Art. 756. — 363. La vente et l'échange ayant le même but et ne différant au fond que par le moyen de l'atteindre, c'est-à-dire par la nature de l'une des deux valeurs fournies respectivement, il est naturel que les deux contrats suivent, en principe, les mêmes règles générales. La loi n'a eu qu'à déterminer les exceptions; nous aurons à les justifier.
I. Indiquons d'abord, sans développements, sinon toutes les règles communes à ces deux contrats, au moins les principales:
1° L'échange se forme, comme la vente, par le seul consentement (voy. art. 662). Le Code français a cru devoir l'exprimer formellement (art. 1703) parce que, dans le droit romain, l'échange était au nombre des contrats dits réels, formés re, par la remise des deux choses ou au moins de l'une d'elles. Le nombre des contrats purement consensuels était alors limité à quatre (la vente, le louage, la société et le mandat); hors delà, il fallait pour qu'il y eût le lien civil d'un contrat, ou des paroles ou des écrits plus ou moins solennels, ou un acte d'exécution produisant pour une partie un enrichissement qui l'obligeât, soit à rendre ce qu'elle avait reçu, soit à fournir une contre-raleur (voy. T. II, (p. 42, nQ 38).
Depuis longtemps, toutes ces distinctions, plus subtiles que fondées en raison, ont été supprimées et le Code français aurait pu se borner, au sujet de la formation de l'échange, an renvoi général aux règles de la rente; c'est ce que fait le Projet.
2° La promesse d'échange suit les règles de la promesse de vente et comporte les mêmes distinctions ainsi que le dédit avec sacrifice des arrhes (v. art. 663 et suiv.);
3° Les frais de l'acte se partagent par moitié entre les deux parties (v. art. 353, 3° al. et 671). Le Code français met les frais de l'acte de vente en entier à la charge de l'acheteur (art. 1593); il ne dit rien des frais d'actes dans l'échange; mais il est bien impossible de ne pas les diviser également, puisqu'il n'y a ni vendeur ni acheteur ou qu'ils remplissent chacun les deux rôles;
4° Les incapacités d'acheter prononcées par la loi contre les mandataires et officiers publics chargés de la vente et contre les juges et officiers de justice à l'égard des biens ou droits susceptibles d'être l'objet d'un litige porté derant eux (v. art. 671 à 677) s'appliquent à l'échange, par identité de motifs; mais il n'en est pas de même de l'incapacité respective des époux: on justifiera plus loin cette sérieuse différence avec la vente;
5° De même que la vente de la chose d'autrui est mulle (v. art. 679), ainsi est nul l'échange de la chose d'autrui, soit que la propriété manque chez l'un des co-échangiste, soit qu'elle manque chez tous deux;
6° Les règles de la vente sur la perte fortuite de la chose ou sur les risques (v. art. 681), sur les soins dus à la chose par le vendeur et sur la délivrance elle-même (v. art. 683 et s.), étant déjà le droit commun des contrats onéreux (v. art. 353, 351, 355 et 439), sont évidemment applicables à l'échange;
7° Il faut appliquer à l'échange les règles de la vente relatives au déficit ou à l'excédant de contenance et à l'indemnité ou à la résiliation qui en résultent, ainsi que le délai de l'action pour les obtenir (art. 685 et suiv.);
8° La garantie d'éviction, conséquence de la nullité de la vente de la chose d'autrui (v. art. 693 et s.), s'applique à l'échange, pour ce qui n'est pas contraire à l'article précédent;
9° Comme on pent, contre tout objet reçu on promis, donner en échange une créance, des droits litigieux ou une hérédité, les règles relatives à la vente de ces objets s'appliqueront à l'échange, spécialement en ce qui concerne la garantie avec ses particularités (voy. art. 705 à 709).
364.-II. Au contraire, tout ce qui concerne les obligations de l'acheteur, se rapportant plus ou moins directement au payement d'un prix en argent, est sans application à l'échange (sauf lorsqu'il y a une soulte en argent, comme on l'a dit plus haut): les deux parties, en effet, peuvent être assimilées à des vendeurs, mais non à des achetew's.
Parmi les causes de destruction du contrat de vente, c'est-à-dire de résolution, de rescision ou de rédhibition, les uues s'appliquent à l'échange et les autres non.
S'appliquent à l'échange: la résolution pour inexécution des obligations par une partie, la rescision pour incapacité et pour rice de consentement, enfin la rédhibition pour vices cachés rendant la chose impropre à l'usage auquel elle est destinée.
Ne s'appliquent pas à l'échange: la prohibition de la vente entre époux, la résolution par l'effet d'une convention analogue à la faculté de rachat, ni la rescision pour lésion.
365. Il nous reste à justifier ces différences.
I. L'échange n'est pas, comme la vente, interdit entre époux.
La solution du Projet, à cet égard, est opposée à celle des interprètes du Code français. Comme ils expliquent la prohibition de la vente entre époux par un motif dont nous avons démontré le peu de fondement, à savoir la crainte d'avantages indirects, ils craignent le même danger dans le cas d'échange; mais nous avons établi plus haut, sous l'article 672 (voy. p. 214 à 216, n° 172 et 173), que la crainte de l'avantage indirect est si peu la cause de la prohibition, en France, de la vente entre époux que, dans les trois cas exceptionnels où cette prohibition cesse, la loi indique le correctif de ces avantages, s'ils se rencontrent (art. 1595, in fine); or, si, dans ce cas, il y a remède au mal, il n'y en aurait pas moins dans tous les autres cas.
Qu'est-ce, en effet, qu'une donation indirecte ? On l'a déjà dit, et il est bon d'y insister, c'est un avantage résultant des clauses et des effets d'une convention qui n'a ni le nom ni le caractère extérieur d'une donation; ainsi, une vente est faite volontairement pour un prix inférieur ou supérieur à la valeur véritable de la chose vendue: dans le premier cas, il y a donation indirecte du vendeur et, dans le second cas, de l'acheteur, pour toute la différence entre le prix fixé et la valeur véritable. Or, à moins que les donations entre époux ne soient défendues, d'une manière absolue, il n'y a pas de raison d'annuler ici la donation indirecte.
En France, les donations entre époux sont révocables à la volonté du donateur, comme garantie de sa liberté et de sa sincérité; elles sont aussi réductibles, à sa mort, si elles excèdent une certaine quotits des biens, seule disponible, qui varie avec la qualité et le nombre des héritiers qu'il laisse en mourant, et c'est ce droit de réduction que la loi française réserve aux héritiers dans l'article 1595 précité, pour les trois cas où la vente est permise.
Ce qui fait prohiber la vente dans tous les autres cas, c'est la crainte qu'elle ne serve à déguiser une donation: le prix serait fixé égal à la valeur réelle de la chose, mais il ne serait pas payé; cependant, le vendeur en donnerait quittance, dans l'acte ou par acte séparé et ainsi il serait, en réalité, donateur de toute la valeur de la chose; comme il semblerait vendeur, il serait privé du droit de révocation, car on ne révoque pas une vente, et ses héritiers ne pourraient exercer le droit de réduction, car on ne réduit pas les actes onéreux.
L'échange, au contraire, peut bien contenir un avantage indirect pour l'une des parties, mais il ne peut déguiser une donation. En effet, les valeurs fournies de part et d'autre peuvent être inégales en valeur, et celui des deux co-échangistes qui recevra moins qu'il ne donne pourra être considéré comme donateur de la différence; mais, cette différence étant facile à constater, la donation n'a rien de déguisé. Et ici, il n'y a pas à craindre, comme dans la vente, que la transmission de l'une des deux valeurs ne soit simulée, comme le payement d'un prix dont on donne une quittance mensongère.
Il n'y a donc aucune raison de défendre l'échange entre époux.
Pour qu'il n'y ait aucun doute, au Japon, sur la permission de l'échange entre époux, le Projet prend soin d'exclure ici une des règles de la vente. Cependant, comme il pourrait résulter un avantage indirect de l'inégalité des biens fournis respectivement en contreéchange, la loi réserre, comme en France et même dans une formule plus générale, l'obserration des règles des donations, non pour ce qui concerne leur forme qui, nécessairement, ne pourra étre exigée ici, mais pour le fond, c'est-à-dire pour les limites ou prohibitions qu'elles pourront recevoir entre époux et à l'égard desquelles rien n'est encore statué.
366.-II. On a vu que la rente peut être soumise à une résolution facultative de la part du vendeur, sous le nom de rachat ou réméré. C'est pour lni un moyen de recouvrer une chose dont il ne s'est séparé peut-être qu'à regret et par un besoin momentané d'argent.
Le Code français n'a pas dit qu'une pareille faculté de résolution n'existait pas dans l'échange, ce qui, vu la généralité du renvoi aux règles de la vente, tel qu'il est prononcé par l'article 1707, ferait croire à son application; mais nous n'hésitons pas à dire que, même en France, cette faculté ne doit pas exister dans l'échange et le Projet l'exprime formellement.
D'abord, parmi les règles de la vente il faut exclure, comme inapplicables à l'échange, toutes celles qui supposent nécessairement un prix en argent; or, la faculté de rachat est fondée sur le besoin d'argent: elle oblige à rendre le prix, et cette restitution n'est pas purement potestative, ce qui, sans en faire une condition prohibée, en restreindrait l'usage (v. art. 335), car il est souvent difficile de trouver de l'argent à époque fixe.
Au contraire, dans l'échange, si les deux parties ou l'une d'elles stipulaient la faculté de reprendre ce qu'elles ont donné, en rendant ce qu'elles ont reçu, les deux motifs de cette faculté manqueraient entièrement: 1° aucune partie n'a pu être contrainte d'échanger, elle n'a pu agir que par des motifs de convenance personnelle ou d'intérêt; 2' la restitution de ce qu'elle a reçu serait si facile qu'elle pourrait dépendre d'un caprice.
Toutefois, la loi ne va pas jusqu'à une prohibition absolue: la convention dont il s'agit vaudra entre les parties comme promesse réciproque d'un nouvel échange, d'un échange inverse du précédent qui remettra les choses aux mains des anciens propriétaires, par la volonté d'un seul et quand il l'exigera; mais elle ne sera opposable aux tiers qui auraient acquis des droits réels sur l'une des choses échangées que si cette faculté de résolution leur a été révélée par la transcription, comme il est dit pour la promesse de vente par l'article 664 auquel renvoie notre texte; cela rend moins considérable la différence avec le réméré qui n'est également opposable aux tiers que s'il est révélé par la transcription (voy. p. 365, n° 291 et p. 370, n° 295).
367.—III. On a vu que la vente peut être rescindée en faveur du vendeur, lorsqu'il s'agit d'un immeuble et que la lésion est pour lui de plus de moitié. Que le motif de la loi soit encore de protéger un vendeur obéré, ou de le relever contre une erreur présumée sur les qualités et la valeur de sa chose, ou d'enlever à l'acheteur un enrichissement indû, peu importe ici, car aucun de ces motifs ne se rencontrerait dans l'échange pour en autoriser la rescision: le premier motif manque évidemment, comme on l'a déjà fait remarquer; le second ne présente plus la même probabilité: un propriétaire peut avoir donné en échange une chose ayant une valeur vénale de la moitié en sus de celle qu'il a reçue, sans avoir commis aucune erreur: il est possible que la chose qu'il a acquise ait pour lui une valeur de convenance personnelle qui motive un pareil sacrifice et qui ne peut s'apprécier pécuniairement; il n'est pas rare, que pour réunir à sa propriété une parcelle voi. sine, on sacrifie une propriété plus considérable sans laquelle la partie contractante n'aurait pas abandonné la sienne; ou bien, c'est une propriété que l'on désire acquérir à tout prix, par des raisons de santé, de roisinage ou de spéculation. On ne pourrait donc jamais démontrer pleinement la lésion. C'est le même motif qui a fait refuser cette rescision à l'acheteur.
Enfin, on ne pourrait davantage arriver à la rescision d'un échange prétendu inégal par le motif d'enrichissement indû, lequel est, selon nous, le véritable fondement de la rescision de la vente pour lésion: dans l'échange, l'enrichissement de l'un des contractants n'est pas indû, du moment que l'autre a satisfait des intérêts particuliers ou des convenances personnelles qui échappent à l'estimation courante.