Art. 579. — 690. La loi présente ici plusieurs cas de confirmation tacite: on y doit voir une présomption légale d'intention fondée sur des faits précis et significatifs: l'exécution volontaire est peut-être la confirmation tacite la plus certaine; il n'est pas nécessaire d'ailleurs qu'elle soit totale; il suffit qu'elle soit partielle, et ce sera fréquent, lorsqu'il s'agit d'une obligation divisible par périodes; mais, si le débiteur qui pourrait être tenu de payer le tout à la fois, ne payait qu'une partie, en protestant ou en faisant des réserves pour le surplus, alors, on ne devrait plus voir dans son payement partiel une confirmation tacite pour le reste.
L'exécution forcée, obtenue sur des poursuites judiciaires ou en vertu d'un acte exécutoire sans jugement, pourrait faire doute, en tant que constituant une COllfirmation tacite de la part de celui qui la subit (non de la part de celui qui la requiert). En France, on hésite sur ce point, ou on néglige de le traiter. Le Projet s'en explique: l'exécution forcée est assimilée à l'exécution volontaire, si elle n'est pas accompagnée de réserves ou protestations. Du reste, si l'exécution a lieu en vertu d'un jugemeut, la question ne se présente que s'il s'agit d'un jugement exécutoire provisoirement, avant d'être irrévocable; car, une fois que la décision - sera devenue inattaquable, ce n'est plus la confirmation tacite qui enlèvera l'action en nullité, c'est l'autorité de la chose jugée.
691. La novation, la dation, par le débiteur, d'une caution, d'un gage ou d'une hypothèque, sont aussi des actes volontaires qui enlèvent l'action en nullité, parce qu'elles présupposent une reconnaissance de la validité de la dette qui leur sert de base (voy. art. 517).
La demande faite en justice par le créancier n'est pas moins significative que l'exécution.; elle a peutêtre plus encore le caractère d'une confirmation, car elle ne pourrait, raisonnablement, être accompagnée de protestations ou réserves.
692. Enfin, l'aliénation volontaire de tout ou partie d'une chose acquise par une convention annulable est, à bon droit, considérée comme une renonciation tacite à la nullité: le fait par l'acquéreur de tirer profit de son acquisition, par un acte qui transforme cette partie de son patrimoine, est aussi significatif, dans le sens d'une approbation du contrat primitif, que les autres actes sus-énoncés. Il y a même une raison de plus de la décider: celui qui a conféré des droits ne peut luimême en dépouiller ses ayant-cause; c'est un cas de garantie essentielle à laquelle on ne peut se soustraire, même par une stipulation expresse (v. art. 416. et n08216, 336, 337 et 337 bis; comp. c. fr., art. 1626); or, si le premier acquéreur, après avoir aliéné, à son tour, prétendait obtenir la rescision de son acquisition contre son cédant, il causerait l'éviction de son cessionnaire, il lui devrait la garantie et il perdrait ainsi tout intérêt à la rescision.
Il ne faut pas confondre ce cas avec celui qui est prévu à l'article 575, où l'action en rescision peut atteindre les tiers-acquéreurs: dans le cas de cet article, l'aliénation a été faite, non par le demandeur à la rescision, mais par le défendeur, et alors ce n'est plus celui qui évince les tiers qui leur doit la garantie (comp. art. suiv.).
Le Code français n'a pas posé d'une façon générale le principe que l'aliénation des choses reçues dans une convention annulable opère confirmation tacite de celleci; on le trouve seulement appliqué par l'article 892 qui ne prévoit que l'action en rescision du partage de succession et qui, dans ses termes, est limité au cas de rescision demandée pour dol ou violence. Le Projet l'applique à la rescision de tous autres actes que le partage et pour toute autre cause que celles de dol et de violence, en excluant toutefois le cas de lésion, pour lequel la loi n'admet que la confirmation expresse, par le motif déjà énoncé.
693. Le deuxième alinéa laisse aux tribunaux le soin de reconnaître les autres cas de confirmation tacite, car la loi ne peut prévoir tous les cas où l'on pourrait raisonnablement l'induire des circonstances; seulement, ils ne devront qdmettre d'autres confirmations tacites qu'avec une grande réserve. Le motif qui nous a fait introduire cette disposition une première fois et qui nous la fait maintenir, après hésitation, c'est que les tribunaux pourraient bien admettre un consentement tacite formant un contrat (v. art. 328, 2e al.); or, on ne voit pas pourquoi ils ne reconnaîtraient pas, au moins aussi aisément, la confirmation d'une convention imparfaite.
Les tribunaux auraient-ils aussi un certain pouvoir d'apprécier et de rejeter les cas de confirmation tacite admis plus haut par la loi ? Ou bien, y a-t-il là une présomption absolue de confirmation ? Si la question était posée au sujet du Code français, la solution serait autre que celle que nous allons donner pour le présent Projet.
D'abord, le Code français ne qualifie pas " présomption" sa disposition correspondant à la nôtre (v. art. 1338, 2e al.); on pourrait donc y voir une décision impérative, au sujet de laquelle il ne peut être question de faire une preuve contraire. Ensuite, fût-ce dans ce Code une présomption, elle serait de celles qui n'admettent d'autre preuve contraire que celles de l'aveu et du serment judiciaires, aux termes de l'article 1352-2°, car ce serait un cas "où la loi dénie l'action en justice et " où elle n'a pas réservé la preuve contraire."
Mais ici le cas est trois fois différent: d'abord la disposition de la loi est formellement qualifiée " présomption " (3); ensuite, la preuve contraire des présomptions légales d'intérêt privé n'est exclue que dans trois cas parmi lesquels le nôtre ne figure pas (v. art. 1423); enfin, la loi réserve formellement la preuve contraire aux autres présomptions légales dites "simples," avec cptte seule restriction que chaque preuve y sera " soumise à ses limites et conditions propres," ce qui vise surtout la preuve testimoniale et les présomptions de fait (v. art. 1424).
Concluons donc que les présomptions de notre article 579 pourraient être combattues par la preuve contraire. Ainsi, lorsqu'il s'agit de l'exécution volontaire, il ne faudrait pas absolument considérer comme confirmation tacite le fait, par la partie demanderesse en rescision, d'avoir pris livraison d'une chose acquise par le contrat annulable: elle pourrait avoir pris livraison dans la crainte de l'insolvabilité prochaine du défendeur; le plus sûr aurait été pour elle de faire des réserves; mais le fait de prendre livraison d'une chose vendue aurait toujours moins clairement le sens d'une confirmation que le fait d'en payer le prix.
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(3) Ce n'est que dans la présente édition que nous avons nous-même introduit la qualification de "présomption; mais elle était bien dans l'esprit de la première rédaction, puisque la même question était déjà sonlevée et résolue comme elle l'est ici.