Art. 628. — 66. La loi arrive au dernier cas d'accession, à la spécification ou création d'une espèce nouvelle. Il faut toujours supposer qu'il y a deux ou plusieurs intéressés, le propriétaire de la matière et le spécificateur, au moins; car si quelqu'un a transformé sa propre matière, il n'y a pas de question: il est seul propriétaire.
Ici, 'comme dans les autres cas, c'est toujours la chose principale qui entraîne l'accessoire; seulement, la difficulté n'est plus la même: la comparaison est à faire entre la matière et la main-d'œuvre.
Cette question de propriété de la chose ainsi créée avec la matière d'autrui, avait beaucoup divisé les jurisconsultes romains: les uns donnaient la préférence au propriétaire de la matière, parce que sans elle, l'objet n'aurait pu être créé; les autres lui préféraient le spécificateur, parce qu'ils se plaçaient plus volontiers dans le cas d'une œuvre d'art où, en effet, le travail l'emporte facilement sur le prix de la matière; plus tard, la loi consacra une opinion intermédiaire d'après laquelle on devait distinguer si l'objet spécifié pouvait ou non être ramené à son état primitif; dans le premier cas, et sans qu'il fût nécessaire d'opérer la transformation, la propriété appartenait au maître de la matière; dans le second cas, elle appartenait au spécificateur, sauf indemnité au propriétaire de la matière. Cette distinction avait son côté séduisant, car on pouvait dire que dans le premier cas, l'objet n'était réellement pas nouveau, tandis qu'il l'était dans le second: la matière ne pouvant pas reparaître à l'état primitif était considérée comme détruite et ne pouvait plus être revendiquée; l'objet, dès lors nouveau, ne pouvait avoir d'autre maître que le spécificateur, comme premier occupant: on rentrait ainsi, sans le dire, dans l' occupation.
Le résultat n'en était pas moins quelquefois singulier et dépendait trop de la nature physique des objets: ainsi, un objet sculpté avec grand talent sur un bronze de peu de valeur, aurait appartenu au propriétaire de la matière, parce que le bronze travaillé peut aisément être ramené à son premier état; tandis qu'un simple socle carré, de vase ou de statue, taillé dans un beau marbre, serait devenu la propriété d'un spécificateur sans talent; de même, un tableau fait sur la planche d'autrui aurait dû appartenir au propriétaire de la planche, parce qu'elle n'était pas détruite comme telle par la peinture, tandis que celui qui aurait confectionné une tunique avec une étoffe précieuse de pourpre en aurait acquis la propriété.
67. Quoi qu'il en soit du mérite et des défauts de ce système, le Code français l'a formellement rejeté (art. 570) en donnant, en principe, la préférence au propriétaire de la matière, "soit que la matière puisse 4, ou non reprendre sa première forme." Mais, dans ]'article suivant, il donne la préférence à la maind'œuvre, " si elle surpasse de beaucoup la valeur de la " matière."
C'est aussi le système du Projet (1" al.), avec cette différence qu'il est moins exigeant que le Code français pour donner la préférence à la main-d'œuvre: il se contente d'un Il notable excédant de valeur " (2° al.), tandis que ledit Code ne donne la préférence à la main-d'œuvre que lorsqu'elle Il est tellement importante qu'elle surpasse de beaucoup la valeur de la matière " (art. 571).
Le 3e alinéa augmente pour le spécificatcur les chances d'avoir la priorité, lorsqu'il a fourni une partie de la matière, en même temps que la maind'œuvre; c'est encore une différence avec le Code français qui, dans ce cas, sans qu'on en voie bien la raison, abandonne toute recherche de prédominance respective des valeurs pour établir une copropriété indivise entre les intéressés (art. 572).
Le 4e alinéa applique au cas de spécification une disposition analogue à celle de l'article 627 pour l'adjonction et le mélange: la partie qui peut se plaindre de l'autre n'est pas tenue de se prévaloir du droit de préférence qui lui appartiendrait et peut se faire indemniser en y renonçant.