Art. 705. — 253. Les dispositions de cet article sont reproduites du Code français (art. 1693, 1694 et 1695), avec une addition relative aux actions en nullité.
Les interprètes de ce Code ont souvent prétendu voir là des restrictions à la garantie ordinaire et ils ont cherché à les expliquer, en se fondant sur une défaveur que mériteraient les acheteurs ou cessionnaires de créances.
On a dit que ceux qui achètent des créances avant l'échéance sont des spéculateurs peu intéressants, qui cherchent à profiter de l'embarras des créanciers, payent le prix le plus faible qu'ils peuvent et poursuivent ensuite le débiteur-cédé avec toute la rigueur possible.
Nous croyons qu'il y a là une exagération et que ce reproche de spéculation plus ou moins avide n'est fondé qu'à l'égard des acheteurs de droits litigieux et non des acheteurs de créances ordinaires; aussi trouve-t-on dans le Code français, contre les acheteurs de droits litigieux, une mesure exceptionnelle qu'on n'y trouve pas pour ceux qui nous occupent, c'est le retrait litigieux que le Projet admet seulement contre certains officiers publics acheteurs de droit litigieux (voy. art. 677, 2e al). La vérité est que la garantie n'est pas moins étendue dans la vente de créances que dans celle de choses corporelles.
254. Le 1er alinéa applique à la cession de créances le droit commun de la garantie: les limites que la loi apporte à la garantie de la solvabilité, dans les deux alinéas qui suivent, n'ont d'autre but que de prévenir une extension abusive qu'on pourrait être porté à lui donner.
D'abord, le vendeur d'une créance est garant de Vexistence de la créance; il est donc responsable de son inexistence: par exemple, si la prétendue créance était radicalement nulle, faute de cause licite ou d'objet suffisamment déterminé, ou si, ayant existé, elle avait été ensuite éteinte par un payement ou par une compensation.
Sous ce rapport, le vendeur d'une créance ne diffère pas de celui qui vendrait une chose corporelle ayant péri avant la vente (v. art. 680).
Le vendeur garantit aussi que la créance lui appartient: elle pourrait exister et appartenir à autrui; une pareille vente serait nulle, comme toute vente de la chose d'autrui (voy. art. 679). Le Code français n'a parlé que de l'existence absolue de la créance, mais il faut l'entendre aussi d'une existence relative au vendeur, d'une existence à son profit; en tout cas, le Projet l'exprime formellement.
Le Projet ajoute que le vendeur est garant aussi de la validité de la créance, c'est-à-dire que si elle était sujette à une action en nullité ou en rescision, il en serait responsable.
Bien que le Code français n'ait pas exprimé cette garantie, on ne doit pas hésiter à l'admettre, car si une créance annulable existe, tant que l'action en nullité n'est pas exercée, elle cesse d'exister après le triomphe de cette action, et cela, rétroactivement.
On voit que, jusqu'ici, il n'y a pas de défaveur pour l'acÏMeur d'une créance, et déjà on peut dire qu'il a droit à la même garantie qu'un acheteur de chose corporelle, auquel on ne doit que la garantie d'existence physique de la chose, la garantie du droit de propriété chez le vendeur, enfin, la garantie que la chose n'a pas de vices cachés la rendant impropre à sa destination (ce dont il sera parlé à la Section ni).
255. La loi nous dit ensuite que le cédant n'est pas garant de la solvabilité du débiteur, et c'est là qu'on prétend voir une défaveur pour l'acheteur; mais si le vendeur garantissait la solvabilité, ce serait, au contraire, une faveur exceptionnelle pour le cessionnaire. Le risque d'insolvabilité du débiteur est inhérent à la nature du droit cédé et en rendre le cédant garant de droit serait presque aussi exorbitant que rendre k vendeur d'un champ garant de la réussite des récoltes et le vendeur d'une maison garant d'une location continue: il peut y avoir là matière à une garantie con. ventionnelle, mais non à une garantie légale.
Législativement, on pourrait distinguer, à la rigueur, si la cession a eu lieu avant ou après l'échéance: dans le cas où la cession précède l'échéance, il est tout naturel que le cessionnaire coure le risque de l'insolvabilité future du cédé; quand, au contraire, la cession n'a lieu qu'après l'échéance, on comprendrait que le cédant ftü garant de la solvabilité actuelle, car, si le cédé n'est pas actuellement solvable, il est bien douteux qu'il le devienne plus tard. Mais nous ne le proposerions pas comme disposition législative, parce que, selon nous, le seul fait que le créancier vend une créance échue fait présumer qu'il la considère comme étant d'un recouvrement difficile.
256. Mais si la loi ne croit pas devoir imposer au vendeur la garantie de la solvabilité du cédé, elle admet qu'il puisse s'y soumettre volontairement et par convention; on dit alors, dans le langage usuel, qu'il y a garantie de fait, par opposition à la garantie de droit, c'est-à-dire à celle qui a lieu en vertu de la loi et dont l'objet est l'existence de la créance.
La promesse de garantie de la solvabilité doit être expresse; ainsi, il ne suffirait pas que l'acte de vente portât que le vendeur cède telle créance Il avec garantie," parce que peut-être il n'aurait entendu garantir que l'existence de la créance. Il est vrai qu'on pourrait dire que " les clauses susceptibles de deux sens doivent s'entendre dans le sens qui leur donne un effet, plutôt que dans celui qui ne leur ne donne aucun " (art. 378); or, la clause Il de garantie " ne produira pas d'effet, si elle n'ajoute rien à la garantie légale; mais on ne doit pas non plus admettre facilement, s'il y a doute, une extension aussi considérable des obligations du cédant; le Projet n'a d'ailleurs pas admis la disposition si sévère du Code français (art. 1602) d'après laquelle Il tout pacte obscur ou ambigu s'interprète contre le vendeur " (v. n° 208). On se retrouve alors dans le cas d'appliquer une des règles les plus sages des deux Codes: Il dans le doute, la clause obscure s'interprète contre le stipulant, en faveur du promettant " (C. civ. fr., art. 1162; Proj., àrt. 380); or, dans la garantie, le stipulant est le cessionnaire, et le promettant est le cédant.
257. En supposant une promesse expresse de garantie de solvabilité, il reste encore des difficultés.
La créance peut n'être pas encore échue au moment de la cession, ou elle peut l'être.
A quel moment doit-on se placer pour déterminer la responsabilité de l'insolvabilité du cédé ?
Le Code français (art. 1695) dit que la garantie de la solvabilité ne s'entend que de la solvabilité actuelle.
On a prétendu qu'il fallait entendre ces mots dans le sentie la solvabilité au jour de l'échéance, quand la créance n'est échue qu'après la cession; on a dit que la solvabilité au jour de la cession n'avait pas d'importance quand la créance n'était pas encore échue; mais il y a là une erreur: lorsque le débiteur est solvable au jour de la cession, même quand l'échéance est encore à venir, c'est déjà une forte présomption qu'il sera encore solvable à l'échéance et, en tout cas, comme le Code français ne distingue pas entre la créance échue et celle non échue, il est difficile de donner une interprétation aussi défavorable au cédant, quand on voit combien la loi est réservée à cet égard.
Mais le Code français peut être modifié utilement dans le sens que nous ne contestons qu'à cause de son texte.
Le Code italien (art. 1544) a lui-même donné l'exemple de cette modification et il est même allé plus loin que nous ne le proposons: ainsi, si la créance est échue, la garantie de la solvabilité s'étend à un an après la cession.
Nous proposons de s'en tenir ici à la solvabilité actuelle, parce que, s'il est certain, dans ce cas, que le cédant n'a pas eu pour but de se soustraire à tout danger de l'insolvabilité du cédé, il n'est pas à croire pour cela qu'il ait entendu courir des risques pour l'avenir.
Si la créance n'est pas éclate, le cédant n'est responsable de l'insolvabilité survenue avant l'échéance que s'il a promis Il la garantie de la solvabilité future" auquel cas sa responsabilité s'étend encore à l'année qui suit l'échéance: autrement, il n'est responsable que pour le présent, non pour l'avenir.
Enfin, nous croyons qu'il faut prévoir, comme le Code italien, le cas d'une créance de rente perpétuelle, quoique ces rentes soient encore peu usitées au Japon et ne doivent sans doute l'être jamais beaucoup entre particuliers, puisqu'elles disparaissent en Europe, après y avoir été très répandues. Dans ce cas, comme il n'y a pas d'exigibilité du capital, mais seulement des arrérages annuels, la responsabilité du cédant, sans devenir perpétuelle comme la créance, doit être plus longue: le Code italien la fait durer dix ans et ce délai ne nous semble pas exagéré.
Remarquons bien que ce délai d'un an ou de dix ans est celui pendant lequel la responsabilité du cédant est encourue et non celui pendant lequel il peut être actionné en garantie: une fois que l'obligation de garantie est née dans le délai précité, l'action est soumise au délai ordinaire de la prescription.
Sous ce rapport, le Code italien (ihid.) pourrait prêter à l'équivoque, lorsqu'il dit que " la garantie de la solvabilité s'éteint par le laps de dix ans, à partir de la cession:" on pourrait croire que l'action en garantie, une fois née dans ce délai, s'éteint avec la dixième année, ce qui n'est certainement pas la pensée de la loi, car le reste du délai de dix ans pourrait être très court.
Le texte du Projet ne laissera pas de doute dans le sens opposé.
258. Il reste à savoir quel est, en matière de cession de créance, l'effet de l'obligation de garantie lorsqu'elle est encourue.
Il faut distinguer, à cet égard, entre la garantie légale ou de droit et la garantie conventionnelle ou de fait.
Le Projet, pas plus que le Code français, ne s'est expliqué sur la première garantie, parce qu'il faut lui appliquer le droit commun: soit que la créance n'existe pas, soit qu'elle n'appartienne pas au cédant ou qu'elle soit seulement annulable, le cédant doit certainement rembourser au cessionnaire le prix de cession et les frais du contrat, et ceux du procès dans lequel le cédé a triompTï^f parce que ces frais ont été payés par le cessionnaire; le cédant doit aussi les dommages-intérêts; 01', ici ils consisteront dans le gain que le cessionnaire a pu espérer de la cession, et ce gain est la différence entre le montant intégral de la créance et le prix de cession: c'est comme une plus-value de la chose vendue, dont le cessionnaire a été frustré. On voit donc que l'article 695 reçoit ici son application naturelle.
Par exemple, le cessionnaire a acheté pour 800 yens une créance de 1.000 yens; mais la créance n'existe pas: le cessionnaire a accepté le risque de l'insolvabilité actuelle et future du débiteur, mais il n'a pas entendu courir celui de l'inexistence de la créance (comme on le verra, au contraire, dans la cession de droit litigieux), il est donc juste qu'il recouvre le montant intégrat de la créance (1000 yens) ou, plus exactement, 800 yens, son prix d'acquisition, et 200 yens, le profit espéré de l'opération.
Mais on peut supposer, en même temps, que le prétendu débiteur de cette dette qui n'existe pas est une personne insolvable. Dans ce cas, le cédant ne sera garant que de la somme que le cessionnaire aurait effectivement obtenue du cédé, si la créance avait existé: le cédant, en effet, peut dire au cessionnaire que, lors même que la créance aurait existé, il n'en aurait pas obtenu le montant intégral; la réparation ne doit pas excéder le préjudice réellement éprouvé. Mais si l'indemnité ne doit pas atteindre le prix de cession, c'est ce prix que le cédant devra restituer: autrement, il en serait enrichi sans cause, ce qui est une autre source d'obligation.
Supposons maintenant qu'il y ait eu garantie conventionnelle de la solvabilité actuelle ou future du débiteur et que l'obligation du cédant soit encourue, parce que le débiteur est insolvable: le Projet, conforme en cela au Code français (v. art. 1864), n'oblige le cédant qu'à rembourser le prix de cession, comme constituant un enrichissement indu.
On a encore prétendu que cette limite de la garantie tenait à la défaveur qui atteint les cessionnaires de créances; il n'y a pas besoin d'imaginer un parait motif: la loi interprète la clause de garantie de la façon la plus favorable au débiteur, c'est-à-dire, ici, au cédant.
Ces limites mises à l'obligation de garantie de solvabilité du cédé cessent lorsqu'il s'agit de la cession par endossement des créances dites " effets de commerce." Le futur Code de Commerce suivra, sans doute, la tradition européenne de ce genre particulier de cession: le cédant ou l'endosseur sera, de droit, garant de la solvabilité du cédé et, lorsque la garantie sera encourue, il devra rembourser le montant intégral de la créance (comp. c. com. fr., art. 140 et 164).