Art. 662. — 148. 13e tout temps, et en tous pays sans doute, la vente, à cause de sa nécessité déjà signalée, a été dispensée de formalités gênantes. Les Romains mêmes, dont la législation était très formaliste, se sont contentés, pour la vente, du simple consentement des parties. Ce consentement, il est vrai, ne transférait pas la propriété: il n'était que productif de l'obligation de livrer, d'une part, et de payer le prix d'autre part: mais c'était déjà favoriser beaucoup ce contrat que de le dispenser des paroles plus ou moins solennelles, requises, au contraire, pour la stipulation ou contrat unilatéral, pour le cautionnement, pour la constitution de dot, etc.
Une des causes qui avaient fait affranchir le contrat de vente de toute solennité était le besoin de le rendre possible entre les citoyens romains et les étrangers; d'où son nom de " contrat de droit des gens," comme était aussi le louage, la société, le prêt, etc.
Il va de soi que, dans les temps modernes, on ne pouvait songer à entraver la vente par des formalités.
149. Mais si la vente est formée par le seul consentement, " parfaite;" comme dit le texte, en employant l'expression française, il y aura la difficulté de la preuve.
En France, la preuve testimoniale est limitée dans son application: elle n'est admise, en principe, que pour une somme ou valeur de 150 francs ou au-dessous; il est donc presque toujours de l'intérêt des parties de dresser un acte écrit constatant la convention. Il n'est pas nécessaire de recourir à un acte notarié, à moins que les parties ou l'une d'elles ne puissent pas même " approuver l'écriture " et signer leur nom. Si l'on dresse un acte sous seing privé, il doit être rédigé en double ou en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct (art. 1:120; cOl-np. Proj., art. 1341).
Bien que l'on ait adopté au Japon des dispositions un peu plus favorables fi, la preuve testimoniale (art. 1396), il sera tout aussi utile de dresser un acte écrit pour constater les ventes de quelque importance (au-dessus de 50 yens); même au-dessous de cette valeur, il sera encore sage de dresser iiii écrit, parce que le témoignage des hommes manque bien souvent de précision, la mémoire est fugitive, surtout lorsqu'il s'agit des affaires d'autrui, et les difficultés qui ne peuvent se résoudre que par la preuve testimoniale donnent lieu à des procès longs et coûteux qu'on évitera, le plus souvent, en dressant un écrit: on peut toujours rédiger un écrit clairement et il serait téméraire de plaider contre un écrit, lorsqu'il n'est pas équivoque.
Le Projet n'a pas imposé aux parties l'obligation de dresser un acte écrit de la vente, dans tous les cnfi, mais il y a lieu de croire que, par leur volonté et d'après leur intérêt, ce sera le plus fréquent.
D'abord, quand il s'agira d'immeuble, il y aura pour l'acheteur un intérêt majeur a faire dresser un acte de vente, afin de pouvoir le présenter u la transcription: autrement, il ne pourrait se prévaloir de son droit contre les ayant-cause de son vendeur qui auraient traité postérieurement à lui, au sujet du même bien, et auraient publié leur acquisition (dd).
150. Pour les mêmes biens et pour toutes autres choses d'une valeur sérieuse, les parties ont un intérêt si manifeste à la rédaction d'un écrit comme instrument de preuve que souvent il est exprimé par elles que, bien que le consentement soit donné de part et d'autre et l'accord établi sur tous les points, chacun des contractants cependant ne sera lié définitivement qu'après avoir mis sa signature au pied d'un acte écrit, et l'on voit même souvent, à cette occasion, naître des dissentiments, lorsqu'il s'agit de préciser par écrit certaines clauses qui n'avaient pas été l'objet d'une attention suffisante; il en pourra résulter une rupture de la convention, ou bien on la refera sur d'autres bases; mais si l'on n'avait pas dressé d'acte, ces clauses, restées incertaines, fussent devenues la matière d'un procès ultérieur, ce qui eût été un plus grand mal qu'un contrat abandonné.
151. Chez les Romains où le contrat de vente était, avons-nous dit, aussi certainement consensuel que dans le Code français et dans le Projet japonais, rien n'était plus fréquent que cette subordination de la perfection du contrat à la rédaction d'un écrit. L'Empereur Justinien établit même, à cet égard, une présomption légale d'après laquelle on devait considérer comme conditionnelle toute vente que les parties avaient entendu rédiger par écrit, pour la preuve. Le contrat, du reste, ne changeait pas de nature et n'entrait pris pour cela dans la classe des contrats dits littéraux ou formés par écrit: la rédaction de l'acte de vente n'était qu'une condition à remplir à laquelle le contrat était subordonne, comme il aurait pu l'être à toute autre. sans cesser d'être consensuel.
Notre texte présume également cette volonté des parties, de retarder leur consentement définitif à la vente jusqu'à la rédaction d'un écrit probatoire, au moins dans les cas où la preuve testimoniale n'est pas admise. Il n'exige pas que les parties aient formellement exprimé cette volonté: puisqu'il ne s'agit encore que d'une convention verbale, on ne pourrait raisonnablement exiger une déclaration expresse qui ne pourrait se prouver elle-même que par témoins; c'est donc par une présomption légale de l'intention des parties que le double original est une condition de la vente.
Le Code français, entièrement muet sur ce point, ne lparaît pas se prêter à l'admission d'une présomption égale d'après laquelle la vente serait, dans certains cas, subordonnée tacitement à la rédaction d'un écrit; mais il laisse place, par son silence même, à une interprétation judiciaire de l'intention des parties en ce sens. On peut d'ailleurs retrouver quelque chose d'une présomption légale d'intention dans la nécessité du double original (voy. art. 1325) et l'on s'y arrêtera [ln Livre V du présent Projet ou la même nécessité sera reconnue (v. art. 1342) (1).
La condition de rédiger un acte de vente est de sa nature, potestative pour l'une et l'autre; chacune d'elles peut donc, en refusant de signer, renoncer au contrat et s'en départir, et cela valablement et " Impunément " (comme disait encore Justinien), à moins qu'il ne soit intervenu une dation d'arrhes, comme garantie de la promesse etcomme peine du dédit.
On va retrouver bientôt, sous l'article G66, ce caractère et cet effet des arrhes.
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(dd) Dans le cas de vente verbale, la transcription ne pourrait se faire que d'un acte récognitif on d'un jugement déclarant l'existence de la vente (v. art. 36R.3°),
(1) Dans la, précédente édition, il n'y avait pas de piésomption légale à cet égard: l'intention des parties était laissée IL l'appréciation des tribunaux; mais arrive à la matière des Preuves, nous avons dÎt attribuer il 1:1. nécessité du double original son véritable caractère de présomption de volonté des parties (v. art. 1342); dès lors, la vente qui est le contrat svnallagmatiqne par excellence devait être soumise à 1:1. même présomption.
Notre article cessera toutefois de s'appliquer, lorsque l'une des parties aura exécuté immédiatement son ohligation (v. art. 1342, 2c al.).