Art. 587. — 754. Le refus de la répétition de l'indu, s'il y a eu payement volontaire d'une dette naturelle, est la consécration légale la plus saillante de son existence; c'est le seul effet que les Codes français et italien en aient formellement exprimé (c. fr., art. 1235; c. it, art. 1237); c'est aussi celui sur lequel on a déjà le plus insisté dans l'Exposé qui précède.
755. Le 2e alinéa tranche une question importante et le fait en faveur du créancier. Si le débiteur était dans une situation dangereuse qui réclamât une protection spéciale, la loi devrait exiger une déclaration expresse qu'il entend exécuter une obligation naturelle; mais sa situation étant la meilleure qui se puisse imaginer, puisqu'il peut ne payer que s'il veut et quand il veut, il n'y a donc pas lieu d'exiger une déclaration expresse de sa volonté. Mais il y a une condition nécessaire pour la validité de son payement, c'est qu'il ait eu l'intention d'éteindre une obligation naturelle; or, pour en avoir l'intention, il fallait d'abord qu'il en eût connaissance, et pour qu'il en eût connaissance, il fallait qu'elle existât (i).
De là, trois questions de preuve à résoudre dans l'ordre inverse: La dette naturelle existait-elle ? Le débiteur la connaissait-il ? A-t-il eu l'intention de l'acquitter ? La première est une question de droit, qui trouvera sa solution dans les articles 591 à 596, les deux autres sont des questions de fait qui se résoudront d'après les circonstances.
756. Mais la véritable difficulté à résoudre est celleci: A qui incombera la charge de ces trois preuves? Sera-ce à celui qui a payé, et qui prétend répéter, de prouver qu'il ne devait rien, même naturellement, ou, s'il avait une obligation naturelle, qu'il Vignorait, ou, s'il ne l'ignorait pas qu'il n'avait pas l'intention d'acquitter cette dette (j) ?
Bien qu'on ait réservé la théorie générale des Preuves pour un Livre spécial, le Va et dernier, on a déjà dû, chemin faisant, pour compléter certaines théories et n'avoir pas à y revenir, résoudre quelques difficultés de preuves, dans des cas particuliers. On doit faire de même ici.
En principe, la preuve est à la charge du demandeur, et s'il ne parvient pas à donner au juge la conviction, il succombe (v. art. 1314). H n'y a pas de motif de déroger ici à la règle ordinaire qui est fondée sur la raison autant que sur l'équité; il est d'ailleurs à présumer, en fait, que celui qui a payé entendait se libérer d'une dette: " tout payement suppose une dette," dit l'article 1235 du Code français, et comme l'on ne doit pas croire que la loi ait exprimé là une véritable naïveté, il faut lui donner ce sens que ”celui qui a fait une prestation à titre de payement (nomine solutionis) est présumé avoir été vraiment débiteur."
La seule objection qu'on pourrait faire ici à l'application du principe, objection qui s'est déjà rencontrée (art. 347 et n° 113) et qu'on retrouvera plus tard, c'est que le demandeur aura à prouver des négations, ce qui est toujours très difficile. Mais, par cela même que cette preuve est difficile à faire, les juges ont un plus grand pouvoir d'appréciation des circontances: comme le demandeur en répétition n'a pu se procurer d'avance une preuve écrite des négations qu'il a à prouver, les simples présomptions de fait sont admissibles (comp. c. ciVi fr., art. 1353; Proj., art. 1425); si le défendeur à la répétition, celui qui a reçu le payement, ne fait pas d'efforts de son côté pour établir l'existence de la dette naturelle, la connaissance qu'en avait le débiteur, enfin, son intention de l'acquitter, il courra grand risque de voir accueillir les preuves négatives du demandeur et d'être condamné à la restitution de l'indû.
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(i) On pourrait supposer même que le débiteur croyait bien devoir, mais croyait devoir civilement, tandis que, en réalité, il ne devait que naturellement. Dans ce cas, il aurait commis une erreur de droit sur la cause ou sur la nature de son obligation, et c'est une erreur exclusive de la volonté ou du consentement (voy. art. 332), par conséquent aussi, exclusive de la volonté d'acquitter une obligation naturelle.
(j) On ne suppose pas ici que le fait même du payement effectué soit contesté: autrement, ce serait encore un point à établir et, sans aucun doute, la preuve en incomberait à celui qui prétendrait répéter (v. n° 261).