Art. 792. — N° 466. La loi fait deux classes de causes de cessation de la société: les unes en opèrent la dissolution, de plein droit, par la force de l'événement accompli et en vertu de la loi seule; les autres ne produisent cet effet que par la volonté des parties ou de l'une d'elles. Ce n'est pas à dire que lorsque la dissolution s'opère de plein droit, elle ne donnera jamais lieu à contestation et que la justice n'aura pas à intervenir; mais lorsque les faits auxquels la loi attache la dissolution seront reconnus en justice, leur effet se reportera au jour où ils se sont accomplis; tandis que dans les cas où la dissolution est volontaire, elle ne rétroagit pas, sauf dans le cas du 3e alinéa de l'article 793, parce qu'il s'agit d'une résolution pour inexécution des obligations; mais il reste toujours cette différence que la résolution n'a lieu que par une demande en justice, laquelle pourrait n'être pas faite, et même, une fois qu'elle est faite et accueillie, la justice peut encore la tempérer, la retarder, par la concession d'un délai qui permettra au défendeur de l'éviter en satisfaisant à ses obligations (voy. art. 441).
467. I. Le premier cas de dissolution de plein droit est l'expiration du temps pour lequel la société avait été formée; comme ce temps avait été fixé par les parties, on peut dire que la dissolution vient de leur volonté; mais, cette volonté n'ayant pas à être renouvelée lorsque le temps se trouve accompli, on peut dire, exactement aussi, que c'est le temps qui, seul, opère la dissolution.
Au surplus, le délai peut n'avoir été fixé que tacite"tnent: par exemple, s'il s'agissait d'une société formée pour l'exploitation agricole d'une terre louée pour un temps déterminé; dans ce même cas, si, à l'expiration du bail, les associés obtenaient un nouveau bail de la même terre, la durée de la société pourrait être considérée comme tacitement prorogée jusqu'à l'expiration du nouveau bail.
Comme le présent article, ainsi que la plupart de tous ceux de ce Chapitre, est commun aux sociétés commerciales en même temps qu'aux sociétés civiles, nous ' donnerons encore l'exemple d'une société formée pour l'exploitation d'un hôtel de voyageurs dans des bâtiments loués pour un certain nombre d'années, ou pour l'exploitation d'un brevet d'invention dont la durée est limitée par la loi elle-même.
La loi met sur la même ligne que l'expiration du terme l'accomplissement de la condition résolutoire à laquelle l'existence de la société aurait été subordonnée. Par exemple, si l'apport de l'un des associés consistait en un droit de propriété immobilière sur lequel il y aurait un procès pendant ou imminent, les parties, en prévision de la perte du procès et d'une éviction, auraient pu, au lieu de s'en tenir à l'action en garantie qui pouvait être sans résultat utile, stipuler que la société serait résolue.
Il y aurait, du reste, entre ce cas et celui du terme, une sérieuse différence: la dissolution de la société serait rétroactive, elle n'aurait pas lieu ex nunc, " de maintenant," mais ex tune, 'l,d'alors "; c'est l'effet ordinaire de la condition résolutoire (v. art. 429).
Une autre différence est à signaler entre le terme et la condition; le texte la révèle suffisamment: le terme peut être prorogé, expressément ou tacitement (v. art. 794), la condition ne peut pas l'être.
468. II. La société peut avoir pour objet une suite indéfinie d'actes, de nature plus ou moins semblable; elle peut aussi n'avoir été formée que pour une ou plusieurs opérations déterminées: l'accomplissement de ces opérations met naturellement fin à la société. Ainsi, on s'est associé pour acheter un grand v terrain et pour le revendre par lots, pour construire un édifice, pour faire une fourniture à l'armée ou à une administration publique: la société prend fin lorsque ces opérations sont terminées.
La loi ajoute le cas où l'accomplissement serait devenu impossible: par exemple, dans la première hypo- thèse, on n'aurait pas pu conclure l'achat du terrain ou on n'aurait pas réussi à trouver des acquéreurs pourles lots; dans la seconde hypothèse, l'armée pu l'administration aurait résilié le contrat de fournitures.
469. III. Le troisième cas de cessation de plein droit est la perte de la totalité ou de la majeure partie du fonds social souscrit, c'est-à-dire des apports déjà effectués ou au moins exigibles (1). Le fonds social est l'instrument des opérations de la société: s'il vient à manquer, la société ne peut plus fonctionner, il n'y a pas de raison d'en prolonger l'existence, et si la majeure partie du fonds est perdue, il est à craindre que le désordre des affaires sociales n'entraîne la perte du reste.
470. IV. Quelquefois l'apport d'un des associés, au lieu d'être effectué immédiatement et en une seule fois, se compose de prestations successives et continues, soit de, services, comme une gérance, une comptabilité, soit de jouissance, comme l'usage d'un terrain ou d'un bâtiment, tel que le doit fournir un bailleur: si l'associé -qui à de pareilles obligations cesse de pouvoir les remplir, il n'effectue pas son apport et l'un des éléments de, 4a société vient à manquer.
Il ne faut pas confondre ce cas avec celui qui forme le n° 3 de l'article suivant, où l'on suppose que l'un des associés est ep faute de ne pas remplir ses obligations: comme il peut y être contraint, au moins en équivalent, la dissolution n'a pas lieu de plein droit, mais seulement par voie d'action résolutoire; mais ici, on suppose que c'est une impossibilité d'exécuter non imputable à l'associé: par exemple, c'est une maladie qui l'empêche de - gérer, ou une force majeure, un accident, qui a détruit les bâtiments dont il devait fournir la jouissance pendant la durée de la société.
C'est avec intention que nous supposons que "la jouissance" avait été promise, car si l'apport avait été en propriété, la société, devenue propriétaire elle-même, aurait la chose à ses risques et la perte n'en causerait pas la dissolution de la société, à moins qu'elle constituât, en même temps, la moitié du fonds social: on rentrerait alors dans le Se cas de dissolution. Cette distinction entre la propriété et la jouissance est faite par l'article 1867 du Code français.
471. V. Les sociétés civiles, plus que les sociétés commerciales, sont formées en considération des personnes: c'est parce que les associés se connaissent et ont confiance les uns dans les autres qu'ils unissent leurs efforts vers un but commun.
On comprend donc que la mort de l'un d'eux brise le faisceau de ces intérêts et de ces efforts, même pour les survivants.
Il en est de même de certains événements qui modifient profondément la capacité d'un des associés; en première ligne est l'interdiction, soit pour démence, soit par l'effet d'une condamnation criminelle: lors même que cet associé ne serait pas le gérant, il résulterait toujours de son interdiction de grands changements dans les rapports que les associés devraient avoir avec lui, soit pour l'examen des comptes et le partage des bénéfices, soit pour les décisions à prendre en commun, et ces rapports ne pourraient même plus avoir lieu que par l'entremise de son représentant.
Les difficultés seraient les mêmes s'il y avait mise en faillite ou insolvabilité, notoire ou déclarée, d'un des associés: dans ces cas, les créanciers de celui-ci auraient le droit de s'immiscer dans les affaires de la société, au cours des négociations, ce qui serait contraire à l'intérêt et aux convenances des autres associés.
On peut dire que, dans ces trois cas, la société est dissoute parce que la situation d'un des associés est devenue telle que, si elle avait eu lieu plus tôt ou avait été prévue, les autres associés n'auraient pas consenti à former société avec lui.
On ne trouve pas ici, comme cause de dissolution, l'incapacité survenant chez une femme associée qui COlltracterait mariage.
En France, où l'incapacité de la femme mariée est assez considérable, la société n'est pas dissoute par le mariage contracté par une associée qui aurait été céliba/ taire ou veuve au moment du contrat.
Les causes de dissolution de la société énoncées à ce 5e alinéa ne s'appliquent pas aux sociétés dont le capital est divisé en actions, et même, dans les sociétés formées en vue des personnes, ces causes de dissolution peuvent être execlues par la convention dès parties, comme il est expliqué à l'article 795.
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(1) L'ancien texte portait capital réalisé, ce qui comprenait le capital grossi des bénéfices et réserves. Nous avons proposé, depuis, de ne s'attacher qu'au capital souscrit à l'origine ou plus tard. De cette façon, la perte des bénéfices et réserves n'entraînerait pas la dissolution de la société.
Le Texte officiel ne parle que du "fonds social, (art. 144)."