Art. 754. — N° 356. Quoique l'Echange soit toujours placé, dans les lois civiles, à la suite de la Vente, et qu'il y puise presque toutes ses règles, par forme de renvoi, ce qui ne lui donne qu'une importance secondaire (v. art. 756), il n'en est pas moins plus ancien que la vente, si l'on se reporte à l'origine des sociétés.
C'est ce qui a été expliqué au commencement du Chapitre précédent (voy. n° 142).
La vente n'est autre chose que l'échange d'une chose contre de l'argent monnayé. Mais il peut arriver que les particuliers recourent encore aujourd'hui à l'échange véritable, au troc direct: il se peut que l'une d'elles, désirant acquérir la chose de l'autre, par exemple sa maison ou son terrain, puisse en même temps disposer d'une chose qui plaît à celle-ci; dans ce cas, il est inutile de recourir à la vente, car il faudrait deux ventes réciproques: on fait alors un échange direct des deux choses.
357. La définition de l'échange par notre premier article n'est pas tout-à-fait semblable à celle qu'en donne le Code français (art. 1702), lequel présente l'échange comme opérant réciproquement dation ou translation de propriété; or, il y a également échange (lans une promesse réciproque appliquée à des choses fongibles ou de quantité dont la propriété ne serait acquise que par la livraison, jusqu'à laquelle il n'y a " qu'obligation de donner."
Il a donc fallu modifier la définition française de l'échange, comme nous avons déjà modifié celle de la vente (v. art. 661).
Le Code italien (art. 1549) est tombé dans la faute inverse de celle du Code français, en ne mentionnant plus la translation de propriété ou dation, mais seulement " l'obligation de donner."
Nous avons encore modifié, sous un autre rapport, la définition du Code français, en ne la limitant pas à l'échange de propriété et en l'étendant à Il tout autre droit ainsi, on peut échanger la propriété d'une chose avec un usufruit ou avec une servitude, et même un de ces trois droits réels contre un droit personnel ou de créance déjà créé vis-à-vis d'un tiers.
358. Mais il ne faudrait pas aller jusqu'à considérer comme échange la translation d'un droit réel contre une promesse certaine de services, contre une obligation de faire ou de ne pas faire, encore moins la promesse de services d'une nature contre des services d'une autre nature: quand on parle le langage de l'économie politique, on emploie beaucoup l'expression " échange de services mais, en droit, le mot échange est technique et il ne s'applique, même dans le sens le plus large que les modernes puissent lui donner, que lors. que les droits conférés respectivement existent déjà dans le patrimoine de chaque partie: c'est alors seulement qu'ils sont transmis, cédés.
C'est pourquoi lorsque nous supposons plus haut que l'une des contre-valeurs fournies est une créance, cette créance existe déjà contre un tiers: elle est alors dans le patrimoine de la partie qui la fournit, ce qui ne serait plus exact si elle promettait de fournir ses services futurs, lesquels n'existent encore que comme puissance ou faculté d'agir. De même, si l'avantage fourni en contre-valeur était la libération d'une dette accordée à celui qui transfère un droit réel, il n'y aurait pas échange, parce que celui qui libère son débiteur ne transfère pas à celui-ci le droit personnel auquel il était soumis: il se dépouille mais ne transfère rien (a).
Mais dans ces divers cas, s'il n'y a pas échange proprement dit, il y a toujours un contrat licite auquel il ne manque qu'un nom, et c'est justement pourquoi on l'appelle contrat innommé (voy. art. 324 et Gomrn., Tome II, n° 37).
359. Lorsque l'échange se fait, purement et simplement, d'un droit pour un autre, c'est que les parties considèrent les deux droits comme ayant pour chacune d'elles une égale valeur ou une égale utilité, et il faut reconnaître que les parties sont les meilleurs juges de ce qui leur est utile, agréable ou avantageux. On reviendra bientôt sur cette idée, au sujet de l'absence de rescision pour lésion dans l'échange.
Mais quelquefois, les parties reconnaissent, d'un coml'nun accord, que l'un des droits est inférieur à l'autre en valeur, et l'inégalité est alors compensée en argent ou autrement. Lorsque la compensation est en argent, on l'appelle soulte (b). Si elle consistait en autres objets mobiliers ou immobiliers, ces objets seraient eux-mêmes échangé.s* et il n'y aurait à les considérer comme un complément de l'échange que parce qu'ils auraient un caractère accessoire, leur laissant suivre le sort du principal.
Si la valeur complémentaire de l'échange consistait dans des services à fournir ou dans la libération d'une dette antérieure, bien qu'on ne puisse plus dire, à proprement parler, que ces divers avantages sont échangé (ec qui serait, comme on vient de le faire remarquer, forcer le sens du mot), cependant, comme ils ne sont que les accessoires d'un échange véritable, le contrat conserverait ce nom; de même que, si la soulte en argent était inférieure aux objets fournis en échange, le contrat ne deviendrait pas une vente, même pour partie.
A u contraire, si ces services ou la soulte en numéraire sont eux-mêmes la partie principale, le contrat est innommé dans le premier cas et vente dans le second. Telle est la disposition finale de notre présent article (c).
C'est surtout le dernier article de la matière qui indiquera l'intérêt qu'il y a à ne pas confondre l'échange avec la vente.
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(a) Il ne faudrait pas croire qu'il y a ici plus de subtilité que de raison: la preuve que la libération lie transmet pas de droit au débiteur libéré c'est que, si sa dette était hypothécaire, l'hypothèque s'éteindrait et ne pourrait être rattachée par lui à une autre dette.
Il y aurait encore bien d'autres démonstrations possibles de cette vérité.
(b) Du latin solutuui, payement.
(c) On peut la rattacher à un axiome déjà cité " la majeure partie entraîne la moindre," major pars minorem ad se trahit.