Art. 672. — 171. La première incapacité est celle des époux.
Le Projet s'éloigne assez notablement ici du Code français, lequel prohibe aussi la vente entre époux (art. 1595), puis apporte à la prohibition trois prétendues exceptions qui, en réalité, s'appliquent à autre chose qu'à la vente, à la dation en payement (voy. cidessus, art. 482).
Or, il est singulier d'établir des exceptions à une prohibition qui n'est pas exprimée. On doit donc en conclure que la dation en payement est défendue aux époux, comme la vente, et que la prohibition de la vente reste absolue et sans exceptions, tandis que la dation en payement comporte trois exceptions.
Le Projet exprime formellement les deux prohibitions, celle de la vente et celle de la dation en payement; il n'admet pas d'exception à la première; mais, pour la seconde, l'exception, bien qu'unique en la forme, est plus large que les trois du Code français.
Nous avons à justifier les deux prohibitions et à préciser le caractère de l'exception à la seconde, en la justifiant également.
En France, l'explication des auteurs est, en général,entre époux.
Selon nous, la loi a craint les avantages déguisés qui pourraient se cacher sous l'apparence de ce contrat, éminemment onéreux de sa nature; ainsi, l'époux vendeur déclarerait, soit par l'acte de vente, soit par un acte postérieur, avoir reçu le prix qui, en réalité, ne lui aurait pas été payé; or, les avantages déguisés entre époux sont nuls, en vertu de l'article 1099, et cela est juste, parce que, grâce au déguisement, ils échapperaient à la réduction, en cas d'excès sur la portion dont les époux peuvent disposer l'un à l'égard de l'autre (art. 1094 et 1098); ils échapperaient aussi à la révocation toute particulière à la donation entre époux et que la loi permet au donateur de faire quand il lui plaît (art. 1096).
172. Les auteurs croient, en général, justifier la prohibition de la vente entre époux, en disant seulement que la loi a craint les avantages inuirects, consistant dans l'inégalité du prix par rapport à la valeur de la chose, soit en plus, soit en moins, le prix étant d'ailleurs supposé payé tel qu'il a été fixé.
S'il a été fixé inférieur à la valeur réelle de la chose, c'est le vendeur qui fait une donation indirecte; s'il a été fixé au-dessus de cette valeur, c'est lui qui est donataire indirect. Dans ces deux cas, la donation n'est pas déguisée, puisque rien n'est caché, rien n'est trompeur: on peut toujours comparer la valeur de la chose avec le prix de vente. Et, comine la donation n'est pas déguisée, elle pourra être révoquée par le donateur qui se fera rendre le prix pour ce qu'il a payé en trop, comme acheteur, ou compléter le prix pour ce qu'il a reçu en moins, comme vendeur. En outre, si elle excède la portion de biens disponible entre époux, elle pourra être réduite, sur la demande des héritiers (a).
Ce n'est évidemment pas cette donation indirecte que la loi a voulu éviter, en prohibant la vente entre époux, puisqu'on voit qu'elle ne présente aucun danger de fraude, au moins irrémédiable; ce qui prouve encore bien plus clairement que ce n'est pas là la crainte de la loi, c'est que, dans les trois cas exceptionnels où elle permet, sous le nom de vente, la dation en payement, elle réserve “le droit des héritiers, s'il y a avantage indirect.” Et, en effet, la dation en payement, dans les cas où elle est permise, peut cependant présenter une inégalité manifeste entre la valeur de la chose donnée en payement et le montant de la dette qu'on a voulu éteindre.
On attribue généralement encore, un autre motif à la prohibition de la vente entre époux, c'est la crainte que celui des conjoints qui serait grevé de dettes au delà de son avoir ne se serve de ce contrat pour mettre ses biens à l'abri de la saisie de ses créanciers: ce serait alors une vente simulée dont il ne recevrait pas le prix, sauf à se faire donner par son conjoint une reconnaissance que le bien reste sa propriété. Il pourrait même arriver qu'avant de s'endetter l'époux aliénat son bien à son conjoint, et empruntât à des tiers avant que la mutation de propriété fût connue.
Sans doute, une pareille fraude ne serait pas invraisemblable, mais elle ne serait pas dénuée de sanction: on a vu dans les articles 360 et suivants du Projet (art. 1167 du Code franç.) que les créanciers peuvent attaquer les actes faits en fraude de leurs droits et qu'ils ont à cet égard une action dite “révocatoire.” C'est déjà un système législatif bien rigoureux que celui qui, pour prévenir une fraude possible, commence par prohiber l'acte qui, eu égard à la qualité des personnes, peut la favoriser davantage; encore faudrait-il que ce sonpçon de fraude ne pût être démenti par les faits; or, il y aurait de nombreux cas de vente entre époux d'une solvabilité parfaite et ne donnant aucun lieu à ce soupçon de fraude vis-à-vis des créanciers.
Nous ne donnerons pas de la prohibition de la vente entre époux un troisième motif qui serait la crainte de l'influence qu'un époux peut exercer sur l'autre, laquelle lui ôterait la liberté de refuser le contrat proposé.
Nous ne croyons pas que ce motif soit entré dans les vues du législateur français. Si cette influence était tellement à craindre, ce n'est pas seulement la vente qui devrait être défendue entre époux, et la dation en payement qui y ressemble, ce seraient encore le prêt, l'échange, la société, le louage, et surtout la donation; or, cette prohibition générale des contrats entre époux n'existe pas en droit français et nous ne proposerions pas non plus de l'établir au Japon.
173. Reconnaissons donc que c'est la donation déguisée sous forme de vente, avec quittance mensongère du prix, qui justifie le mieux, dans la loi française, la disposition prohibitive de la vente entre époux, et que c'est cette fraude, toujours possible et toujours difficile à découvrir, qu'elle a voulu prévenir par une prohibition qui est absolue et sans exception.
Ce motif ayant au Japon la même force qu'en France, la prohibition de la vente y sera absolue aussi: elle s'appliquera aux meubles comme aux immeubles et elle ne comportera pas d'exception.
La seule exception qu'on aurait pu admettre eût été le cas où les époux, se trouvant dans l'indivision, auraient voulu en sortir, l'un cédant sa part à l'autre. Mais il y aurait toujours eu à craindre que le prix de cette part ne fût pas réellement payé et qu'il n'y eût ainsi donation déguisée et faite en fraude de la loi qui restreint des donations entre époux.
La loi n'excepte pas non plus les ventes faites aux enchères publiques, sur saisie ou autres, où l'un des époux se porterait adjudicataire des biens de l'autre, comme plus offrant et dernier enchérisseur: il y aurait toujours à craindre que l'adjudicataire ne payât pas réellement le prix d'adjudication et pourtant en reçût quittance.
174. Arrivons à la dation en payement (datio in solutum), également prohibée entre époux et pour les mêmes motifs que la vente.
La dation en payement n'est pas une vente, parce qu'il n'y a pas de prix fixé et dû en argent: celui qui aliène peut être, il est vrai, débiteur d'une somme d'argent, mais il peut l'être aussi de toute autre valeur, peut-être même son obligation est-elle de faire ou de ne pas faire, et il doit trouver sa libération totale ou partielle comme prix de son aliénation.
Le danger de la dation en payement est à peu près le même que celui de la vente proprement dite; la fraude y prendrait une autre forme, mais elle ne serait pas beaucoup plus difficile à consommer, ni plus facile à déjouer: au lieu de donner une quittance mensongère d'un prix qu'il ne recevrait pas, celui qui voudrait aliéner se reconnaîtrait préalablement débiteur d'une dette imaginaire, et la libération fictive ou simulée de cette dette serait la fraude que la loi redoute.
Le Code français n'a permis la dation en payement entre époux que dans trois cas, où il a reconnu que la dette qu'il s'agissait d'éteindre, par la dation d'un meuble ou d'un immeuble, était sincère, avait “une cause légitime.” Il aurait pu se borner à cette condition de la légitimité de la dette et ne pas en enfermer l'application dans trois cas qui peuvent n'être pas les seuls à se présenter.
C'est ce que fait le Projet japonais: il permet la dation en payement chaque fois que “la dette est sincère et légitime."
175. Mais comme il serait encore facile aux époux de feindre une dette antérieure, par exemple un prêt qui n'aurait jamais eu lieu, la loi veut que le contrat soit soumis à l'approbation, à l'homologation du tribunal. C'est un cas de justice gracieuse ou non contentieuse: il n'y a pas procès, les époux présentent une requête au tribunal, avec justification, tant des causes de la dette que de celles de la dation en payement, et le tribunal autorise le contrat ou refuse de l'approuver.
Il y a dans le Code français des exemples de cette intervention du tribunal dans les contrats intéressant les mineurs, les interdits et les époux (v. art. 458, 484, 599, 1558 et 1559); le Projet fait moins ici une innovation qu'une application nouvelle de cette théorie.
Avec l'intervention du tribunal, un grand nombre de fraudes seront évitées: l'autorisation de vente ne sera accordée que s'il paraît bien évident au tribunal que la dette n'est pas simulée, qu'elle existe légitimement et sincèrement; telle serait, par exemple, une dette dont un époux serait tenu envers l'autre, comme héritier du débiteur de celui-ci.
La loi ne dit pas quelle sera la forme de cette requête: elle devra évidemment être signée par les deux époux. Il sera bon qu'elle soit communiquée au ministère public qui contrôlera les allégations des parties.
Le Code de procédure civile règlera les formes de la juridiction gracieuse.
L'autorisation une fois donnée ne pourrait plus être rétractée, le contrat étant devenu définitif.
La loi nous dit que la dation en payement n'est par faite qu'après l'autorisation; il en faut conclure que jusque-là chacun des époux peut renoncer au projet de contrat et sans aucune indemnité, sans perdre d'arrhes, lors même qu'il en aurait été donné.
Enfin, l'autorisation ou homologation étant une des conditions essentielles de l'acte, elle devra être mentionnée dans la transcription, s'il s'agit d'un droit réel immobilier. La loi pourrait se dispenser de rappeler cette application d'une théorie générale, mais son importance justifie ce surcroît de précautions.
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(a) La portion disponible ne se calculant que d'après les biens laissés par le donateur, à son décès, ce sont ses héritiers seuls qui peuvent demander la réduction. Quant au donateur lui-même, la révocation entière et absolument facultative lui appartient, comme il est dit plus haut.