Art. 986. — 844. Le précédent article règle la durée de la responsabilité de l'entrepreneur, c'est-àdire le temps pendant lequel l'édiHce doit rester stable et dans son état normal, sous peine d'indemnité par l'entrepreneur au maître.
Il fallait aussi régler la durée de l'action, une fois qu'elle est née par la chute ou la détérioration de l'édifice.
En France, ce point est l'objet de discussions. Deux articles du Code français consacrés à cette responsabilité (qui est de 10 ans, uniformément) laissent du doute sur la durée de l'action. Les articles 1792 et 2270 ne sont pas rédigés dans les mêmes termes, mais ils semblent présenter la même disposition, à savoir que l'entrepreneur est responsable de la chute de l'édifice, si elle fi. lieu dans les 10 ans et si elle provient d'un vice de construction ou d'un vice du sol. Mais il n'est rien dit de la durée de l'action, une fois que la chûte de l'édifice lui a donné naissance.
Quelques auteurs ont prétendu que l'action ne dure que ce qui peut rester à courir des dix ans, au moment de la chute de l'édifice, de sorte que, comme la chîlte sera vraisemblablement tardive, l'action n'aurait plus qu'une très courte durée, et pourrait même se trouver enfermée dans un délai insignifiant, si l'édifice tombait dans le dernier mois ou dans les derniers jours de la dixième année.
D'autres auteurs prétendent que la loi, dans ces deux articles différents, a fixé deux délais distincts de 10 ans, l'un pour la responsabilité de la chute de l'édifice (art. 1792), l'autre pour la durée de l'action une fois née (art. 2270). Mais si l'on voulait soutenir, avec quelque raison, que les deux articles n'ont pas le même objet, il nous semble qu'il faudrait plutôt fonder la durée de l'action une fois née sur le premier article (art. 1792) et la durée de la responsabilité sur l'article 2270, car les termes de chaque article, s'ils n'ont pas voulu exprimer la même idée, se prêtent mieux l'interversion des cas. En effet, dans l'article 1792, on suppose que l'édifice construit à prix fait périt par la faute de l'entrepreneur (on ne dit pas dans quel délai il périt), et l'on déclare l'entrepreneur responsable de cette perte pendant 10 ans; cela semble dire qu'il peut être poursuivi pendant 10 ans, à raison et a partir de cette perte. Quant à l'article 2270, il porte évidemment que la perte survenue dans les 10 ans de l'achèvement (ou de la réception) est à la charge de l'entrepreneur, mais il n'exprime pas combien de temps durera l'action en indemnité.
Le plus grand nombre des auteurs n'admettant pas que les deux articles aient deux objets différents et ne pouvant croire que la durée de l'action puisse être réduite à ce qui resterait à courir des 10 ans lors de la chute de l'édifice, sont d'avis que la prescription de 30 ans est la seule applicable à l'action une fois née, car c'est la durée ordinaire des actions auxquelles la loi n'assigne pas un autre délai.
845. Quoi qu'il en soit du système français, le Projet ne devait pas laisser cette question dans l'incertitude. Le 1er système a dû être écarté sans hésitation, car il faut que l'action, une fois née, ait une durée suffisante et toujours la même; or, le 1er système lui donnerait une durée plus ou moins longue, et quelquefois insuffisante, suivant que la chute de l'édifice serait plus ou moins rapprochée de l'expiration des dix ans. Il y aurait inconvénient aussi à prolonger législativement la prescription jusqu'à trente ans après la chute de l'édifice; car, après un long temps écoulé depuis cet événement, il sera bien difficile de prouver que la cause en est attribuable à la faute de l'entrepreneur.
On propose donc une prescription très courte et avec une distinction de deux cas: ou il y a eu perte totale ou il n'y a eu que perte partielle ou simple détérioration. Cette distinction influe à la fois sur le point de départ de l'action et sur sa durée. Au 1er cas, une fois la perte totale survenue, le droit d'agir en indemnité est né, est certain et a atteint sa plus grande étendue; la perte est donc le point de dépait de la prescription et l'action dure un an. Au 2C cas, il y a déjà un droit d'agir, mais il pourra s'étendre avec l'aggravation de la détérioration: il n'y a pas lieu de forcer en quelque sorte le maître à agir en indemnité, parce que cette indemnité peut ne pas être encore dé.finitive et qu'il serait très difficile d'avoir à régler des indemnités successives. Le point de départ est donc l'expiration du délai pendant lequel l'entrepreneur est responsable (délai qui varie avec la nature du travail), et dans ce cas, une fois ledit délai expiré, il en commence un autre pour l'action, mais il n'est plus que de six mois.