Art. 372 et 373.- 220. Ou a déjà rencontré les principales applications des actions qui tendent à détruire des conventions: ou sait que la résolution est demandée par une partie pour l'inexécutiou des obliga tions de l'autre, que la rescision est demandée pour vice de consentement ou pour incapacité, enfin, que la révocation a pour but de détruire un acte fait en fraude des créanciers. D'autres causes de résolution, de rescision ou de révocation pourront être admises par la loi; mais ces applications déjà connues suffiront à l'intelligence des deux présents articles.
L'article 372 présente une distinction capitale qui est négligée par le Code français et par la loi de 1855, qui est à peine indiquée par la Loi belge de 1851 (art. 4) et qui, au contraire, est très-nettement établie dans le Code italien (art. 1933-39). Dans certains cas, les actions dont il s'agit ici ne sont pas tellement favorables qu'elles doivent être données contre des sousacquéreurs, c'est-à-dire contre des ayant-cause qui ont acquis de bonne foi des droits réels du chef de celui dont l'acquisition doit être annulée. Dans d'autres cas, c'est le demandeur qui a droit à la préférence. Assurément, il est pénible pour le législateur de ne pouvoir toujours préserver de l'éviction un sous-acquéreur qui, voyant le titre de son auteur régulièrement transcrit en la forme et ignorant d'ailleurs la cause de nullité de ce titre, ne peut être accusé ni de mauvaise foi ni d'imprudence. Mais le législateur ne peut non plus sacrifier l'incapable ou celui dont le consentement a été vicié par violence ou erreur, ni celui à l'égard duquel les conditions d'un contrat synallagmatique n'ont pas été remplies. Il ne reste à la loi qu'un moyen de se rapprocher ici de la justice idéale qu'elle poursuit toujours, c'est de rechercher quel est celui des intéressés qui est le plus digne d'intérêt et les législations précitées ne se trouvent pas d'accord sur ce point.
221. Le Code français admet bien, en principe, que “celui qui n'a sur un immeuble qu'un droit soumis à une “condition suspensive ou résolutoire ou sujet à resci“sion ne peut consentir que des droits réels soumis aux "mêmes conditions ou à la même rescision” (art. 2125); il applique lui-même expressément le principe à la réduction des donations excédant la portion disponible (art. 929), à la stipulation du droit du retour des choses données (art. 952), à la révocation des donations pour inexécution des charges imposées au donataire (art. 954) ou pour survenance d'enfant (art. 963), à la condition résolutoire expresse ou tacite (art. 1183 et 1184); pour ce qui est de la rescision pour vice de consentemet ou incapacité, la généralité de ses expressions la laisse sous l'empire du principe général, dont on retrouve encore l'application indirecte dans l'article 1338, 3° al. (n); enfin, les articles 1664, 1673 et 1681 permettent formellement d'exercer contre les sous-acquéreurs la résolution par l'effet de la clause de réméré (faculté de rachat) et la rescision pour lésion.
Mais le Code français admet aussi des exceptions à la règle que les actions qui tendent à détruire les conventions atteignent les sous-acquéreurs, et ces exceptions confirment la règle, car elles la présupposent: l'article 958 défend d'exercer contre les ayant-cause de l'acquéreur la révocation des donations pour ingratitude; l'article 865 fait, au sujet de l'action en rapport à succession, une distinction entre les sous-acquéreurs de la propriété et ceux qui n'en ont acquis que des démembrements: les premiers sont respectés, les seconds voient leurs droits s'évanouir; enfin, la loi du 23 mars 1855 (art. 7) restreint, par certaines limites et conditions, les effets contre les tiers de l'action en résolution de la vente faute de payement du prix.
Le Code belge, sur cette matière, ne diffère pas du Code français; mais le Code italien accorde moins largement contre les tiers la résolution, la rescision et la révocation; cependant, le priucipe est le même que dans les deux autres Codes; les exceptions y sont seulement plus nombreuses et elles sont formellement écrites dans les articles 1080, 1088, 1235, 1308, 1511 1553 et 1787 ce qui autorise à croire que l'énumération en est limitative.
222. Le Projet japonais n'a pas de motif de s'écarter ici du principe général ci-dessus énoncé, et n'ayant pas encore eu à déterminer les exceptions qu'il comporte, il se borne à statuer séparément sur la règle et sur les exceptions réservées.
Une nécessité de rédaction fait commencer l'article 372 par les exceptions, c'est-à-dire par les cas dans lesquels l'action ne peut atteindre les sous-acquéreurs. Dans ce cas, il est de l'intérêt du demandeur d'avertir les tiers, au plus tôt, de son intention de faire tomber son aliénation transcrite et de recouvrer son immeuble; il devra donc faire mentionner sa demande en marge de l'acte transcrit et les tiers qui ont traité avec l'acquéreur postérieurement à cet avertissement ne pourrout imputer qu'à leur imprudence l'éviction à laquelle ils se sont exposés.
La sanction de la disposition de la loi est la préférence donné au plus diligent.
223. Si, au contraire, on est dans le cas de la règle, si l'action est de nature à détruire le droit des sousacquéreurs anssi bien que celui du contractant primitif, alors le demandenr n'a pas d'intérêt à les avertir de sa demande: peu lui importe que le nombre de ceux que son action dépouillera augmente jusqu'au jour où il rentrera dans son bien; mais, la loi pourvoit à l'intérêt des tiers, en obligeant le demandeur à mentionner sa demande en marge de l'acte transcrit, et plus tard, quand le jugement sera rendu en sa faveur, il devra eu faire faire une pareille mention (o).
Il fallait établir, ici encore, une sanction contre le demandeur négligent. On ne pouvait songer à le déclarer déchu du droit d'évincer les sous-acquéreurs qui auraient traité depuis la demande formée et avant qu'elle fût publiée: il y aurait eu là une grave'inconséquence de la loi, il eût été déraisonnable que les droits du demandeur fussent diminués par l'exercice même de son action (p). Il ne restait comme sanction qu'un moyen de procédure qu'on propose d'adopter d'après la Loi belge (art. 3), c'est de déclarer l'action non recevable tant que la mention prescrite ne sera pas opérée.
Enfin, il fallait une sanction à l'obligation de mentionner le jugement à la suite de la demande. Elle ne pouvait plus être trouvée dans la procédure, puisqu'elle est terminée; il ne restait plus guère qu'une amende, c'est la sanction adoptée par deux des législations précitées: l'amende est de 100 francs dans la loi française de 1855 (art. 4), et de 100 à 200 fr. dans le Code italien (art. 1934). La Loi belge a été plus sévère (art. 3): elle soumet le greffier aux dommages-intérêts envers les tiers qui auraient traité avant la publication du jugement; or, les dommages-intérêts peuvent être considérables.
Le Projet a adopté la sanction d'une amende assez élevée, mais très-divisible, 10 à 100 yens, contre la partie qui a obtenu le jugement (q).
224. Il fallait aussi fixer le délai dans lequel la publicité serait donnée au jugement: le délai d'un mois a paru suffisant, à partir du jour où le jugement est devenu inattaquable. Mais comme les jugements peuvent être déclarés exécutoires provisoirement, nonobstant appel ou opposition, comme ils seront peut-être même exécutoires, de droit, nonobstant le pourvoi en cassation, comme en France, il a paru juste d'en ordonner la publicité avant l'exécution, même provisoire, sous la sanction de la susdite amende (r). En cas de rejet de la demande, la loi veut, pour simplifier la procédure, que le tribunal en ordonne d'office, sans qu'il soit besoin de conclusions spéciales à cet effet, la radiation sur le registre; seulement, cette radiation ne pouvant être définitive que quand le jugement qui a rejeté la demande ne sera plus attaquable, elle ne sera effectuée qu'après l'expiration des délais de recours, ou la confirmation du jugement, s'il y a eu des recours formés. Il en sera de même au cas de péremption de l'instance par l'effet de la discontinuité des poursuites (comp. c. pr. civ. fr. art. 397 et s.).
225. L'article 373 prévoit un cas qui aurait pu être une occasion de fraude entre les parties contre les sous-acquéreurs: elles auraient pu, sans le contrôle de la justice et par une convention amiable, ou par un acquiescement du défendeur sur les premières poursuites, opérer la destruction de la convention première, en la qualifiant de résolution, de rescision ou de révocation, sans pourtant se trouver dans l'un des cas où ces actions sont admises; il en serait résulté pour les sous-acquéreurs la perte de droits valablement acquis. La loi prévient cette fraude, cette collusion, en considérant toute pareille convention comme une rétrocession, comme une translation inverse de la propriété on du droit réel précédemment cédé. La conséquence en est que les droits des sous-acquéreurs seront maintenus (bien entendu, en les supposant publiés eux-mêmes), et cela, “ dans tous les cas," c'est-à-dire sans distinguer si la prétendue cause de résolution ou de rescision était de nature, ou non, à prévaloir contre les sons-acqéreurs. La sanction de cette disposition est suffisamment indiquée au texte, c'est celle de l'article 370: tant que la transcription n'est pas faite, les droits concédés par le premier acquéreur et dûment publiés sont opposables à celui qui a obtenu la rétrocession.
L'obligation finale imposée au conservateur n'a pas de sanction pénale, parce que l'inobservation en sera rare sans doute et ne causerait pas un préjudice sérieux aux intéressés qui sont surtout avertis par la transcription principale.
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(n) L'art. 1338 suppose la confirination d'un acte annulable, par conséquent, la renonciation à l'action en rescision; mais il réserve le droit des tiers, c'est-à-dire des ayant-cause auxquels ont été consentis, par le cédant, des droits subordonnés à l'exercice de son action; or, si les droits de ceux-ci doivent être respectés, c'est qu'ils sont, aux yeux de la loi, préférables à ceux de l'acquéreur et de ses ayant-cause.
(o) La loi française de 1855 (art. 4) et le Code italien (art. 1934) n'or. donnent pas de publier la demande, mais seulement le jugement dans les cas où l'action peut dépouiller les sous-acquéreurs.
(P) Les Romains avaient un axiôme célèbre à ce sujet: “en exerçant nos actions, nous améliorons notre situation; nous ne pouvons l'empirer."
(q) En France et en Italie, l'amende est prononcée contre l'avoué qui a obtenu le jugement; mais, les avoués n'étant pas encore institués au Japon, l'amende y est prononcée contre le demandeur lui-même.
Le yen japonais, au pair, vaut un dollar américain, environ 5 francs.
(r) On pourrait, au Japon, adopter, un terme moyen, à ce sujet: ce serait de déclarer le jugement exécutoire jusqu'à ce qu'il y ait eu admis. sion du pourvoi par la chambre des requêtes, ce qui constituerait alors une présomption favorable du bien fondé du pourvoi.