Art. 666. — 157. Le Code civil français (art. 1590) paraît n'avoir rattaché la théorie des arrhes qu'à la promesse de vente et il semble que c'était, en effet, le seul système rationnel; mais comme ce Code n'a parlé que de la promesse réciproque de vendre et d'acheter et qu'il a dit que cette promesse “vaut vente”, les auteurs et les tribunaux sont portés à étendre cette théorie des arrhes à la vente pure et simple ou actuelle et parfaite, ce qui paraît contraire à l'esprit de la loi et à la nature de la vente une fois qu'elle est parfaite.
Que sont les arrhes, en effet ? On les trouve déjà dans les législations grecque et romaine comme un moyen de se dédire de la vente, par le sacrifice d'une somme ou valeur déposée par une partie à l'autre en garantie de son engagement.
Mais il n'y a pas lieu de croire que ce dédit fût possible lorsque la vente était parfaite, c'est-à-dire formée par l'échange définitif des consentements: les arrhes n'intervenaient que dans le cas où les parties avaient subordonné la perfection de la vente à la rédaction d'un écrit, ce qui était un cas analogue à celui que nous appelons aujourd'hui “ promesse de vente.” Dans ce cas, comme il eût été facile à l'une ou à l'autre des parties de se refuser à la rédaction ou à la signature de l'écrit, il était utile que chacune se liât par le dépôt, aux mains de l'adversaire ou d'un tiers, d'une somme ou valeur dont la perte était la peine de son dédit. C'est ainsi que l'Empereur Justinien, que nous citons volontiers au Japon, comme on le cite encore en Europe, a présenté le rôle et l'utilité des arrhes, dans la modification qu'il a apportée à la formation de la vente et que nous avons rapportée plus haut (p. 191, n° 151).
Nous sommes porté à croire que les rédacteurs du Code français n'ont pas entendu exprimer une autre idée dans l'article 1590; car, s'il s'agissait d'une vente immédiatement parfaite, on ne voit pas pourquoi il serait permis à l'une des parties de s'en départir, sans le consentement de l'autre, même en faisant un sacrifice.
On objecte qu'alors la dation d'arrhes dans une telle vente, ne s'expliquerait plus, si elle n'avait le caractère de moyen et de peine du dédit.
Mais l'objection n'a de valeur que pour les arrhes qu'aurait données le vendeur, car si elles ont été données par l'acheteur, il est naturel de croire que c'est comme à-compte ou avance sur le prix.
Mais, objecte-t-on encore, si les arrhes données par l'acheteur ne consistent pas en argent, mais en objets mobiliers quelconques, on n'y peut pas plus voir une avance sur le prix que dans celles données en argent par le vendeur.
On pourrait répondre que le cas sera bien rare où, dans une vente déjà parfaite, le vendeur donnera des arrhes quelconques et l'acheteur des arrhes ne consistant pas en argent; si pourtant le cas se présentait, il serait encore possible d'expliquer les arrhes, surtout dans une vente mobilière, par la circonstance que les contractants ne se connaîtraient pas et qu'alors, sans impliquer le droit de se dédire, les arrhes seraient au moins une indemnité pour celui qui ne pourrait, en fait, contraindre l'autre à l'exécution,
On pourrait encore, dans ces cas extraordinaires, expliquer les arrhes comme un gage de prompte et fidèle exécution du contrat, comme un moyen de contrainte résultant pour une partie de la privation d'un objet utile ou nécessaire qui ne pourra être recouvré par elle qu'après l'exécution.
Du reste, la loi française ne se prête guère non plus au système qui limite aux promesses de vente le dédit avec perte des arrhes, puisque, dans cette loi, “la promesse de vente vaut vente”; ou bien alors il faut entendre cette expression dans le sens adopté ici: la promesse de vente ne se résoudra pas en dommagesintérêts et produira, par jugement, tous les effets d'une vente directe (f).
Quoi qu'il en soit, de la portée de la loi même et du bien ou mal fondé de la doctrine et de la jurisprudence françaises, en cette matière, et sans rapporter ici les distinctions qui ont été proposées pour donner aux arrhes le caractère de dédit, même dans la vente parfaite, le Projet fera, dans l'article suivant, une part suffisamment large à ce dédit, tout en le présentant comme exceptionnel.
158. Revenons, avec notre article 666, aux cas où les arrhes sont, de plein droit et par l'accord tacite des parties, un moyen de dédit, parce que la vente n'est pas encore parfaite. Ces cas sont au nombre de deux: 1° celui où les parties, bien qu'ayant conclu la vente, activement et passivement, c'est-à-dire réciproquement, en ont subordonné la perfection à la rédaction d'un écrit, pour en assurer la preuve; 2° celui où il n'y a eu que promesse de vente, soit unilatérale de vendre ou d'acheter, soit bilatérale ou réciproque de vendre et d'acheter.
Dans les deux cas, la vente étant encore imparfaite, il ne peut être question de voir dans les arrhes un àcompte sur le prix, même quand elles sont données par l'acheteur: ce serait admettre, contre toute raison, un commencement d'exécution anticipée; elles ne peuvent, dès lors, avoir qu'un but raisonnable: permettre le désistement et punir de leur perte celui qui refusera de parfaire le contrat, dans le premier cas, ou de le passer, dans le second cas, c'est-à-dire de vendre ou d'acheter, comme il l'avait promis.
Comme l'explication du second cas facilitera celle du premier, c'est par elle que nous commencerons.
Si la promesse est unilatérale, soit de vendre, soit d'acheter, le promettant seul donne des arrhes: lui seul encore étant lié, doit, seul aussi, être punissable de se délier. Dans ce cas, la théorie des arrhes est fort simple: si le promettant ne remplit pas sa promesse, il ne recouvre pas ce qu'il a donné; s'il la remplit, les arrhes lui sont rendues. C'est alors seulement qu'on peut dire que les arrhes non perdues sont "un à-compte sur le prix,” ou plutôt, se trouvent l'avoir été par l'événement; mais encore faut-il qu'elles aient consisté en argent.
Si la promesse est réciproque, il est bon qu'il soit donné des arrhes des deux côtés, surtout si elles ne consistent pas eu objets de nature identique; alors, celle des deux parties qui se dédit rend ce qu'elle a reçu et perd ce qu'elle a donné. Mais, si une seule des parties a fourni des arrhes, ce qui n'implique pas que l'autre ait été privée du droit de se dédire, la première est punie de son dédit en perdant ce qu'elle a donné et l'autre est punie du sien en rendant ce qu'elle a reçu et en y ajoutant pareille valeur, ce que la loi appelle “ rendre le double de ce qu'elle a reçu.” Dans cette dernière hypothèse, il n'y aura pas de difficulté si les arrhes reçues ont consiste en argent: il est facile d'en doubler la somme; mais, si elles ont consiste en un objet mobilier qui n'a pas une valeur courante, il faudra en faire l'estimation pour l'ajouter à la restitution en nature.
C'est la solution de cette dernière hypothèse qui s'appliquera au premier cas réservé plus haut, à celui d'une vente conclue des deux côtés, mais dont la perfection a été subordonnée à la rédaction d'un écrit: les deux parties sont liées, autant et plus même que dans la promesse réciproque de vendre et d'acheter, les arrhes y joueront donc le même rôle.
L'article 666 a bien soin d'exprimer les deux cas: “refus de passer le contrat ou refus de le rédiger."
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(f) Le Code italien a traité des arrhes dans les Conventions en général (art. 1217) en non dans la Vente: il leur donne, en principe, le caractère de “ garantie d'exécution” ou de clause pénale, mais celui de moyen de dédit peut aussi en résulter.