Art. 790. — 454. Le droit de chaque associé sur le fonds social ne peut s'exercer qu'à la dissolution de la société: jusque-là le fonds social appartient à l'être moral de la société, si elle a une personnalité, et à tous les associés, par indivis, dans le cas contraire; chaque associé ne peut donc, tant que dure la société, disposer des objets composant le fonds social, même pour sa part seulement.
Le Code français a pris la peine de l'exprimer dans l'article 1860, sans que cela fat peut-être bien nécessaire; mais c'était pour lever un doute qui existait dans l'ancien droit et même pour condamner une jurisprudence qui permettait à un associé d'aliéner sa part.
Le Projet n'a pas les mêmes raisons de proclamer une vérité incontestable, d'après tout ce qui a été dit sur l'organisation de la société et sur son administration, et il n'y a pas lieu de distinguer ici si la société a ou non le caractère de personne morale (d).
Il va de soi également que les créanciers personnels d'un associé ne pourraient saisir une partie des choses sociales du chef de leur débiteur; tout au plus pourraientils, en exerçant les droits de leur débiteur, conformément à l'article 359 (v. art. 11G6 du c. civ. fr.), demander communication des inventaires et faire opposition à toute délivrance des dividendes ou bénéfices qui pourraient être répartis avant la dissolution de la société.
Il faut excepter toutefois le cas où la société, bien que x civile, serait organisée par actions, cas sur lequel on va revenir dans un instant avec le texte.
455. Le but du présent article, au lieu de prohiber ce qui est évidemment contraire à la nature de la société, est de proclamer certains droits de l'associé sur sa part, en tant qu'ils ne portent pas préjudice à la société.
D'abord, un associé peut former avec un tiers; une soussociété pour sa part; cela lui sera quelquefois nécessaire quand il ne pourra effectuer son apport avec ses propres ressources: il ne trouverait peut-être à emprunter que, difficilement ou à un gros intérêt, tandis qu'en partageant sa part de bénéfices avec le bailleur de fonds, il lui offrira des chances de gains qui pourront être pour lui dé- v terminantes.
L'associé peut aussi donner sa part en nantissement, ce qui permettra au bailleur de fonds de se faire rembourser plus sûrement, sans concourir avec les autres créanciers de l'associé, lorsque la liquidation et le partage auront lieu.
Enfin, l'associé peut céder toute sa part, en transférant à un tiers ses droits éventuels sur le fonds social, et aussi en imposant au tiers la portion de passif qui pourrait lui incomber (v. art. 709 bis).
Mais le texte a soin d'ajouter que ces conventions particulières ne sont pas opposables à la société, au moins en principe: c'est l'application de la règle que " les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peuvent être opposées aux tiers or, la convention particulière de l'associé au sujet de sa part ne doit pas nuire aux associés qui sont des tiers pour tout ce qui a été fait depuis qu'ils ont contracté.
Ils n'auront donc pas pour associé le croupier de leur co-associé (e). Et cela est fort juste, car la société civile, plus encore que la société commerciale, est formée en considération des personnes (intuitu personarum), entre gens se connaissant, ayant confiance l'un en l'autre, et cette confiance ne s'étend pas nécessairement aux tiers que l'associé ne craindra pas de s'associer à lui-même.
11 en est de même de la cession ou de la remise en nantissement que l'associé ferait de sa part.
456. La loi apporte une double exception à cette limite des droits de l'associé: ce sont dès lors deux cas où l'effet des actes d'un associé sur sa part, au lieu * d'être seulement relatif aux contractants, est absolu et opposable même à la société.
C'est d'abord le cas où l'acte primitif de société aurait permis vaux associés en général, ou à celui-ci spécialement, de faire ainsi entrer un nouveau membre dans la société, avec lui ou à sa place, sans qu'il y ait besoin de faire un nouveau contrat. Ce cas sera rare sans doute; il aura vraisemblablement été entouré de garanties; peut-être le nouveau membre possible aurat-il été nominativement désigné; en tout cas, ce sera toujours une application de la convention première plutôt que ce n'y sera une dérogation.
457. Le second cas où le cessionnaire d'un associé ou son croupier sera reconnu et admis comme associé par la société. primitive est celui où son capital est divisé en actions.
Quand le capital n'est pas ainsi divisé, on appelle les droits des associés " parts d'intérêts": le caractère de ces parts est justement d'être attachées à la personne de l'associé et incessibles. Cette forme, presque constante dans les sociétés civiles, suppose qu'il faut peu de capitaux pour que la société puisse fonctionner et que les associés les ont trouvés dans leurs relations.
Mais quand la société a besoin de grands capitaux, comme pour l'exploitation d'une mine, le dessèchement de marais, le défrichement et la mise en culture de terres incultes, il faut élargir le cercle de ceux dont on sollicite le concours et les fonds; alors on émet des actiondes titres, qui peuvent être au porteur ou nominatifs, mais qui sont essentiellement négociables ou cessibles, puisqu'alors le contrat de sociét6 est formé en dehors de toute considération des personnes, sauf peut-être pour les gérants. Les cessionnaires deviennent eux-mêmes associés.
La forme d'action donnée au droit des associés en permet encore la transmission aux héritiers, sans qu'il y ait dissolution de la société par la mort d'un associé: c'est un résultat important qu'on doit poursuivre dans les sociétés qui, ayant pour objet de grandes entreprises, doivent avoir une longue durée. On reviendra sur ce point, au sujet de l'article 795.
Une conséquence non moindre que la cessibilité et la transmissibilité des parts d'associé résulte, en général, de la forme d'actions qui leur est donnée, c'est que l'associé qui a effectué le versement de l'apport imposé à chaque action ne peut être poursuivi pour payer les dettes de la société et si le versement est encore dû, en tout ou en partie, la poursuite ne peut excéder l'apport promis (f): cette limite des risques et de la responsabilité n'empêche pas que les associésgérants ne soient tenus des dettes in infinitum. Pour que cette responsabilité elle-même fût supprimée, il faudrait que la société fût anonyme, c'est-à-dire qu'aucun associé n'y figurât en nom, même les gérants, restés simples actionnaires; alors les créanciers de la société n'auraient d'autre garantie que le fonds social; sauf le cas où les gérants auraient commis des fraudes ou des fautes lourdes (g).
Un article final proclamera ces principes.
Ces diverses formes de sociétés de capitaux ou par actions sont bien plus usitées en matière commerciale qu'en matière civile; mais nous avons démontré déjà, sous 'l'article @ 768, que lorsque l'objet de la société n'est pas commercial, ce n'est pas la forme qu'elle revêt qui peut en changer la nature (v. n° 410).
458. Le 2° alinéa, restant dans la double hypothèse où la cession des droits de l'associé serait opposable à la société, c'est-à-dire 'où les parts d'intérêt auraient été déclarées cessibles, ou bien où le capital aurait été divisé en actions, suppose que le contrat a réservé à la société, représentée par son gérant, le droit de préemption ou de préférence dans l'achat de la part d'intérêt ou de l'action que l'associé voudrait céder (h). Cette stipulation aurait pour but de restreindre le nombre des associés et de simplifier les rapports des personnes et les comptes.
Pour que la clause soit facilement exécutable, il sera bon que le contrat détermine les formes et les délais dans lesquels l'offre de cession devra être faite et acceptée. Nous supposons d'ailleurs qu'elle sera rare, au Japon comme en France, parce que, la cession devant se faire au prix que l'associé prétend trouver près d'un autre, il y aura toujours à craindre qu'il n'exagère ce prix.
La clause dont il s'agit ne serait ni applicable, ni utile, au cas où les actions seraient au porteur, c'està-dire cessibles par la tradition du titre. Elle serait inapplicable, car l'associé n'étant pas dénommé sur le titre, l'action peut changer de mains sans qu'il y en ait de trace; elle serait inutile, car si la société veut retirer une partie de ses actions, pour en relever la valeur ou pour un autre motif, elle pourra facilement acquérir, à la Bourse ou autrement, celles que les porteurs seraient disposés à vendre.
Cette faculté n'a rien de commun avec celle que la loi commerciale prohibera sans doute et qui consisterait, pour une société, à. spéculer sur ses propres actions, par des achats desdites actions, non pour les anéantir, mais pour les revendre: ces oscillations artificielles entre la rareté et l'abondance des actions sur le marché public seraient d'autant plus dangereuses qu'elles seraient l'œuvre de la société elle-même; tandis que, lorsque la société aura supprimé par voie de rachat un certain nombre de ses actions, elle ne les remettra pas en circulation et le relèvement n'en sera pas sujet aux mêmes rechutes.
Le texte suppose que le droit de préemption a été stipulé en faveur de la société considérée comme personne morale ou au moins comme réunion des associés; mais rien ne s'opposerait à ce qu'un pareil droit fût stipulé pour les associés individuellement, lorsqu'ils auraient fait connaître, dans les formes et les délais prescrits, leur intention d'acheter les actions mises en vente.
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(d) C'est à tort, selon nous, que l'on invoque cet article 1860 du Code français pour soutenir qu'en France les sociétés civiles sont des personnes morales: la prohibition pour chaque associé d'aliéner sa part du fonds social s'explique aussi bien avec l'idée de simple co-propriété indivise qu'avec la personnalité morale de la société: l'indivision des associés a un but qui ne permet pas de réduire le fonds commun tant que ce but n'est pas atteint.
(e) En France, on nomme croupier l'associa d'nn associé, expression figurée qui rappelle celui qui monte en croupe, c'est-à-dire derrière celui qui conduit un cheval.
(f) De là vient que, dans certaines sociétés commerciales on donne le nom de " commanditaires" (du latin commendare, confier) à ceux qui ne sont tenus que dans la mesure de leur mise confiée à la société (voy. C. coin, franç., art. 23 et suiv.; L. fr. du 24 juillet 1867, art. 1er à 20).
(g) Sur les sociétés commerciales anonymes, voir C. comm. fr., art. 29 et s.; L. fr. du 24 juill. 1867, art. 21 à 47.
(h) Le droit de préemption a déjà d'autres applications dans les articles 32, 73, 141, 156, 182, 189, 190.