Art. 608. — N° 20. Le mot " accession" exprime, en français, l'idée de la réunion d'une chose à une autre, avec un caractère secondaire, accessoire, ou de dépendance.
Comme cette réunion ne peut toujours être détruite, soit parce que la nature physique s'y oppose, soit parce que la loi et l'intérêt général ne le permettent pas, l'accession devient alors, pour le propriétaire de la chose principale, un moyen d'acquérir la propriété de la chose accessoire (a). Si la séparation des deux choses est possible, naturellement et légalement, alors chacun des propriétaires garde la propriété de ce qui est à lui, et celui auquel appartient la chose accessoire peut la revendiquer en même temps qu'il en demande la séparation (b). C'est à raison de cette distinction, et de quelques autres, que le principe de l'acquisition n'est pas posé par notre article d'une manière absolue, mais avec des réserves.
Il va de soi que celui qui acquiert la chose d'autrui par accession doit indemniser celui auquel elle appartenait: la loi en fait également la réserve.
21. Le Code français (art. 546 et 54.7) et les législations qui l'ont imité donnent, comme première application de l'accession, l'acquisition des fruits et produits par le propriétaire de la chose.
Le Projet ne reproduit pas cette idée qui est manifestement erronée: les fruits et produits appartiennent certainement au propriétaire (en supposant, bien entendu, que la chose ne soit ni louée ni grevée d'un usufruit en faveur d'un tiers); mais ce n'est pas par accession, ni par aucun mode spécial d'acquisition, c'est par l'effet direct du droit de propriété qui se compose c1c trois attributs dont l'un est le droit de jouir (art. 31), c'est-à-dire de prendre les fruits.
A quel moment, d'ailleurs, pourrait-on dire que le propriétaire acquiert les fruits de sa chose ? D'après le Code français, il semble que ce soit, pour les fruits naturels, au moment où ils sont séparés du sol, comme cela est vrai pour l'usufruitier (C. fr., art 585; Proj., art. 54 et 55); et, pour le croît des animaux, au moment où il est né; mais alors, loin qu'il y eût acquisition par accession, par réunion, ce serait plutôt par séparation.
La vérité, c'est que, pour le propriétaire, il n'y a pas de différence juridique ou légale entre l'arbre, les fleurs et les fruits, entre les fruits verts et les fruits mûrs, entre ceux qui sont encore pendants par branches et racines et ceux qui sont récoltés, pas plus qu'entre les petits des animaux qui sont encore dans le corps de leur mère et ceux qui sont déjà nés. Pour trouver un intérêt à ces distinctions parmi les phénomènes naturels, il faut supposer un conflit de prétentions entre le propriétaire et un tiers, tel qu'un fermier, un usager ou un usufruitier, ou encore une vente du fonds ou de l'animal. Dans ce dernier cas, par exemple, si la vente a eu lieu avant la récolte ou avant la naissance du croît, l'acheteur aura droit aux fruits et au croît, parce qu'il devient propriétaire de la chose en l'état où elle est; tandis qu'il n'y aurait pas droit si la vente avait suivi la perception des fruits ou la naissance du croît: ces objets, en effet, auraient pris une individualité propre et distincte de la chose et ils ne seraient pas plus compris dans la vente de la chose principale que ne le serait un arbre abattu, une pierre extraite du sol on la toison d'un mouton après la tonte.
22. Le présent article ne présente l'accession que comme un avantage du droit de propriété. Il n'en fant pas conclure que le titulaire d'un démembrement de la propriété ne participerait aucunement au droit d'accession. Ainsi, un usufruitier jouirait des alluvions et autres attérissements qui augmenteraient le fonds usufructuaire (art. 67; comp. c. civ. fr., art. 596, 597); on devrait décider de même pour un fermier (v. art. 133).
Si la loi n'a parlé que du propriétaire, c'est pour ne pas compliquer la rédaction et parce que le droit des autres titulaires de droits réels est énoncé en son lieu.
On peut même dire que les droits personnels sont susceptibles aussi de s'étendre par accession. Supposons, par exemple, qu'une créance qui était, à l'origine, purement chirographaire ou sans caution, ait été, plus tard, garantie par une hypothèque, par un gage ou par un cautionnement, ces droits accessoires appartiendront au créancier, et si la créance était déjà cédée à, un. tiers, celui-ci bénéficierait de ces nouvelles garanties; le cas serait assez vraisemblable, si l'on suppose que ces garanties, entachées de nullité à l'origine, ont été confirmées ou renouvelées après la cession.
23. Les nombreux cas d'accession peuvent être ramenés à deux groupes de faits, suivant que la chose principale qui se trouve augmentée par la réunion d'une chose accessoire est un immeuble ou un meuble.
De là, une division en deux Sections, laquelle se trouve pareillement dans le Code français.
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(a) Chez les Romains, le mot acces-sio signifiait non le fait de la réunion, mais la chose réunie, la chose accessoire, et il ne paraît pas qu'ils aient formellement compté la réunion même comme un moyen d'acquérir; mais leurs solutions, dans la plupart des cas qui vont nous occuper, semblaient reposer sur le même principe, quoiqu'il ne fÚt pas nettement dénommé.
(b) En droit romain, le propriétaire de la chose accessoire devait, préalablement à lu. revendication, intenter une action personnelle (ditp ad exhibendum), pour faire détacher, représenter, exhiber sa chose; aujourd'hui, ces actions peuvent être réunies et cumulées en une seule.