Art. 676. — 184. La sanction de la prohibition est toujours une action en nullité ou en rescision de la vente qui n'est pas radicalement nulle.
Cette action n'appartient pas à l'incapable, au cessionnaire, mais à ceux-là seuls que la loi a voulu portt-ger, c'cst-a-dirc au cédant et au cédé.
La loi s'explique formellement en faveur du cede. pour que son droit à l'action en nullité ne fasse pas doute, comme en France, où il peut récuser le juge cessi.onnaire (v. c. proc. civ., art. -378) et où cette faculté pourrait paraître une protection suffisante; mais dans la pensée de la loi, il est toujours à c'raiudre que tribunal ne suit in!iuence par le eessionnalrc, lors même que celui-ci est récusé ou n'est qu'un des auxiliaires de la j ustiee.
185. Outre l'action en nullité, la loi accorde au cédé une faculté spéciale dite " retrait litigieux."
L'expression de retrait était très usitée dans l'ancien droit français et s'appliquait à un genre d'actes j llrÍcliques alors fréquents, devenus rares aujourd'hui et peu favorables dans ce qui en subsiste.
On appelait " retrait " l'acte par lequel une personne prenait pour son compte l'acquisition d'un autre, en vertu d'un droit antérieur ou d'un privilége fondé sur sa qualité. C'est ainsi qu'on avait:
1° Le retrait féodal, par lequel le seigneur féodal prenait pour lui l'achat d'un bien vendu par son vassal;
2° Le retrait lignager, par lequel un héritier de la ligne paternelle ou maternelle se faisait subroger il, l'acheteur d'un immeuble aliéné par son auteur, lorsque l'immeuble était advenu audit auteur par succession à un parent de la même ligne: c'était un moyen de conserver les immeubles dans les mêmes familles.
Il y avait quatre autres retraits qui subsistent encore aujourd'hui en France:
1° Le retrait conventionnel ou faculté de rachat de la chose vendue: on le retrouve plus loin (art. 722 et s.);
2° Le retrait successoral, par lequel un des héritiers prend pour lui l'achat d'une part héréditaire vendue par son cohéritier à un étranger: le but est d'exclure du partage un étranger qui a pu vouloir s'immiscer dans les secrets d'une famille (v. c. civ. fr., art. 84));
3° Le retrait d'indivision, par lequel la femme mariée qui a été avec un tiers co-propriétaire indivise d'un bien dont le mari [t acquis la totalité, aux enchères ou à l'amiable, prend pour elle l'acquisition totale, en remboursant à son mari ce qu'il a payé, tant à elle qu'à son copropriétaire (ibid., art. ] 408): le but de ce retrait est 11e permettre à la femme de conserver un bien auquel elle pouvait être attachée et que son mari a pu acquérir au préjudice de celle-ci, en la dissuadant de l'acheter;
4° 11 y a enfin le retrait litigieux qui seul se place ici et doit nous occuper un instant.
La loi française, suivant une ancienne tradition romaine n'est pas favorable aux acheteurs de droits contestés ou litigieux, parce qu'ils spéculent sur la crainte des procès, se font céder, le plus souvent à vil prix, des droits sur lesquels il y a contestation et, courant le risque de perdre leur prix d'achat, poursuivent ensuite le procès pour leur compte, avec plus de rigueur que n'en aurait mis le cédant.
Pour déjouer ces calculs peu honorables, la loi française permet à celui contre lequel ont été cédés les droits prétendus, de désintéresser l'acheteur, en lui remboursant ce qu'il a payé, avec les intérêts, ce qui met fin à la contestation: par cela même que la cession est généralement faite à vil prix, le cédé peut ainsi être quitte à bon marché, et il préférera souvent ce léger sacrifice certain à un procès dont l'issue est aléatoire et peut être très onéreuse pour lui.
Tel est le retrait dit " litigieux " que la loi française permet d'une façon générale (sauf trois exceptions) contre toute personne qui s'est rendue cessionnaire de droit litigieux (voy. c. civ., art. 1699 à 1701).
On pourrait, avec quelque raison, critiquer la loi française de ce qu'elle permet d'infirmer, dans un intérêt privé, une convention consentie librement et sans fraude; il est vrai que l'intérêt public souffre de la multiplicité et de la durée des procès et que la loi peut raisonnablement prendre quelques mesures pour les prévenir ou les faire cesser; mais, quand un procès est né régulièrement, le changement d'intéressé n'est pas une raison suffisante pour faire intervenir l'autorité de la loi.
On ne proposera donc pas de reproduire dans le Projet japonais toute l'application que la loi française fait du retrait litigieux; on le conserve seulement dans le cas de notre article 676, parce qu'alors le cessionnaire est vraiment peu intéressant et fait une spéculation peu honorable; c'est même ici un acte prohibé, tandis que l'acquisition de droits litigieux par un simple particulier, si elle n'est pas favorable aux yeux de la loi, n'est pas du moins prohibée par elle.
Le Projet, n'admettant pas le retrait litigieux contre les particuliers cessionnaires de droits contestés, n'aura guère à s'occuper de cette cession; il en sera seulement fait mention pour dire que le cédant n'est pas soumis à la garantie d'existence des droits cédés (voy. art. 706.).
L'application du retrait litigieux aux acquisitions prévues par notre article n'est pas restreinte par les trois exceptions que porte l'article 1701 du Code français et que ne mentionne pas l'article 1597, correspondant au nôtre. Ces exceptions, écrites pour le cas de cession faite à un particulier et contre laquelle il n'y a pas de prohibition véritable, ne seraient plus justifiables s'il s'agissait de vente faite aux personnes que leurs fonctions rattachent plus ou moins directement à l'ordre judiciaire: elles se trouveraient toujours placées entre leur devoir et leur intérêt, ce que la loi n'a pas voulu (c).
Au surplus notre article diffère de trois manières de l'article 1597 du Code français: il s'applique à des droits simplement contesté..; entre les parties, tandis que le Code français les suppose litigieux, c'est-à-dire, d'après la de-finition de l'article 1700, objet d'un Il procl'x sur le fond du droit; " 2° il indique à qui appartient la nullité, o° il y ajoute la faculté de retrait, tandis que le Code français est muet sur la sanction de la prohibition.
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(c) Le Code italien n'a pas eu la même crainte; la prohibition qui nous occupe y reçoit les trois mêmes exceptions que le retrait litigieux, à savoir l'achat par iiii cohéritier ou copropriétaire, l'acquisition Cil dation en payement d'une dette, l'acquisition par le possesseur (comp. art. 1458 et 1548). Assurément, l'acheteur a ici une cause légitime d'acquérir qui éloigne le soupçon de spéculation; mais cela n'éloigne pas le danger de tentatives d'influences sur l'esprit des juges et de lutte entre l'intérêt et le devoir.