Art. 893. — 698. La loi demande à l'emprunteur de conserver la chose prêtée de préférence à la sienne propre; on n'hésite pas ici à imiter du Code français (art. 1882) deux rigueurs qu'il a lui-même imitées du droit romain:
1° L'emprunteur doit se servir de sa chose, de préférence à la chose prêtée, chaque fois qu'il le peut, car le prêt ne lui a été fait qu'à cause du besoin qu'il avait et pour le temps où ce besoin durerait; sans doute, on ne poussera pas la sévérité jusqu'à l'obliger à une indemnité pour un usage intempestif de la chose prêtée, s'il n'en est pas résulté de dommage; mais si la chose a péri, même par cas fortuit, pendant cet usage illégitime, l'emprunteur en est responsable comme ayant indûment donné occasion à cette perte;
2° On suppose que la chose prêtée se trouve en danger de périr, en même temps qu'une chose de l'emprunteur, soit pendant qu'il use de toutes deux, simultanément, soit même pendant qu'elles sont chez lui, non employées; par exemple, un cheval prêté et le cheval de l'emprunteur sont attelés ensemble et tombent dans une rivière, par accident, ou bien les deux chevaux sont à l'écurie et un incendie menace le bâtiment: si l'emprunteur, ne pouvant sauver qu'un des deux chevaux parce que le temps presse, sauve le sien, il ne peut invoquer la force majeure comme le libérant de la responsabilité du cheval prêté: le prêt a été un. bon office, un acte de bienfaisance qui impose à l'emprunteur le devoir moral et civil de faire tout ce qui dépend de lui pour sauver la chose prêtée, même au risque de perdre la sienne.
699. On a prétendu, en France, que cette rigueur devait cesser d'être applicable lorsque la chose de l'emprunteur avait une plus grande valeur que la chose prêtée et l'on a dit qu'en pareil cas, un bon administrateur auquel les deux choses appartiendraient, sauverait celle qui vaut le plus, que l'emprunteur a donc pu sauver la sienne propre si elle vaut le plus; mais il faut répondre que le cas est différent, lorsqu'il a un devoir de reconnaissance au sujet de l'une des deux choses. En fait, l'emprunteur sauvera sans doute la sienne, et l'on ne devrait guère l'en blâmer; mais il devra tenir compte au prêteur de la valeur de la chose prêtée et périe (comp. art. 906).
De ce que l'on imite du Code français les deux dispositions qui précédent ce n'est pas une raison d'en imiter une autre qui vient ensuite (art. 1883), d'après laquelle l'estimation faite de la chose prêtée en met les risques fortuits à la charge de l'emprunteur: ce n'est pas un de ces cas où l'estimation vaut vente comme dans l'usufruit (v. Proj. jap., art. 57; comp. C. civ. fr., art. 587 et 1551), cas où d'ailleurs il s'agit de choses qui se consomment par le premier usage et dont notre cas est très-différent; il vaut mieux considérer l'estimation de la chose prêtée comme une précaution prise d'avance par les parties, en vue d'une perte imputable à l'emprunteur, et pour éviter la difficulté d'estimer judiciairement la chose après qu'elle aurait péri.
Par contre, il est inutile de dire avec le Code français (art. 1884) que “si la chose prêtée s'est détériorée “par le seul usage légitime et sans aucune faute de “l'emprunteur, il n'est pas tenu de la détérioration": c'est là le droit commun le plus simple et le plus évi. dent; c'est aussi pour cela que le prêt est un bon office.