Art. 755. — 360. La garantie a lieu dans l'échange comme dans la vente et comme dans les autres contrats à titre onéreux (voy. art. 415 et 416); si la loi la mentionne ici, ce n'est pas seulement à cause de son importance, c'est encore pour ce qu'elle présente de particulier. En effet, si l'un des co-échangistes n'est pas seulement troublé dans la jouissance des droits qui lui ont été promis, s'il en est évincé ou s'il acquiert la Preuve que ces droits ne lui ont pas été conférés, il n'a pas seulement, comme un acheteur en pareil cas, le droit de se faire indemniser en argent: il peut aussi, s'il le préfère (et il y aura souvent intérêt), faire résoudre le contrat pour inexécution des obligations et recouvrer en nature la chose qu'il a donnée; s'il avait fourni une soulte en argent, il la recouvrerait également; le tout, avec dommages-intérêts, si la privation de la chose promise lui cause des pertes accessoires.
En général, l'action résolutoire, tendant à faire rentrer un bien dans le patrimoine de celui qui l'a aliéné, s'exerce contre les sous-acquéreurs, au moins lorsqu'il s'agit d'immeubles, car, pour ce qui est des meubles, la possession des tiers de bonne foi les met à l'abri de la revendication, sous quelque forme qu'elle se présente. Tel est, pour les immeubles, l'effet du principe souvent rappelé que " nul ne peut conférer plus de droits qu'il " n'en a lui-même ou des droits plus stables que les " siens propres."
Autrefois, le principe était appliqué dans toute sa rigueur et en toute matière; mais, dans les temps modernes, on a reconnu la nécessité de donner plus de stabilité à la propriété foncière et, par suite, plus de crédit aux propriétaires d'immeubles; de là un système, de publicité des droits réels immobiliers et une sécurité pour les acquéreurs qui ont publié en bonne forme, par la transcription ou par l'inscription, des actes valables au moment où ils ont été passés. On conçoit donc que le système n'atteindrait pas son but si des tiers-acquéreurs pouvaient être évincés par des causes de résolution qu'ils n'ont pu prévoir en contractant.
Lorsqu'il s'agit de résolution pour inexécution des obligations par un précédent acquéreur, les sous-acquéreurs peuvent, en général, avant de traiter, s'assurer qu'elles ont été remplies; c'est ce qui arrive pour les cessionnaires d'un acheteur qui, sachant par la transcription de l'acte de vente originaire " que le prix était dix en tout ou en partie," ne doivent eux-mêmes payer le leur qu'entre les mains du premier vendeur, s'il n'a pas été désintéressé jusque-là par l'acheteur. Il en est de même pour les autres obligations légales et conventionnelles que les sous-acquéreurs ont su être à la charge de leur auteur.
361. Le principe doit-il s'appliquer à l'échange, lorsque l'une des parties n'a pas rempli ses obligations ?
D'abord, s'il y avait une soulte à payer, comme complément de la valeur d'un immeuble, et qu'elle eût été révélée par la transcription de l'échange, le sousacquéreur dudit immeuble ne pourrait nier que la résolution lui fût opposable, puisqu'il a pu, avant de contracter, s'assurer si la soulte avait été ou non payée.
On pourrait donner la même solution pour tout autre complément d'échange qui aurait été promis: le sous-acquéreur pourrait au moins s'assurer que son cédant a donné quittance ou décharge de ce qui lui a été promis.
Mais, parmi les obligations des co-échangistes, et même en première ligne, se trouve celle de transférer la propriété des choses fournies par chacun: si elle n'est pas remplie, le co-échangiste qui les a reçues est exposé au danger d'éviction; de là pour lui un nouveau droit au retour de ce qu'il a donné, à la résolution.
C'est ici que l'on peut douter qu'elle doive, en rai-, son, s'exercer contre les sous-acquéreurs. En effet, ont-ils la même facilité que dans les autres cas de connaître le danger d'éviction, cause de la résolution, ou de s'assurer qu'il n'existe pas ?
Par exemple, Primus a échangé son immeuble A contre l'immeuble Il présenté à tort par Secundus comme lui appartenant et Primus est évincé dudit immeuble: si, à ce moment, l'immeuble A est encore dans les mains de Secundus, il sera recouvré par Primus, au moyen de la résolution; mais si l'immeuble A était déjà aliéné par Secundus à rrertins, la résolution ne pourrait atteindre ce dernier. Comment Primus, en effet, pourrait-il imputer à faute à Tertius de n'avoir pas connu chez Secundus le défaut de droit de propriété sur l'immeubles B, cause de l'éviction, lorsqu'il s'y est trompé lui-même ?
362. Le texte décide donc, par une innovation qui mérite attention, que l'action résolutoire n'atteindra pas les tiers qui ont acquis des droits réels sur les immeubles sujets au retour par l'action résolutoire, lorsque la publication de leur titre d'acquisition a précédé celle de la demande en résolution.
Cette disposition protectrice des droits des tiers de bonne foi se retrouvera chaque fois que les tiers-acquéreurs se seront conformés à la loi sur la publicité des droits immobiliers et qu'on n'aura aucune négligence à leur reprocher. Si le législateur n'entre pas résolument dans cette voie, tout le système de la publicité des droits réels perd sa valeur; s'il se trouve des cas, si peu nombreux qu'ils soient, où un tiers ayant valablement acquis un immeuble puisse en être dépouillé pour une cause antérieure qu'il n'a pu prévoir, la propriété foncière sera dépréciée, elle perdra tout crédit et l'obligation de transcrire ne sera plus qu'une mesure abusive, onéreuse et vexatoire.
C'est pour ce même motif que déjà, au sujet des legs, on a écarté la faveur exceptionnelle qui permettrait de les opposer aux tiers, quoique le testament n'eût pas été transcrit (voy. art. 652 à 654).
On a décidé de même pour l'action en rescision fondée sur le dol (art. 333, dern. al.) et, plus récemment, pour la rescision pour lésion d'un majeur (voy. art. 736). Si l'on n'a pas cru pouvoir proposer la même protection pour les sous-acquéreurs en face d'une rescision pour erreur ou même pour violence (v. art. 575), c'est par respect pour une tradition immémoriale (voy. ci-dessus, n° 326); mais ce serait peut-être une réforme heureuse autant que hardie que pourrait faire la Commission de Révision de ce Projet (1). Il ne resterait parmi les causes de rescision opposables aux tiers que celles fondées sur l'incapacité, parce que les tiers-acquéreurs ont pu, avant de traiter avec le cessionnaire, s'assurer de la capacité de son cédant.
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(1) Cette innovation n'apas été prise en considération.