Art. 1186. — 367. La loi déduit ici la conséquence logique du principe que, jusqu'à la transcription, l'acte translatif ou déclaratif de propriété n'a pas d'effet à l'égard des tiers: s'il ne peut leur être opposé, il est juste aussi qu'il ne puisse être invoqué par eux. Du reste, ceux qu'on appelle ici " tiers," suivant l'usage reçu, sont de véritables ayant-cause de l'une ou l'autre partie.
Le Projet s'écarte résolument ici du système français établi par la loi de 1855. Cette loi nous semble avoir abandonné son principe, en décidant (art. 6), que si l'acheteur n'a pas transcrit son acquisition et a fait luimême une aliénation du même bien et que cette seconde aliénation ait été transcrite, elle est opposable au vendeur et exclut son privilége, lorsqu'il s'est écoulé quarante cinq jours depuis le contrat de celui-ci, sans qu'il ait inscrit son privilége.
On a cru protéger suffisamment le vendeur en lui donnant ce délai de 45 jours (b), soit pour faire transcrire la vente qui lui donne privilége, soit pour faire inscrire seulement ce privilége; passé ce délai, il en est déchu et il n'a plus qu'une hypothèque légale prenant rang à la date de son inscription, sans rétroactivité (voy. art. 2113).
L'article 6 précité semble ne régler que les rapports du vendeur avec un sous-acquéreur, et ne rien dire pour le cas où l'acheteur a seulement hypothéqué l'immeuble, sans le revendre; en effet, il est dit que le vendeur n'est pas déchu de son privilége publié dans les 45 jours, à l'égard des droits transcrits dans ce délai; mais il ne s'explique pas au sujet des droits seulement inscrit.,;, c'est-à-dire des priviléges ou des hypothèques provenant du chef de l'acheteur et dûment publiés. Assurément, quand le vendeur, inscrit dans les 45 jours, évince un sous-acquéreur qui a transcrit, il évince, à plus forte raison, les créanciers inscrits, moins intéréssants que le sous-acquéreur; mais, quand il a laissé passer le délai de 45 jours, alors qu'il serait évincé par une transcription, l'est-il également par une inscription de privilége ou d'hypothèque ? On peut hésiter.
Le Projet nous préservera de pareilles incertitudes. Il n'admet pas que le vendeur puisse perdre en même temps la propriété et le privilége, " lorsque l'acte de vente porte que le prix est encore dû, en tout ou en partie," ce qui est la seule précaution que le vendeur ait à prendre vis-à-vis des tiers. Lorsqu'il n'y a pas eu de transcription de son aliénation, le vendeur est inattaquable, car il est armé de ce dilemme: ou les créanciers de l'acheteur ont connu, autrement que par la transcription, le premier contrat de vente, fondement nécessaire de leur propre droit, alors ils devaient aussi connaître la créance du vendeur originaire qui y était attachée; ou bien, ils n'ont pas connu la vente non transcrite, alors ils n'ont pas pu compter acquérir euxmêmes une sûreté réelle (c), du chef de celui avec lequel ils ont traité.
Si le système du Projet n'est pas celui de la loi française de 1855, il est celui du Code italien (art. 1942, 2e al.), lequel porte que " tant que la transcription n'est pas " effectuée, aucune transcription ou inscription de droits " acquis contre le nouveau propriétaire ne peut avoir " d'effet au préjudice de l'hypothèque accordée à l'alié" nateur par l'article 1969."
Il n'est donc plus question de délai de faveur accordé au vendeur ni, par suite, de déchéance contre lui.
368. Le 2e alinéa de notre article autorise Il les intéressés " à faire faire la transcription, à toute époque, " toujours." Il ne faut pas compter le vendeur parmi ceux auxquels la loi songe ici, puisque l'on vient de voir que son intérêt est nul; les intéressés sont précisément ceux auxquels l'acheteur aurait aliéné ou hypothéqué la chose vendue: alors, en faisant transcrire le titre de leur auteur ou débiteur, ils confirment leur propre droit en faisant cesser la propriété du vendeur, sous la réserve seulement de son privilége et de son action résolutoire.
Pour faire faire cette transcription, ils n'ont besoin ni du consentement du vendeur originaire, ni de celui de l'acheteur. Cette dernière disposition de notre article prouve, à elle seule, que parmi les intéressés la loi ne compte pas le vendeur originaire, parce qu'il ne semble pas intéressé, ni l'acheteur lui-même, parce qu'il est, au contraire, tellement intéressé que son droit de transcrire est écrit ailleurs et en quelque sorte partout où il est question de transcription.
Il y a pourtant un cas où le vendeur aura besoin de faire transcrire le titre de vente, c'est lorsqu'il voudra saisir et faire vendre l'immeuble de son acheteur: on ne comprendrait pas qu'il saisît le bien comme appartenant à l'acheteur, alors que les registres de transcription présenteraient encore cet immeuble comme lui appartenant à lui-même.
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(b) Ce délai d'un mois et demi a été le résultat d'une singulière transaction législative entre les uns qui demandaient trois mois et les autres qui n'en voulaient accorder qu'un.
(c) Le présent article ne règle que les rapports du vendeur ou autre aliénateur avec les autres créanciers privilégiés ou hypothécaires de l'acquéreur; quant à ses rapports avec un sous-acquéreur, ils sont réglés différemment par l'article 1197.