Art. 621. — 51. On a établi, ci-dessus (pp. 11 et 13, n°8 6 et 10) que les poissons des étangs privés ne sont pas sans maître, comme ceux des rivières et de la mer, qu'ils ne peuvent donc être acquis par la pêche, sans le consentement du propriétaire de l'étang et, de même, que les pigeons vivant dans des colombiers construits et entretenus à leur intention ne sont pas des oiseaux sauvages, que dès lors, il n'est pas permis de les chasser, même quand ils sont hors du colombier et chez le voisin, si d'ailleurs le voisin en connaît la provenance ou le caractère (l).
Mais les uns et les autres, les pigeons surtout, ayant une certaine liberté, peuvent quelquefois passer dans nn étang ou dans un colombier voisin, ce qu'on appelle migration. Pour les poissons, ce sera plus rare, parce que les étangs, même voisins, sont généralement séparés avec soin; mais il peut y avoir une rupture des cloisons, ou un débordement des eaux.
52. Lorsque la migration de ces animaux a eu lieu, la propriété en est acquise à celui chez lequel ils sont parvenus, mais à deux conditions: la première c'est que celui-ci n'ait pratiqué aucune ruse ou artifice, pour les faire pénétrer chez lui, encore moins une sonstraction, auxquels cas, il serait toujours exposé à la revendication et aux dommages-intérêts; la seconde, c'est que la revendication soit exercée dans la semaine.
Les sept jours doivent se compter non depuis le départ des animaux, mais depuis leur entrée chez le voisin, ce qui a de l'intérêt pour les pigeons qui peuvent avoir erré pendant quelques jours dans le voisi. nage sans se fixer. Si donc les pigeons s'étaient arrêtés plus d'une semaine sur un fonds, sans s'y fixer dans un colombier ou dans une partie de bâtiment pouvant leur servir de refuge, la revendication pourrait encore s'exercer, parce que le voisin ne les possèderait pas encore, à proprement parler.
Dans tous les cas, il va de soi (et d'ailleurs le texte a soin de l'exprimer) que le revendiquant doit justifier de son droit, c'est-à-dire de l'identité des animaux qu'il réclame: ce sera plus difficile pour les poissons, moins pour les pigeons qui peuvent être d'une espèce et d'un plumage différents de ceux du voisin. La réclamation sera encore plus facile, si le voisin n'avait pas luimême de pigeons dans son colombier ou sous ses toits au moment de l'émigration de ceux dont il s'agit.
Le cas des poissons présentera, pratiquement, plus de difficultés, non seulement au sujet de la reconnaissance d'identité, mais encore sur le point de savoir si le revendiquant pourrait faire vider l'étang du voisin pour reprendre ses poissons. Il faudra généralement lui refuser ce droit qui serait gênant et même préjudi. ciable pour le voisin. Mais si celui-ci était convaincu d'avoir pratiqué une fraude pour faire entrer les poissons dans son étang, le revendiquant obtiendrait aisément que l'étang fût vidé, pour la facilité des recherches et de la reprise des poissons détournés.
53. Les Codes français et italien (art. cités) ont une disposition plus simple, mais qui paraît moins juste: la propriété des poissons et pigeons est acquise immé. diatement au voisin chez lequel les animaux sont passés spontanément; par conséquent, aucun délai n'est donné pour la revendication.
On ne propose pas d'adopter cette disposition: il n'est pas juste que l'un des voisins profite d'un accident qui arrive à l'autre: ces animaux ne sont pas sauvages, aux yeux de la loi elle-même, puisqu'elle ne permet pas de les attirer par fraude ou artifice; la loi ne permet pas non plus de les retenir par force ou par ruse. Or, si la loi entend faire dépendre le droit nouveau du voisin d'une sorte de volonté des animaux, au moins de leur attache au fonds qu'ils ont choisi, il est naturel d'attendre un certain temps. Le délai d'une semaine, d'ailleurs assez court, a encore une double raison d'être: il indique chez le propriétaire des animaux une sorte d'abandon ou d'indifférence et, en même temps, il constitue pour le voisin une possession digne d'égards.
54. Les Codes précités ont une semblable disposition pour les lapins de garenne. Le Projet ne s'occupe pas de cette sorte d'animaux, d'abord parce qu'ils sont presque inconnus au Japon, ensuite, parce qu'ils sont vraiment sauvages et susceptibles d'appartenir au premier occupant. Il faudrait donc décider que si des lapins de garenne passaient d'un fonds sur un autre, ils appartiendraient de suite au voisin, et cela, lors même qu'il les aurait attirés par fraude; cette fraude d'ailleurs sera rare, car ces animaux sont très destructeurs et font le désespoir des cultivateurs dans les pays où ils sont nombreux.
Les deux Codes précités paraissent donner une solution tout-à-fait impraticable: au cas de fraude ou artifice, ils entendent évidemment permettre la revendication des lapins de garenne; or, ces animaux font des terriers, des galeries souterraines, étendues, entrecroisées, dont les entrées et les issues sont cachées dans les broussailles: la revendication dans ces conditions serait une mauvaise plaisanterie.
55. Le 2e alinéa de notre article donne au sujet des abeilles une solution analogue, mais un peu différente.
Le Code français a négligé d'en traiter; mais une loi antérieure sur la police rurale (du 28 sept. 1791), encore en vigueur, autorise le propriétaire de l'essaim qui s'est échappé à le suivre sur le fonds d'autrui, sans limite de temps (ce qui ne peut toujours être bien long) et à charge de réparer le dommage, s'il en canse,
Le Code italien (art. 713) n'autorise la poursuite que pendant deux jours; passé ce délai, “le propriétaire du fonds peut les prendre et les retenir.” On peut conclure de cette rédaction que la poursuite pourrait durer plus de deux jours, si le propriétaire du fonds n'avait pas fait acte de possession sur ledit essaim, et alors la poursuite ne serait plus limitée qu'au délai de 20 jours, par argument de l'article suivant dn même Code qui donne ce délai pour poursuivre dans les mains d'autrui les animaux apprivoisés qui n'auraient pas été attirés par fraude.
Le Projet s'écarte, tout à la fois, de la loi française et du Code italien: 1° le droit de suivre l'essaim sur le fonds voisin dure une semaine, comme dans le cas des pigeons; c'est moins qu'en France où il n'y a pas de limite et c'est plus qu'en Italie où le droit ne dure que deux jours; 2° le délai est réduit à 3 jours, si le propriétaire du fonds a recueilli les abeilles et les a retenues prisonnières dans une ruche ou autrement: on conçoit que le droit de suite se prolonge plus quand le voisin n'a pas encore pris possession que dans le cas contraire.
Il n'a pas semblé nécessaire d'ajouter au texte, comme le fait le Code italien, que “le propriétaire de l'essaim devrait réparer le dommage causé par la poursuite": cela va de soi, et même il est certain que la poursuite devrait être empêchée ou suspendue dans les cas où elle causerait des dommages difficiles à réparer.
56. Le dernier alinéa concerne des animaux tenant le milieu entre les animaux sauvages et les animaux domestiques: ce sont les animaux apprivoisés; ils sont, comme dit le texte, “ de nature sauvage,” mais ils sont devenus familiers avec l'homme. On suppose qu'ils sont “fugitifs" c'est-à-dire qu'ils ont cessé de revenir chez leur propriétaire.
S'ils étaient tout-à-fait sauvages, ils ne pourraient pas être revendiqués, parce qu'ils n'auraient pas de maître.
S'ils étaient domestiques, ils pourraient être revendiqués, sans autre limite de temps que la prescription ordinaire des meubles possédés sans droit (m).
Etant dans cette condition intermédiaire, la loi adopte elle-même à leur égard une disposition intermédiaire: ils peuvent être revendiqués dans un délai modéré mais suffisant; ce délai est d'un mois, à partir non de leur fuite, mais du moment où un tiers les a recueillis et par conséquent les possède. La loi suppose même qu'il les a recueillis “de bonne foi”, ce qui implique, 1° qu'il n'a employé aucune ruse pour les faire venir ou les retenir, 2° qu'il ignore quel est leur véritable propriétaire. Dans le cas contraire, la revendication ne serait soumise qu'à la prescription ordinaire des meubles possédés de mauvaise foi.
57. La loi n'a pas de disposition sur les animaux sauvages, mais captifs, qui se seraient échappés. Au point de vue de la revendication, ils devraient être assimilés à tous autres objets mobiliers qui auraient été perdus par hasard ou accident: ce sont des épaves terrestres dont la revendication devra être réglée par des lois particulières, si elle ne l'est déjà.
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(l) Les pigeons qui ne vivent pas dans des colombiers sont appelés pigeons ramiers, parce qu'ils vivent sur les arbres: ils sont sauvages et peuvent être chassés.
(m) En France, le délai serait de 30 ans, dans ce cas, pour les meubles, comme pour les immeubles, on proposera de le réduire au Japon; sauf au cas de vol (voir Livre Vo, Chapitre dernier).