Art. 1170. — 326. La loi suppose maintenant qu'il n'y a pas eu de priviléges généraux, ou qu'ils ont été payés; il reste alors à régler le conflit des priviléges spéciaux entre eux. Ici, il n'est pas possible de faire, comme à l'article précédent, une énumération des priviléges d'après leur rang de priorité, car plusieurs distinctions sont à faire:
S'agit-il d'objets mobiliers ordinaires, en général, ou, spécialement, de récoltes, de produits extraits du sol, ou enfin du cautionnement des officiers publics ?
Certains créanciers ont-ils connu ou non l'existence du privilége qui pouvait les primer (ce qu'on pourrait appeler leur mauvaise foi ou leur bonne foi) ?
C'est sur ces diverses sortes d'objets, et sous cette distinction de bonne ou mauvaise foi, que la loi fixe les rangs séparément.
Les quatre premiers alinéas, après le préambule, sont relatifs aux objets mobiliers en général; les 58 et 68 alinéas, à la bonne et à la mauvaise foi respectives; les 78, 83 et 9°, aux trois objets spéciaux: récoltes, produits extraits du sol et cautionnement.
327. La loi met en première ligne (1er al.) le privilége de ceux qui ont conservé le meuble soumis à un ou plusieurs autres priviléges (v. art. 1161): il est clair que, sans les frais faits pour la conservation de l'objet, les autres créanciers (par exemple, un créancier gagiste, exprès ou tacite, ou le vendeur), n'auraient pu être satisfaits, il est donc juste qu'ils ne le soient qu'après le conservateur.
Comme il peut y avoir eu des actes successifs de conservation faits par des créanciers différents, ce sont les actes les plus récents qui donnent la préférence sur les plus anciens (28 al.); et cela, par le même raisonnement: à savoir que, si les derniers actes de conservation n'avaient pas eu lieu, la chose n'aurait pas subsisté pour satisfaire les créanciers antérieurs; c'est pour ce cas que les anciens légistes disaient: potior est qui novissimus causarn pignoris salvam fecit, celui-là est préférable qui, le dernier, a sauvé le gage."
La loi appelle au second rang le créancier nanti, expressément ou tacitement (38 al.), et au troisième rang le vendeur, comme ayant mis la chose dans le patrimoine du débiteur, sous condition d'un prix qui n'a pas été payé (48 al.).
328. Mais ici intervient une distinction annoncée: le gage, comme droit réel mobilier, ne peut être diminué par les frais de conservation antérieurs au gage, au préjudice du créancier nanti de bonne foi; par conséquent, ces frais ne primeront pas le créancier qui les a ignorés lors de la constitution du gage (5e al.).
En sens inverse, le créancier nanti est primé par le vendeur lui-même, lorsqu'il a su que le prix de vente lui était encore dû (6e al.).
329. S'il s'agit spécialement de récoltes, les ouvriers agricoles occupent le premier rang, comme conservateurs de la chose; le second rang est pour les fournisseurs de semences et engrais, comme ayant mis dans le patrimoine du débiteur la source première de l'objet du gage, et le troisième rang est pour le bailleur du fonds, comme créancier tacitement nanti (7e al.).
La loi ne mentionne pas ici le rang des fournisseurs de graines de vers à soie et des fournisseurs de feuilles de mûrier: il va sans dire que sur la récolte de la soie, le premier rang sera pour eux, avant les créanciers nantis, sauf la bonne foi de ceux-ci (a).
S'il s'agit de produits des mines, minières, carrières, bois et forêts, les ouvriers industriels ont le premier rang et le bailleur du fonds exploité a le second (se al.).
330. Enfin, sur le cautionnement des officiers publics, il n'y a que deux rangs: au premier, tous les créanciers pour faits de charge, " ensemble et proportionnellement à leurs créances respectives;" au second rang, le prêteur des deniers du cautionnement (9e al.).
Remarquons que, sur le cautionnement, il n'est pas question de frais de conservation; en effet, lors même que la caisse publique qui le détient et l'administre aurait quelque droit de ce chef, cela se trouverait compensé avec le profit qu'elle tire des fonds reçus en dépôt irrégulier (v. art. 909); il arrivera môme, sans doute, que la caisse publique payera elle-même un certain intérêt pour le cautionnement.
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(a) Les sommes dues pour les graines des vers à soie seront, en général, minimes; mais rigoureusement, elles ne seraient payées qu'après le prix des feuilles de mûrier, parce que les fournisseurs de la nourriture des vers ont contribué à sauver le gage des premiers. Bien entendu, les ouvriers passeraient avant les uns et les autres.