Art. 825. — N° 534. Il est fréquent dans le contrat de rente viagère, plus que dans les autres, que le créancier stipule des sûretés particulières, parce que, le plus souvent, aliénant tout son capital pour augmenter son revenu, la rente sera son seul moyen d'existence.
Le présent article suppose que le débiteur ne fournit pas les sûretés promises: par exemple, une hypothèque ou une caution; la sanction sera la résolution du contrat; il en sera de même si, les ayant fournies d'abord, il commet quelque acte volontaire qui les diminue.
La loi avait ici un motif particulier de proclamer le droit du crédi-rentier à la résolution pour inexécution des obligations; c'est précisément parce qu'il n'a pas lieu, en principe, en matière de rente viagère, ainsi qu'on l'a expliqué sous l'article 823; c'est donc par exception qu'il est admis ici, comme étant le meilleur secours qui puisse être accordé au créancier.
On pourrait s'étonner que la loi ne se borne pas, comme dans l'article précité, à donner au rentier un droit de saisie qui laisserait au débiteur les chances favorables du contrat. Mais il faut remarquer qu'ici le débiteur est bien moins intéressant que celui qui ne peut servir les arrerages: il est presque suspect de mauvaise foi et, en tous cas, il est coupable de faute lourde, ce qu'on ne dira pas d'un insolvable.
535. Le texte exprime que cette résolution n'a lieu que si la rente a été “constituée à titre onéreux”; le Code français (art. 1977) la limite également à la rente “constituée moyennant un prix.” Ce n'est pas seulement parce que cette sorte de pénalité civile ne se justifierait pas autant contre un donateur en faute; l'impunité d'ailleurs ne serait déjà plus aussi facilement explicable à l'égard d'un héritier qui refuserait ou diminuerait les sûretés promises par son auteur dans une donation ou dans un legs de rente viagère. La véritable raison de cette différence est que, dans la constitution directe de rente viagère par acte gratuit, ce n'est que par fiction que l'on parle quelquefois d'un capital productif des arrérages: il n'y a pas de capital aliéné qui, par la résolution, puisse rentrer dans les mains du crédi-rentier; si le donataire ou le légataire d'une rente viagère qui n'obtient pas les sûretés promises pouvait acquérir comme idemnité un capital en perpétuel, les conditions de la libéralité seraient tout-à-fait changées à son profit, sans cause légitime. Mais comme il ne faut pas non plus que le donataire soit privé de tout secours, il se garantira pour l'avenir au moyen de la saisie conservatoire autorisée par l'article 823.
536. A cette occasion, la loi revient encore à la reute “retenue sur un capital donné ou légué," sur la nature de laquelle nous nous sommes déjà arrêté (ci-dess., pp. 629, 634 et 618, nos 517, 521 et 532) et qu'il faut se garder de confondre avec la rente constituée à titre gratuit.
Assurément, le donateur ou son héritier qui garde un droit de rente sur le capital donné ou légué ne le tient pas de la libéralité du donataire ou du légataire, et, s'il a stipulé des sûretés, il est encore plus digne d'intérêt que celui qui a obtenu la rente viagère comme prix d'un capital aliéné dans un but intéressé. Le gratifié, donataire ou légataire du capital, qui ne fournit pas les sûretés promises, ou qui diminue celles qu'il avait fournies, est bien plus fautif que celui, qui dans le même cas de rente retenue sur un capital donné, manque à servir les arrérages. Ce dernier n'a été soumis qu'à la saisie conservatoire par l'article 823; mais celui qui nous occupe subira la résolution, avec restitution du capital donné ou légué, en vertu du droit commun des donations ou des legs avec charges, autant que par application de notre présent article.
537. En général, la résolution doit remettre les choses au point où elles étaient avant la convention; cet effet ne se produira pas complètement ici: sans doute, le débiteur rendra tout le capital qu'il a reçu, car la rente est supposée avoir été constituée à titre onéreux; mais le créancier ne rendra aucune portion des arrérages reçus ou acquis, même la portion qu'on pourrait considérer comme l'excédant du taux ordinaire de l'intérêt. Il est juste, en effet, que le créancier conserve ce bénéfice comme prix du risque qu'il a couru, car il aurait pu mourir à l'époque où ces arrérages lui étaient encore payés régulièrement et le capital eût été acquis au débiteur.
Cette solution ayant fait doute, en France, chez quelques auteurs, on croit utile de l'insérer, comme étant une modification des règles générales de la résolution qui devrait remettre les choses en l'état primitif.
538. La loi suppose ensuite que le créancier ou, plus exactement, celui sur la tête duquel porte le droit de rente, est mort avant que la résolution ait été prononcée.
Ici encore, il y a une dérogation au droit commun. En général, le décès de l'un des plaideurs ne modifie pas les droits engagés dans l'action: la justice rend, pour ou contre les héritiers du décédé, le jugement qu'elle aurait rendu pour ou contre le plaideur luimême. Mais en matière de rente viagère, le droit n'est pas transmissible aux héritiers du rentier; si donc celui-ci est mort pendant le procès, son droit est éteint: la résolution n'a plus d'objet ni d'intérêt, car elle avait pour but de parer à l'éventualité du défaut de payement des arrérages, laquelle n'est plus en question, puisqu'il n'y a plus de dette.
Il en sera de même si la personne sur la tête de laquelle porte le droit de rente vient à mourir après le jugement de première instance et pendant l'instance d'appel, ou même dans le délai pendant lequel l'appel est recevable: il n'y a qu'un jugement définitif portant résolution qui puisse rendre le décès sans influence.
Quant au décès pendant le délai du pourvoi en cassation ou pendant l'instance en cassation, on devrait le considérer comme ne portant aucune atteinte à la résolution prononcée en appel, car le pourvoi n'est pas suspensif de l'exécution; seulement, l'instance en cassation serait suivie et si le pourvoi était rejeté, la résolution subsisterait; mais si l'arrêt d'appel était cassé, on se retrouverait en présence du jugement de première instance et le décès du rentier ferait obstacle à une nouvelle instance en appel: la résolution serait time chez les héritiers. Ce serait un cas de "cassation sans renvoi.”