§ IV. — DE l'iNTEEPRÉTATION DES CONVENTIONS.
Art. 356 à 360. On réunit ici tous les articles de cette contre Section, à raison même de la disposition de l'un d'eux (art. 358) qui veut que “toutes les clauses de la convention s'interprètent les unes par les autres.” Il en est de même de ces diverses dispositions de la loi : elles forment une série de conseils aux tribunaux, pour les aider à trouver l'intention des parties et le sens des conventions ; il est donc préférable de les embrasser dans leur ensemble.
La première disposition est la plus importante : elle forme un principe général dont les autres ne sont que l'application ; elle indique le but principal que les tribunaux doivent chercher à atteindre et les autres ne sont que les moyens d'y arriver.
Puisque, dans les conventions, c'est la volonté des parties qui fait loi, il est clair que c'est cette volonté qui, avant tout, doit être recherchée. Sans doute, c'est dans les expressions qu'elles ont employées qu'on trouvera, le plus souvent, cette volonté même ; mais, outre que toutes les langues ont leurs imperfections, il arrive souvent aussi que les contractants en connaissent mal les ressources et parlent ou écrivent la leur incorrectement ou négligemment. De là, cette première règle “qu'il ne faut pas s'attacher exclusivement au sens littéral des termes employés par les parties” (art. 356).
Au Japon, comme ailleurs, les mêmes mots n'ont pas toujours le même sens, en tous lieux : des habitudes locales différentes se forment sous l'influence de circonstances particulières et se conservent ensuite de génération en génération : le législateur peut bien établir, par voie d'autorité, l'uniformité des poids et mesures, des monnaies et de la législation même ; mais il sortirait de son domaine, s'il voulait réglementer la langue, et il y échouerait presque toujours. Ce qu'il peut seulement, c'est établir des présomptions du sens que les parties ont attaché aux mots et encore ce ne doivent être que des présomptions simples, susceptibles d'être combattues par des preuves contraires. Les dispositions des articles 356 à 359 ont ce caractère de présomptions simples.
Pour ce qui concerne les expressions locales, notre Code s'écarte des Codes étrangers qui ne s'attachent qu'à l'usage du lieu où le contrat a été passé : il semble, au contraire, que la raison veuille que l'on s'attache d'abord au lieu où les deux parties ont leur domicile ; car, si elles ont traité ailleurs, par exemple, en voyage, il est naturel de croire qu'elles ont parlé le langage qui leur est habituel et non celui d'une localité où elles ne se trouvent qu'accidentellement.
Mais la loi a dû prévoir le cas où les parties ne seraient pas domiciliées au même lieu ; dans ce cas, il n'eût pas été déraisonnable peut-être de donner la préférence au sens reçu dans le lieu où le débiteur est domicilié ; mais il y avait à craindre que le créancier ne fût privé de tout moyen de contrôle sur le sens de ce langage ; tandis qu'en adoptant ici le sens usité dans le lieu du contrat, la loi suppose que le créancier a pu se le faire expliquer et certifier.
Le 2e alinéa de l'article 357 veut encore que l'on cherche dans la nature et l'objet de la convention le sens d'une expression équivoque ; cette règle recevra fréquemment son application aux mots jouissance et usage qui diffèrent plus ou moins de portée ou d'étendue, suivant qu'il s'agit de droits d'usufruit, d'usage, de louage, d'emphytéose, de superficie ou de servitudes.
L'article 358 ne s'occupe plus seulement d'une expression, d'un terme de la convention, mais d'une clause, c'est-à-dire d'une des stipulations dont l'ensemble forme la convention Il ne serait pas raisonnable d'interpréter chaque clause séparément des autres ; le plus souvent, elles ne sont détachées que par des nécessités de rédaction ; mais, pour les parties, elles forment un ensemble indivisible, en raison et en équité ; il est bien rare que les unes soient compèltement indépendantes des autres dans l'intention des parties ; elles sont plutôt liées par le rapport de cause à effet; l'une n'existerait pas si l'autre n'avait pas été admise ; la portée et l'étendue de l'une a dû être mesurée sur la portée et l'étendue de l'autre, et il ne serait même pas raisonnable de considérer comme les plus importantes celles qui occupent la priorité dans l'ordre des énonciations.
Le 2e alinéa de l'article 358 paraît inutile, au premier abord, lorsqu'il dit qu'on doit interpréter une clause de la manière qui lui donne un effet, plutôt que de celle qui ne lui en donne aucun. Cependant, cette disposition se trouve dans toutes les législations qui ont réglé l'interprétation des conventions et elle reçoit souvent son application dans la pratique : par exemple, le débiteur alléguera qu'une clause n'est qu'une répétition d'une disposition de la loi et qu'elle a été insérée, soit par inadvertance, soit pour plus de clarté ; il cherche ainsi à se soustraire à l'une de ses obligations; mais les tribunaux ne devront pas admettre facilement que les parties aient voulu seulement répéter la disposition de la loi. On peut citer, en ce sens, le cas d'une vente de créance “avec garantie :” si on entendait ici que le vendeur ne serait garant que de l'existence de la créance et de sa qualité de créancier, la clause serait inutile, car cette garantie est déjà imposée par la loi, elle est de droit ; on devra donc présumer que le vendeur a entendu garantir en outre, la solvabilité du cédé, laquelle garantie “n'est due que si le vendeur s'y est engagé.”
Souvent, les parties, pour déterminer les effets de la convention ou les objets qu'elle embrasse, emploient des expressions très-larges, très-générales, qui, prises à la lettre, dépasseraient leur pensée ; la loi veut que la plus grande extension de ces expressions ne soit pas portée au-delà des objets que les parties ont entendu comprendre dans leur convention ou des effets qu'elles ont vraisemblablement voulu lui faire produire. Ainsi, dans la vente d'une maison “avec tous les meubles ou tous les objets mobiliers qui s'y trouvent,” le vendeur ne serait pas présumé avoir entendu comprendre : son argent comptant, ses titres de créances ou d'autres droits, ses vêtements, bijoux, manuscrits, documents, instruments professionnels, portraits de famille et, généralement, les objets d'utilité ou d'affection personnelle.
En sens inverse, il ne faudrait pas trop restreindre les effets de la convention, parce que les parties auraient prévu et réglé un ou plusieurs d'entre eux : l'énoncé d'un ou plusieurs effets peut avoir paru nécessaire pour plus de précision, ou pour quelque particularité qu'on a voulu y apporter ; niais ce n'est pas une raison suffisante de croire que les parties aient voulu supprimer ou exclure les antres effets légaux du contrat. Ainsi, dans le contrat de bail d'une maison, le bailleur a expressément promis de mettre les locaux loués en bon état de réparations “pour l'époque de l'entrée en jouissance cela ne le dispensera pas de faire les réparations d'entretien, au cours du bail ; de même, dans un louage ou dans une vente, on a prévu et réglé la résolution du contrat, faute de payement du prix par le preneur ou par l'acheteur; ce n'est pas une raison suffisante de croire que l'on ait entendu supprimer les autres causes de résolution, faute par la même partie de remplir ses autres obligations ou, faute par l'autre partie, de remplir les siennes.
Cette décision constitue une exception à l'article 358, 2e alinéa ; en effet, ici, on préfère l'interprétation qui ne donne aucun effet utile à une clause, plutôt que de lui donner un effet exagère.
La loi prévoit enfin (art. 360) que, malgré les indications qu'elle vient de donner et malgré la perspicacité des juges, ceux-ci pourraient conserver des doutes sur l'intention des parties. Ce doute peut d'ailleurs exister, soit au sujet d'un ou plusieurs points particuliers de la convention, soit sur sa nature propre, soit enfin sur son existence même ; dans ces deux derniers cas, ce n'est plus une question d'interprétation, mais une question de preuve ordinaire des droits. Au reste, la règle est la même dans tous les cas et elle doit être généralisée.
Le principe qui domine toute la matière des preuves à faire en justice est que “la charge de la preuve incombe à celui qui allègue un fait pour en tirer avantage la conséquence en est que celui qui ne parvient pas à fournir une preuve complète de sa prétention doit succomber. En effet, les particuliers ne sont liés les uns envers les autres que par exception ; il faut donc que le prétendu créancier prouve qu'il est dans le cas exceptionnel ; les obligations, une fois prouvées quant à leur existence, sont encore présumées le moins étendues possible ; il faut donc encore que le créancier prouve jusqu'où va son droit.
Mais, l'existence et l'étendue de l'obligation une fois prouvées, c'est au débiteur à prouver sa libération et son entière libération, s'il l'allègue.
Le Code n'a pas encore à envisager la question de preuve d'une façon aussi générale : il ne s'agit ici que de la preuve du sens et de la portée de la convention, parce qu'il n'y a qu'une difficulté d'interprétation ; mais le principe général est déjà appliqué : le stipulant souffrira de n'avoir pu lever les doutes résultant de l'obscurité de la convention ; les effets de la convention seront bornés à ceux qui ont été pleinement prouvés contre le promettant.
Une difficulté pouvait s'élever au sujet des contrats synallagmatiques, où chaque partie est à la fois stipulant et promettant. Le texte la tranche, en faisant remarquer que la règle reçoit son application “dans chaque clause séparément” En effet, le contrat synallagmatique est une réunion de clause où chaque partie joue alternativement le rôle de créancière et de débitrice : il y a, en quelque sorte, deux contrats unilatéraux juxta-posés ; par exemple, le vendeur ou le bailleur confère un droit réel et s'engage à livrer et à garantir de tout trouble ou éviction ; de son côté, l'acheteur ou le preneur s'engage à payer un prix unique ou périodique. Si donc il y a obscurité sur les obligations contractées par le vendeur ou par le bailleur, l'interprétation se fera en leur faveur, contre l'acheteur ou le preneur ; s'il y a, au contraire, obscurité sur les obligations de l'acheteur ou du preneur, l'interprétation se fera contre le vendeur ou le bailleur, c'est-à-dire, dans tous les cas, contre le stipulant et en faveur du promettant.
Les règles ici posées pour l'interprétation des conventions seraient applicables à l'interprétation de la loi elle-même. La seule différence sera dans le cas de doute, lequel ne se résoudra pas nécessairement contre le demandeur, mais sera éclairci par les précédents historiques, par l'équité et la raison naturelle.