Art. 873. — N° 042. Ce premier article donne une définition du contrat qui va nous occuper. Elle diffère de celle du Code français (voy. art. 1892) sur un point important: d'après ce Code, le prêteur ne devrait que " livrer " les choses prêtées, c'est-à-dire en faire la tradition, tandis que, d'après la définition ici proposée, il doit " transférer Ici propriété." Evidemment, le Code français n'a pas entendu autre chose par le mot livrer, car si le prêteur livrait des choses ne lui appartenant pas, il ne mettrait pas l'emprunteur dans une situation qui lui permît de consommer légitimement ces choses et le prêt ne mériterait pas son nom.
La définition du Code français sera, le plus souvent, sans inconvénients, parce que le prêt de consommation ne s'applique toujours qu'à des choses mobilières et que le possesseur de meubles, grâce à la prescription instantanée, en serait presque toujours propriétaire quand il les prêterait, et aussi parce que l'emprunteur deviendrait lui-même, par le seul effet de cette prescription, propriétaire des choses prêtées, lorsqu'elles l'auraient été par celui à qui elles n'appartenaient pas. Mais pourtant cette prescription a des conditions qui ne seront pas toujours remplies et alors la livraison de choses n'appartenant pas au prêteur n'effectuera pas un prêt valable (voy. art. 876).
643. Une autre conséquence de la différence des deux définitions du prêt est celle-ci: avec celle du Code français, on peut croire, et de bons auteurs soutiennent, que, lors même que le prêteur est propriétaire des choses prêtées, le seul consentement des parties ne suffit pas à la formation du contrat et que la livraison est nécessaire.
En effet, dit-on, le prêt oblige à rcnelre, i'L restituer; sinon la chose même, au moins son parfait équivalent or, on ne peut être tenu de rendre que ce que l'on a préalablement re/yi et, pour cela, le contrat de prêt es) de la nature de ceux qu'on nomme réels (v. art. o"20).
Nous ne nions pas qu'il faille avoir reçu pour être tenu de rendre; mais la question est de savoir quand et comment on a reçu. Indépendamment du cas de tradition de brère-rnaill prévu à l'article 20o, nous soutenons qu'on a reçu, au point de vue qui nous occupe, quand ou est devenu propriétaire. Sans doute, il y aura presque toujours eu livraison pour opérer le transport de propriété, parce que le prêt aura eu pour objet des choses fongiblet, des choses de quantité, qui ne se déterminent guère que par la livraison; mais supposons que le prêt ait pour objet des marchandises déjà pesées, comptées ou mesurées, marquées de signes distinctifs et séparées d'objets semblables, ce sont alors des cor p.H certains, et il suffit que les parties soient d'accord sur le prêt de ces choses pour qu'elles deviennent immédiatement la propriété de l'emprunteur, lequel, dès lors, est tenu d'en rendre pareille quantité et qualité: il les a reçues, quoiqu'il n'en ait pas encore pris possession; il aurait pu les aliéner avec bénéfice; elles sont certainement à ses risques de même que l'augmentation de valeur qu'elles pourraient acquérir lui protiterait; dès lors le prêt est formé et parfait; il est donc tenu d'nu rendre l'équivalent'a ['échéance. Dans un seul cas, il en serait dispensé e c'est lorsque le prêteur aurait été en demeure de les livrer: alors, soit que celui-ci les eût encore en sa possession, soit qu'elles eussent péri, son obligation de livrer se compenserait avec sou clroit de se faire restituer, et il pourrait même devoir, en outre, des dommages-intérêts.
De ce que le prêt ne se forme que par la translation de propriété de la cliose prêtée, il ne faudrait pas conclure que la promesse de prêter des choses fongibles, formée et acceptée par le seul consentement, ne serait pas obligatoire: elle le serait assurément, mais ce ne serait pas encore un prêt; il n'y aurait que contrat innommé, et la question n'est pas une simple affaire de mots: la promesse de prêt est si loin d'être un prêt que celui qui s'y trouve seul tenu est le futur prêteur, tandis que, dans le prêt effectué, c'est l'emprunteur qui serait seul débiteur.
644. En comparant la définition du Code français et celle-ci, on remarquera encore que ce Code (art. 1874 et 1892) parait exiger que les choses prêtées soient de nature à e'se consommer par le premier usage; " or, ce caractère peut être fréquent, mais il n'est pas nécessaire: il faut et il suffit que les choses soient fongibles, c'est-à-dire de celles qui s'apprécient à let quantité (en poids, nombre ou mesure), par opposition aux corps certains; or, c'est autant; l'intention des parties que la nature même des choses qui leur donne ce caractère fongible (voy., à ce sujet, l'art. 19 et son commentaire).
Le nom de " prêt de consommation" n'a donc pas pour but de dire que les choses prêtées se consomment nécessairement par le premier usage, mais que l'emprunteur, devenu propriétaire, peut les consommer, à la différence de l'emprunteur à usage qui ne peut que s en servir.
645. Disons encore quelques mots de la nature du prêt de consommation.
11 est essentiellement unilatéral, car il n'oblige que l'emprunteur, et c'est un autre tort du Code français que d'avoir consacré une Section spéciale aux prétendues " obligations du prêteur." Sans doute, 1" le prêteur ne doit pas prêter cles choses nuisibles ou dangereuses et il est responsable des dommages que l'emprunteur ell éprouverait, 2° il ne doit pas réclamer le reJllboursement du prêt avant le temps lixé. Mais ces deux prétendues obligations sont plutôt des de t-o ii-8 généraux que des obligations proprement dites: la première d'ailleurs ne naît pas du prêt, elle a pour cause le dommage causé injustement, lequel peut se rencontrer dans tout autre contrat et même en dehors d'aucun contrat. Quant à la défense de réclamer le remboursement avant le terme, c'est plutôt l'effet de l'absence d'un droit que celui, d'une obligation proprement dite; tout créancier est dans le même cas, de ne pouvoir réclamer avant le terme ce que lui est du: il y a une limite à son droit, mais non une obligation; il est à peu près aussi inexact de voir là une obligation que si l'on prétendait que celui auquel il n'est rien clû, ni présentement, ni à terme, a une obligation continue de ne rien réclamer (voy. T. II, n° 21 bis).
Le prêt est donc purement unilatéral et, s'il en était autrement, on ne voit pas quel autre contrat aurait ce caractère, car on pourrait toujours y voir une obligation pour le créancier, de ne pas faire, de ne pas réclamer avant le terme.
646. Enfin, le contrat de prêt de consommation peut être gratuit ou onéreux, suivant les circonstances.
Il est gratuit, quand l'emprunteur ne (loit rendre que l'équivalent exact de ce qu'il a reçu; il est onéreux, quand l'emprunteur doit, outre le principal, rendre une valeur comme intérêt des choses prêtées.
On trouvera plus loin (art. 88U et suiv.) les règles spéciales au prêt à intérêts, sans qu'elles soient l'objet d'une division particulière.
La circonstance que le prêt est gratuit, quand il est sans intérêts, ne fait pas qu'il soit soumis aux règles des donations, au moins pour celles de la forme, et il y est bien peu soumis pour le fond, parce que la libéralité ne porte jamais que sur la jouissance ou l'usage, puisque la restitution du capital doit avoir lieu dans un temps plus ou moins rapproché; le prêt de consommation sans intérêts ne doit pas être considéré, comme une libéralité plus considérable que le prêt à usage. Toutefois, le prêt de consommation présente un danger qui n'est pas dans le prêt à usage, c'est celui que le capital ne soit pas remboursé, par suite de l'insolvabilité du débiteur; ce danger n'existe pas dans le prêt à usage, où le prêteur pourrait toujours, par la revendication, recouvrer la cliose prêtée. Ce danger peut suffire à faire interdire aux incapables le prêt gratuit, même à ceux qui ont l'administration de leurs biens, comme les mineurs émancipés; mais il ne suffirait pas à leur faire interdire le prêt à intérêts, car c'est souvent le seul moyen d'utiliser les capitaux.