement appréciable.
2° Il peut arriver que le gérant ait commandé des travaux ou des fournitures nécessaires ou utiles et pour lesquels il n'a pas encore effectué de payements, mais au sujet desquels les entrepreneurs ou les fournisseurs ont pu lui demander de s'engager personnellement et par écrit, justement, parce qu'il n'était pas le propriétaire des biens et n'avait pas de mandat ; si les travaux ont été exécutés ou sont en cours de l'être, il est juste que le maître décharge le gérant des engagements, en les prenant pour son compte et en son nom. Pour cela, il fera novation avec le créancier, c'est-à-dire que celui-ci déclarera qu'il décharge ou libère le gérant, en acceptant le maître pour unique débiteur ; mais comme le créancier ne pourrait être contraint à cette novation et s'y refusera quelquefois, le maître, dans ce cas, prendra l'engagement envers le gérant de le rembourser de ce qu'il aura payé, même de payer à sa place, à première réquisition du créancier ; c'est ce que le texte entend par “garantir le gérant de ses engagements personnels.”
Les règles de la gestion d'affaires étant applicables au mandataire qui aurait excédé son mandat, si, dans les dépenses qu'il a faites au delà de celles dont il était chargé, il s'en trouve de nécessaires ou d'utiles, il en sera remboursé.
On pourrait débattre la question de savoir si le maître doit les intérêts des sommes dépensées utilement pour lui ; la loi le dira formellement pour les sommes dues par le mandant au mandataire ; mais l'analogie des situations ne suffirait pas pour appliquer cet article entre le maître et le gérant. La question devra encore se résoudre ici par le principe de l'enrichissement indû : si le gérant a fait des dépenses nécessaires et n'a pas payé prématurément, il est juste que les intérêts lui soient remboursés, car le maître, s'il eût payé lui-même, y aurait perdu l'intérêt de son argent ; si le payement a été anticipé, il faudra voir encore si le gérant n'a pas obtenu à cause de cela une réduction, un escompte, comme cela se fait souvent en pareil cas : alors les intérêts lui seront alloués. Si les dépenses n'ont été qu'utiles, les intérêts ne seront dus que si, indépendamment de la plus-value donnée aux choses, en capital, il en est résulté un revenu pour le maître : par exemple, le gérant a fait agrandir des bâtiments et les a loués; dans ce cas, outre la plus-value du capital, il y a plus-value du revenu et le maître doit les intérêts des sommes payées.
Remarquons, à ce sujet, que le maître qui ne devra jamais plus que son enrichissement, quoique la dépense y ait été supérieure, ne devra jamais, non plus, au delà de ce que le gérant a dépensé, lors même que la plus-value y serait supérieure : dans le premier cas, il y a un excédant de perte qui doit retomber sur le gérant, parce qu'il a été plus ou moins imprudent ; dans le second cas, il y a un excédant de profit qui ne peut appartenir qu'au propriétaire, car la gestion d'affaires peut bien être une cause de perte, mais jamais une cause de profit pour le gérant.
Une dernière question restait à résoudre : à quel moment doit-on se placer pour apprécier l'enrichissement qui détermine l'obligation du maître ? Est-ce au moment où les actes de gestion ont eu lieu, ou au moment où l'action en justice est intentée ? La question a un grand intérêt, quand, dans l'intervalle de la gestion à l'action, il est survenu des circonstances fortuites qui ont diminué le profit déjà réalisé. Ou doit décider, en règle générale, qu'il faut se placer au moment des actes de gestion, s'ils sont suffisamment distincte les uns des autres, ou à la fin de la gestion, si elle est indivisible. La raison en est que le maître se trouvant, dès cette époque, débiteur d'une somme d'argent, chose de quantité, ne peut en être libéré par la perte de la chose due, comme s'il était débiteur d'un corps certain. La solution contraire n'est admissible que dans les cas d'une gestion d'affaires entreprise en dehors de toute idée de bon office : par exemple, quand on gère la chose d'autrui, la croyant sienne, ou quand on la gère sciemment malgré la défense du maître (2e al ) ; dans ces deux cas, on est d'accord, depuis les Romains, pour apprécier l'enrichissement au moment de l'action.