Art. 138 et 139. Le Code présente ici six conditions requises pour la prescription acquisitive : des immeubles. Comme cette prescription est très différente de celle des meubles, par ses conditions, on a consacré un Chapitre distinct aux deux sortes de biens.
On sait que le fondement de la prescription acquisitive est la possession.
La possession a été l'objet d'un Chapitre spécial, au Livre des Biens, on n'a donc pas à revenir sur sa nature complexe, de fait et de droit. Mais on a précisément réservé celui de ses effets qui est de mener à la prescription, et cela va nous remettre en présence de ses diverses espèces (v. art. I 79 et s.)
La première condition pour que la possession d'un immeuble même à la prescription est qu'elle soit “ à titre de propriétaire c'est la possession “civile,” opposée à la possession simplement “ naturelle ”; elle est encore opposée à la possession “précaire,” où le possesseur, par son titre même, reconnaît un autre maître de la chose, la possède pour un autre.
La possession doit encore être “ continue,” c'est-à-dire, se révéler par des actes de maître aussi rapprochés et réguliers que l'usage de la chose le comporte : il est clair que la possession d'une terre en culture, d'une rizière où d'un bois, n'exige pas la présence du possesseur ou d'un de ses représentants, comme la possession d une maison ou d'un jardin ; mais la possession. d'une terre labourable ou d'une rizière cesserait d'être continue si le possesseur en avait négligé la culture pendant un an, ou même pendant la moitié de l'année, lorsque l'usage local des autres propriétaires est de tirer deux récoltes différentes de sols de la même nature que celui qui est possédé.
Nous supposons avec le texte de notre article 139 que c'est par négligence ‘‘ ou volontairement que le possesseur n'a pas cultivé. La déchéance n'a donc pas lieu au cas d'obstacle temporaire résultant d'une force majeure (v. art. 106, 3e al.).
La discontinuité une fois établie, la prescription ne doit être comptée que depuis la reprise de la possession : sous ce rapport, elle produit le même effet que l'interruption, et même un effet plus nuisible au possesseur, car cet effet est toujours absolu, tandis que l'interruption n'a un effet absolu que lorsqu'elle est naturelle, (v. art. 107), non lorsqu'elle est civile, auquel cas l'effet n'est que relatif à celui qui a fait l'interruption (v. art. 110).
Il ne faut pas confondre la "discontinuité ” avec la “suspension” de la prescription: en cette matière, le sens technique des mots n'est pas toujours d'accord avec leur sens vulgaire. On a vu avec détails, an Chapitre précédent, ce qu'est la suspension: c'est un effet légal de certaines circonstances qui empêchent de compter comme utile une possession qui avait d'ailleurs tous les caractères requis pour mener à la prescription.
Il ne serait pas exact non plus d'ajouter aux conditions requises la “non suspension, comme on va y ajouter la “ non interruption,” parce que la suspension n'empêche pas la prescription, elle la retarde seulement.
La troisième condition, “ la non interruption, nous est connue par le Chapitre III : il n'y a pas à y revenir; il suffit de rappeler qu'une nouvelle prescription peut recommencer dès que la cause d'interruption a pris fin (v. art. 106, 2e al).
La quatrième condition est que la possession soit “ paisible ” ; son opposé est la possession “ violente,” celle qui est “ obtenue ou conservée par la force ou la menace ” (v. art. 183, 2e al. du Livre des Biens): rien ne serait plus contraire à la présomption d'acquisition légitime qu'une possession obtenue conservée par la violence.
Une différence est d'ailleurs à noter entre la violence originaire employée pour acquérir la possession et celle dont on aurait usé pour la conserver ; cellé-ci serait plus nuisible que la première, à cause de sa continuité. Si la violence originaire n'avait été suivie d'aucune tentative de fait ou de droit, de la part du vrai propriétaire, pour recouvrer sa chose, le vice pourrait être considéré comme purgé après un certain temps reconnu par le tribunal, lorsque la question de prescription lui serait soumise, et c'est de ce moment que la prescription serait comptée utilement. De même, en cas de violence à l'effet de conserver la possession, on compterait la prescription à partir du moment où elle aurait manifestement cessé.
Mais, sur ce point encore, une grande précaution est nécessaire : la menace peut durer sans être renouvelée ; c'est ce qui arriverait si le propriétaire, intimidé par une menace faite contre lui ou les siens, s'était abstenu de réclamer en justice, de peur que les menaces ne fussent mises à exécution : ce qu'on doit considérer c'est plutôt la crainte du propriétaire que la menace elle-même du possesseur, et la prescription ne devrait être comptée qu'à partir du moment où la crainte aurait dû cesser, par le changement des circonstances ou des personnes intéressées.
La cinquième condition est que la possession ait été “publique;” la possession non publique est dite “clandestine” (v. art. 183, 3e al. du Livre des Biens). C'est encore là une condition en parfait accord avec le caractère de présomption que nous attribuons à la prescription.
On a établi sous l'article précité que les deux vices de violence et de clandestineté de la possession ne sont que relatifs et qu'ils n'empêcheraient pas la prescription de courir contre l'intéressé qui n'aurait pas été l'objet de la violence ou qui n'aurait pas ignoré la possession clandestine. Il n'en est pas de même de la précarité qui, excluant l'intention d'avoir la chose à soi, à titre de propriétaire, empêche la possession d'être civile.