Art. 674. — 170. La loi doit toujours empêcher autant qu'il lui est possible, que l'homme se trouve placé entre son intérêt et son devoir. Quand la loi porte des ordres ou des injonctions pour faire prévaloir le devoir sur l'intérêt, elle n'est pas toujours sûre d'être strictement obéie; mais lorsqu'elle procède par prohibitions ou défenses, le résultat est plus facile à atteindre. C'est ce qui a lieu dans la défense d'acheter faite à certaines personnes.
Le Projet a cherché ici une forme plus simple et plus générale que celle du Code français; au lieu d'énumérer les tuteurs, les mandataires, les administrateurs des communes, etc., il pose une règle prohibitive pour tous " les mandataires ou administrateurs, légaux, judiciaires ou conventionnels."
Comme administrateurs légaux, on peut citer: les tuteurs des mineurs ou des interdits, le père, lorsqu'il gère les biens de ces enfants, même sans en être tuteur, le mari (déjà compris dans l'article 672), les ministres, préfets et maires, les administrateurs des douanes, postes, télégraphes, hospices, prisons, etc.
Le texte de notre article a cru devoir s'expliquer au sujet des officiers publics qui participent aux ventes publiques; cette prohibition s'applique surtout aux greffiers et à leurs commis, et au juge chargé de présider les enchères dans les ventes sur saisie: ce sont des mandataires légaux. Le Code français de Procédure civile a une pareille disposition (art. 711).
Comme administrateurs judiciaires, on compte les séquestres, les administrateurs de successions vacantes, les syndics de faillite.
Enfin, les administrateurs con\'entionncls, appelés plutôt mandataires; peuvent être généraux ou spéciaux.
A tons ces mandataires la loi défend de se rendre acquéreurs (les biens qu'ils sont chargés de vendre."
Etant charges, par la loi, par la justice on par le propriétaire, de vendre le bien (rantrm. leur devoir est de faire tout ce qui dépend d'eux légitimement pour que le prix de vente soit porte au chiffre le plus élevé possible; mais leur intérêt, s'ils pouvaient acquérir. serait que le prix fût le plus bas possible.
Pour éviter qu'ils ne manquent à leur devoir en faveur de leur intérêt, la loi leur défend d'acquérir.
180. Au premier al)ord, on ne comprend guère» comment la vente pourrait se faire, quand bien même elle ne serait pas prollibée: le tuteur, évidemment, ne pourrait se vendre à lui-même, signer le contrat comme vendeur et comme acl)eteur; pareille impossibilité semble exister pour les administrateurs judiciaires et conventionnels.
Voici pourtant une première application de la prohibition: le plus souvent, les biens des incapables et des administrations publiques doivent être vendus aux enchères publiques; on comprendrait donc que le tuteur ou les autres mandataires se portassent adjudicataires, comme tonte autre personne; mais la loi ne le permet pas, parce qu'il leur serait trop facile ne déprécier les biens, pour les acquérir à bas prix; rien n'est plus aise que de faire courir, dans le public qui pourrait acheter un bien, de faux bruits de nature à détourner les acheteurs, comme des dangers de procès au sujet de ces biens. On comprend donc la défense d'acquérir pour ces personnes, et la loi dit, en effet, qu'elles " ne peuvent acheter aux enchères," là où elles n'auraient pas d'ailleurs à signer le contrat comme vendeurs.
Voici encore une application de la prohibition: les autres gardiens des droits et intérêts des incapables ou des administrations publiques, le conseil de famille pour les uns, le conseil départemental ou municipal pour les autres, ne pourraient valablement, par une délibération, vendre "à l'amiable" à l'administrateur, lors même que l'on se trouverait dans des cas où une vente amiable peut être faite par ces conseils.
Il y a pourtant un cas où un mandataire mais seulement conventionnel, pourrait acquérir à l'amiable le bien qu'il a été chargé de vendre, c'est celui où il l'acheterait directement du mandant, en traitant avec lui; mais on comprend qu'alors le mandat aurait cesse: du moment que le mandant aurait lui-même passé le contrat à son mandataire, il aurait repris la gestion de son bien.
181. La loi défend l'acquisition par interposition de personnes, comme l'acquisition directe et nominative: il est clair que le danger est le même et plus grand encore, s'il est possible, puisqu'il y a simulation d'un acte licite.
La loi ne va pas jusqu'à présumer que certaines personnes sont interposées, comme le Code français le fait, non en cette matière, mais en matière de donation prohibées (art. 911 et)) 10). Ce sera donc une question de fait à résoudre par les tribunaux, d'après les circonstances. Assurément, il sera facile de reconnaître l'interposition de personnes quand l'acquéreur sera le père, le fils ou la femme de l'administrateur; mais cette complaisance pourra encore être établie, en dehors de la parenté ou de l'alliance.