Art. 704. — 250. En France, c'est une question très-difficile que celle de savoir quels sont les droits de l'adjudicataire sur saisie, lorsqne la chose n'appartenait pas au débiteur saisi.
Bien qu'il y ait beaucoup d'analogie entre l'adjudication et la vente, on ne peut les assimiler entièrement: l'adjudicataire ressemble certainement à un acheteur, puisqu'il acquiert une chose moyennant un prix fixé en argent; mais quel est le vendeur ? On ne peut pas dire que ce soit le saisi, puisque la saisie et la vente se font en quelque sorte malgré lui; on ne peut pas même dire ici qu'en contractant avec ses créanciers, il leur a donné mandat ou pouvoir de vendre, car ce pouvoir ne se serait appliqué, en tout cas, qu'aux choses dont la propriété lui appartenait et à non celles dont il était simplement possesseur; or, on est justement supposé être dans le cas où il n'était pas propriétaire.
On ne peut pas dire non plus que le saisissant soit vendeur, car ce serait le faire vendeur de la chose d'autrui, dans tous les cas, même quand la chose appartient au saisi, et dans ce dernier cas, il y aurait cette singularité que la vente de la chose d'autrui serait valable; ou bien, l'on dira qu'il vend comme mandataire du débiteur et c'est ce que nous venons de démontrer inexact: le saisissant requiert la vente, mais ne la fait pas, et ce qui prouve bien qu'il n'est pas vendeur, c'est qu'il n'a aucun pouvoir, soit pour déterminer le mode de la vente, soit pour en fixer le prix.
Dira-t-on que le vendeur est l'officier public qui procède à l'établissement du droit de propriété du saisi, dans la rédaction du cahier des charges ? Ce système ne serait pas plus soutenable que les deux autres: l'officier public (au Japon, ce sera sans doute le greffier du tribunal) a des obligations résultant de ses fonctions en cette matière, mais il n'est pas plus vendeur au cas d'adjudication sur saisie que ne le serait un notaire au cas de vente volontaire faite par acte authentique (c).
Si l'on entrait dans cette voie, il faudrait encore plutot considérer comme vendeur le juge qui préside les enchères et prononce l'adjudication, ce que pourtant l'on ne soutiendrait pas.
Ce qui est vrai pour l'officier public et même pour le juge présidant les enchères, c'est que si l'un ou l'autre avait manqué gravement aux devoirs de sa fonction et exposé l'adjudicataire à l'ignorance du danger de l'éviction, il pourrait être compté au nombre des personnes responsables, comme il est dit au dernier alinéa de notre article.
Il n'est donc pas possible de pousser bien loin l'assimilation de l'adjudication sur saisie à une vente volontaire.
251. Mais l'adjudicataire évincé aura payé son prix sans cause et il est juste qu'il le recouvre contre celui qui en a profité. Or, c'est, en première ligne, le débiteur saisi dont les dettes ont été éteintes par le prix, en tout ou en partie; mais, comme la saisie avait été amenée par son insolvabilité, il est vraisemblable qu'il sera encore insolvable au moment de l'action en répétition: dès lors, cette action peut être intentée contre les créanciers dans la mesure de ce qu'ils ont reçu. C'est en vain qu'ils allègueraient n'avoir reçu que ce qui leur était dû: il y a plusieurs cas de réception de l'indû, notamment celui où quelqu'un, étant vraiment créancier, reçoit de celui qui ne lui doit pas; or, c'est le cas de l'adjudicataire qui nous occupe.
252. A l'égard des dommages-intérêts, le texte indique trois personnes qui peuvent en être tenues, en tout ou en partie:
1° Le saisissant de mauvaise foi: saps chercher le principe de son obligation dans une prétendue qualité de vendeur qu'il n'a pas, il suffit qu'il ait commis la faute grave de saisir et faire vendre un bien qu'il savait ne pas appartenir à son débiteur. Cette faute est un dol, un véritable délit civil, une des sources ordi. naires d'obligations;
2° Le débiteur saisi: il est tonjours partie en cause dans la procédure de saisie et d'adjudication; il a l'occasion de s'expliquer au sujet des droits qu'il a ou qu'il n'a pas sur les choses saisies; s'il n'est pas propriétaire, son silence seul ne serait pas une faute suffisante pour engager sa responsabilité envers l'adjudicataire; mais si, requis de s'expliquer sur ses droits, il les a affirmés de mauvaise foi, ou a nié ceux d'un tiers, il a commis le méme délit civil que le saisissant; si enfin, sans avoir été mis en demeure de se prononcer, il a dissimulé les droits d'autrui, c'est encore un délit civil;
3° Les officiers publics participant à la procédure, spécialement à la rédaction du cahier des charges où doit être établie la propriété du débiteur saisi: si ces officiers ont commis une faute grave dans l'exercice de leur fonction et si cette faute a contribué à l'erreur de l'adjudicataire, il est juste et conforme au droit commun que leur responsabilité soit encourue.
La loi n'a pas besoin de rappeler ici la responsabilité du conservateur des registres de mutations qui aurait donné un certificat inexact des transcriptions antérieures: cette responsabilité est écrite, d'une façon générale, dans l'article 375.
Le Projet a cherché ainsi à prévenir les incertitudes qui règnent en France et dans plusieurs autres pays, au sujet de l'éviction que subit un adjudicataire sur saisie.
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(c) A la fin de la xve année de Meiji (1882), nous avons rédigé, à la demande du Ministre de la justice, un Projet de loi sur toutes les Saisies, en 145 articles, avec un Commentaire. Ce travail n'a été publié que dans la traduction japonaise (XVII° année).
On le destinait alors à faire partie du Code de procédure civile; mais nous ne prévoyons pas aujourd'hui quiel en sera le sort.
Au sujet de la saisie immobilière, il y est question du cahier des charges et de l'établissement de la propriété du débiteur saisi sur la chose mise en vente (art. 107 et 116). Les huissiers et les avoués n'existent pas au Japon et nous n'avons pas proposé de les y in. troduire, parce qu'ils contribueraient à l'augmentation des frais de justice: le rôle des huissiers est rempli dans notre Projet des saisies par des agents du greffe; le cahier des charges est rédigé par le greffier et les parties enchérissent elles-mêmes ou par man. dataire, avec des garanties.