Art. 693. — N° 224. La seconde obligation du vendeur, celle de garantir l'acheteur de tous troubles et évictions, a reçu dans toutes les législations, depuis celle des Romains, des développements assez étendus, à carse des nombreuses distinctions qu'elle comporte.
Déjà, dans la matière des Obligations en général, on a parlé de la Garantie due dans les divers contrats (art. 415 à 420), ce qui est une innovation, car les autres lois civiles ne traitent guère de la garantie qu'au sujet de la vente et ce sont la doctrine et la jurisprudence qui, par voie d'analogie, en étendent les règles aux divers contrats.
Nous pourrions nous référer seulement aux règles générales de la garantie et insister seulement, avec le texte, tant sur les particularités qu'elle présente en matière de vente que sur ses principales applications. Mais, à cause de l'extrême importance de la matière, nous croyons devoir rappeler les principales de ces règles:
1° Celui qui a cédé ou prétendu céder des droits, comme lui appartenant, doit en assurer la jouissance et l'exercice contre les prétentions des tiers qui sontiendraient avoir des droits antérieurs incompatibles avec ceux qui ont été cédés; si cette première obligation ne peut être remplic, parce que les prétentions des tiers sont justifiées, le cédant doit indemniser son cessionnaire du préjudice qu'il éprouve (v. art. 415). En une forme abrégée, garantir d'an danger ou d'un dommage, c'est faire tout ce qui est possible pour le prévenir et, subsidiairement, pour le réparer.
2° L'obligation de garantie est légale ou naturelle dans les contrats à titre onéreux, c'est-à-dire qu'elle y a lieu de plein droit ou sans stipulation. Elle est conventionnelle ou accidentelle dans les actes à titre gratuit, c'est-à-dire qu'elle n'y a lieu qu'autant qu'elle a été stipulée (soy, art. 416, 1er al.).
3° Dans tous les contrats, soit onéreux, soit gratuits, on peut, par des conventions particulières, régler d'avance les effets de la garantie: on peut les étendre ou les modérer, on peut même les exclure entièrement; mais on ne peut affranchir le cédant de la garantie des dommages qui résulteraient de son fait personnel, soit postérieur au contrat, soit même antérieur (v. art. 416, 2e al); cette garantie est dite essentielle.
4° La bonne ou la mauvaise foi de l'une ou de l'autre partie influe sur le mode de règlement de l'indemnité, conformément au droit commun (v. art. 405).
225. La vente étant un contrat onéreux, la garantie y est due de plein droit.
Comme elle a pour objet de transférer la propriété ou un de ses démembrements, la garantie est due si la propriété ou le droit réel cédé appartenait antérieurement à un tiers.
Lorsque le tiers a justifié de son droit en justice et dépossédé l'acheteur, on dit qu'il y a ériction de celui-ci, on dit qu'il est érincé, c'est-à-dire (d'après l'étymologie latine) qu'il est vaincu et mis dehors, de là le nom de garantie d'ériction spécialement employé dans la vente.
La garantie d'éviction suppose donc qu'il y a eu vente de la chose d'autrui.
Mais la vente de la chose d'autrui est nulle (art. 679). On peut dès lors s'étonner qu'une vente nulle produise une obligation, surtout une obligation aussi étendue que celle de la garantie.
L'objection ne se présentait pas en droit romain, ni dans l'ancien droit français, où la vente de la chose d'autrui n'était pas nulle: elle obligeait justement à livrer et à garantir de tout trouble et éviction.
Mais depuis que la vente doit transférer la propriété (ou un de ses démembrements) et depuis qu'elle est radicalement nulle, faute de cause, lorsqu'elle n'a pu produire cet effet, on peut s'étonner qu'elle soit productive d'obligation.
La vérité est que l'obligation de garantie, dans ce cas, ne naît pas de la vente, mais de la faute commise par le vendeur; elle naît du dommage injuste qu'il a causé (délit civil ou quasi-délit, suivant qu'il a été de mauvaise foi ou de bonne foi), et c'est par l'effet d'une ancienne habitude de langage qu'on dit que l'obligation de garantie est née de la vente; elle est née de l'acte que les parties ont qualifié “vente” et auquel la loi elle-même ne peut guère donner un autre nom.
226. Il est possible que les rédacteurs du Code français ne se soient pas complètement rendu compte des conséquences du profond changement qu'ils apportaient à la théorie ancienne de la vente; mais le Projet japonais, adoptant en connaissance de cause le principe nouveau, très-rationnel d'ailleurs, doit en accepter aussi et en déduire les conséquences logiques.
La première de ces couséquences est proclamée par notre article 693: l'acheteur n'est pas obligé d'attendre que le vrai propriétaire l'ait évincé, ni même menacé d'éviction, pour agir contre son vendeur en déclaration, de la nullité de la vente et en garantie: il peut le faire dès qu'il est en mesure de prouver que la chose vendue appartenait à autrui, et c'est là une différence radicale avec l'ancien système, où l'acheteur n'aurait pas pu agir en garantie, surtout contre un vendeur de bonne foi, avant d'être troublé dans sa possession.
Il le peut, lors mêine qu'il aurait connu à l'origine cette cause de nullité de la vente et lors même que le vendeur l'aurait ignorée. Cette double circonstance le rend pourtant moins digne d'intérêt, en même temps que le vendeur l'est davantage; elle aura certainement une grande influence sur le règlement des diverses indemnités qui forment l'objet de la garantie; mais, comme il y a ici une question d'existence du contrat ou de nullité radicale, faute de cause, la mauvaise foi de l'acheteur n'empêche pas que la cause marque et la bonne foi du vendeur ne peut pas la suppléer.