Art. 818. — 524. La présente disposition est fondée sur la nécessité de maintenir à la rente viagère son caractère aléatoire: si la personne dont la vie devait servir de mesure à l'obligation du débiteur était déjà morte au moment de la convention, elle n'aurait eu aucune chance de gain et le débiteur n'aurait couru aucun risque de perte. La convention serait donc nulle faute de cause et le capital fourni serait restituable.
La disposition est déclarée formellement applicable, lors même que les parties auraient toutes ignoré le prédéoès du titulaire de la rente, car, si cette ignorance suffit à écarter tout soupçon de mauvaise foi, elle ne suffit pas à créer une cause légitime au contrat.
Le texte a bien soin d'exprimer que cette disposition ne s'applique qu'aux constitutions de rente " à titre onéreux; " car, dans la rente constituée par donation ou par testament, le donateur ou l'héritier du testateur n'aurait rien à restituer, n'ayant pas reçu de capital, ni rien à recouvrer, n'ayant pas payé d'arrérages à un rentier déjà décédé.
Un seul cas de donation pourrait faire doute, c'est celui où le donateur de meubles ou d'immeubles aurait retenu sur les biens donnés une rente viagère payable à une personne déjà décédée. On pourrait comprendre que, dans ce cas, le donateur prétendît recouvrer les biens donnés, sous le prétexte que le donataire, ne pouvant remplir la condition de la libéralité, en conformité aux intentions du donateur, s'enrichirait sans cause légitime. Mais nous ne pensons pas qu'il faille, dans ce cas, se rapprocher de la règle des constitutions à titre onéreux: la cause principale de la donation n'est pas le service de la rente, mais l'intention de gratifier le donataire; 01', il sera d'autant plus gratifié qu'il n'aura pas à payer d'arrérages à un tiers déjà décédé.
Si la rente était établie sur plusieurs têtes, le présent article ne s'appliquerait que si tous les titulaires ét,ient morts au moment de la convention, car c'est là seulement que l'alea, les risques et les chances, seraient supprimés.
Il est natutel d'assimiler au cas où le titulaire de la rente est déjà mort celui où il est atteint d'une maladie certainement et promptement mortelle; dans ce cas encore, il n'y a pas suffisamment chance de gain et de perte.
Le Code français a considéré comme exclusif du risque nécessaire, le cas où le titulaire, déjà atteint d'une maladie lors de la constitution de la rente, est mort de cette même maladie dans un délai de 20 jours. Nous proposons de prolonger le délai jusqu'à soixante jours (b), parce qu'il y a des maladies graves qui préprésentent des alternatives de mieux et de pis, par lesquelles le décès est retardé sans avoir cessé d'être probable. Il ne serait pas difficile de citer un grand nombre de maladies dont les médecins n'espèrent pas la guérison, quoiqu'elles aient déjà duré plus de 20 jours et même plus de 40 jours.
Il y aura dans cette hypothèse quelques difficultés pour l'administration de la preuve. C'est à celui qui invoquera la nullité de la convention ou plutôt sa résolution (c) à fournir la preuve que le titulaire de la rente était déjà, lors de la constitution de la rente, atteint de la maladie dont il s'agit et que c'est de cette même maladie qu'il est décédé dans les 60 jours.
La difficulté existera surtout pour les maladies chroniques; mais si les complications ou le caractère aigu du mal ne s'étaient produits qu'après le contrat, et si rien ne les avait fait prévoir à ce moment, leur survenance dans les soixante jours, suivie d'un décès, ne résoudrait pas le contrat. Quant à la grossesse, même avancée, au moment du contrat, elle ne devrait pas être considérée comme une maladie, si la gestation était normale; mais il sera bien rare qu'une rente viagère soit établie sur la tête d'une jeune femme enceinte, à moins que ladite rente ne soit stipulée reversible sur la tête de l'enfant espéré.
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(b) Comme les mois n'ont pas tous la même durée, au lieu de proposer un délai variable de deux mois, nous proposons un délai fixe de 60 jours.
(c) Nous disons qu'il y aura plutôt résolution que nullité, parce que le contrat, ayant valu au moment de sa formation même, ne peut cesser de valoir que par une résolution.