Art. 819. — 525. Généralement, tous les biens composant le patrimoine des particuliers sont cessibles ou aliénables par eux et saisissables par leurs créanciers, pour l'acquittement de leurs obligations.
Par exception, certains biens sont inaliénables et insaisissables (voy. art. 28 et 30; Comm. T. rr, nos 41 à 45). La loi doit être très réservée dans l'admission de ces exceptions, parce qu'elles peuvent exposer les tiers à des déceptions: les cessionnaires seront évincés de choses qu'ils auront cru acquérir et les saisissants, trompés dans leur croyance à un gage qui leur échappe, auront encore à supporter des frais inutiles et des pertes de temps.
Les rentes viagères figurent doublement dans l'exception; mais à la condition qu'elles soient constituées gratuitement: une première fois, c'est en vertu de la convention ou du testament, c'est-à dire par la volonté de l'homme; une seconde fois, c'est par la disposition de la loi.
Le motif de cette double dérogation au droit commun est que la rente viagère a un caractère de pension alimentaire, et qu'il serait contraire à son but et à l'intention du constituant que le rentier-viager pût, par une aliénation directe, ou en contractant des dettes entraînant saisie, se dépouiller du moyen d'existence que le constituant a voulu lui assurer.
526. Une distinction, toutefois, est faite par la loi:
1° Si la rente est qualifiée dans l'acte même ', pension alimentaire " ou si ce caractère résulte clairement de l'ensemble dudit acte, elle est, de droit, incessible et insaisissable, et il n'est pas nécessaire que le constituant le stipule: il est présumé avoir imprimé ce caractère à sa libéralité, sauf, bien entendu, l'expression de la volonté contraire;
2° Si le caractère alimentaire n'est pas évident, l'incessibilité et l'insaisissabilité n'ont lieu qu'en vertu d'une disposition ou clause expresse de la donation ou du testament.
Lorsque la rente viagère est constituée à titre onéreux, l'incessibilité et l'insaisissabilité ne peuvent être valablement convenues, parce que ce serait pour le crédi-rentier un- moyen de frauder ses ayant-cause: un débiteur de mauvaise foi aliénerait des biens saisissables et cessibles, moyennant une rente viagère qu'il stipulerait insaisissable et incessible; par la première condition, il priverait ses créanciers de leur gage; par la seconde, il se réserverait le moyen de reprendre son droit de rente après en avoir fait une vente apparente et nulle.
Limitée aux constitutions à titre gratuit, la clause d'insaisissabilité et d'incessibilité ne dépouille pas les créanciers du rentier donataire, puisque la rente n'aura jamais été leur gage; et le danger d'éviction des cessionnaires sera suffisamment conjuré par l'insertion de la clause dans l'acte constitutif lui-même (2e al.): ceux qui prétendraient avoir acquis la rente viagère ne pourraient alléguer leur bonne foi, puisqu'ils n'auraient pas manqué de se faire représenter l'acte constitutif qui prohibait la cession.
La loi apporte cependant une restriction aux faveurs accordées ici à la rente viagère établie gratuitement.
On a vu plus haut (n° 521) que la rente peut être établie par rétention sur des choses données: le donateur, dans ce cas, n'acquérant pas une rente nouvelle, à proprement parler, mais la tirant de ses biens antérieurs, il serait contraire à l'équité et aux droits de ses créanciers qu'il pût soustraire à leur action une portion de ses revenus.
La solution ne serait pas la même si un testateur léguait un capital, en réservant sur ce capital, pour son héritier légitime, une rente viagère à laquelle il donnerait le caractère d'insaisissabilité et d'incessibilité: ici les créanciers du testateur ne pourraient souffrir aucun dommage, car le legs ne leur serait pas opposable et ne vaudrait, en capital et en rente, que s'ils étaient désintéressés sur les autres biens.
Le texte d'ailleurs a soin de ne parler, dans sa prohibition, que de la rente retenue au profit du donateur.